22/01/2017

Pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau: une proposition sénatoriale

Nous avions évoqué le rapport très critique du sénateur Rémy Pointereau sur la mise en oeuvre de la politique de l'eau, notamment dans le domaine de la continuité écologique qui nous intéresse au premier chef. Dans la suite de son action, l'élu a déposé au Sénat une proposition de résolution. Elle est articulée autour de 4 axes: la gestion qualitative de l'eau, la gestion quantitative de l'eau, la simplification des procédures et l'allègement des normes,la planification et la gouvernance. Plusieurs articles concernent la question des ouvrages hydrauliques. Nous en publions ci-dessous des extraits et nous invitons nos lecteurs à en informer instamment leurs sénateurs afin qu'ils soutiennent cette proposition lors de son prochain examen.

Cette proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à agir avec pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau, peut être consulté à ce lien. Elle n'a pas de force législative, mais son adoption indiquerait au gouvernement (actuel, futur) la ferme volonté du Sénat d'engager une réforme de la loi sur l'eau, 10 ans après son adoption.

Cette réforme est plus que nécessaire : mauvais résultats dans la mise en oeuvre de la directive sur l'eau DCE 2000 et probabilité quasi-nulle d'atteindre le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau en 2027 ; confiscation des décisions par une oligarchie administrative lointaine et de plus en plus décriée ; prolifération réglementaire qui assomme les riverains, usagers, propriétaires dans un maquis illisible de normes et d'obligations ; gabegie d'argent public dans des mesures violentes (destructions d'ouvrages) à l'efficacité non démontrée ; indifférence aux attentes nombreuses (patrimoine, paysage, loisir, économie, etc.) et blocage du dialogue environnemental au profit d'une écologie punitive et autoritaire ; analyse coût-bénéfice et analyse en services rendus par les écosystèmes absentes, alors que les riverains n'ont nul sentiment que les milliards dépensés chaque année leur apportent des changements concrets et utiles, et alors qu'on s'apprête de surcroit à lever une nouvelle taxe GEMAPI...

La proposition du sénateur Pointereau ne soulève qu'une partie de ces problèmes et, dans le détail, nous ne souscrivons pas forcément à chacune de ces orientations. Mais elle va globalement dans la bonne direction, en particulier sur la question des ouvrages hydrauliques. Il y a eu depuis 5 ans une accumulation de rapports critiques sur la politique de l'eau, sur ses acteurs institutionnels et sur ses résultats (Cour des comptes, CGEDD, Commission européenne, OCDE, rapport Lesage, rapport Levraut, rapport Dubois-Vigier, rapport Pointerau...). Il est impensable que la prochaine législature et le prochain gouvernement ne placent pas la réforme de cette politique au programme de leurs actions prioritaires.

Motifs (extraits)
Dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat a considéré qu'il était naturel que la Haute Assemblée se penche sur l'application de la « LEMA », sur l'impact qu'elle a eu sur les collectivités territoriales mais également sur les différents acteurs de la politique de l'eau et sur les difficultés qui sont apparues dans la mise en oeuvre des changements et des principes portés par le texte. C'est à titre qu'un débat a été tenu au Sénat le 19 octobre 2016 sur les conclusions du rapport d'information : « Eau : urgence déclarée » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective) et sur les conclusions du rapport d'information sur le bilan de l'application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable).

Cette proposition de résolution trouve ainsi son origine dans les conclusions et propositions du dernier rapport, qui dresse un bilan mitigé de l'application des principales dispositions de ce texte de loi. En effet, si la quasi-totalité des acteurs du monde de l'eau sont attachés aux grands principes posés par la loi, beaucoup regrettent une mise en oeuvre concrète problématique.

C'est pourquoi la proposition de loi identifie, à travers quatre pans de la loi de 2006 (1 - la gestion qualitative de l'eau, 2 - la gestion quantitative de l'eau, 3 - la simplification des procédures et l'allègement des normes et 4 - la planification et la gouvernance), plusieurs solutions de simplification, concrètes et pragmatiques dans le domaine de la gestion de l'eau, dont les acteurs de l'eau mesurent chaque jour le degré de complexité.

