13/10/2019

La restauration écologique active d'un milieu a souvent le même effet qu'une simple récupération passive (Jones et al 2018)

La restauration écologique de milieux est devenue très populaire au fil des dernières décennies et le gestionnaire public qui l'engage nous garantit que ses résultats sont formidables. Mais est-ce exact? Les retours d'expérience commencent seulement à être analysés à grande échelle depuis une dizaine d'années par les scientifiques. Dans une méta-analyse de 400 travaux, des chercheurs montrent qu'en général, une restauration active d'un milieu perturbé n'obtient pas beaucoup plus de résultats qu'une simple récupération passive en cessant l'impact et en laissant les sites évoluer. Et en tout état de cause, notamment pour les milieux aquatiques, le résultat de la restauration active comme de la récupération passive n'est pas le retour aux objectifs fixés avant les travaux, notamment un état proche d'une situation antérieure non perturbée. A l'heure où en France les agences de l'eau envisagent de ne plus financer les traitements des pollutions pour se concentrer davantage sur des travaux de restauration, cela pose de sérieuses questions sur le bon emploi de l'argent public et sur l'engagement des gestionnaires à obtenir des résultats tangibles qui augmentent les services rendus par les écosystèmes à la société. A supposer que l'on soit encore capable de se poser des questions – voire de se remettre en question – dans les technocraties, bien sûr...

La restauration écologique est devenue une politique publique depuis une trentaine d'années, et les scientifiques essaient d'évaluer ses résultats. Une dizaine de chercheurs de divers pays (dont Daniel Montoya, INRA-CNRS, en France) ont réalisé une méta-analyse de 400 études portant sur 5142 variables de réponse - les variables mesurées par les chercheurs dans les études - afin de documenter le rétablissement de l'écosystème à la suite de perturbations anthropiques à grande échelle (agriculture, eutrophisation, perturbation hydrologique, exploitation forestière, extraction minière, déversements d'hydrocarbures). Ces études résultantes ont catalogué la récupération après perturbations selon une combinaison d’actions pour mettre fin à la perturbation (notion de "récupération passive") ou pour augmenter le taux de récupération des écosystèmes endommagés (notion de "restauration active"). Les principaux objectifs de ce travail étaient de calculer l’étendue et le taux de rétablissement des écosystèmes endommagés, et de comparer cela selon les écosystèmes, les perturbations, les types d’organismes, le degré de rétablissement selon le choix de restauration active versus récupération passive des écosystèmes.

Voici le résumé de leur recherche :

"Étant donné que peu d’écosystèmes sur la Terre n’ont pas été affectés par les humains, leur restauration est très prometteuse pour enrayer la crise de la biodiversité et garantir que les services écosystémiques sont fournis à l’humanité. Néanmoins, peu d'études ont documenté le rétablissement d'écosystèmes à l'échelle mondiale ou les taux de rétablissement des écosystèmes. Encore moins ont pris en compte l'avantage supplémentaire de la restauration active des écosystèmes par rapport au choix de leur permettre de se rétablir sans intervention humaine après la cessation d'une perturbation. 

Notre méta-analyse de 400 études réalisées à travers le monde et documentant la récupération à la suite de perturbations à grande échelle, telles que les marées noires, l'agriculture et l'exploitation forestière, suggère que, même si les écosystèmes progressent progressivement vers la récupération, ils se rétablissent rarement complètement. Ce résultat renforce la conservation des écosystèmes intacts en tant que stratégie clé pour la protection de la biodiversité. Les taux de récupération ont ralenti avec le temps depuis la fin de la perturbation, ce qui suggère que les phases finales de la récupération sont les plus difficiles à atteindre. 

La restauration active n'a pas abouti à un rétablissement plus rapide ni plus complet que la simple cessation des perturbations auxquelles les écosystèmes sont confrontés. Nos résultats sur le bénéfice supplémentaire de la restauration doivent être interprétés avec prudence, car peu d'études ont directement comparé différentes actions de restauration au même endroit après la même perturbation. Le manque de valeur ajoutée claire de la restauration active après une perturbation suggère que la récupération passive devrait être considérée comme une première option; si la reprise est lente, alors les actions de restauration active devraient être mieux adaptées pour surmonter les obstacles spécifiques à l'amélioration, et atteindre les objectifs de la restauration. Nous appelons à un investissement plus stratégique de ressources de restauration limitées dans les efforts de collaboration innovants entre scientifiques, communautés locales et praticiens pour développer des techniques de restauration viables sur les plans écologique, économique et social."

