06/10/2019

Le moulin, le castor et l'assec

Inutiles, les moulins lors des sécheresses? Patrice Cadet (association de sauvegarde des moulins de la Loire) nous a envoyé un témoignage depuis sa rivière, la Teyssonne entre la source et la confluence avec le Briquet. En cette zone amont, la rivière se divise en deux parties : une partie sur le flanc des monts de la Madeleine et une partie en plaine, sur les communes de Changy et St Forgeux Lespinasse, soumise aux assecs. Au  niveau du moulin de Lespinasse, les écoulements ont cessé à partir du 29 juin, pour ne revenir que le 3 octobre. Mais l'eau n'y baisse que très lentement dans deux endroits : la retenue de la chaussée du moulin... et celle du barrage du castor à 500 m de là. Ces deux zones ont ainsi servi de refuges au vivant aquatique de la Teyssonne amont. Les vertus des petits barrages (de castors comme d'humains), parfois soulignés dans la littérature scientifique, trouvent ici une claire illustration. Par rapport au castor, ce moulin a aussi l'avantage de produire en autoconsommation de l’énergie pour trois logements, correspondant à une économie de 8 tonnes de CO2... Voici quelques photos de cette rivière et de ses ouvrages lors de cette sécheresse 2019, © Patrice Cadet.


Barrage de castor : il reste de l'eau.


Rivière : à sec.


Chaussée de moulin : il reste de l'eau.

A lire en complément :

04/10/2019

Elisabeth Borne: "la restauration de la continuité piscicole ne doit évidemment pas se faire au détriment du soutien d'étiage"

Dans un échange au Sénat, la ministre de la Transition écologique et solidaire Elisabeth Borne demande une continuité piscicole respectueuse des enjeux de soutien d'étiage et de préservation de l'eau. Le sénateur Guillaume Chevrollier lui rappelle que cet objectif de "zéro perte en eau" s'obtiendra notamment par la protection des ouvrages hydrauliques alimentant des retenues, de canaux et des zones humides, qui aident aussi la biodiversité, notamment en phase de sécheresse. Nous nous réjouissons de cette prise de conscience, mais nous espérons surtout qu'elle ne restera pas une pure promesse sans effet observable sur le terrain. 


Le 3 octobre 2019, le sénateur de la Mayenne Guillaume Chevrollier a questionné au sénat Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, à propos de la gestion des ouvrages hydrauliques et de l'adaptation des politiques de l'eau au changement climatique.

Après avoir rappelé la nécessité de modérer nos usages en eau et les différentes manières de soutenir la ressource (barrages, retenues collinaires, petits ouvrages en lits mineurs et dans leurs annexes de type moulins et étangs, restauration de zones humides naturelles), le sénateur a clairement demandé l'objectif de "zéro perte nette en eau" dans les politiques publiques des rivières. Cela implique pour lui la protection de tous les ouvrages hydrauliques qui contribuent au long de l'année à nourrir des nappes, des sols, des zones humides. Il s'est inquiété auprès de la ministre de la destruction de centaines d'ouvrages au nom de la politique de continuité écologique. Nous remercions vivement ce parlementaire de son écoute et de son alerte sur ce problème grave, mis en lumière cet été par la nouvelle Coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH).

La ministre Elisabeth Borne a répondu au sénateur :

"Effectivement, on a des objectifs importants de restauration des continuités hydrauliques, des continuités des cours d'eau, il est évident qu'ils doivent être pris de manière pragmatique. Je pense que la restauration de la continuité piscicole ne doit évidemment pas se faire au détriment du soutien d'étiage qui est également un enjeu essentiel en  terme de biodiversité. C'est avec cette double approche que les sujets doivent être examinés, et je pense que c'est le sens de ce que portent mes services, mais je m'assurerai que c'est bien le cas."

Nous nous réjouissons de cette réponse de la ministre. Dans tous les cas où les instructions locales de l'Etat conduisent à accepter des projets détruisant des ressources en eau (retenues, étangs, plans d'eau, canaux, zones humides annexes en eau, niveau des nappes observables dans les puits et captages), notre association ne manquera de saisir les parlementaires, la ministre et la justice pour faire constater le trouble... mais surtout pour le faire cesser! Nous encourageons toutes nos consoeurs associatives à faire partout de même désormais : les riverains doivent s'engager pour protéger les ouvrages, ressources et milieux menacés.

La restauration de continuité en long a des enjeux évidents pour des espèces pénalisées par certains ouvrages, et sur certaines rivières, mais elle ne peut se faire par la destruction pure et simple de ces ouvrages qui présentent bien d'autres intérêts pour l'eau, pour le vivant et pour la société. On doit donc faire émerger un nouveau regard sur les ouvrages et leur apport aux biens communs, ainsi que de nouvelles solutions pour la continuité en long.

Voir la vidéo.


Sur le Suran à Meyziat, la retenue du moulin (en haut) forme l'un des derniers refuges en eau pour le vivant en période de sécheresse sévère (étiage 2019). Merci aux lecteurs du site Hydrauxois des témoignages envoyés pour notre enquête, nous publierons régulièrement leurs photos.

01/10/2019

Quand la conservation des écrevisses bénéficie de la fragmentation des rivières (Taylor et al 2019)

Quatre chercheurs des Etats-Unis font une synthèse des connaissances sur les écrevisses de leur pays et sur les objectifs de leur conservation écologique. Au passage, ils rappellent que la recherche considère la fragmentation des rivières comme un facteur favorable à la préservation des espèces endémiques isolées d'écrevisses, et à la limitation des invasions. A faire lire aux trop nombreux gestionnaires de rivière qui véhiculent en France une écologie routinière sans analyse des populations présentes sur le terrain, ou limitent l'intérêt à quelques poissons spécialisés bien loin de refléter tous les enjeux de biodiversité. 


Extrait de Taylor et el 2019, art cit.

Les États-Unis d'Amérique hébergent la plus riche faune d'écrevisses au monde, avec 394 espèces et sous-espèces. Le nombre d’espèces décrites y augmente presque chaque année et représente actuellement plus de 65% de la faune mondiale d’écrevisses. Pourtant, les écrevisses sont bien moins protégées que d'autres espèces dans les politiques de conservation.

