24/09/2020

Les pêcheurs vont pouvoir tuer 69 millions d'anguilles juvéniles en 2021, quand l'espèce est menacée d'extinction

Considérée comme en danger critique d'extinction, l'anguille européenne fait l'objet de protections françaises et européennes. Abondante jusqu'au 20e siècle, cette espèce a été décimée par la surpêche et le braconnage, la pollution des eaux et sédiments, le changement climatique et la modification des régimes océaniques, la construction de grands barrages infranchissables. Or, le ministère de l'écologie entend continuer d'autoriser sa pêche commerciale, avec pas moins de 23 tonnes de civelles (juvéniles) dans le quota proposé pour 2020-2021. Soit 69 millions d'individus tués pour les assiettes. S'y ajoutent 34,5 tonnes pêchées officiellement au nom du "repeuplement"... un choix assez étrange puisque ne pas pêcher du tout l'anguille est le moyen le plus simple de la laisser repeupler elle-même les cours d'eau! Vous pouvez donner votre avis à la consultation publique sur ces quotas. 


CC BY-SA 3.0

Le ministère de l'écologie vient de publier un projet d’arrêté relatif à l’encadrement de la pêche de l’anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2020-2021, en consultation du 22 septembre au 13 octobre 2020 (consulter le site).

On y lit :

"Pour la saison de pêche 2020-2021, il est envisagé de fixer le quota de pêche de civelles destinées à la consommation à 23 tonnes, soit un quota inférieur de 11,5 % à celui fixé pour la campagne passée. Cette baisse prend en compte le rapport du comité scientifique et notamment son estimation du taux d’exploitation, pour l’atteinte des objectifs du plan de gestion de l’anguille. Le quota de pêche de civelles destinées au repeuplement est fixé à 34,5 tonnes de manière à ce qu’il représente 60 % du quota total, conformément aux dispositions du règlement «anguille»."

Première anomalie, on se demande pourquoi pêcher une anguille dans son milieu naturel au prétexte de "repeuplement". Il paraît bien plus simple d'arrêter la pêche des civelles et de les laisser coloniser toutes seules les cours d'eau. Ce prétexte de repeuplement ressemble beaucoup à une combine entre administration publique et pêcheurs ayant leur rond de serviette au ministère pour justifier la poursuite de l'activité de pêche sous d'autres motifs (voir appel à projet de repeuplement 2021). 

Seconde anomalie, 23 tonnes de civelles sont destinées à la consommation humaine. Une tonne de civelle, cela représente environ 3 millions d'individus. Donc le gouvernement propose de sacrifier 69 millions de juvéniles d'anguilles, alors que l'espèce est menacée. Rappelons que le stock d'anguille européenne s'est effondré dans les années 1970-80 à cause notamment de la surpêche, à l'époque les quotas pouvaient atteindre 4000 tonnes par an, soit des milliards d'anguilles tuées au fil des ans! A cette même période, les pêcheurs de loisir considéraient que l'anguille est un nuisible en rivière à truite de première catégorie, et ils appelaient à la détruire en cas de pêche. Cela ne fut interdit que par la loi pêche de 1984, quand la population d'anguille était déjà effondrée.

Abondante jusqu'au 20e siècle, l'anguille d'Europe est classée en danger critique d'extinction par l'UICN. Elle fait l’objet depuis 2007 d’un plan européen de sauvegarde imposant aux Etats-membres de l'Union européenne des mesures de gestion par bassin versant. Elle est inscrite à l’annexe II de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES, dite convention de Washington) fixant des règles de protection fasse à la surexploitation. Parmi les causes de son déclin à l'issue des trente glorieuses : la surpêche et le braconnage, la pollution des eaux et sédiments, le changement climatique et la modification des régimes océaniques, la construction de grands barrages infranchissables. 

Conclusion : la même administration affirmant que les moulins et étangs d'ancien régime seraient des drames pour la biodiversité — alors que les anguilles étaient abondantes dans leurs milieux — n'hésite pas à organiser la destruction d'une espèce protégée, cela à fin commerciale. La crédibilité de cette administration est donc à peu près nulle.

1 commentaire:

  1. "La crédibilité de cette administration est donc à peu près nulle"...

    Ou pour nuancer, l'administration et l'Etat sont représentés par diverses institutions / ministères, traversés par des rapports de force entre intérêts divergents... et la protection de l'écologie ne résiste pas longtemps face à d'autres intérêts, notamment ceux de la pêche.

    Le recours à la pêche pour le repeuplement ne fait pas du tout consensus au sein des services de l'Etta, bien au contraire.

    MAIS, on peut s'interroger sur la faible résistance interne des agents sont contre cette politique de repeuplement et les mesures timides de régulation de la pêche professionnelle.

    RépondreSupprimer