12/09/2015

Charte des moulins : pour quoi faire ?

“L'oppresseur ne se rend pas compte du mal qu'implique l'oppression
tant que l'opprimé l'accepte.”
Henry David Thoreau, La désobéissance civile 

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a publié un rapport en 2013, d'où il ressort que les politiques publiques de l'eau, en particulier les choix de continuité écologique mis en place entre 2004 et 2013, ont laissé peu de place à la concertation avec le monde des moulins et des riverains. Il a été décidé par le CGEDD et la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie de produire un cycle de discussion au Ministère, visant à définir une "charte des moulins", associant les deux fédérations, FFAM et FDMF (dont Hydrauxois n'est pas adhérent, pour rappel). France Nature Environnement et la Fédération nationale de la pêche – connus pour leur militance très active en faveur de la suppression des seuils et barrages, au Ministère comme en Comités de bassin – participent aux échanges.


Cette démarche nous inspire les réflexions suivantes.

1. Le choix d'une "charte", objet juridique non identifié, a tous les atours d'un outil de communication sans grande conséquence. On formalise un texte permettant de dire que l'on a pratiqué la concertation, sans que ce texte ait une influence quelconque pour la politique de l'eau, la pratique des services instructeurs de l'Etat et celle des établissements administratifs comme les Agences de l'eau. Or, ce sont cette politique et cette pratique qu'il s'agit de changer. Et de changer assez radicalement dans le domaine de la continuité écologique.

2. Il existe des précédents à ce genre de démarche – par exemple le syndicat France Hydro Electricité (FHE) a signé en 2010 une Convention d'engagement pour le développement d'une hydroélectricité durable. Sans doute serait-il utile de demander à ce syndicat et à ses adhérents si la signature de cette Convention s'est traduite par des bénéfices notables et par un changement d'attitude de la part de l'administration. Au regard des contentieux que FHE a été obligé d'engager après la signature, on a quelques doutes à ce sujet.

3. Une charte de la dernière heure n'est pas de nature à effacer l'effet délétère de dix ans d'exclusion des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques dans la définition des législations et réglementations qui les concernent. Le fait est là : la politique de l'eau n'est pas perçue comme légitime sur son volet de continuité écologique appliquée aux moulins. Avec ou sans charte, cette politique telle qu'elle est menée aujourd'hui sera combattue pour la simple raison qu'elle aboutit à détruire le patrimoine hydraulique, le paysage de vallée, le potentiel énergétique ou productif, le lien social auxquels nombre de gens sont attachés, et cela sans obtenir d'effets significatifs sur nos vraies obligations d'amélioration des milieux aquatiques (directive nitrates 1991, directive eaux résiduaires urbaines 1991, directive de qualité chimique et écologique 2000, directive pesticides 2009). Cette politique amoindrit aussi la valeur foncière des biens qu'elles affectent en même temps qu'elle exige des travaux en rivière défiant la solvabilité des maîtres d'ouvrage et l'équilibre des financements publics de l'eau. Allant très au-delà du voeu initial du législateur, l'administration a décrété une réforme inapplicable : ce n'est pas une "charte" qui permettra de l'appliquer. Arrêtons la pensée magique et regardons la réalité en face.

4. D'un côté, les fédérations de moulins et les syndicats d'hydro-électricité ont été et sont encore en contentieux, au Conseil d'Etat comme au Conseil constitutionnel, contre les décrets relatifs à la continuité écologique ou au régime des exploitations hydro-électriques. D'un autre côté, l'administration a multiplié des initiatives (comme le PARCE 2009) et des décrets (comme le classement des rivières de 2012-2013 ou le décret du 01/07/2014 sur l'appréciation préfectorale arbitraire de tout projet hydro-électrique) dont elle sait pertinemment que l'effet est de détruire le patrimoine hydraulique ou de décourager sa restauration énergétique. Il y a quelque chose de cocasse à prétendre discuter d'une "charte" sur fond de tels désaccords manifestes dont les juges sont saisis.

5. Il nous semble intéressant que les associations de terrain exposent leur point de vue et débattent avec leurs adhérents de cette idée de charte. D'abord parce qu'il est utile aux fédérations de prendre le pouls de la base. Ensuite parce que ce sont ces associations de terrain qui, en délibération avec leurs membres, choisiront une certaine stratégie vis-à-vis de l'administration sur les dossiers les plus contentieux (essentiellement la mise aux normes des ouvrages au nom du L-214-17 en rivière classé L2 avant 2017-2018 et la liberté de reprendre une activité énergétique en moulin fondé ou titre ou réglementé).

6. Pour notre part, nous n'attendons pas de l'administration une "charte", mais une série de décisions précises et d'orientations claires :

  • le moratoire sur la mise en oeuvre des aménagements de seuils en rivière classée L2, repoussant l'intenable délai 2017-2018 (intenable du point de vue même des Agences de l'eau et des services de l'Etat, sans parler de la forte proportion de propriétaires disposés à aller en contentieux vu les pratiques actuelles de l'administration) ;
  • la commande d'une analyse scientifique objective de l'impact de seuils en fonction de bio-indicateurs DCE et des caractéristiques physiques des ouvrages (pas des généralités floues, non quantifiées et teintées d'idéologie sur les obstacles à l'écoulement, mais des mesures et des modèles conçus pour répondre spécifiquement à cette question, sachant que les premiers travaux en ce sens suggèrent un impact modeste, voir ici et ici) ;
  • l'élaboration d'une grille de classement des cours d'eau et d'évaluation des seuils transparente et rigoureuse dans ses méthodes, concertée dans ses objectifs, raisonnable dans son calendrier et réaliste dans son financement (tout ce que n'ont justement pas été les classements kafkaïens des années 2012-2013, réalisés sans même attendre le retour d'expérience du PARCE 2009) ; 
  • le choix d'un financement public des dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire, et non de la seule destruction des ouvrages (laquelle doit être strictement limitée aux cas de consentement éclairé et non contraint de la part du propriétaire) ; 
  • la fin des inégalités entre citoyens face aux charges et aux aides publiques, tenant au fait que les agences de l'eau et les régions n'ont pas les mêmes politiques alors que la loi et la réglementation sont communes (par exemple, la radicalité dans le classement des rivières et dans l'effacement de seuils des bassins Loire-Bretagne ou Seine-Normandie ne se retrouve pas toujours en Adour-Garonne ou en Rhône-Méditerrannée)
  • la pleine intégration de la petite hydro-électricité (puissances de 0,1 à 100 kW) dans la dynamique de la transition énergétique impliquant la simplification des remises en service de moulin (ou tout autre site exploitable) et l'instruction des services déconcentrés de l'Etat en ce sens ;
  • la reconnaissance du fait que les rivières françaises sont anthropisées de longue date (comme le démontrent les travaux mêmes de l'Etat, dont le ROE), que les équilibres des milieux évoluent de manière dynamique et peu réversible, que la "renaturation" intégrale des cours d'eau en vue de produire un "état de référence" stationnaire ne saurait être la doctrine de la politique des rivières en France ni en Europe (doctrine qui serait aussi ruineuse au plan économique qu'amnésique au plan patrimonial et intenable au plan scientifique). 

7. Une charte formelle n'a pas de sens sans un changement d'état d'esprit. Les moulins demandent au fond deux choses à l'administration. La première est un minimum de bonne foi sur la place des seuils dans les causes de dégradation chimique, biologique, physique des rivières et des milieux aquatiques, ainsi que sur le niveau de confiance scientifique dans notre connaissance exacte de ces causes et dans l'efficacité des remèdes supposés. La seconde est un minimum de respect pour un patrimoine plusieurs fois centenaire qui n'a pas envie de disparaître sous les pelleteuses de quelques apprentis-sorciers excités par des lobbies. Il nous paraît douteux que la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie soit capable de cette bonne foi et de ce respect, au regard de ce qu'elle a affirmé, produit ou encouragé depuis dix ans. Mais nous serions ravis d'être contredits. Ce serait évidemment un préalable à toute "charte" ou autre hochet.

8. En conséquence du point précédent, plutôt qu'une charte, nous pensons qu'un besoin pressant du monde des moulins, riverains et usagers de l'eau est de réunir un think tank d'avocats spécialisés en droit de l'environnement, droit administratif, droit civil et droit public européen, afin de définir les angles contentieux qui seront mobilisés en 2017-2018 – si, comme il est probable, l'administration persiste dans son déni de réalité. Hydrauxois et l'ARPOHC ont déjà initié des solutions en ce sens (mais n'ont pas les moyens, seules, d'aller aussi loin que nécessaire) et beaucoup d'associations souhaitent s'engager sur cette voie, tant elles observent sur le terrain l'acharnement des gestionnaires et autorités de l'eau contre l'existence de seuils en rivière et contre les droits d'eau qui leur sont attachés. Comme dit l'adage antique : si vis pacem, para bellum…

Illustration : destruction de seuil de moulin à la pelleteuse, sur une rivière par ailleurs en bon état écologique et ayant un recrutement correct de saumon (moulin de la Mothe, rivière Ellé-Laïta), malgré une plainte en cours de riverain, après que le propriétaire du moulin et le maire de la commune voisine ont été découragés de produire de l'énergie.  C'est le symbole de ce que les riverains et propriétaires d'ouvrage ne supportent plus : des décisions brutales et opaques en petits comités fermés, une gabegie d'argent public, une haine manifeste du patrimoine hydraulique, une absence de cohérence et de priorisation des choix environnementaux, une analyse coût-avantage et un suivi scientifique inexistants. Tant que de telles pratiques ne seront pas clairement dénoncées par l'administration centrale, il sera illusoire d'attendre un soutien du monde des moulins et riverains à la politique de continuité écologique.