Christopher A. Taylor, Robert J. DiStefano, Eric R. Larson et James Stoeckel produisent une synthèse à ce sujet dans la dernière livraison de la revue Hydrobiologia. Voici le résumé de leur travail:
"La biodiversité des eaux douces des États-Unis est reconnue depuis longtemps pour la richesse de ses espèces. La faune américaine d'écrevisses est plus riche que celle que l'on trouve dans les autres pays ou continents du monde. Les écrevisses sont des membres essentiels des écosystèmes d'eau douce et elles sont exploitées depuis longtemps pour la consommation humaine. Combinés, ces facteurs militent en faveur d'une conservation efficace. Comparés à d'autres groupes aquatiques, tels que les poissons ou les moules unionidés, les efforts de conservation des écrevisses américaines font défaut. Nous examinons ici les lacunes dans les connaissances qui empêchent une conservation efficace et les activités de conservation et de gestion des écrevisses, passées et actuelles. Nous concluons en proposant une stratégie d’actions visant à améliorer le statut de conservation de cet important groupe d’organismes. Ces mesures comprennent l'amélioration des efforts de sensibilisation, du financement et de la recherche pour combler les nombreuses lacunes en matière de connaissances, et l'inclusion des écrevisses dans les activités de conservation aquatique à plus grande échelle."
Plusieurs orientations sont proposées, dont la plupart sont aussi valables en Europe:
  • allouer des ressources à l'évaluation de l'écologie, de la systématique et de la distribution des écrevisses
  • améliorer la compréhension des valeurs de tolérance des écrevisses
  • porter une attention accrue portée à la récolte et à la surexploitation des écrevisses
  • élaborer et appliquer des politiques et des réglementations pour prévenir l'introduction d'écrevisses envahissantes
  • rechercher et tester les facteurs qui limiteront la propagation invétérée
  • faire des écrevisses un objet de la gestion et de la restauration de l'habitat
  • intégrer les écrevisses dans la planification de la conservation des aires protégées
  • étudier et élaborer des critères pour les méthodes de propagation, d’augmentation et de réintroduction d’écrevisses (PAR)
  • augmenter la communication et la sensibilisation
Plus particulièrement, nous retiendrons ici ce que ces chercheurs disent de la fragmentation des rivières en lien à la prévention des espèces invasives et au partitionnement des habitats :
"Si la plupart des populations invasives d'écrevisses ne sont pas facilement éradiquées, quelles options de gestion existent pour conserver les écrevisses indigènes touchées? Premièrement, certaines écrevisses indigènes coexistent avec des écrevisses envahissantes lors du partitionnement de leurs habitats (Olden et al., 2011a; Peters & Lodge, 2013), et l'identification des habitats pouvant servir de refuge aux écrevisses indigènes est un besoin urgent. La gestion de la connectivité des eaux permet également d'empêcher ou de ralentir la propagation d'écrevisses envahissantes dans des habitats isolés abritant des populations d'écrevisses indigènes. Cela peut être fait en maintenant des barrières naturelles telles que des cascades ou des barrières artificielles telles que des barrages ou des dérivations d'eau, ou en construisant des barrières spécifiques aux écrevisses (Fausch et al., 2009. Par exemple, Frings et al. (2013) ont démontré la conception d'une barrière proposée comme infranchissable vis-à-vis des écrevisses envahissantes P. leniusculus, tout en permettant le passage des poissons conformément à la Directive cadre européenne sur l'eau. En Californie, de nombreuses barrières ont été conçues et installées pour empêcher la propagation de P. leniusculus dans les quelques habitats encore occupés par le Pacifascac fortis écrevisses Shasta inscrite à la liste de l'ESA (Faxon 1914) (Cowart et al., 2018). Malheureusement, P. leniusculus a envahi ces habitats pendant ou après la construction de la barrière. La dispersion par voie terrestre peut constituer un défi pour la conception de telles barrières, bien que Tréguier et al. (2018) suggèrent que l'établissement réussi par dispersion terrestre des écrevisses envahissantes telles que l'écrevisse rouge des marais, P. clarkii, est rare. En tant que mesure potentielle de dernier recours, les écrevisses indigènes pourraient être déplacées vers des habitats précédemment inoccupés, isolés d'espèces envahissantes (Fischer et Lindenmayer, 2000; Olden et al., 2011b). De tels «sites d'arche» sont couramment utilisés pour conserver les écrevisses européennes indigènes (par exemple, Kozák et al., 2011), mais à notre connaissance, seuls P. fortis a tenté de le faire, avec des résultats ambigus à ce jour (Cowart et al., 2018). Une telle translocation d'écrevisses indigènes comporte des risques d'invasion de ces espèces ailleurs, et reste un sujet controversé du débat politique (Olden et al. 2011b; James et al., 2015)."
Discussion
Dans une époque marquée par l'introduction à une rapidité sans précédent d'espèces exotiques ou invasives dans tous les milieux du globe, la fragmentation des rivières par des barrières naturelles ou conçues par l'humain peut aussi avoir quelques avantages en politique de conservation.

Ce point avait déjà été relevé en Europe par des travaux sur l'écrevisse à pattes blanches (voir Manenti et al 2018 ) mais aussi pour d'autres espèces, par exemple la préservation de souches rares de truites en tête de bassin, menacées par des introgressions génétiques de truites d'élevage introduites par des pêcheurs (Vera et al 2019, voir aussi la thèse de Caudron 2008). Au demeurant, le lien entre biodiversité et fragmentation des habitats est désormais loin d'être clair en écologie (voir Fahrig 2017, Farhig et al 2019), donc on se gardera d'énoncer des prescriptions d'action sans base empirique et théorique solide. Les erreurs sont assez nombreuses dans les politiques publiques pour que l'on n'ait pas la naïveté de croire que l'écologie en serait miraculeusement indemne...

Ces travaux indiquent plus que jamais la nécessité d'une politique prudente, intelligente et informée de continuité écologique : les milieux ont changé dans l'histoire, la biodiversité a changé, les pressions ont également changé, donc le simple objectif de restauration d'une morphologie antérieure au bénéfice d'espèces lotiques est bien trop rudimentaire, et il ne suffit plus à garantir que des bons choix seront faits dans nos bassins versants.