Ainsi, la présente proposition de résolution suggère de veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes, de simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés ; de raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, mais également de raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau. Il faut donner à la simplification la priorité qu'elle mérite.

Il convient également de doter la politique de l'eau des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à sa mise en oeuvre. Une politique dont l'efficacité dépendra des acteurs qui y seront associés. (...)



Résolution

Pour une meilleure gestion qualitative de l'eau :

  • Veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes et fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l'eau;
  • Interdire tout prélèvement par l'État sur le fonds de roulement des agences de l'eau, afin de garantir un financement stable de la politique de l'eau et d'atteindre les objectifs de qualité de l'eau fixés au niveau européen; appliquer le principe de « l'eau paye l'eau »;
  • Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble;
  • Mieux utiliser les moyens du fonds de garantie boues mis en place par la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques;
  • Renforcer les moyens financiers pour les collectivités locales dans la protection des captages, des réseaux d'assainissement et stations d'épurations.

Pour une meilleure gestion quantitative de l'eau :

  • Soutenir financièrement les collectivités pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau potable et mettre en place un plan d'action visant à acquérir une connaissance plus approfondie de ces réseaux, rechercher et réparer les fuites ou renouveler les conduites;
  • Sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective (OUGC) en clarifiant les liens entre les OUGC et les irrigants;
  • Renforcer la présence des acteurs et professionnels concernés au sein des comités d'orientation des organismes uniques de gestion;
  • Promouvoir le développement de contrats avec les agriculteurs pour effectuer des prestations de services environnementaux;
  • Définir des plans d'action qui concilient protection de la qualité de l'eau et potentiel de production et qui prennent mieux en compte l'évaluation des risques (inondations, sécheresse, etc.) en favorisant par exemple des bassins d'écrêtement des crues;
  • Favoriser la recharge des nappes phréatiques en dehors des périodes d'étiages ou lorsque la situation le permet;
  • Favoriser les retenues de substitution et collinaires avec la possibilité de remplissage dès lors que les niveaux d'eau sont suffisants ou excédentaires en période de crue;
  • Encourager la recherche en matière de techniques d'accroissement de la ressource en eau ;
  • Réutiliser les captages d'eau potable abandonnés pour des usages non alimentaires (irrigation, arrosage public, etc.).

Pour une simplification des procédures et l'allégement des normes applicables à l'eau :

  • Simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés;
  • Raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, et de mise en oeuvre des organismes uniques de gestion collective, notamment les obligations en matière d'études préalables pour l'obtention de l'autorisation unique de prélèvement;
  • Raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau et les sécuriser juridiquement;
  • Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste , c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable;
  • Agir avec pragmatisme et discernement pour un arasement non systématique des seuils et préserver le fonctionnement des moulins qui font partie du patrimoine national.

Pour une meilleure gouvernance et planification de l'eau :

  • Revoir le contenu des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux en y intégrant notamment un volet prospectif sur l'anticipation au changement climatique et en les simplifiant;
  • Rééquilibrer la composition des instances de bassin sur la base d'une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations agrées par l'État, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles;
  • Reconnaître les propriétaires ruraux comme des acteurs environnementaux;
  • Attribuer la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) à une collectivité correspondant davantage à un bassin versant (département ou syndicat de rivière) à condition de leur transférer les moyens financiers pour en assurer la mise en oeuvre en lien étroit avec les agences de l'eau.

4 commentaires:

  1. Arguments classique d'un agriculteur labellise FNSEA: simplification administrative, police de l'environnement trop puissante, halte aux normes....le top de la défense de l'intérêt général aux services des intérêt particuliers et des bénéfices grassouillets. On discute entre amis.

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    1. On discute peu par idées et arguments, beaucoup par étiquettes et chapelles. Un tel est catalogué écolo, donc intégriste, donc khmer vert ; untel est catalogué agri, donc pollueur, donc profiteur, etc. C'est dommage, ce doit être la société française qui est trop tendue, trop aigrie, trop apeurée pour avoir envie de construire des choses ensemble dans un climat apaisé. Cela dit, on participe au phénomène et on voit comment on en arrive là, quand vous proposez le dialogue et qu'on vous le refuse, le conflit devient la seule issue.