10/09/2015

Les moulins souhaitent produire une énergie locale, propre, ni fossile ni fissile: encourageons-les!

En cette année de COP 21, on parle beaucoup de la nécessité de réduire les émissions carbone et de prévenir le risque d'un réchauffement climatique trop important. La petite hydraulique peut, à sa mesure, participer à cet effort commun (voir les données de référence en bas de cet article). Le journal Le Télégramme (08/09/2015) a publié un petit article très intéressant sur les moulins et l'hydro-électricité en Finistère. En voici un extrait:
"Au fil de l'eau, ces meuniers du XXIe siècle revendiquent avant tout, la sauvegarde du patrimoine historique et le maintien de savoir-faire ancestraux, même s'ils s'intéressent, aujourd'hui, aux énergies renouvelables qui peuvent être produites par les moulins. Une installation produisant entre six et huit kilowattheures coûte, tout compris, environ 13.000 €. « Par ce biais, il s'agit simplement de nous chauffer et de bien faire sécher nos 220 m² de surface habitable, en faisant le plus possible l'impasse sur notre chaudière au fuel et en diminuant notre consommation de bois », précisent Michel et Gaëlle de Franco. S'étant séparés de la roue et des meules qui ont été cédées au Moulin de Kérouat, ils ont déjà prévu l'emplacement de la turbine, totalement immergée, ne modifiant pas le paysage et sans aucune nuisance, à proximité de leur lieu de vie. Au total, dans le département, douze moulins sont entièrement autonomes grâce à leur production hydroélectrique. Et sur les 400 moulins à eau du Finistère, un quart des propriétaires ont déjà fait savoir qu'ils étaient intéressés pour s'équiper."
L'association Hydrauxois a prodigué de nombreux conseils réglementaires et techniques à des maîtres d'ouvrage souhaitant s'équiper en Côte d'Or et en Bourgogne. Mais nous avons aussi constaté les freins à cet engouement pour produire soi-même son énergie. Notamment les deux suivants :
  • quand on contacte les services de police de l'eau, on ne reçoit pas le franc soutien à l'écologie positive souhaité par Ségolène Royal. L'accueil est plutôt circonspect voire suspicieux, il est nécessaire de démontrer le bien-fondé de son droit d'eau (alors que tous les moulins de France ont été autorisés à un moment ou un autre de l'histoire) et il est proposé de produire un nouveau règlement d'eau (démarche complexe et non nécessaire, souvent objet de litiges car les services administratifs tendent à poser dans le règlement des contraintes qui ne sont pas stricto sensu inscrites dans la loi commune) ;
  • quand on veut produire en autoconnsommation, on risque de se voir imposer les mêmes obligations d'équipement qu'en injection EDF (passe à poissons, grille fine, goulotte de dévalaison, éventuelles mesures compensatoires) mais l'Agence de l'eau et l'Ademe ne subventionnent pas ces travaux (au moins en Bourgogne, et sur les bassins Seine-Normandie et Loire-Bretagne). L'administration ne fait pas réellement la différence entre un gros producteur aux turbines puissantes et un modeste projet en autoconsommation... alors que les réalités hydrauliques et économiques sont bien sûr très différentes !
Résultat : les propriétaires ne sont plus en confiance, ils se découragent trop souvent face à des exigences non proportionnées à leur production énergétique et à l'impact écologique réel de leur moulin. Madame Ségolène Royal avait souhaité intégrer les moulins et la petite hydro-électricité à la transition énergétique : il est nécessaire pour le Ministère de l'Eoclogie de passer des paroles aux actes et d'instruire les services déconcentrés de l'Etat en ce sens.

Images : © Télégramme, DR.

Intéressé ? Lisez les articles Hydrauxois sur l'énergie hydraulique et contactez notre association

Généralités
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

03/09/2015

Réflexions sur les saumons de la Cure et du Morvan

Le saumon atlantique (Salmo salar) est une espèce amphibiotique (vivant dans la mer et se reproduisant en eau douce) qui accomplit de grandes migrations de montaison pour frayer sur les sols graveleux et les eaux pures des rivières de tête de bassin versant. Il peut ainsi accomplir plus de 10.000 km du Groenland vers les Gaves du Sud de la France. On le signalait au XIXe siècle en Bourgogne (Baran 2008), aussi bien sur le bassin de Loire (Aron, Arroux) et que sur celui de Seine (Cure). La disparition progressive des saumons en tête de bassin de Loire a été bien documentée (voir le travail classique de Bachelier 1963, 1964). Celle du saumon en tête de bassin de Seine est moins connue.

Une espèce encore présente dans le bassin de l’Yonne au XIXe siècle
Emile Moreau (1898), auteur d’une riche monographie sur les poissons sur bassin de l’Yonne, signale que le saumon "abandonne la Seine à Montereau, passe dans l’Yonne qu’il remonte jusqu’à Cravant pour s’engager dans la Cure, qu’il suit jusqu’à Montsauche, ou plutôt jusqu’à la digue de l’étang des Settons, qu’il ne peut franchir". Et il précise : "autrefois, avant l’installation de cette réserve, il se portait plus haut dans la Cure". Aucun saumon n’est signalé dans l’Armançon (sauf quelques animaux "égarés" vers Brienon, jamais plus haut) ni dans le Serein.

Le barrage de Settons fut construit entre 1854 et 1858, avec pour fonction de réguler le niveau de l’eau sur le bassin de l’Yonne et de faciliter le flottage du bois. Ses dimensions (20m de hauteur, 267m de long) le rendent évidemment infranchissable à toutes espèces, fussent-elles d’excellents sauteurs comme le saumon (3 m considéré comme saut maximum, Bensetti 2002). Comme dans le cas des forges de Gueugnon sur l’Arroux,  on sait donc avec une certaine précision le moment et la cause de la disparition du saumon en tête du bassin de la Cure. Mais le migrateur persistait  encore à l’aval de ce barrage.


Pressions des ouvrages hydrauliques, mais aussi de la pêche et du braconnage
Paul Moreau observe ainsi à la fin du XIXe siècle : "Au lieu d’introduire des espèces étrangères dans nos cours d’eau,  il faut conserver celles qui s’y trouvent naturellement, surtout celles qui sont aussi estimées que le Saumon commun, en empêcher la destruction abominable comme celle qui se pratique dans l’Yonne, dans la Cure.  Au mépris de la loi, on prend en masse les Saumons arrêtés par les barrages établis sur le cours de l’Yonne". Manière de rappeler que si les accumulations d’obstacles nuisent aux peuplements de tête de bassin par les saumons, la pêche figure aussi, avec la pollution, parmi les pressions historiques subies par l’animal.

En 1866, E. Blanchard observait déjà à propos des pressions subies par le grand migrateur : "la présence du Saumon dans nos cours d’eau, plus que l’abondance de la plupart des autres poissons, devient une source d’industrie, de commerce, de bien-être pour les populations ; source malheureusement fort amoindrie, même depuis une époque assez récente. Le saumon présente donc un haut intérêt sous le rapport économique" (Blanchard 1866).  Il avait été précédé dans ces observations par le naturaliste Etienne de Lacépède, continuateur de l’oeuvre de naturaliste bourguignon Buffon, qui expose dans son Histoire naturelle des poissons à propos des saumons : "Mais s’ils sont à craindre pour un grand nombre de petits animaux, ils ont à redouter des ennemis bien puissans et bien nombreux. Ils sont poursuivis par les grands habitans des mers et de leurs rivages, par les squales, par les phoques, par les marsouins. Les gros oiseaux d’eau les attaquent aussi ; et les pêcheurs leur font surtout une guerre cruelle. Et comment ne seroient-ils pas, en effet, très-recherchés par les pêcheurs ? ils sont en très-grand nombre ; leurs dimensions sont très-grandes ; et leur chair, surtout celle des mâles, est, à la vérité, un peu difficile à digérer, mais grasse, nourrissante, et très-agréable au goût. Elle plaît d’ailleurs à l’œil par sa belle couleur rougeâtre. Aussi a-t-on eu recours, dans la recherche de ces poissons, à presque toutes les manières de pêcher. On les prend avec des filets, des parcs, des caisses, de fausses cascades, des nasses, des hameçons, des tridents, des feux, etc." (Lacépède 1798)


Ouvrages hydrauliques : un impact certain, mais la dimension compte
Louis Roule a publié une carte de la répartition des saumons au début du XXe siècle (voir image, zone de la Cure en encadré rouge). Il écrit dans son travail classique sur le saumon en Seine : "Jadis et jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, les saumons remontaient régulièrement le fleuve [Seine] et traversaient Paris pour aller plus amont. Leur principale région de ponte était placée dans le massif du Morvan ; elle appartenait au bassin de la Cure, affluent de l’Yonne. Actuellement, aucune montée régulière n’a lieu et les frayères sont souvent désertées, comme pour la Meuse. Il faut accuser de ce fait l’établissement de barrages entre l’estuaire et la région de ponte, ainsi que la pollution des eaux produite par l’agglomération parisienne" (Roule 1920).