Référence : Taylor CA et al (2019), Towards a cohesive strategy for the conservation of the United States’ diverse and highly endemic crayfish fauna, doi.org/10.1007/s10750-019-04066-3

28/09/2019

La loi encourage désormais la petite hydro-électricité et elle devra être respectée... même par l'administration!

Avec l'adoption définitive par le Sénat de la loi "énergie et climat", le parlement vient de décréter "l'urgence écologique et climatique", en appelant le pays à l'accélération de sa politique bas-carbone. En particulier, députés et sénateurs ont tenu à inscrire dans le marbre de la loi que la politique nationale de l'énergie encourage la petite hydro-électricité. Les termes sont donc clairs désormais : non seulement les lois sur la continuité ne demandent pas de détruire les ouvrages hydrauliques, mais les lois sur l'énergie demandent d'aider à leur équipement électrique. Tel est l'intérêt général exprimé par nos représentants élus. Compte-tenu de l'opposition manifestée l'été dernier par le ministère de l'écologie à ce choix parlementaire, nous appelons chacun à la plus grande vigilance dans la mise en oeuvre de la loi. On sait en effet que certaines administrations de l'eau s'entendent à interpréter à leur convenance les textes: l'opacité en ce domaine est leur alliée, la transparence leur adversaire. Toute entrave à des projets hydro-électriques ou toute ignorance volontaire de l'hydro-électricité dans une programmation publique pertinente pour le climat devra donc faire l'objet d'un signalement au préfet, d'une saisine des parlementaires et d'une communication aux médias, le cas échéant de recours contentieux. Il s'agit désormais de libérer les freins pour que les moulins, forges et petits barrages s'engagent pleinement dans la transition bas-carbone.


Le beau projet Provence Energie Citoyenne, voir ce film. DR

Le jour de la mort du président Jacques Chirac - qui avait prononcé en 2002 les mots célèbres "notre maison brûle et nous regardons ailleurs" -, le Parlement a définitivement adopté, jeudi 26 septembre la loi dite "énergie et climat" qui transpose la programmation énergétique pluri-annuelle de la France.

Parmi les mesures générales de cette loi :

  • l'"urgence écologique et climatique" est décrétée,
  • la "neutralité carbone" est l'objectif de la France à l’horizon 2050,
  • une baisse de 40 % de la consommation d’énergies fossiles est attendue d’ici à 2030,
  • la fermeture des dernières centrales à charbon sera actée avant 2022,
  • la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique est reportée de 2025 à 2035,
  • le soutien à la rénovation thermique du bâtiment par des primes sous condition de revenu remplace le crédit d'impôt,
  • le Haut Conseil pour le climat est installée comme instance d'évaluation et orientation des politiques publiques.

Mais cette loi a aussi été l'occasion pour les parlementaires de rappeler - contre l'avis du ministère de l'écologie - le soutien de la France à l'énergie hydraulique, et en particulier à la petite hydro-électricité.

Ainsi, l’article L. 100-4 du code de l’énergie comportera après parution au JO la disposition suivante
"I. – Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..)
4° D’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité"
La petite hydro-électricté est donc de nouveau soutenue par la loi, comme elle l'était déjà dans l'article L 211-1 code de l'environnement définissant la "gestion équilibrée et durable de l'eau", ce que le Conseil d'Etat a encore rappelé en 2019 en condamnant le ministère de l'écologie dans une affaire de refus de relance de moulins : ce n'est pas rien, et il importe désormais de rappeler cette orientation majeure à certains acteurs qui font tout pour freiner cette énergie, voire pour la combattre.

En France, nous savons combien les lois tiennent à la bonne ou à la mauvaise volonté de l'administration d'en assurer l'exécution. Le fait que le ministère de l'écologie, par la voix de M. de Rugy puis celle de Mme Wargon, ait donné un avis négatif à cet amendement en juin et en juillet suggère que nous allons encore devoir affronter le conservatisme de certains fonctionnaires de l'eau et de la biodiversité, quand ce n'est pas l'abus de pouvoir visant à interpréter la loi à la convenance de quelques bureaucraties non élues.

Pour prévenir ce risque de déni démocratique, nous appelons dès à présent tous les acteurs - particuliers, professionnels, communes, leurs associations et syndicats - à organiser la transparence complète sur les difficultés qu'ils rencontrent dans la menée des projets hydro-électriques, et en particulier la petite hydro-électricité. Chaque comportement de l'administration visant à entraver un projet (soit en l'interdisant, cas rare, soit en multipliant à dessein des complications incessantes, ruineuses et disproportionnées à l'impact, cas fréquent) devra faire l'objet d'un signalement au préfet doublé d'une saisine du député et du sénateur de la circonscription, afin de faire constater le trouble dans l'exécution de la loi.

Outre les projets portés dans tous les territoires, ce sont aussi les programmations politico-administratives fixant les financements et les orientations qui devront refléter la loi : SDAGE, SRADDET (ex SRCE et SRCAE), SAGE. C'est aux associations et aux syndicats de rappeler ici aux responsables de l'élaboration de ces programmations la nécessité de développer l'hydro-électricité, et de le faire sur la base des travaux de la recherche : par exemple, Punys et al 2019 ont montré l'existence de près de 25 000 moulins français pouvant être relancés dans la métropole, donc nul ne peut prétendre qu'il n'existe pas de potentiel (voir ce dossier à diffuser).

Enfin, certaines associations à agrément et financement public - nous pensons précisément aux fédérations de pêche - sont tenues à un devoir de réserve dans l'exercice de missions d'intérêt général qui leur sont confiées et, bien sûr, à une obligation de respecter les lois. Comme certaines fédérations se permettent des propos militants sur un domaine qui n'est pas de leur compétence (l'énergie), une semblable vigilance devra s'exercer à leur endroit, avec si besoin une demande au préfet de rappel à l'ordre des acteurs qui outrepassent leurs missions.

Pour tous ces sujets, n'hésitez pas à signaler des cas problématiques à notre association.

