24/01/2017

La moitié des rivières européennes devrait changer d'écotype d'ici 2050 (Laizé et al 2017)

Selon une étude venant de paraître, la moitié des masses d'eau de surface européennes devrait changer de régime hydrologique d'ici quelques décennies sous l'effet des changements climatiques et des usages humains associés. Avec d'inévitables conséquences sur les écosystèmes aujourd'hui en place. La France sera particulièrement concernée. Ce résultat repose une question intriguant déjà nombre de chercheurs en écologie des milieux aquatiques: pourquoi donc la directive cadre européenne sur l'eau s'est-elle construite sur l'idée qu'il existerait un "état de référence" intangible de chaque rivière?

Le travail de Cédric Laizé, Mike Acreman et Ian Overton s'inscrit dans le projet SCENES (water SCenarios for Europe and for NEighbouring States) visant à anticiper les évolutions hydrologiques du Vieux Continent ainsi que de ses voisins anatolien et méditerranéen. Deux modèles climatiques de circulation globale ont été mobilisés, IPSL-CM4, de l'Institut Pierre Simon Laplace (France) ; MIROC3.2, du Centre de recherche sur le système climatique (Japon). Les chercheurs ont comparé les données de référence 1961-1990 (Climate Research Unit, Royaume-Uni) avec le projections 2040-2069 des modèles.

Les auteurs rappellent l'importance du régime hydrologique des débits dans la caractérisation écologique des rivières. "Bien que beaucoup de facteurs influencent le type et la condition des écosystèmes d'eaux douces, incluant la lumière, la température de l'eau, les nutriments et les interactions entre espèces (Moss et al 2009), dans les rivières c'est le débit (c'est-à-dire l'écoulement mesuré comme volume par unité de temps) qui est considéré comme le facteur clé (…) le paradigme du régime de débit naturel (Poff et al 1997) pose que le caractère dynamique du débit naturel d'un cours d'eau - caractérisé par son amplitude, sa fréquence, sa durée, sa période et son rythme de changement – est central pour soutenir la biodiversité et l'intégrité de l'écosystème (Lytle et Poff 2004)".

Laizé et ses collèges ont donc créé des indicateurs de débit (Monthly Flow Regime Indicators MFRIs) avec 14 métriques d'intérêt pour leur influence sur les écosystèmes de rivière. Par une analyse en partitionnement (clustering), 13 écotypes d'écoulement ont été définis (10 existant aujourd'hui et 3 n'existant pas actuellement en Europe). Ces types éco-hydrologiques se différencient par la saisonnalité des hautes eaux (hiver, printemps), par l'ampleur et la variabilité des régimes (basses eaux, hautes eaux), par la fréquence des extrêmes.



Changement des régimes hydrologiques autour de 2050 selon le modèle IPCM4 EcF, en vert pas de changement, en bleu changement dans un régime déjà existant, en rouge apparition d'un nouveau régime inexistant sur la zone. On voit que les bassins français devraient être massivement concernés par des évolutions hydroclimatiques.  Extrait de Laizé et al 2017, art cit, droit de courte citation.

Résultats (fourchettes basses et hautes des deux modèles):
  • 30 à 49% des rivières ne changent pas de type de débit;
  • 42 à 55% des rivières changent de type, pour un type connu;
  • 9 à 18% des rivières entrent dans un type encore inconnu (plutôt des régimes à dominante hivernale avec peu de variabilité et d'extrêmes).
Conclusion des scientifiques : "il est donc raisonnable de dire que si une rivière change d'un type éco-hydrologique de débit pour un autre, il existe un potentiel pour de nouveaux écosystèmes, particulièrement si cela résulte en une perte d'espèces existantes. Cependant, l'écosystème qui se dévelopera réellement dépendra de la capacité des nouvelles espèces qui arrivent à exploiter des niches disponibles".

Discussion
Les prévisions des modèles mobilisés par Cédric Laizé et ses collègues se réaliseront-elles? C'est incertain, car les modèles hydroclimatiques appliquées aux échelles régionales donnent encore des résultats divergents (ce qui est le cas, dans le détail, des 2 modèles ici mobilisés). Le climat fonctionne par couplage dynamique océan-atmosphère, avec des oscillations naturelles et des évolutions stochastiques, donc savoir comment les forçages anthropiques vont altérer ces mécanismes et leur téléconnexions restent un champ assez ouvert pour la modélisation climatique.