L’auteur précise encore à propos de l’impact des obstacles au franchissement : "Les anciens barrages n’étaient pas très nuisibles. Peu élevés, construits en plan inclinés, ils pouvaient s’opposer à la montée pendant les périodes de basses eaux, mais non en crues ni en eaux moyennes ; ils se couvraient alors d'une lame d’eau suffisante pour le passage, et le courant sur leur plan incliné n’était pas assez violent pour arrêter l’élan des saumons. Tel n’est pas le cas des barrages actuels, plus élevés et verticaux (…) La montée reproductrice se trouve arrêtée complètement, sauf parfois dans le cas des crues exceptionnelles et dans les barrages de hauteur moyenne qui peuvent être noyés sous la lame d’eau".

Une séquence de disparition dont le détail est encore inconnu
Plus récemment, dans le cadre de la mise en place de la base CHIPS (Catalogue HIstorique des Poissons de la Seine), Sarah Beslagic, Marie-Chritine Marinval et Jérôme Belliard ont rassemblé les informations collectées dans les documents anciens sur les cours d’eau et leurs peuplements ichtyologiques dans le bassin de la Seine – dont les auteurs cités dans le présent article. Comme ils l’observent : "l’évolution de la distribution spatiale et les changements à long terme des peuplements de poissons en cours d’eau sont l’objet de divers travaux en écologie. Ces travaux se concentrent généralement sur des périodes de temps relativement courtes, excédant rarement les dernières années.  Cet intervalle de temps apparaît trop court lorsque l’on cherche à comprendre comment les sociétés humaines impactent leur environnement". L'histoire de l'environnement est donc une discipline indispensable pour comprendre l'évolution des peuplements de rivière.

La carte que produisent ces chercheurs pour le saumon en bassin de Seine rejoint comme on peut le constater celle de Roule 1920.

A notre connaissance, on ne dispose pas à ce jour d’une description détaillée de la raréfaction du saumon sur l’ensemble du bassin en fonction des constructions d’ouvrages hydrauliques et des autres pressions humaines. La Seine a été équipée au cours des deux derniers siècles de nombreux barrages d’écluse pour favoriser sa navigation. La construction du barrage de Poses-Ambreville, située à l’aval (160 km de l’embouchure) et d’une hauteur dépassant les 5 m, est souvent citée comme un coup d’arrêt assez net aux migration du saumon en bassin séquanien. La construction a été réalisée entre 1878 à 1881, l’inauguration date de 1887. Seule une analyse détaillée des comptes-rendus de pêches dans des archives halieutiques et piscicoles permettrait de mesurer et localiser les derniers signaux de saumons en tête de bassin.

Une espèce vulnérable, dont le retour serait souhaitable
Le saumon atlantique est considéré comme une espèce vulnérable (UICN), protégé au titre de la Directive Habitas-Faune-Flore (annexe II et V), de la Convention de Berne (annexe II) et du classement des espèces protégées en France. Il fait l’objet de divers programmes de suivi et repeuplement sur les grands bassins français.  On l’a récemment observé aux abords de Paris, mais dans des prises individuelles par des pêcheurs, sans phénomène migratoire massif.

Espèce vulnérable, le saumon est aussi une espèce symbolique. Sa présence fascinante est assurément un atout pour les rivières d’un territoire, et la restauration de ses routes migratoires a donc du sens. Il convient de le souligner, car autant les restaurations systématiques d’habitats pour des espèces peu ou pas menacées choisissent souvent des options bien trop radicales à nos yeux (destructions d’ouvrages, équipements au coût disproportionné), autant la protection des grands migrateurs menacés a du sens pour la conservation de ces espèces.

A ce sujet, l’histoire du saumon dans les têtes de bassin du Morvan montre le discernement dont doivent faire preuve les gestionnaires de rivières et promoteurs de biodiversité. Comme l’attestent les deux cartes publiées ci-dessus, le saumon était encore présent au XIXe siècle en Bourgogne, alors que la quasi-totalité des moulins et étangs de la région étaient déjà en place sur le territoire. La petite hydraulique n’a définitivement pas le même impact que la grande, tant du fait de la hauteur modeste de ses seuils, chaussées ou digues que de leur profil en pente souvent plus franchissable que des parements verticaux, ainsi que Louis Roule l’observait déjà avec justesse.  Ce qui est vrai pour le saumon l’est pour d'autres espèces dont on ne constate pas l’extinction ni la raréfaction malgré la présence multiséculaire de petits obstacles à l'écoulement (OCE 2013).

Le XXIe siècle verra-t-il le retour du saumon sur les rivières du Morvan, et en particulier sur son bassin historique de frai dans la Cure ? On ne peut que le souhaiter.

Références citées
Bachelier R (1963), L’histoire du saumon en Loire, 1, Bull. Fr. Piscic. 211, 49-70
Bachelier R (1964), L’histoire du saumon en Loire, 2, Bull. Fr. Piscic. 213, 121-135
Baran P (2008), Les poissons migrateurs amphihalins en Bourgogne, histoire, répartition actuelle, programmes de restauration, Rev. sci. Bourgogne-Nature,  8-2008, 39-48
Bensettiti F, V Gaudillat ed. (2002), Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire, Tome 7 - Espèces animales, La Documentation française, 189-192
Beslagic S et al (2013), CHIPS: a database of historic fish distribution in the Seine River basin (France), Cybium 37, 1-2, 75-93
Blanchard E (1866), Les poissons des eaux douces de France : anatomie, physiologie, description des espèces, moeurs, instincts, industrie, commerce, ressources alimentaires, pisciculture, législation concernant la pêche, Baillière, 656 p.
Lacépède E (1798), Histoire naturelle des poissons, vol 5, Plassan.
Moreau E. ( 1898), Les poissons du département de l'Yonne, Bull Soc. Sci. Hist. Nat. Yonne, 52, 2, 3-82.
OCE (2013), Pourquoi les poissons n’ont-ils pas tous disparu de nos rivières ?, 11 p.
Roule L. (1920), Etude sur le saumon des eaux douces de la France considéré au point de vue de son état naturel et du repeuplement de nos rivières, Imprimerie nationale, 178 p.

Illustrations : de haut en bas, saumon atlantique (source Wikimedia Commons) ; pêcheurs de saumon (Source Gallica) ; cartes extraites de Roule 1920 et Beslagic 2013.

02/09/2015

La vallée du Brevon, patrimoine et paysage menacés

Ci-dessous, quelques visages de la vallée du Brevon, où l'on reconnaît les zones humides à l'amont de la pisciculture de la Chouette (en partie créées par ses seuils de retenue), les ouvrages métallurgiques et hydrauliques de Rochefort (fenderie, forge du bas, étang du haut), la maison de Broissia (style industriel du XIXe siècle, à l'endroit d'un ancien château du XIIe siècle). Un patrimoine et un paysage superbes en tête du bassin de la Seine, aujourd'hui menacés par les réformes de continuité écologique. Le prétexte est que ces cours aménagés par l'homme ne présenteraient pas la "bonne" biodiversité, celle que réclament des "biotypologies" calculant par A+B quels quotas exacts de poisson on attend sur chaque mètre carré de linéaire de rivière… Cette comptabilité amnésique et mécanique devient quelque peu obsessionnelle chez certains et conduit à exiger la "renaturation" du plus modeste cours d'eau, au détriment de son histoire, de son paysage et de l'avis de ses habitants, qui ne sont jamais ouvertement et collectivement consultés pour exprimer leurs souhaits. Si ces diktats vous insupportent, exigez qu'ils cessent !

Edit : suite aux échanges avec lecteurs (cf ci-dessous commentaires), rappelons que le Brevon a fait l'objet d'une étude par le Sicec et la FAAPPMA 21 en 2011, visant à définir ce qui est considéré comme un "état zéro" du milieu. Deux points de mesure ont été définis (amont de Beaulieu, amont de Rochefort). Au plan piscicole, le Brevon a un peuplement de truite, chabot, vairon, loche franche, lamproie de Planer, goujon, gardon. Si les abondances sont moindres que celles attendues pour certaines de ces espèces, l'état écologique de la rivière (IPR) est "bon" sur le compartiment piscicole. L'indice IBGN (invertébrés) est "bon" à "très bon" sur le même secteur en 2009 et 20111 (évolution positive depuis 2007). Le Brevon est donc conforme à l'état écologique attendu au regard de la Directive-cadre européenne sur l'eau. Seul l'extrémisme de quelques-uns pourrait engager dans ces conditions une altération du patrimoine hydraulique pour des motifs soi-disant "écologiques". Des aménagements doux, non destructifs et proportionnés à l'enjeu (faible) sont à privilégier. D'autant que les retenues d'eau de la vallée représentent moins de 7% du linéaire total de la rivière, et un taux encore plus faible si l'on tient compte des ruisseaux affluents.