Qu'il s'agisse de la continuité ou de l'énergie, la politique des ouvrages hydrauliques sera "apaisée" en France quand la loi sera enfin admise et reconnue par tous. La loi française n'a jamais demandé la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité, la loi française a demandé à l'Etat d'assumer le coût des "charges spéciales" que ses politiques environnementales de continuité engagent, la loi française encourage l'équipement hydro-électrique des ouvrages: c'est donc sur cette base démocratique et sur elle seule que les échanges doivent se tenir désormais sur le terrain.

A lire et diffuser :
Les moulins à eau au service de la transition énergétique, dossier 2019

26/09/2019

Glaciers, rivières et réchauffement climatique

Le GIEC vient de publier un rapport spécial sur les océans et les glaces (cryosphère) en situation de changement climatique. Dans les régions montagneuses, la quantité mais aussi la qualité de l'eau vont changer au cours de ce siècle. Quelques extraits du rapport à ce sujet.



Comment la diminution des glaciers affecte-t-elle la rivière à l'aval?

"La fonte des glaciers peut affecter l'écoulement des rivières et, partant, les ressources en eau douce à la disposition des communautés humaines, cela non seulement à proximité des glaciers mais également loin des zones de montagne. Alors que les glaciers se contractent sous l'effet d'un climat plus chaud, les eaux stockées à long terme sont libérées. Au début, le ruissellement des glaciers augmente parce que le glacier fond plus rapidement et que de plus en plus d'eau coule du glacier. Cependant, après plusieurs années ou décennies, on assistera souvent à un tournant, après quoi le ruissellement des glaciers et, partant, sa contribution au débit de la rivière en aval diminueront. Le ruissellement maximal des glaciers peut dépasser le ruissellement annuel initial de 50% ou plus. Cet excès d'eau peut être utilisé de différentes manières, par exemple pour l'hydroélectricité ou l'irrigation. Après le point de retournement, cette eau supplémentaire diminue progressivement à mesure que le glacier continue à se rétrécir et finit par s'arrêter lorsque le glacier a disparu ou s'est rétracté à des altitudes plus élevées où il fait encore suffisamment froid pour que le glacier puisse perdurer. En conséquence, les communautés en aval perdent cette précieuse source d’eau supplémentaire. Les quantités totales de ruissellement dépendront alors principalement des précipitations, de la fonte des neiges, des eaux souterraines et de l’évaporation.

En outre, le déclin des glaciers peut modifier le calendrier où la plus grande quantité d’eau est disponible dans les rivières qui collectent leur eau. Aux latitudes moyennes ou élevées, le ruissellement des glaciers est plus important en été, lorsque la glace continue de fondre après la disparition de la neige en hiver, et maximal en journée lorsque la température de l'air et le rayonnement solaire sont au plus haut niveau. Quand le pic d’eau se produit, des taux de fonte des glaciers plus intenses augmentent également considérablement les maxima de ruissellement quotidien. Dans les régions tropicales, telles que certaines parties des Andes, les variations saisonnières de la température de l'air sont faibles et l'alternance des saisons sèche et humide est le principal contrôle de la quantité et du moment du ruissellement des glaciers tout au long de l'année.

Les effets des glaciers sur l'écoulement des rivières plus en aval dépendent de la distance qui les sépare du glacier. Près des glaciers (par exemple, dans un rayon de plusieurs kilomètres), les augmentations initiales du ruissellement annuel des glaciers jusqu’au point d’eau suivi de diminutions peuvent affecter considérablement l’approvisionnement en eau, et des pics plus importants du ruissellement quotidien des glaciers peuvent provoquer des inondations. Plus loin des glaciers, l’impact de la contraction des glaciers sur l'écoulement total des rivières tend à devenir faible ou négligeable. Cependant, l'eau de fonte des glaciers dans les montagnes peut être une source importante d'eau pendant les années chaudes et sèches, ou les saisons pendant lesquelles le débit des rivières serait autrement faible, réduisant ainsi la variabilité du débit total des rivières d'une année à l'autre, même à des centaines de kilomètres des glaciers. D'autres composantes du cycle de l'eau, telles que les précipitations, l'évaporation, les eaux souterraines et la fonte des neiges peuvent compenser ou renforcer les effets des changements dans le ruissellement des glaciers à mesure que le climat change.

(cliquer pour agrandir)
Légende : Aperçu simplifié des changements dans les eaux de ruissellement d'un bassin hydrographique avec une couverture de glacier importante (> 50%, par exemple) lorsque les glaciers se rétrécissent, montrant les quantités relatives d'eau de différentes sources - glaciers, neige (en dehors du glacier), pluie et nappe phréatique. Trois échelles de temps différentes sont présentées: le ruissellement annuel de l’ensemble du bassin (panneau supérieur); variations du ruissellement sur un an (panneau du milieu) et variations pendant une journée d'été ensoleillée puis pluvieuse (panneau du bas). Notez que les variations saisonnières et quotidiennes du ruissellement sont différentes avant, pendant et après le débit de pointe. Le budget de masse annuel négatif initial du glacier devient de plus en plus négatif avec le temps, jusqu’à ce que le glacier ait finalement fondu. Il s'agit d'une figure simplifiée, de sorte que le pergélisol n'est pas spécifiquement abordé et que la répartition exacte entre les différentes sources d'eau variera d'un bassin hydrographique à l'autre. Extrait de GEC 2019, rap. cit.


La qualité d'eau
Le déclin des glaciers peut influer sur la qualité de l'eau en accélérant la libération de polluants anthropiques stockés, avec des répercussions sur les services écosystémiques en aval. Ces polluants traditionnels comprennent notamment les polluants organiques persistants (POP), en particulier les biphényles polychlorés (BPC) et le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les métaux lourds (Hodson, 2014), ils sont aussi associés au dépôt et à la libération de noir de carbone. Il existe des preuves limitées que certains de ces polluants trouvés dans les eaux de surface de la plaine du Gange pendant la saison sèche proviennent des glaciers de l'Himalaya (Sharma et al., 2015) et des glaciers des Alpes européennes stockent la plus grande quantité connue de POP du Nord. Hémisphère (Milner et al., 2017). Bien que leur utilisation ait diminué ou cessé dans le monde entier, des biphényles polychlorés ont été détectés dans les eaux de ruissellement provenant de la fonte des glaciers en raison du décalage de la libération des glaciers (Li et al., 2017). Les glaciers représentent également les stocks de DDT les plus instables dans les zones de montagne européennes et autres flanquant les grands centres urbains, et le DDT dérivé des glaciers s'accumule toujours dans les sédiments lacustres en aval des glaciers (Bogdal et al., 2010). Cependant, la bio-floculation (l'agrégation de particules organiques dispersées sous l'action d'organismes) peut augmenter le temps de séjour de ces contaminants stockés dans les glaciers, réduisant ainsi leur toxicité globale pour les écosystèmes d'eau douce (Langford et al., 2010). Globalement, l'effet de ces contaminants sur les écosystèmes d'eau douce est jugé faible (confiance moyenne) (Milner et al., 2017).