      Dans votre propos, il y a l'antagonisme intérêt général / intérêt particulier. C'est une posture rhétorique. En démocratie, l'intérêt général est en dernier ressort inscrit dans la constitution ainsi que dans la loi votée par les représentants élus des citoyens. Chacun peut monter sur un tabouret et dire à pleins poumons "mes idées incarnent l'intérêt général", cela ne prête pas tellement à conséquence. Ce sont des mots. Et heureusement car sinon n'importe qui transformerait ses visions personnelles en règles valables pour tous, au mépris de la diversité des valeurs et des intérêts propres aux sociétés ouvertes et complexes.

      Bref, Pointereau propose de faire évoluer des choses, on peut être en accord ou en désaccord avec chacune de ses propositions, le mieux est de débattre au cas par cas. Ce que dit Pointereau s'inscrit grosso modo dans la définition française de la gestion durable et équilibrée de l'eau.

      A part certains fonctionnaires et assimilés qui en vivent, et vous en êtes peut-être, pas grand monde n'aime la complexité administrative. Basiquement, on a plein d'autres choses à faire dans la vie que remplir des dossiers pour des gens payer à contrôler des gens. Si vous avez perdu le souvenir de cette évidence élémentaire, ne vous plaignez pas du retour de baton qui s'annonce. L'esprit public, ce n'est pas l'esprit pénitentiaire.

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  2. Gestion durable et équilibrée de l'eau de la part d'un syndicat grand défenseur de la ressource et de l'environnement en général
    https://reporterre.net/Gaspillage-de-l-eau-le
    http://v3.fnsea.fr/toutes-les-thematiques/economie-et-filieres/grandes-cultures/nos-actions/augmentation-de-la-redevance-irrigation
    http://www.actu-environnement.com/ae/news/FNSEA-congres-reglementation-environnementale-21222.php4

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    1. Par "gestion durable et équilibrée", nous ne portions pas un jugement de valeur sur les propositions de Pointereau, nous soulignions simplement que celles-ci s'inscrivent dans les options aujourd'hui reconnues explicitement par la loi sur l'eau et le droit de l'environnement.

      Le thème agricole n'est pas notre domaine, on aurait du mal à écrire autre chose que des généralités.

      Que l'agriculture compte parmi les premiers facteurs d'impact sur les bassins versants et l'eau, tout le monde le reconnaît (et cela date du néolithique, pour les mémoires courtes pensant que le monde est né avec eux). Que le modèle purement intensif-productiviste mis en place aux 30 glorieuses ait élevé d'un ordre de grandeur certains impacts et ne soit pas durable, c'est assez évident également pour beaucoup de monde. De même que réussir la sortie de ce modèle (auquel tout le monde a poussé et beaucoup poussent encore) est tout sauf simple, avec comme toujours beaucoup de débats ouverts sur la meilleure manière de ré-intégrer l'environnement dans la pratique agricole (et beaucoup de gens prétendant qu'ils ont la seule option viable sinon on court à la fin du monde).

      Après, si créer la moindre retenue d'eau (ce que l'homme a toujours fait, et ce que la situation d'incertitude climatique incite plutôt à faire encore au lieu de s'en remettre à la bonté généreuse de mère-nature) est décrit par principe comme un crime gravissime contre les milieux, il n'y a plus tellement à discuter. Mais ceux qui s'enferment dans des postures radicales ont tort: on a toujours la satisfaction d'une grande pureté morale à être minoritaire-contestataire-intraitable, reste que les sociétés évoluent par des compromis raisonnés et que la radicalité vous rend vite inaudible. On a eu une expertise collective Irstea-Inra-Onema sur l'effet cumulé des retenues, les chercheurs étaient loin d'avoir le ton de Cassandre catastrophistes et reconnaissaient modestement que le niveau des savoirs reste faible, avec des résultats parfois contradictoires. Cela incite à la prudence, dans les deux sens, non?
      https://expertise-impact-cumule-retenues.irstea.fr/

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