01/09/2015

Continuité écologique : une question à Mme Royal qui résume bien les problèmes

La campagne pour le moratoire sur la continuité écologique ne fait que commencer, mais ses effets se font déjà sentir et les retours que nous recevons témoignent d'une immense indignation partagée par les associations de terrain et les élus locaux. Au Sénat cet été, M. Jean Claude Lenoir (Président de la Commission des affaires économiques) a interpellé Ségolène Royal sur ce thème (texte ci-dessous). Nous sommes heureux de constater que l'élu fait sien un certain nombre d'arguments développés sur ce site, et sur d'autres. Nous ne manquerons pas d'analyser en détail la réponse de Mme la Ministre, comme nous l'avons fait ici. D'autres élus, députés ou sénateurs, se sont d'ores et déjà engagés à interpeller le Ministère sur cette question de la continuité écologique, devenue le symbole des dérives de la politique de l'eau : autoritarisme réglementaire et absence de concertation, irréalisme économique et gabegie d'argent public, absence de suivi scientifique sérieux et manquement manifeste à l'obligation européenne de résultats, fossé grandissant entre les riverains, les services instructeurs de l'Etat et des Agences de l'eau, les syndicats de rivière.

Question de Jean-Claude LENOIR n° 17434
M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de Mme la Ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les critiques de plus en plus nombreuses qui s'élèvent, suite à la révision du classement des cours d'eau, concernant les modalités de mise en œuvre du principe de continuité écologique pour les cours d'eau classés en liste 2. Selon ce classement, 10 à 20 000 ouvrages seraient ainsi menacés soit de destruction, soit d'obligation d'équipement par des dispositifs de franchissement souvent fort coûteux. 
La mise en œuvre de ces préconisations aurait des impacts considérables : coût très élevé pour les propriétaires et pour les finances publiques dans le contexte actuel de restriction budgétaire, affaiblissement du potentiel hydroélectrique allant à l'encontre de l'objectif de transition énergétique, destruction d'un patrimoine hydraulique ancestral qui constitue souvent un atout pour l'attractivité touristique des territoires ruraux. 
De surcroît, ces préconisations sont jugées disproportionnées par beaucoup au regard du résultat attendu en termes d'amélioration de la qualité des eaux. Compte tenu des doutes qui existent aujourd'hui concernant la faible corrélation entre la présence de seuils en rivières et les impacts biologiques ou écologiques au sens de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, il apparaît en effet que la mise en œuvre de telles préconisations n'apporterait aucune garantie de résultat quant au respect de nos obligations européennes en la matière. Il lui rappelle que la continuité écologique est loin d'être le seul paramètre à prendre en compte pour assurer le bon état écologique et chimique des eaux, la réduction des pollutions de toutes natures étant un paramètre déterminant à cet égard. 
Sans remettre en cause le principe de continuité écologique, il semble donc indispensable d'en analyser l'efficacité réelle sur la qualité des milieux aquatiques. Il souhaiterait connaître sa position sur ce sujet et les initiatives que le Gouvernement compte prendre pour définir les conditions d'une mise en oeuvre de la continuité écologique équilibrée, qui soit financièrement soutenable pour les maîtres d'ouvrage et garante d'une gestion efficiente des finances publiques.

31/08/2015

Pour quelques (petits) poissons rhéophiles de plus (Schmutz et al. 2015)

Stefan Schmutz et ses collègues (Université des sciences de la vie et des ressources naturelles, Vienne), en collaboration avec des confrères tchèques, allemands et suisses, ont analysé la réponse des populations de poissons à des opérations de restauration hydromorphologique. Ces travaux pouvaient concerner des reméandrements, des reconnexions, des élargissements de lit ou des petites modifications des écoulements (pas de suppression d'obstacles). Pour mener à bien cette analyse, 15 paires de rivières similaires, mais tantôt aménagées tantôt non aménagées, ont été comparées en Europe centrale et septentrionale. Les auteurs ont évalué le délai de réponse (entre 1 et 17 ans après la restauration), le niveau de qualité morphologique après travaux, la longueur du linéaire concerné. Sur les paramètres biologiques, ils ont mesuré la diversité de Shannon, la richesse spécifique, la richesse / densité de espèces rhéophiles (aimant le courant vif) et eurytopes (tolérantes à des conditions très différentes). Au sein des rhéophiles, ils ont distingué la taille des espèces concernées.


Principaux résultats (voir aussi image ci-dessus, cliquer pour agrandir) : 43 espèces ont été recensées (20 rhéophiles, 15 eurytopes, 8 limnophiles) auxquelles s'ajoutent 3 espèces exotiques. Onze paires de rivières sur quinze ont conservé le même type de communautés de poissons, une est passée de salmonidés à non-salmonidés, trois ont évolué en sens opposé.

La restauration morphologique a eu des effets significatifs pour 5 métriques (sur 13). La richesse spécifique ne s'est en moyenne améliorée que d'une espèce. La densité des seuls rhéophiles de petite taille (+ 24%) est significative après test du seuil de significativité (correction de Bonferroni). La diversité de Shannon-Wiener est sans changement notable, tout comme la densité totale. Sur la métrique ayant l'évolution la plus significative (densité du petits rhéophiles donc), aucune différence n'est trouvée selon l'importance du chantier de restauration. Un effet positif est trouvé pour des longueurs restaurées supérieures à 1,95 km (mais la variation est observée à partir de 3 sites sur 15 essentiellement). En terme de délai de réponse, les changements les plus importants sont notés avant 3 ans et après 12 ans et demi.

Les auteurs, après avoir rappelé la difficulté de cerner les effets exacts des restaurations écologiques de rivière, concluent notamment : "Notre étude démontre que le poisson répond de manière cohérente à des mesures de restauration hydromorphologique par une augmentation des rhéophiles et un déclin des eurytopes. Il semble y avoir une réponse non-linéaire à l'âge de la restauration, avec des effets positifs à court et long termes, mais moins prononcés à moyen terme. L'effet de la restauration augmente avec la qualité de l'habitat et la longueur du linéaire restauré. Cependant, la pratique et la technique actuelle de restauration ne permet pas une récupération complète des espèces perdues ou des densités de populations." Ils émettent ensuite diverses hypothèses à vérifier par un suivi scientifique plus rigoureux et plus large des restaurations de rivières.

Commentaires : quels coûts socio-économiques pour quels bénéfices environnementaux? 
Les résultats de S. Schmutz et al. sont assez représentatifs de ce que l'on trouve dans la littérature spécialisée en analyse de la restauration de rivière. Les assemblages de poissons sont modifiés, dans un sens généralement prévisible (on favorise des écoulements lotiques à habitats variés, on trouve davantage de rhéophiles inféodés à ce type d'habitats). Mais l'évolution est globalement modeste, même après un long délai.

Cela pose évidemment la question de la légitimité sociale des approches de la rivière. Un certains nombre d'experts, chercheurs, ingénieurs, techniciens et gestionnaires estiment tout à fait satisfaisants ce type de résultats. Il en va de même pour des usagers de tel syndicat de pêche ou des militants de telle association. Il reste que les opérations de restauration ont un coût important (nous en développerons un exemple prochainement) et que la conclusion souvent tirée de ce type de recherche ("aménageons de manière toujours plus ambitieuse des linéaires toujours plus longs") promet de faire exploser ces coûts. Or, quand on explique aux citoyens ce qui se cache derrière des termes savants et compliqués – et parfois volontairement compliqués pour étouffer le débat sous la parole dominante de quelques "sachants" –, le consensus est rarement au rendez-vous. Car on comprend que l'argent public ne sert pas à "sauver la rivière", comme certains sauveurs autoproclamés le revendiquent de manière fort excessive, mais d'abord à augmenter la densité locale de quelques espèces de poissons, dont beaucoup sinon toutes ne sont menacées ni sur la rivière, ni sur le bassin, ni sur leur aire de répartition européenne.

Qu'est-on prêt à sacrifier au juste pour de tels résultats? A budget limité (par définition), les autres dépenses de qualité de l'eau sont-elles prioritaires ou non par rapport à celles-là? Ces questions sont légitimes ; refuser ou éviter de les poser ne l'est pas.

Référence : Schmutz S et al (2015), Response of fish assemblages to hydromorphological restoration in central and northern European rivers, Hydrobiologia, e-pub, doi 10.1007/s10750-015-2354-6

Illustrations : extraites de l'article, tous droits réservés.