Parmi les métaux lourds, le mercure est une source de préoccupation particulière et environ 2,5 tonnes ont été rejetées par les glaciers dans les écosystèmes en aval du plateau tibétain au cours des 40 dernières années (Zhang et al., 2012). Le mercure dans le limon glaciaire, provenant du broyage des roches lors du passage du glacier, peut être aussi important ou plus important que le flux de mercure provenant de la fonte des glaces, en raison de sources anthropiques déposées sur le site du glacier (Zdanowicz et al., 2013). L'érosion des glaciers et les dépôts atmosphériques ont tous deux contribué aux taux élevés d'exportation de mercure observés dans un bassin versant glaciaire du littoral de l'Alaska (Vermilyea et al., 2017), et la production de mercure devrait augmenter dans les bassins versants de montagne (Sun et al., 2017). Sun et al., 2018b) (confiance moyenne). Cependant, une question clé est de savoir quelle quantité de ce mercure dérivé des glaciers, principalement sous forme de particules, est convertie en méthylmercure toxique en aval. Le méthylmercure peut être incorporé dans les réseaux trophiques aquatiques dans les cours d'eau glaciaires (Nagorski et al., 2014) et s'amplifier dans la chaîne alimentaire (Lavoie et al., 2013). L'eau provenant des glaciers rocheux peut également apporter d'autres métaux lourds qui dépassent les valeurs recommandées pour la qualité de l'eau potable (Thies et al., 2013). De plus, la dégradation du pergélisol peut augmenter la libération d'autres oligo-éléments (par exemple, l'aluminium, le manganèse et le nickel) (Colombo et al., 2018). En effet, les projections indiquent que tous les scénarios de changement climatique futurs renforceront la mobilisation des métaux dans les bassins métamorphiques des montagnes (Zaharescu et al., 2016). Les rejets de contaminants toxiques, en particulier lorsque les eaux de fonte glaciaires sont utilisées pour l'irrigation et l'eau potable dans l'Himalaya et dans les Andes, sont potentiellement nocifs pour la santé humaine, aujourd'hui et à l'avenir (Hodson, 2014) (degré de confiance moyen).

Les concentrations de phosphore réactif solubles dans les rivières en aval des glaciers devraient diminuer avec la diminution de la couverture de glacier (Hood et al., 2009), car un pourcentage important est associé aux sédiments en suspension dérivés des glaciers (Hawkings et al., 2016). En revanche, les concentrations de carbone organique dissous (COD), d'azote inorganique dissous et d'azote organique dissous dans les rivières glaciaires devraient augmenter au cours de ce siècle en raison du rétrécissement des glaciers (Hood et al., 2015; Milner et al., 2017) (preuves robustes, accord moyen). À l'échelle mondiale, les glaciers de montagne dégageraient environ 0,8 Tg C /an (Li et al., 2018) de COD hautement biodisponible pouvant être incorporés dans les réseaux trophiques en aval (Fellman et al., 2015; Hood et al., 2015). Les taux de perte de COD provenant des glaciers situés dans les hautes montagnes du plateau tibétain ont été estimés à plus de 0,19 Tg C /an (Li et al., 2018), plus élevés que d'autres régions, ce qui laisse à penser que le COD est libéré plus efficacement des glaciers de montagne asiatiques (Liu et al., 2016). Les pertes de COD dans les glaciers devraient s'accélérer à mesure qu'ils se réduisent, entraînant une perte annuelle cumulée d'environ 15 Tg C /an de carbone organique dissous glaciaire d'ici 2050, due à la fonte des glaciers et des inlandsis (Hood et al., 2015). La dégradation du pergélisol est également une source importante et croissante de COD biodisponible (Abbott et al., 2014; Aiken et al., 2014). Les principaux ions calcium, magnésium, sulfate et nitrate (Colombo et al., 2018) sont également libérés par la dégradation du pergélisol ainsi que par le drainage acide dans les lacs alpins (Ilyashuk et al., 2018).

Une augmentation de la température de l'eau a été signalée dans certains ruisseaux de haute montagne (Groll et al., 2015; Isaak et al., 2016, par exemple) en raison de la diminution du ruissellement glaciaire, entraînant des modifications de la qualité de l'eau et de la richesse des espèces. En revanche, la température de l'eau dans les régions à couverture glaciaire étendue devrait accuser un déclin transitoire en raison de l'effet de refroidissement accru issu de la fonte des eaux glaciaires (Fellman et al., 2014).

En résumé, des changements dans la cryosphère de montagne entraîneront des changements importants dans les nutriments en aval (COD, azote, phosphore) et influenceront la qualité de l'eau par une augmentation des métaux lourds, en particulier du mercure, et d'autres contaminants hérités (preuves moyennes, accord élevé) constituant une menace potentielle à la santé humaine. Ces menaces sont plus ciblées là où les glaciers sont soumis à des charges polluantes substantielles telles que l’Asie et l’Europe, plutôt que des régions comme l’Alaska et le Canada."

Source : GIEC (2019), The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, rapport spécial, 1170 p.

Illustration en haut : Le glacier du Trient (Mont-Blanc), source de la rivière du même nom, auteur Albins, CC BY SA 3.0

23/09/2019

Ré-ajustement des populations de poissons après une construction de barrage (Anderson et al 2019)

En étudiant des populations de poissons à l'amont et à l'aval d'un grand barrage sur le bassin supérieur du Mississippi, des chercheurs montrent qu'il n'y a plus aujourd'hui de variation significative de la faune pisciaire par rapport au gradient attendu de l'amont vers l'aval. Les barrages pénalisent des migrateurs lors de leur construction, ils entravent également la progression des invasives, mais le vivant se réajuste ensuite au nouvel écosystème fragmenté. Et cet écosystème poursuit sa dynamique propre, qui n'est pas sans intérêt écologique.