En particulier, la restauration des rivières, des lacs, des zones humides est loin de parvenir à produire l'état espéré, qui est généralement présenté par le gestionnaire comme l'état "naturel" ou "originel" du site restauré :



(Cliquer pour agrandir)
La ligne pointillé grise indique les valeurs cibles des restaurations, plus les lignes rouges (récupérations passives) ou bleues (restaurations actives) sont éloignées de cette ligne grise, moins la restauration est efficace. On observe que les milieux aquatiques ont peu de réponses. Extrait de Jones et al 2018, art cit.

Conclusion des chercheurs, il vaut mieux définir plus précisément ce que l'on veut restaurer, privilégier la récupération passive des milieux et en cas de restauration active, adapter aux conditions locales : "Premièrement, les objectifs de projets de restauration spécifiques doivent être clairement définis afin que des méthodes appropriées puissent être sélectionnées et que leur efficacité pour atteindre les résultats souhaités soit évaluée. Deuxièmement, la récupération passive devrait être considéré comme une option potentiellement rentable pour le rétablissement de l'écosystème. Troisièmement, si les taux de récupération passive sont insuffisants pour atteindre les objectifs du projet, des stratégies de restauration active doivent alors être adaptées aux conditions écologiques et socio-économiques locales; ces stratégies devraient idéalement être comparées à une approche de restauration passive pour aider à informer les efforts futurs."

Discussion
L'écologie de la restauration est devenue une industrie multimilliardaire dans le monde, tant en raison des politiques publiques de l'environnement qu'en raison des compensations écologiques de plus en plus souvent exigées des projets artificialisant des milieux. Elle s'inscrit dans le répertoire désormais normal de protection de la biodiversité et des services rendus à la société par les écosystèmes.

Mais cette discipline est loin du consensus sur son objet et ses méthodes, comme le prétendent indûment certains discours publics (en France par exemple, le discours du ministère de l'écologie ou des agences de l'eau, qui ont fait de la restauration un angle important de leur action, cf Morandi et al 2016). Nous avions documenté quelques exemples de retours scientifiques d'expérience en restauration de rivières et milieux aquatiques, dont la tonalité est souvent critique. Le gestionnaire dit que tout va bien et que le résultat de son action est formidable... mais le chercheur n'est pas toujours de cet avis quand un suivi sérieux et robuste de la restauration est effectué (Morandi et al 2014). Il y aussi des biais de partialité et de subjectivité dans la définition des périmètres et objectifs des restaurations : sur le cas des restaurations de continuité en long par exemple, des institutions comme l'OFB-AFB (ex Onema) ont pu définir dans les années 2000 des critères très restreints et spécialisés - revenir à faciès lotique local en lit mineur, augmenter la présence de certains poissons d'intérêt halieutique - qui intéressent souvent certains usagers (pêcheurs d'eau vive) mais qui ne répondent pas vraiment à l'enjeu plus global des structures et fonctions de l'écosystème concerné par l'action (voir cette analyse sur les effacements d'ouvrages, cette analyse sur le suivi des étangs et plans d'eau).

Ces critiques ne signifient pas que toutes les restaurations sont sans effet : il y a de très beaux chantiers qui ont des résultats partiels déjà intéressants (par exemple, la réhabilitation des bras morts du Rhône qui avait disparu du fait de l'endiguement, Provansal et al 2012, Lamouroux et al 2015). Mais en règle générale, ces chantiers mobilisent des financements conséquents et des surfaces importantes sur la base d'un état originel pré-restauration très dégradé. Or, le gros de la dépense publique des agences de l'eau en restauration de milieux aquatiques est plutôt dispersé dans de très nombreux contrats avec des syndicats locaux, qui vont à leur tour fragmenter le budget et multiplier des petits chantiers d'opportunité, souvent sans moyens de suivi rigoureux et sans effet autre que sur un ou deux compartiments dans un périmètre très limité. Comme les agences de l'eau sont censées se concentrer de plus en plus sur la restauration et de moins en moins sur les pollutions (voir ce rapport CGEDD-OGF 2018), cela pose clairement et urgemment la question de la rationalité des choix publics en écologie et de la transparence sur ce qu'ils garantissent aux citoyens comme résultats.