28/08/2015

Une thèse sur les incertitudes liées aux indicateurs biologiques de qualité de l'eau

La Directive cadre européenne sur l'eau 2000 (DCE 2000) engage les Etats-membres à réaliser une estimation de l'état écologique et chimique des cours d'eau, en vue d'atteindre une bonne qualité des eaux de surface (comme des eaux souterraines et estuariennes). Pour l'état écologique, on a recours à des indicateurs biologiques qui répondent aux pollutions chimiques ou aux modifications hydromorphologiques en même temps qu'ils mesurent la biodiversité. La démarche n'est pas nouvelle : plusieurs biotypologies ont été développées au XXe siècle, en particulier après les grandes pollutions commencées dans les années 1960. Mais la DCE 2000 a systématisé la pratique. Juliane Wiederkehr a soutenu une intéressante thèse doctorale consacrée à l'estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour cette évaluation de l'état écologique des cours d'eau.

Comme l'observe J. Wiederkehr, "en hydrobiologie, il est acquis que de nombreuses incertitudes existent dans les protocoles d’évaluation des milieux aquatiques. En effet, la communauté scientifique connaît la complexité des écosystèmes, d’autant plus lorsque s’y ajoutent les activités humaines. Cette complexité apporte une variabilité importante, difficilement appréciable, qui ne peut être approximée que par le biais d’expérimentations ou de modèles. De plus, la plupart des mesures effectuées en hydrobiologie repose sur des protocoles s’appuyant sur les connaissances et l’expérience des hydrobiologistes. Ceux-ci s’appropriant les normes, leur subjectivité se retrouve au cœur des évaluations. Ainsi, les incertitudes associées à l’évaluation de la qualité des cours d’eau, au travers des indices biologiques, forment une thématique d’actualité majeure, en particulier pour les différents compartiments biologiques (oligochètes, diatomées, poissons, invertébrés et macrophytes)."

Les sources d'incertitude sont donc nombreuses : mosaïque d'habitats sur un même site offrant des lieux hétérogènes de prélèvement et récolte, fluctuation naturelle (spatiale et temporelle) des populations sur les substrats ou selon les méso-habitats, définition de la surface ou volume correct des collectes, choix de la méthode technique d'échantillonnage (agitation, peignage), effet opérateur (erreurs d’extraction et d’identification), sous-traitement quantitatif de l'échantillon, difficulté de prise en compte des taxons rares…

Des erreurs pouvant représenter 20 voire 25% du score total
On constate (non sans une certaine inquiétude) à la lecture de ce travail que l'accumulation de ces erreurs peut entraîner une variation de l’IBG (Indice biologique global) DCE jusqu'à 5 points d’écart, soit 25% de la note, et une variation de l’I2M2 (Indice invertébrés multimétriques) de 0,2, soit 20% de la note. Ce sont certes des valeurs maximales, mais elle peuvent très bien conduire à un déclassement ou surclassement erroné du cours d'eau analysé (dont la note détermine en général 4 ou 5 classes de qualité). Les gestionnaires en charge de la DCE sont d'ailleurs conscients du problème, puisqu'ils demandent des estimations d'incertitude, ce sur quoi ont travaillé divers projets européens depuis les années 2000 (AQEM, STAR, WISER). Une meilleure communication sur ces incertitudes serait bienvenue dans le discours des "sachants" lorsque les indicateurs viennent à se matérialiser dans des analyses et des décisions de terrain.

Outre l'intérêt de comprendre les principes et quelques éléments d'histoire de la bio-indication, exposés de manière claire, cette thèse montre de notre point de vue le caractère "work in progress" des constructions de connaissances en hydrobiologie / hydroécologie, avec au sein de la communauté savante beaucoup de débats, à différents niveaux (de la perfectibilité des méthodes à la discussion sur les trajectoires d'équilibre des écosystèmes ou les priorisations en stratégie de conservation / restauration). L'impact réglementaire à effet immédiat de la DCE 2000 et de ses déclinaisons nationales ne cesse donc de surprendre. On a l"impression assez nette que les décisions ont été prises avant de déployer les outils censés les fonder et valider, cela sur un calendrier manquant de réalisme (15 à 30 ans pour rétablir les écosystèmes dans leur état de référence présumé). Le gestionnaire de l'eau se réclame de l'écologie, mais sans forcément prendre la mesure de la complexité du vivant et des systèmes devant répondre à ses normes et ses évaluations.

Référence : Wiederkehr J (2015), Estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour l’évaluation de l'état écologique des cours d'eau, thèse, U Strasbourg, École doctorale des Sciences de la terre et environnement, 212 p.

Image : collecte de macro-invertébrés, Photo © Eawag, Elvira Mächler, tous droits réservés.

26/08/2015

Les barrages des moulins ont-ils autant d'effets sur la rivière que ceux des... castors? (Hart et al 2002)

La question de l'effet des effacements de barrages et de la nécessité d'en prioriser les opérations a été posée aux Etats-Unis plus tôt qu'en Europe, en raison des évolutions législatives datant des années 1970 (Clean Water Act, Endangered Species Act) et des premières mesures de "renaturation" sur le continent nord-américain.

David D Hart et ses sept collègues (principalement écologues et hydrobiologistes) ont publié en 2002 un article de réflexion sur le sujet. Ils observent : "la réponse attendue à l'effacement est souvent fondée sur la connaissance des grands barrages (eg > 15 m de hauteur) d'hydro-électricité ou de contrôle des crues, qui peuvent altérer considérablement la qualité de l'eau et le régime du débit, alors que la plupart des barrages supprimés sont des structures relativement petites (moins de 5 m) qui peuvent avoir moins d'effet sur les écosystèmes de la rivière. Il existe peu d'information sur les impacts écologiques de ces petits barrages, cependant, et des études en nombre limité ont amené des résultats variables".

Voulant illustrer leur propos, les chercheurs comparent les effets des barrières naturelles (chutes, obstacles créés par des embâcles, barrages de castor) avec ceux des petites barrages de moulin ou d'irrigation (1-5 m) et ceux des grands barrages (> 15 m). Voir la figure ci-dessous.


Il en résulte qu'à leur yeux, l'impact des petits barrages sur les débits, la température de l'eau, le transport des sédiments, la biogéochimie, la migration biologique et l'habitat est comparable à celui des barrages de castor ! Même s'il ne faut pas négliger le rôle paysager et morphologique de cet infatigable rongeur semi-aquatique, on connaît pire en terme de dénaturation des rivières.

Evidemment, tel n'est pas l'avis de nos gestionnaires français de rivières, qui prennent une mine catastrophée en voyant quelques sédiments dans une retenue de moulin et décrète qu'il s'agit là d'une intolérable atteinte à l'intégrité de la rivière… Que diront-ils quand les castors (espèce protégée dont on encourage l'expansion) prendront la place des moulins? Plus sérieusement, comme nous l'avons déploré auprès de nos interlocuteurs Dreal et Onema, il n'existe aujourd'hui aucun indice intégré qui permettrait de déterminer l'impact de chaque ouvrage (selon la hauteur, la superficie du remous, la distance à la source et la zonation, le temps de séjour de l'eau, etc.) et d'aménager en priorité ceux qui représentent des altérations importantes. La conséquence : on efface à tort et à travers, souvent des très petits ouvrages, en ciblant surtout des objectifs halieutiques, et en profitant d'opportunités politiques ou économiques plutôt qu'en visant des effets environnementaux cohérents. On "restaure de l'habitat" en présupposant qu'un certain linéaire d'habitat restauré représente toujours un gain significatif pour la rivière et son écosystème. Ce qui n'est probablement pas le cas.

Référence : Hart DD et al (2002), Dam removal: challenges and opportunities for ecological research and river restoration, BioScience, 52, 8, 669-682.

23/08/2015

Continuité écologique : comment l'administration a détourné la volonté du législateur et imposé une vision dogmatique

La lecture de l'article L 214-17 C env. introduisant la continuité écologique dans la loi sur l'eau de 2006 est claire : le législateur a en tête l'amélioration des montaisons pour les poissons grands migrateurs (amphihalins) ; et il ne remet pas en question l'existence des obstacles à l'écoulement, dont il demande des aménagements fonctionnels. Depuis 10 ans, l'administration a totalement changé l'esprit de ce texte pour le transformer en machine de guerre dédiée à la destruction des ouvrages hydrauliques et à la soi-disant "renaturation" des rivières. Ce scandale démocratique n'a jamais été accepté sur le terrain, provoque d'innombrables protestations au bord des rivières et ne pourra donner lieu qu'à une explosion des contentieux d'ici 2017, délai théorique du classement des rivières. Le dossier de la continuité écologique a été pourri par les jeux de couloir de positions extrémistes et irréalistes : il exige aujourd'hui une reprise en main politique, de toute urgence.

Les parlementaires ont adopté en 2006 la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), dont une disposition pose le principe de classement des rivières à fin de continuité écologique. Deux classes de rivières sont créées : liste 1 et liste 2. Que dit au juste l'article L-214-17 C env voté par le législateur?