De l'amont vers l'aval, les espèces d'une rivière changent à mesure que changent la pente, la température, les sédiments, la chimie de l'eau. Ces variations de présence et abondance des espèces de poissons selon des gradients spatiaux entraînent une baisse de la similarité des communautés avec la distance géographique, connue dans la littérature scientifique sous le nom de "fonction de désagrégation par la distance". L'identité de structure des communautés entre deux sites diminue à mesure que la distance physique entre eux augmente, en raison de l'évolution des conditions environnementales, des barrières de dispersion et de la dérive écologique et / ou des capacités de dispersion limitées des organismes.

Les obstacles à la dispersion peuvent limiter la gamme de certaines espèces et créer des transitions abruptes dans la structure des communautés de poissons. Les humains influencent fortement ces barrières de circulation, à la fois en les contournant (par des canaux reliant deux bassins, par exemple) et en en créant de nouvelles (par des barrages et des écluses).

Une équipe de chercheurs nord-américains a voulu savoir si un grand barrage du Mississippi crée ou non une rupture particulière dans la communauté des poissons entre l'aval et l'amont. Le site étudié est le Lock and Dam 19 (écluse et barrage 19), construit à partir de 1910 pour le barrage, de 1952 pour la grande écluse actuelle. Le milieu s'y est donc ré-ajusté aux nouvelles conditions depuis un siècle.

Voici le résumé de leur recherche :
"nous évaluons si un barrage de grande dimension (Lock and Dam 19; LD 19) sur un grand fleuve, la zone amont du Mississippi (UMR), modifie de manière substantielle la structure de la communauté de poissons par rapport à la variabilité attendue indépendamment des effets du barrage comme obstacle à la dispersion. En utilisant les données de capture de poisson par unité d'effort, nous avons modélisé la fonction de désagrégration de distance pour la communauté de poissons de l'UMR, puis nous avons estimé la similarité à laquelle on pourrait s'attendre autour de LD19 et nous l'avons comparé à la similarité mesurée. La similarité mesurée dans la communauté de poissons au-dessus et au-dessous de LD19 était proche de la valeur attendue basée sur la fonction de désagrégration de distance, suggérant que LD19 ne crée pas de transition abrupte dans la communauté de poissons. Bien que certaines espèces de poissons migrateurs ne soient plus présentes au-dessus de LD19 (par exemple, l'alose dorée, Alosa chrysochloris), ces espèces ne se rencontrent pas en abondance sous le barrage et ne modifient donc pas la structure de la communauté de poissons. Au lieu de cela, une grande partie de la variation de la structure des espèces est due à la perte / au gain d'espèces à travers le gradient latitudinale. Le barrage Lock and Dam 19 ne semble pas être un point de transition clair dans la communauté de poissons de la rivière, bien qu'il puisse constituer une barrière significative pour certaines espèces (par exemple, des espèces envahissantes) et mériter une attention future du point de vue de la gestion".


Le modèle de peuplement d'après des pêches de 2013-2014 (trait) et les données (rond) autour de LD 19. Le peuplement attendu ne diverge pas du peuplement observé, malgré le barrage. Extrait de Anderson et al 2019, art cit.

Pour expliquer le résultat, les chercheurs rappellent que les migrateurs ont déjà disparu du fleuve, donc qu'ils ne constituent plus un facteur de différenciation entre amont et aval :
"Plusieurs possibilités existent pour expliquer pourquoi LD19 et d'autres barrages sur l'UMR semblent avoir peu d'effet sur la variation de la structure de la communauté de poissons. Une possibilité est simplement de ne pas disposer des données appropriées pour détecter cet effet. De nombreuses preuves suggèrent que les barrages, même les barrages de navigation semi-perméables, peuvent réduire ou éliminer les mouvements de certaines espèces de poissons (Tripp, Brooks, Herzog et Garvey 2014; Wilcox et al 2004; Zigler, Dewey, Knights, Runstrom et Steingraeber 2004). Pour que cela influence la structure de la communauté, ces espèces doivent en être des contributeurs importants. De nombreuses espèces qui étaient peut-être autrefois courantes dans l'UMR ne constituent pas une grande partie de la communauté de poissons de 2013/2014 (par exemple, le spatulaire, l'esturgeon jaune et l'alose dorée). Même si ces espèces étaient autrefois courantes et que les barrages de navigation les faisaient diminuer à leur faible abondance actuelle, nous ne serions pas en mesure de le détecter avec les données disponibles."

Ils rappellent aussi que, malgré une écluse permettant certains passages, les espèces invasives sont ralenties par le barrage (et ceux à l'aval) :
"Bien que le LD19 ne semble pas être un point de transition clair dans la communauté de poissons de la rivière, il peut constituer une barrière significative pour les espèces invasives. Si la propagation en amont des espèces envahissantes de carpe argentée et de carpe à grosse tête (Hypophthalmichthys nobilis) à partir des zones situées en aval de LD19 montre que les poissons utilisent effectivement l'écluse (Larson, Knights et McCalla 2017; Tripp et al 2014), des actions de gestion de l'écluse peuvent vraisemblablement réduire le risque de propagation d'espèces de poissons envahissantes en amont, ainsi que prévenir le rétablissement d'espèces migratrices. Bien que les espèces aient un accès en amont via l'écluse, une plus grande abondance de carpes envahissantes et d'espèces indigènes migratrices (eg alose dorée et moule à coquille d'ébène) occupent les parties les plus basses, vraisemblablement parce que le LD19 a ralenti la migration en amont de ces espèces (Coker, Shira, Clark et Howard 1921; Kelner et Sietman 2000; Nielsen, Sheehan et Orth 1986)."

