10/10/2019

Le conseil d'Etat précise comment s'apprécie la compatibilité d'un projet à un SDAGE et un SAGE

Le conseil d'Etat vient de confirmer l'incompatibilité entre une réserve d'eau pour l'irrigation et un SAGE. A cette occasion, la haute cour précise que la "compatibilité" à un SDAGE n'est pas la conformité, que le "contrôle de compatibilité" doit faire l'objet d'une "analyse globale" de ce que disent les SDAGE et SAGE, non de la mise en avant d'une disposition générale parmi d'autres. En l'occurrence, le SDAGE Loire-Bretagne ne permettait pas à lui seul d'interdire une réserve d'irrigation, c'est une mesure précise du SAGE sur les limites de volume stockable qui a conduit à annuler l'autorisation du projet. Voilà qui rappelle un point essentiel aux représentants des moulins, étangs, riverains : chaque mesure des SDAGE comme des SAGE doit être étudiée et discutée car elle sera par la suite opposable. Hélas, les SDAGE sont des machines très peu démocratiques des agences de l'eau dont les comités de bassin nommés par les préfets ne reflètent en rien la diversité des usagers et des citoyens, en particulier excluent les ouvrages hydrauliques hors industriels de l'énergie... un scandale qui n'émeut personne. Raison de plus pour systématiser désormais les contentieux si les bureaucraties et les lobbies régnant aux agences de l'eau refusent d'entendre les citoyens et prétendent imposer des vues contestées dans les textes. Notamment la destruction des ouvrages hydrauliques, qui n'est certainement pas de nature à protéger la ressource en eau sur laquelle les conseillers d'Etat statuaient dans ce cas d'espèce. Avant de faire des bassines, commençons donc par respecter les retenues, réservoirs et canaux en place.


Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE), déclinés localement en schémas d'aménagement et gestion de l'eau SAGE), sont des outils de programmation politico-administrative de l'eau. Ils ont la forme d'arrêtés préfectoraux opposables.

Ces outils sont connus de nos lecteurs puisque le choix de certains SDAGE de mépriser le patrimoine hydraulique, de nier sa valeur contre toute raison et de financer sur argent public sa destruction est un ingrédient important de nombreux troubles dont nous couvrons l'actualité en rivière depuis bientôt 10 ans. En particulier dans le bassin Seine-Normandie, champion du dogmatisme et du sectarisme qui, pendant des années, refusait le moindre soutien financier à ce qui n'était pas une casse pure et simple des barrages, digues, seuils et autres déversoirs.

C'est un cas différent qui a sollicité l'attention des conseillers d'Etat, celui d'une création de réserve d'eau en Loire-Bretagne.

Par un arrêté du 6 août 2012, le préfet de la Charente-Maritime a autorisé la création de deux réserves de substitution sur les territoires des communes de Benon et de Ferrières. Le tribunal administratif de Poitiers a annulé l’arrêté préfectoral. Pour confirmer l’annulation, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est notamment fondée sur l’absence de compatibilité de cet arrêté avec le SDAGE Loire-Bretagne (CAA Bordeaux, 29 décembre 2017, n°15BX04118).

Dans ses arrêts  n°418658, 418706, les conseillers d'Etat annulent partiellement la décision de la cour d'appel sur le cas de l'interprétation du SDAGE, tout en la confirmant pour celui du SAGE.

Les conseillers rappellent que les SDAGE des agences de l'eau, complétés éventuellement par les SAGE des EPCI-EPTB-EPAGE, sont des instruments d'application de la directive européenne sur l'eau et qu'ils encadrent la police administrative de l'eau :
"le SDAGE constitue l’un des instruments destinés à assurer la transposition de la directive du 23 octobre 2000, en particulier son article 11. Il est complété, lorsque c’est nécessaire dans un périmètre géographique donné, par le SAGE, ces deux types de plan de gestion encadrant l’exercice de la police administrative de l’eau défini à l’article L. 214-1 du code de l’environnement, visant « les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants ». Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les dispositions du règlement du SAGE et ses documents graphiques sont opposables dans un rapport de conformité aux décisions individuelles prises au titre de cette police. 
Les règles générales prévues dans la partie législative du code s'appliquent aussi :
"Ces décisions doivent par ailleurs être conformes aux règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux prises en application de l’article L. 211-2 du code de l’environnement, ainsi qu’aux prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire prévues par l’article L. 211-3 du même code, ces règles générales et prescriptions étant précisées aux articles R. 211-1 et suivants du même code." 
Il en résulte que la cour d'appel était fondée à estimer un rapport de comptabilité (et non de conformité) au SDAGE :
"Par suite, la circonstance que le législateur a prévu, au XI de l’article L. 212-1 du code de l’environnement cité au point 7, un rapport de compatibilité, et non de conformité, entre les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau et les dispositions des SDAGE, ne méconnaît pas les objectifs définis par la directive du 23 octobre 2000. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les autorisations administratives délivrées dans le domaine de l’eau sont dans un rapport de compatibilité et non de conformité avec les dispositions du SDAGE."
Mais ce contrôle de compatibilité ne s'estime pas à partir d'une seule mesure - visant à limiter l'usage de l'eau - retenue par la cour d'appel, elle doit s'apprécier à partir de "l'analyse globale" du SDAGE, dont d'autres dispositions admettent cet usage de l'eau :
"Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que les projets de réserves litigieux n’étaient pas compatibles avec le SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne, la cour s’est bornée à les confronter à la seule disposition de ce schéma limitant le volume des réserves nouvellement créées. Ce faisant, la cour n’a pas confronté l’autorisation litigieuse à l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne, qui favorisent le recours à l’irrigation à partir de stockages hivernaux en substitution des prélèvements estivaux existants, et a, ainsi, omis de procéder à l’analyse globale exigée par le contrôle de compatibilité défini au point précédent. Par suite, elle a commis une erreur de droit."
En revanche, le volume de la réserve excède le volume maximal autorisé par le règlement du SAGE, et donc c'est à bon droit que l'arrêté préfectoral d'autorisation de cette réserve d'eau est cassé.

Source : Conseil d'Etat (2019), arrêts n°418658, 418706, 2( septembre 2019, Nature Environnement 17, M. A.B. contre ASA de Benon, Ministère de la Transition écologique et solidaire

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