En liste 1 se trouvent des cours d'eau "qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique".

En liste 2 se trouvent les cours d'eau "dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Première dérive : des vrais migrateurs aux espèces mobiles (mais non migratrices), dont la plupart ne sont pas menacées ni vulnérables
On observe que la notion de poissons migrateurs est associée dans cet article aux espèces amphihalines "vivant alternativement en eau douce et en eau salée" – par exemple saumon, truite de mer, anguille, esturgeon, alose feinte, grande alose, lamproie marine, lamproie fluviatile. Ce sont aussi ces espèces qui sont désignées comme migratrices dans le plan de gestion des poissons migrateurs (Plagepomi) que chaque bassin hydrographique adopte. Et ce sont celles que l'on considère comme les plus vulnérables (à quelques exceptions près comme le chabot du Lez ou l'apron du Rhône). Le choix était donc cohérent.

Après le vote politique de la LEMA 2006 par les représentants élus des citoyens, la mise en oeuvre de la continuité écologique est revenue aux mains de l'administration française : décrets et circulaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie, classement des rivières avec documents justificatifs, travaux d'interprétation et d'orientation des services techniques des Agences de l'eau, application par les services déconcentrés DDT et Dreal, suivi et avis techniques de l'Onema. Dans cette phase échappant au contrôle démocratique direct, la restriction des migrateurs aux espèces ayant stricte obligation de migration à longue distance pour accomplir leur cycle biologique a été oubliée.

On constate ainsi que les services instructeurs de l'Etat exigent des dispositifs de franchissement piscicole pour des truites communes, des lamproies de Planer, des brochets, des chabots, des loches, des vairons, des cyprinidés rhéophiles et assimilés (vandoise, spirlin, goujon, chevesne, hotu, etc.). Cela pose plusieurs problèmes.

D'abord, si toute espèce de poisson tend à se déplacer dans le fluide qui forme son milieu de vie, cela ne signifie nullement que cette espèce est "migratrice". Les déplacements des individus seront en moyenne plus importants dans des zones sans obstacles (de nombreuses monographies l'ont observé), mais la présence d'obstacles (généralement en montaison seule, car la dévalaison est presque toujours ouverte et non traumatique) n'empêche pas pour autant l'établissement de populations stables, tant qu'il existe des habitats et des ressources alimentaires sur le linéaire offert à la mobilité des populations présentes. Il conviendrait de ne pas confondre la mobilité (le déplacement) comme stratégie opportuniste afin de trouver des habitats propices à la reproduction et à l'alimentation avec la migration comme programmation génétique déterministe du comportement de certaines espèces.

Ensuite, la plupart de ces espèces ajoutées aux migrateurs amphihalins sont en statut de "préoccupation mineure" dans la liste rouge de l'UICN et ne correspondent donc pas à une urgence écologique particulière. Leur ubiquité dans les rivières françaises jusqu'à date récente montrent que les obstacles naturels ou artificiels des cours d'eau, dont la présence est ancienne, ne conduisent pas à une pression d'extinction.

Enfin, plus on élargit le champ des espèces concernés par la continuité écologique, plus il est difficile d'obtenir des dispositifs fonctionnels de franchissement piscicole. Telle espèce a de faibles capacités de saut, telle autre de faibles vitesses de pointe ou d'effort… au final, le cahier des charges devient très compliqué par rapport aux "vrais" migrateurs qui sont adaptés (et pour cause) à de longs parcours de migrations. Cela conduit à favoriser la solution radicale de l'effacement des ouvrages, choix qui devient clairement disproportionné à son enjeu écologique réel. Cela conduit aussi à classer un grand nombre de rivières, au lieu de centrer la réforme de continuité écologique sur des parcours migrateurs historiquement attestés, en commençant par les grands axes fluviaux de pénétration vers les continents depuis les océans (et inversement en dévalaison).

Seconde dérive : du transit sédimentaire-piscicole à la restauration d'habitat et à la renaturation intégrale
En lisant les prescriptions de l'article 214-17 C. env. pour les rivières en liste 2 – celles qui ont un délai de 5 ans pour être aménagées (2017 ou 2018 selon les bassins), et qui sont donc le principal lieu de tension aujourd'hui –, on s'aperçoit que le législateur a été très sobre : il demande le "transport suffisant des sédiments" et la "circulation des poissons migrateurs".

Ce sont donc deux attentes fonctionnelles, précises, qui sont formulées. En aucun cas le législateur ne s'est avancé à poser que les systèmes hydrauliques créés par les ouvrages en rivières (lacs, retenues, biefs) seraient des habitats "dégradés" par rapport à des habitats "naturels" qu'il conviendrait de restaurer partout. Pas plus ne lit-on dans la décision des parlementaires une quelconque incitation à la destruction de ces ouvrages hydrauliques.

Le diagnostic d'un ouvrage dans la perspective du 214-17 C env devrait donc se limiter à une quantification du régime sédimentaire local et de la franchissabilité piscicole pour les migrateurs amphihalins, avec intervention uniquement en cas d'altération manifeste. Mais sur ce plan, la mise en oeuvre de la continuité écologique par l'administration et les établissements de bassin a donné lieu à une seconde dérive.

On observe dans les discours, les rapports et les interventions que les habitats spécifiques créés par les ouvrages hydrauliques sont déconsidérés car représentés comme "non naturels", non conformes au régime hydrologique local. Par exemple, on déplore que l'écoulement soit lentique et non lotique,  que la température soit plus élevée (au moins en surface) ou plus stratifiée, que le miroir d'eau soit élargi et la ligne d'énergie modifiée, que le lit et la zone hyporhéique soient tapissés de sédiments plus fins, que les processus d'érosion-dépôt soient modifiés (sans que la volumétrie réelle et la dynamique temporelle de cette modification soient établis), etc. Parfois, on ajoute des considérations sur l'auto-épuration des rivières (mais presque jamais en réalisant un bilan chimique réel des molécules concernées sur le système analysé).

Toutes ces considérations savantes intéressent des spécialistes des milieux aquatiques qui débattent de leur pertinence (et ne sont pas toujours d'accord entre eux), mais elles sont fort éloignées d'une politique de l'eau applicables à 500.000 km de linéaire de rivières et probablement plus de 100.000 obstacles à l'écoulement. Ces considérations servent surtout d'alibi au nouveau dogme administratif : le bon ouvrage est celui que l'on a réussi à faire disparaître par la menace réglementaire et le chantage financier.

Alors que le législateur a reconnu la réalité des ouvrages hydrauliques en même temps que la nécessité de limiter leurs impacts fonctionnels par des aménagements, l'administration a tendu depuis 10 ans à nier la légitimité de l'existence de ces ouvrages et à poser la nécessité de les faire disparaître dans un horizon de "renaturation" intégrale, c'est-à-dire de recréation par ingénierie d'un habitat plus proche des conditions naturelles de la rivière. Ce dévoiement du projet initial opère sur la base d'un non-sens épistémologique, à savoir que la rivière aurait une "condition de référence" avec équilibre stationnaire dans le temps, et que l'on pourrait re-créer cette condition par simple suppression des ouvrages (voir la critique de Bouleau et Pont). Ce non-sens est particulièrement palpable dans le cas des ouvrages hdyrauliques qui modifient l'écoulement des rivières depuis l'époque romaine et des peuplements piscicoles qui ont été co-déterminé par l'action humaine depuis la même époque. Le dévoiement de la volonté du législateur par les autorités et gestionnaires opère aussi – mais nous développerons ce point important ailleurs – sur une caractérisation partielle sinon partiale des hydrosystèmes du point de vue de leur diversité biologique et de leur fonctionnalité physique, tant au plan de l'échelle spatio-temporelle où l'on évalue ces traits qu'au plan des métriques choisies pour les évaluer.

Le mieux est l'ennemi du bien : le politique doit exiger un virage pragmatique face à l'échec de la dérive dogmatique
En allant bien au-delà de la volonté initiale du législateur, l'administration a donc trahi la lettre et l'esprit de la loi votée en 2006. Elle a aussi créé d'elle-même les conditions d'échec de la réforme : l'extension et l'exigence accrues dans la définition des cibles de la continuité écologique ne mobilisent ni suffisamment de budgets dans les Agences de l'eau, ni suffisamment de moyens humains et techniques dans sa mise en oeuvre. Sans parler de la coopération des principaux concernés (propriétaires d'ouvrages hydrauliques, riverains), qui sont pour la plupart hostiles à l'idée de détruire leur bien (moins-value foncière, paysagère, patrimoniale, énergétique, etc.) et insolvables à hauteur des aménagements bien trop lourds qu'implique le niveau d'ambition totalement irréaliste posé depuis 10 ans.