Cette réserve étant posée, la plupart des climatologues et hydrologues pensent que le régime des rivières sera bel et bien modifié de manière substantielle par les changements climatiques annoncés au cours du siècle. S'il est encore difficile de prédire avec précision l'avenir de chaque grand bassin, des évolutions thermiques et hydrologiques sont à peu près inévitables. Et cela à relativement court terme – quelques décennies, ce qui est peu pour le vivant.

Comme le relèvent Cédric Laizé et ses collègues, les changements hydrologiques impliqueront des évolutions écosystémiques. Cela rend quelque peu problématique l'approche choisie par l'Union européenne dans la directive cadre sur l'eau : définir des "états de référence" biologiques et physico-chimiques afin de déterminer quels peuplements et écoulements "naturels" sont attendus sur des cours d'eau, et forment donc l'objectif de la conservation ou de la restauration de ceux-ci. En effet, en prenant comme base des statistiques d'observation de la fin du XXe siècle, nous avons de bonnes chances de poser des référentiels de qualité ou d'intégrité qui deviendront automatiquement désuets à mesure que le vivant s'adaptera aux conditions nouvelles. Ce malentendu fondateur de la DCE 2000, déjà souligné par des chercheurs dubitatifs sur l'approche choisie par les gestionnaires (voir Bouleau et Pont 2015), gagnerait à être éclairci au plus vite.

Mais la Direction générale Environnement de la Commission de Bruxelles est-elle davantage ouverte aux nuances, incertitudes et réserves des débats scientifiques en écologie que ne le sont nos bureaucraties nationales? Au regard de la genèse de la directive cadre (voir Loupsans et Gramaglia 2011), il y a quelques craintes à avoir…

Référence : Laizé C et al (2017), Projected novel eco-hydrological river types for Europe, Ecohydrology & Hydrobiology DOI: 10.1016/j.ecohyd.2016.12.006

2 commentaires:

  1. "l'écosystème qui se développera réellement dépendra de la capacité des nouvelles espèces qui arrivent à exploiter des niches disponibles".
    Encore une fois il faut que les nouvelles espèces aient accès à ces niches...
    Tous les barrages ne vont pas favoriser l'évolution et l'adaptation de la faune piscicole aux changements du milieu.

    "le caractère dynamique du débit naturel d'un cours d'eau - caractérisé par son amplitude, sa fréquence, sa durée, sa période et son rythme de changement – est central pour soutenir la biodiversité et l'intégrité de l'écosystème." Que des critères que les retenues d'eau tendent à affecter!

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    1. Sur le premier point : il faut examiner comment se fera l'adaptation. Grosso modo, les euryèces capables de survivre à des régimes chauds en été et froid en hiver, avec parfois peu de débit et peu d'oxygène, vont avoir un avantage adaptatif sur les sténoèces, se répandre mieux sur les tronçons où il y a déjà des pools reproducteurs. Les régimes à venir seront probablement moins favorables aux espèces aimant les eaux froides à fraîches. C'est à intégrer dès à présent dans les différentes planifications, par exemple quand on est en limite de zone à truite, pas forcément utile d'investir lourdement pour la franchissabilité si l'on prédit l'absence de truite entre 2050 et 2100. Sur les amphihalins (anguilles, saumons), il serait utile d'avoir des modélisations sur les routes migratoires atlantiques, là aussi ne partons pas du principe que sil y avait du saumon au Moyen Âge il y en aura forcément en 2100 ou 2200. Enfin, les petits ouvrages n'ont pas empêché les colonisations historiques, cela ne devrait pas trop changer à l'avenir. Pour les barrages infranchissables bloquant le lit majeur, c'est à voir sur chaque bassin.

      Sur le second point : tout dépend des retenues (certaines sont quasi-transparentes, comme toujours plus l'ouvrage est modeste, moins il y a d'impact et donc de sens à intervenir). Mais dans l'ensemble, oui, une retenue modifie des conditions hydrologiques, donc les peuplements. Dans le détail (et la littérature scientifique en est pleine d'observation), c'est assez facile de modifier des peuplements, même une intervention modeste changera la chaîne trophique. Il faut reconnaître et intégrer cette complexité, ne pas en rester à des attentes simplistes et rudimentaires.

      Enfin, il n'est possible de trouver du consensus et du revenu pour prendre soin de l'environnement que si l'économie et la société vont déjà bien. L'adaptation au changement climatique ne peut évidemment se limiter à conserver telle ou telle espèce de poisson ou d'insecte, pour les communautés humaines c'est d'abord un enjeu d'usage de l'eau.

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