Enfin, les chercheurs soulignent que la retenue du barrage forme un nouvel écosystèmme qui évolue désormais selon sa dynamique propre et selon la gestion humaine, ce qui mérite un suivi en soi :
"Indépendamment de l'impact minimal actuel de LD19 sur la structure de la communauté de poissons, une surveillance à long terme dans cette zone d'importance écologique de l'UMR pourrait être utile pour détecter des changements dans la structure de la communauté de poissons au cours des prochaines décennies. La structure à grande hauteur de LD19 a provoqué le dépôt de plus de 10 m de sédiments derrière le barrage depuis son achèvement en 1913 (Bhowmik & Adams 1989). Les dépôts de sédiments ont réduit la profondeur de l'eau dans la moitié inférieure du bassin 19, créant un habitat de retenue allant immédiatement au-dessus du barrage à 24 km de rivière en amont. Les fonds peu profonds et les eaux calmes de cette zone constituent un habitat idéal pour la colonisation par les macrophytes. Des relevés aériens ont montré une expansion accrue des macrophytes depuis 1966 (Tazik, Anderson et Day 1993; Thompson 1973). Bhowmik et Adams (1986, 1989) ont prédit que la retenue 19 atteindra un équilibre dynamique d'ici 2050, lorsque le volume atteindra 20% de son volume initial après mise en service. En outre, cette étude s'est concentrée uniquement sur les captures dans les habitats des chenaux principaux et des chenaux latéraux, mais il est évident que la population d'espèces de poissons à l'échelle du bassin peut changer en fonction de la contribution proportionnelle des habitats".

Discussion
La problématique des barrages et de la continuité en long a été largement centrée sur les poissons migrateurs. Pour une bonne raison : ces espèces sont pénalisées par les ouvrages hydrauliques, surtout ceux de grande taille qui bloquent le lit majeur et sont infranchissables. Certaines de ces espèces sont menacées d'extinction, ce qui justifie des plans de protection ad hoc. Mais la question des barrages est parfois amenée dans le débat pour des raisons plus douteuses au plan de l'écologie et de l'intérêt général : les pêcheurs voudraient de fortes quantités de certaines espèces migratrices sur le maximum de rivières, dans une fin de loisir et de prédation davantage que dans une logique de conservation. Toutefois, les rivières fragmentées par les usages humains sont devenues au fil du temps de nouveaux écosystèmes : si leurs populations ne sont plus forcément celles de la rivière à l'âge pré-industriel, les plans d'eau ne sont pas pour autant dépourvus de vivant (ni d'usage halieutique au demeurant, mais sur d'autres pratiques et d'autres espèces).

On devrait donc renouveler nos approches en écologie des milieux aquatiques, en étudiant les milieux anthropisés pour leur dynamique, leurs fonctions et leurs peuplements propres. Quant à la prévention de l'extinction des espèces menacées, tout à fait nécessaire, elle ne signifie nullement qu'il faut rétablir ces espèces sur tous les sites où leur présence a pu être attestée dans les siècles et millénaires passés. Le coût en serait disproportionné, à supposer même que ce soit possible. Il s'agit avant tout de conserver des pools biologiques suffisants pour conjurer la menace d'une extinction.

Référence : Anderson RL et al (2019), Influence of a high‐head dam as a dispersal barrier to fish community structure of the Upper Mississippi River, River Research and Applications, doi.org/10.1002/rra.3534

Illustration en haut : le Lock and Dam 19, photo Carol Arney, U.S. Army Corps of Engineers, domaine public.

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21/09/2019

L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains

Un imaginaire plutôt binaire s'est développé depuis une quinzaine d'années chez les gestionnaires de l'eau : le milieu "naturel" serait bon, le milieu "modifié par l'homme" serait mauvais, il faudrait "renaturer". La nature devient une sorte de paradis perdu que nous pourrions retrouver. Cette image parle aux esprits par sa simplicité, mais elle est en réalité simpliste: les milieux aquatiques et humides, comme tous les autres, ont co-évolué avec l'humain depuis longtemps. Les propriétés de leurs habitats et les assemblages de leurs espèces ont changé, ils continueront de le faire à l'avenir. Beaucoup d'habitats créés par l'humain sont colonisés par le vivant et considérés comme intéressants à ce titre, de sorte que l'origine naturelle ou artificielle d'un site devient désormais assez secondaire.  Les sociétés humaines doivent débattre de ces milieux en fonction de leur inventaire actuel de biodiversité et de fonctionnalité, sans référence particulière à une situation passée, et aussi en fonction des attentes qu'elles ont sur les services rendus par les écosystèmes.


Il existe des lacs naturels, qui ont de multiples origines : ancien océan bloqué par des mouvements géologiques, cratères volcaniques, dépressions d'érosion glaciaire, éboulements de falaises, affaissements karstiques, etc.

Il existe aussi des étangs naturels, moins nombreux : cuvettes de fond de thalweg, zones régulièrement inondées du lit majeur, entrées maritimes en zones littorales.

Ces milieux sont considérés comme riches en biodiversité, et ils ont été à l'origine de la limnologie, la science des eaux lentiques (c'est-à-dire des eaux calmes, stagnantes). Cette discipline est l'une des ancêtres de l'écologie scientifique moderne, à laquelle elle a apporté divers méthodes et concepts. L'étude des "limnosystèmes" reste aujourd'hui un enjeu de connaissance, hélas peu développé et peu abondé en France par rapport aux systèmes lotiques (voir Touchart et Bartout 2018).

Les lacs et étangs d'origine naturelle sont cependant minoritaires aujourd'hui: la plupart des masses d'eau lentiques ont été créées par l'homme. Certaines sont anciennes, d'un âge dépassant le millénaire. D'autres sont récentes. Le nombre exact est inconnu, plusieurs dizaines de milliers à coup sûr, probablement entre 100.000 et 200.000 pour la métropole. C'est une réalité massive des bassins versants, paradoxalement peu étudiée par l'écologie alors que le vivant aquatique trouve là une surface considérable (voir Hill et al 2018).

Dans le détail, les fonctionnalités des lacs, étangs et autres retenues divergent selon leur âge, leur situation et leur gestion. Mais qu'ils soient naturels ou artificiels, ce sont souvent des milieux d'intérêt, beaucoup étant classés pour la conservation écologique (ZNIEFF, Natura 2000, Ramsar) en raison des espèces qui colonisent leurs eaux et leurs rives : poissons, amphibiens, insectes, oiseaux, crustacés, mollusques, plantes, etc.