Certes, on se plait à mettre en avant par films, plaquettes et sites Internet quelques opérations jugées comme des réussites (voir les retours d'expériences de l'Onema). On omet de signaler que ces cas sont fort minoritaires par rapport au nombre d'ouvrages à traiter sur les rivières, et que s'ils ont été réalisés en priorité, c'est précisément parce que les conditions s'y prêtaient, notamment l'accord du propriétaire à voir disparaître ses ouvrages et l'accord des riverains à voir changer la ligne d'eau. Ces artifices plus proches de la propagande que de l'information sont silencieux sur les cas innombrables où l'on a forcé la main à des personnes fragiles et isolées, où les maîtres d'ouvrage ont accepté l'altération du patrimoine à contre-coeur, où l'information des élus et riverains n'a pas été complète et n'a pas donné lieu à concertation ouverte, où le résultat des travaux n'a pas été jugé meilleur que l'ancien paysage dessiné par les ouvrages,  où l'opération de restauration n'a fait l'objet d'aucun suivi scientifique digne de ce nom, etc.

La dérive administrative que nous avons mis en lumière – extension des populations piscicoles cibles au-delà des grands migrateurs, horizon de "renaturation" intégrale par suppression des zones anthropisées – produit donc l'échec de la continuité écologique, perçue par beaucoup comme une opération destructive guidée par une approche idéologique et extrémiste de la rivière, voire par des arrière-pensées peu avouables (comme divertir l'attention des causes plus importantes d'altération des bassins, liées aux changements d'usages des sols par urbanisation et agro-industrialisation ainsi qu'à la diffusion massive des polluants chimiques).

Cette dérive n'est pas sans effet sur la réussite de la politique française de l'eau : la volonté de recréer à grands frais de l'habitat naturel sur des rivières anthropisées de longue date n'est non seulement pas inscrite dans le L-214-17 C env, mais elle n'est certainement pas le critère sur lequel la France sera jugé par ses partenaires européens. Les directives nitrates et eaux usées (1991), la directive cadre sur l'eau (2000), la directive pesticides (2009) n'exigent pas que notre pays détruise son patrimoine hydraulique pluricentenaire, mais plus basiquement qu'il limite les dégradations opérées depuis les années 1950, à l'époque où la croissance économique se construisait dans l'indifférence à la dégradation environnementale.

Retour à la sobriété et au bon sens, c'est-à-dire à la vocation réelle du L-214-17 C env
Nous sommes en 2015, à mi-chemin du délai de 5 ans prévu par les classements de 2012-2013. S'il est d'ores et déjà trop tard pour tenir le délai vu le nombre considérable d'ouvrages hydrauliques concernés par l'article 214-17 C env, il est encore temps de revenir à des positions plus pragmatiques pour la suite. Par exemple :

  • limitation de la première vague d'aménagement aux enjeux des grands migrateurs;
  • priorisation des actions selon des axes cohérents de montaison pour ces espèces;
  • analyse stricte des fonctionnalités sédimentaires et piscicoles au droit des ouvrages, sans prétention à renaturer tous les bassins versants, en acceptant les habitats spécifiques créés par les ouvrages;
  • analyse conjointe des autres facteurs dégradants du bon état et priorité d'intervention en continuité longitudinale aux seules rivières non dégradées par d'autres facteurs chimiques ou morphologiques;
  • choix des solutions les plus simples qui améliorent les fonctionnalités cibles du 214-17 C env;
  • restriction des destructions aux seuls cas de consentement réel du maître d'ouvrage;
  • financement public de l'ensemble de ces aménagements, puisqu'ils ont pour objet des enjeux d'intérêt général.

Illustrations : seuil et ancien moulin sur le Serein, à hauteur de Montréal (89). La majorité des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de l'article 214-17 C env sont des chaussées de taille modeste, ayant recréé un équilibre hydrologique local de longue date et offrant in situ des faciès diversifiés. Sur d'autres plans (hélas non pris en compte par l'administration dans ses choix actuels), ces ouvrages apportent des témoignages sur l'usage historique des rivières, intéressants sur le plan culturel et patrimonial, ils possèdent une évidente dimension esthétique et paysagère, ils représentent un potentiel d'équipement énergétique bien réparti sur tous les territoires.

21/08/2015

Confiez votre ouvrage hydraulique au Sicec...

... et voilà ce qui arrivera. 19 août 2015, au petit matin : l'ouvrage Floriet a disparu de la Seine (Nod-sur-Seine, 21).


Ces travaux ont été menés en pleine alerte sécheresse sur le département, sous la direction du syndicat Sicec qui avait racheté le seuil en 2010 afin de mieux le détruire. Doivent encore disparaître sous les pelleteuses le moulin des Ecuyers à Châtillon, le moulin de la scierie de Cosne, le vannage du vieux moulin de Beaunotte sur la Coquille. On comprend sans difficulté qu'un nombre croissant d'élus locaux des bassins Seine et Ource s'inquiètent de cette politique destructive et ne souhaitent pas la voir appliquée sur les rives de leurs villages, dont le paysage est souvent dessiné par des ouvrages hydrauliques. Quant au bilan coût-bénéfice pour l'environnement de ces opérations financées sur argent public, il reste à établir. Nous y reviendrons prochainement à propos de l'effacement de la forge d'Essarois.

Edit, 27/08/2015 : suite à des échanges avec des lecteurs (voir commentaire), précisons que l'Onema a une station de mesure de qualité de la rivière à Nod-sur-Seine, notamment l'Indice poisson rivière (IPR) qui est l'indicateur piscicole retenu pour la directive européenne de qualité écologique des eaux (DCE 2000). L'IPR de 2013 signalait une qualité piscicole "bonne" de la Seine, avec score de 8,74. L'IPR de 2011 (rien en 2012) est "excellent" avec un score de 6,97. Il est donc important de comprendre que cette destruction sur argent public ne concernait pas une rivière présentant des problèmes graves pour le compartiment piscicole, puisque sur ce compartiment, la Seine à Nod est éligible au bon état écologique.

A lire sur le même sujet :
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20/08/2015

Continuité écologique : les 4 erreurs de Ségolène Royal (ou de ceux qui répondent à sa place, et qui trompent Mme la Ministre…)

L'association des Amis des moulins de l'Ain a demandé à son député, Xavier Breton, de saisir Mme Royal d'une question écrite à propos des problèmes rencontrés par les propriétaires de moulins dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Vous pouvez télécharger le document à cette adresse.

La réponse de Mme Royal – plus probablement de sa direction technique de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie – illustre le déni persistant des problèmes par les services de l'Etat.


"La restauration de continuité écologique des cours d'eau est une politique importante pour l'atteinte du bon état des eaux préconisé par la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE) de 2000"

C'est faux, c'est archi-faux et la répétition de ce mensonge en 2015 est pour le moins inquiétante sur la bonne foi du rédacteur de ce courrier. La DCE 2000 mentionne dans son Annexe V la "continuité de la rivière" parmi de nombreux autres facteurs d'appréciation de la qualité de l'eau courante, mais elle n'a jamais fait de l'hydromorphologie (en particulier du sous-compartiment de continuité longitudinale) une condition sine qua non du bon état écologique. Les études scientifiques les plus récentes montrent qu'il existe une faible corrélation entre les barrages en rivières et les indices de qualité biologique ou chimique de l'eau retenus par la DCE 2000, les opérations de restauration morphologique ne permettant presque jamais d'atteindre le bon état au sens de la DCE à partir d'une rivière dégradée. L'insistance sur la continuité écologique est un choix franco-français, ne répondant généralement pas à des urgences environnementales, ne correspondant à aucune obligation européenne réelle et pire encore, ne garantissant pas l'atteinte du "bon état" auquel nous sommes justement obligés vis-à-vis de l'Europe. Ce choix a été dicté à partir de 2004 par des lobbies en comité de bassin (FNE, FDPF) et par le poids interne de certains services au sein de l'appareil administratif (CSP devenu Onema, Dreal, personnels en charge des suivis techniques au sein de certaines Agences de l'eau, Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère). La continuité écologique a été ensuite sanctuarisée dans le cadre du Grenelle et de divers plans de gestion, parce que cela arrangeait certains lobbies de détourner l'attention sur des sujets mineurs pour la qualité de la rivière comme cela arrangeait certaines administrations de trouver un cache-sexe pour l'impuissance de l'action publique sur cette même qualité.

"Différentes solutions existent, allant de la suppression de l'ouvrage à l'ouverture régulière des vannes en passant par l'aménagement de passes à poissons, la réduction partielle de la hauteur de l'ouvrage ou l'implantation de brèches"

C'est exact, mais cela dissimule de manière malhonnête la réalité de terrain : les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema), les Agences de l'eau, les syndicats de rivière et de bassin versant font globalement pression pour favoriser la seule suppression des obstacles à l'écoulement. L'effacement total ou partiel des barrages est encouragé règlementairement (par le traitement facile et rapide de tout dossier d'instruction en ce sens), il est financé à 80% voire 100 %. Quand le propriétaire veut conserver son barrage, on le matraque par des études coûteuses et bavardes avec à la clé des travaux pharaoniques ne recevant que peu ou pas de subventions, mais énormément de contrôles réglementaires de qualité (dossiers longs, complexes, opaques). Il existe en France, dans l'appareil d'Etat, une idéologie de la destruction systématique du patrimoine hydraulique. Ce fait est connu de tous les acteurs de la question – de très hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau n'ont-ils pas confessé, en marge de réunions passées, que "laisser un ou deux moulins par rivière, c'est très suffisant" (donc détruire les dizaines d'autres que comptent généralement les rivières, c'est très nécessaire !). Tant que cette idéologie de la destruction des seuils et barrages – idéologie minoritaire voire marginale dans la société, idéologie punitive et destructive, mais hélas idéologie dominante chez certains concepteurs de la partie réglementaire du droit de l'eau en France –, ne sera pas exposée et dénoncée comme telle, les conflits continueront.