Enfin, on rappellera que ces débats sur l'efficacité de l'écologie de la restauration sont accompagnés d'autres échanges scientifiques encore plus fondamentaux sur ses finalités : tous les chercheurs ne sont pas d'accord sur la nature exacte de ce qu'il conviendrait de restaurer ni sur la valeur que l'on doit donner à des écosystèmes différents et nouveaux, nés de l'influence humaine sur les milieux naturels pré-humains (voir Hobbs et al 2006Backstrom 2018, Evans et Davis 2018, Mooij et al 2019). Ces débats fort intéressants sont complètement absents des échanges démocratiques en France: du fait de leur situation très particulière d'écosystèmes anthropisés témoins de l'histoire longue des bassins versants, il revient au mouvement des moulins, canaux, étangs, lacs et plans d'eau de porter ces questionnements dans le débat.

Référence : Jones HP et al (2018), Restoration and repair of Earth's damaged ecosystems, Proc. R. Soc. B, 285, 20172577

2 commentaires:

  1. Parfait, plus besoin d'étude coûteuse pour justifier un arasement. Une journée de pelleteuse avec un bon technicien de syndicat et on laisse faire la nature. Les chercheurs confortent les structures qui veulent simplifier les procédures pour les travaux de restauration. L'impact, c'est le seuil, enlevons le et laissons faire, en général ça se passe bien, et pas besoin d'étude pour ça. Je connais au moins trois projets d'arasement qui vont se faire sur simple déclaration. Ainsi pas d'enquête où en général on voit multitude de réponse copié colle d'associations incompétentes, mêmes associations qui s'allient avec des producteurs d’électricité privé pour attaquer au CE certaines dispositions relatives au débit réservé notamment. Quand intérêt financier et associations collaborent....c'est pour l'intérêt général.

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    1. Le point important est "justifier un arasement". Si l'arasement est justifié au plan du droit, de l'intérêt écologique du résultat et de l'intérêt général des riverains, en effet, il n'est pas très utile d'en faire des kilos et de dilapider l'argent public pour quasiment rien. Ce qui compte alors est un suivi standardisé et bancarisé pour permettre aux chercheurs de travailler sur les résultats réels dans les milieux et non pas sur les promesses des plaquettes publicitaires des bureaucraties. Ainsi bien sûr que la bonne estimation et bonne prévention des effets néfastes sur les biens et les personnes, on ne voudrait pas que quelques années après avoir changé les écoulements, les gestionnaires soient ruinés par des procès.

      Mais comme nous le savons, la plupart des arasements ne sont pas vraiment justifiés et si des personnes comme vous se flattent de le faire "sur simple déclaration" en n'ayant "pas d'enquête", c'est précisément qu'elles ne savent pas les justifier autrement que par des arguments d'autorité et des copiés-collés assez pauvres. Comme cela devient de plus en plus évident, et comme des urgences un peu plus manifestes que la continuité en long sont à l'esprit des citoyens, tant le parlement que le gouvernement freinent cette réforme mal ficelée et mal menée.

      Les chercheurs de cette étude disent d'ailleurs (comme bien d'autres avant eux) qu'il faut davantage associer les communautés locales aux choix de restauration, ce qui est contraire à vos propos laissant entendre que la poignée de "sachants" dans son bureau va tout décider avec une vue correcte des enjeux. On voit les résultats d'une soi-disant "écologie" devenant incapable de dialoguer avec la société, au lieu de poursuivre sa promesse initiale d'une réflexion partagée sur les cadres de vie. Les gens lucides le comprennent et corrigent le tir, quelques autres restent enfermés dans leurs postures.

      PS : on s'attendrait à "c'est alarmant que les milieux aquatiques répondent peu aux restaurations comme aux récupérations", mais apparemment cela ne vous dérange pas plus que cela. Kuhn avait écrit des choses là-dessus, les paradigmes qui voient une accumulation de résultats contraires aux attentes mais qui persistent par conservatisme dans leur lignée, jusqu'à l'éclosion d'un autre paradigme plus conforme aux observables.

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