"Sans nier les difficultés que rencontrent les propriétaires de moulins, il ne me semble pas souhaitable que celles-ci conduisent à remettre en question la position équilibrée qui a été adoptée dans cette loi [LEMA du 30/12/2006] sur une problématique qui concerne de nombreux acteurs".

Il est trompeur de suggérer ainsi que la LEMA 2006 pose problème en soi : les députés et sénateurs ont souhaité en tout et pour tout faciliter "la circulation des poissons migrateurs" (article L-214-17 C env) dans des rivières "classées" (sans précision sur l'ampleur et le calendrier du classement). Ce sont les services du Ministère et des Agences de l'eau qui, de manière fort peu démocratique (c'est-à-dire par voie réglementaire avec un minimum de contrôle et de concertation), ont transformé cet objectif légitime en une immense usine à gaz, ajoutant des espèces de poissons qui ne sont pas réellement des migrateurs (ie dont la migration n'est pas un élément essentiel du cycle de vie et de reproduction), exigeant pour de très modestes et très anciens seuils des aménagements exorbitants dignes des capacités financières des grands barragistes EDF ou VNF, classant des rivières entières en liste 2 sans aucun réalisme sur la capacité de mise en oeuvre de cette réforme dans le délai de 5 ans prévu par la loi, et sans aucune priorisation sur les enjeux environnementaux ou les parcours de montaison des (vrais et grands) migrateurs.


"Une première mission a été confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) concernant la réalisation d'un diagnostic de la mise en oeuvre concrète du plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, ainsi qu'une évaluation des sources de blocages et de tensions."

Et donc ? Mme la Ministre oublie de mentionner que ce rapport du CGEDD déplore l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité, ce qui contredit l'idée émise plus haut selon laquelle le processus de décision aurait été "équilibré". L'absence de concertation a même été constatée par la plus haute instance de notre droit public, le Conseil constitutionnel, dans la QPC du 23 mai 2014. Une disposition législative relative à l'environnement a été reconnue comme non constitutionnelle car n'ayant pas sollicité la participation des citoyens lors de son élaboration, mais elle a été validée malgré tout par le Conseil… car il a été jugé qu'il serait trop compliqué de l'abroger! Ces épisodes (parmi d'autres) révèlent la dérive antidémocratique de la politique de l'eau, justifiant l'opposition totale des propriétaires, usagers et riverains ainsi que des élus locaux à une politique décidée sans eux, malgré eux, contre eux.

"Une deuxième mission a ensuite été confiée au CGEDD. Elle a pour objet d'organiser une table ronde nationale avec les représentants des propriétaires de moulins, de collectivités et d'associations de protection de la nature. (…) L'objectif est l'élaboration d'une charte sur les questions liées aux moulins et à la restauration de la continuité écologique".

Hydrauxois ne signera jamais une charte proposée par l'Etat français tant que celui-ci n'aura pas reconnu la pleine légitimité d'existence des moulins et de leurs ouvrages hydrauliques, et qu'il n'aura pas donné la liberté réelle (économique notamment) de choisir des solutions non destructives si ces ouvrages doivent être aménagés à fin de continuité écologique. Notre association appelle toutes ses consoeurs à défendre cette ligne, qui correspond à une base élémentaire de justice et de décence.

Car il est indécent de proposer une "charte" pendant que les services de l'Etat cassent des droits d'eau, que les préfets signent les arrêtés d'effacement, que les pelleteuses massacrent le patrimoine historique et le potentiel énergétique, que des décrets scélérats sont publiés pour décourager les propriétaires de restaurer leurs moulins. Il est indécent de laisser entendre que la concertation fonctionne correctement alors que les négociations autour de la charte sont au point mort, que partout en France, des élus et des riverains s'indignent de la défiguration de leur cadre de vie par les destructions de chaussées et de biefs, que la gabegie d'argent public frise l'obscénité dans une France en retard sur tous ses autres engagements sur l'eau (nitrates, eaux usées, etc.).

Plus que jamais, nous appelons donc ceux qui nous lisent :
- à signer et surtout à faire signer la demande de moratoire sur la continuité écologique, position unitaire nationale déjà soutenue par la FDMF, la FFAM, l'ARF et OCE, avec plusieurs autres partenaires en voie de nous rejoindre;
- à éviter tout engagement auprès d'un syndicat ou d'une administration risquant de mener à la destruction d'un ouvrage hydraulique;
- à refuser de mettre en oeuvre l'article 214-17 du C env en rivière classée L2 tant que l'Etat et les Agences de l'eau n'auront pas apporté toutes les garanties sur les bonnes conditions réglementaires, juridiques, environnementales et financières de cette mise en oeuvre.

19/08/2015

3e Rencontre de l’hydroélectricité en Bourgogne et en Franche-Comté

Les directions régionales de l’ADEME en Bourgogne et en Franche-Comté et la région Bourgogne organisent en partenariat avec l’Association Bourgogne Énergies Renouvelables la 3e rencontre de l’hydroélectricité en Bourgogne et en Franche-Comté, le 25 septembre 2015 à Cuisery en Saône-et-Loire.

Programme prévisionnel de la journée:
9h : Accueil
9h30 : Table Ronde « Construire son plan de financement »
11h : Témoignages
12h : Point d’actualité juridique
13h : Repas
14h30 : Visite du moulin de Cuisery
Forum avec des professionnels de l'hydroélectricité

Pour recevoir le programme complet de la journée ainsi que le bulletin d’inscription, merci de contacter l’association Bourgogne Énergies Renouvelables par :
• internet sur le site http://www.ber.asso.fr
• téléphone au 03.80.59.12.80
• courriel à hydro(at)ber.asso.fr

16/08/2015

Rochefort-sur-Brevon (21) se bat pour préserver son patrimoine hydraulique

Le Brevon est un petit affluent châtillonnais en rive droite de la Seine, long d'une trentaine de kilomètres. Il trouve sa source à Echalot et conflue à Aisey-sur-Seine. La rivière s'inscrit dans une superbe vallée qu'apprécient tous les amoureux de la nature, mais aussi du paysage et du patrimoine : son cours est jalonné de nombreux ouvrages hydrauliques formant des plans d'eau dans leurs retenues.

Le village de Rochefort-sur-Brevon, encaissé au pied d'un pittoresque éperon rocheux, saisit le visiteur par la beauté inactuelle de son bâti. On y trouve 3 sites classiques du patrimoine sidérurgique de la Bourgogne du Nord : la forge du Haut, au pied de la chaussée formant un étang, la forge du Bas avec sa cheminée d'affinerie caractéristique et, environ deux kilomètres à l'aval, la fenderie, elle aussi adossée à un seuil créant un étang.

Le site fait actuellement l'objet d'une étude par le bureau Artelia, commanditée par le syndicat de rivière Sicec. Enjeu : la continuité écologique. Le diagnostic dressé en 2011 par la FDAAPPMA 21 avait désigné cette succession de retenues comme un point noir (réchauffement de l'eau, rupture de continuité longitudinale). Dans ce cas de figure, les syndicats de rivière et les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema) tendent à favoriser les effacements totaux ou partiels des ouvrages hydrauliques et de leurs plans d'eau.

Les élus du village ont voté une délibération rappelant leur attachement profond à l'intégrité paysagère et architecturale du site. Ils rappellent que l'envasement de l'étang est dû à la dégradation assez récente du système de vannage. Les élus souhaitent que soit engagée la restauration la forge du Haut et que soit envisagée une production hydro-électrique locale.

Les associations Hydrauxois et Arpohc :
- rappellent que l'acharnement actuel à détruire la maximum d'ouvrages relève d'une écologie punitive sans proportion avec les enjeux environnementaux réels ;
- souhaitent que l'argent public soit dépensé avec discernement, tant pour restaurer la qualité des rivières que pour préserver le cadre de vie construit au fil des siècles par les riverains ;
- soutiennent pleinement le choix des élus et habitants de Rochefort-sur-Brevon en faveur de solutions non destructives ;
- se placent à leur disposition pour toute démarche qui serait jugée utile à la préservation du patrimoine hydraulique et à sa valorisation énergétique, ainsi qu'à l'amélioration environnementale par des mesures simples, proportionnées et de bon sens.

Illustrations : Christal de Saint-Marc (DR) ; Christian Jacquemin (Arpohc)