Pourtant, à l'occasion des réformes de "continuité écologique", on a vu émerger une posture étrange : ces mêmes milieux que l'on dit d'intérêt pour diverses propriétés lorsqu'ils sont naturels deviennent selon certains des "altérations" quand ils ont été créés par l'homme dans l'histoire et sur les lits des rivières. Les mêmes traits structuraux - une certaine profondeur, une eau plus calme et lente, un fond plus limoneux, une charge en nutriment souvent plus eutrophe, une température plus élevée ou stratifiée etc. - sont alors transformés en "problèmes". Du même coup, on ne prend pas la peine d'étudier les biodiversités et les fonctionnalités de ces milieux qui sont juste réputés "dégradés", sans faire d'analyse.


Pourquoi?

En fait, deux discours ont tenté de justifier ce qui ressemble à des acrobaties intellectuelles.

Le premier discours est l'idéologie de la naturalité : seule vaudrait une nature "pré-humaine", ses habitats et ses peuplements. Donc les étangs, lacs et plans d'eau installés par l'homme sur une rivière doivent être jugés par rapport à la biodiversité et aux fonctionnalités antérieures de la rivière, non par rapport à leurs traits propres. A ce compte là bien sûr, pas beaucoup de nature en France n'est éligible, car tous les milieux du Pléistocène ont été progressivement modifiés par la colonisation humaine au fil des millénaires, les rivières et les zones humides ne faisant pas exception (par exemple Lespez et al 2015, Brown et al 2018Gibling 2018). On pourra toujours dire que les habitats présents sont une "dégradation" de ce qu'ils furent, et envisager une "restauration" vers un état qui ressemblerait (un peu) à celui du temps passé. Mais cette logique "fixiste" qui idéalise une strate antérieure de l'évolution n'est pas très cohérente (par exemple Bouleau et Pont 2015). Et elle n'explique pas comment elle conjure les évolutions présentes et futures – à part interdire toute activité humaine. Loin d'être marginale, cette idéologie de la naturalité a inspiré des "sachants" qui ont proposé la notion d'"état de référence" d'une masse d'eau dans la directive cadre européenne sur l'eau de 2000. On se retrouve après ce choix avec des milieux très éloignés de ce qu'ils étaient sans impact humain, et des milliards de travaux à prévoir sur chaque bassin pour revenir hypothétiquement à un état antérieur "de référence". Cette idéologie anime aussi nombre de représentants de l'Office français de la biodiversité, donc les conseillers de la politique publique de la rivière en France.

Le second discours est beaucoup plus prosaïque : le lobby des pêcheurs de salmonidés (truites, ombres, saumons), traditionnellement écouté par les administrations en charge des rivières car actif depuis un siècle, voue un véritable culte à ces poissons d'eaux vives (il suffit de lire ses forums associatifs de passionnés) et ne supporte pas ce qui en diminue le nombre. La pollution des eaux, mais aussi la morphologie des lits : de toute évidence, certaines rivières progressivement modifiées par des plans d'eau présentent un profil moins favorable à des espèces d'eaux vives et froides, voire migratrices. Ces espèces ne disparaissent pas complètement, mais elles ont des habitats réduits (truites) ou des accès plus difficile en tête de bassin (saumons). Pour le non-pêcheur, ce n'est pas forcément une tragédie car d'autres poissons s'installent de toute façon (sans compter les autres espèces que les poissons, dont celles plus visibles pour les promeneurs). Mais pour le pêcheur passionné, la régression des salmonidés est vécue comme une remise en question de son activité et de l'intérêt de la rivière.

Une politique publique des rivières doit-elle être indexée sur l'idéologie de la naturalité ou sur la maximisation de salmonidés? Nous ne le pensons pas. Ces idéaux sont défendus par certains acteurs (c'est légitime), mais ce sont justement des points de vue d'acteurs, certainement pas une sorte d'instance neutre qui dirait une "vérité" de la nature. C'est un certain choix, une certaine lecture, et l'on peut tout à fait en développer d'autres, y compris sous le label de "la science" (voir des réflexions chez Dufour et al 2017, Dufour 2018).

Qu'il soit d'origine humaine ou non humaine, un site ne devrait plus s'évaluer a priori par référence à une quelconque "naturalité" ou "peuplement de référence" ou "biotypologie". Il s'agit plutôt de savoir quelles espèces y ont résidence, quelles relations ces espèces y entretiennent, quel bilan de matière et d'énergie s'y noue, quels avantages et quels inconvénients cet habitat présente par rapport à des objectifs de gestion, quels usages sociaux, économiques, symboliques il permet. Il s'agit aussi d'écouter les riverains et les collectivités territoriales, car ce sont eux qui résident dans ces cadres de vie et y recherchent du bien-être.

La "nature" n'existe pas si l'on entend par "nature" une sorte d'entité externe fixe, qui existerait de manière indépendante de la plus dynamique de ses espèces (l'humain). La nature existe comme évolution permanente du vivant et de ses habitats sur la surface de la Terre. Et notamment comme co-construction par l'homme de ses milieux. Nos politiques publiques de l'environnement doivent désormais refléter cette réalité et apprendre aux citoyens à en débattre. Car nous avons la responsabilité collective de l'évolution de ces milieux, notamment la responsabilité de veiller à ce que leur modification n'induise pas des conséquences dommageables pour la société comme pour la capacité du vivant à continuer son évolution.

18/09/2019

Propriétaires et riverains de la Cléry en lutte contre des ouvertures de vannes arbitraires

Sur la rivière Cléry, le préfet du Loiret essaie d'abroger indûment les autorisations de plusieurs moulins fondés en titre et propose un arrêté assez délirant d'ouverture permanente de toutes les vannes du 1er novembre au 30 avril. C'est une nouvelle mode administrative: à défaut de casser les ouvrages, ce qui n'est pas tenable au regard de la loi, exiger des ouvertures de vannes qui défigurent la rivière et vident de sa substance le droit d'eau. Mais les riverains de la Cléry, en train de s'organiser en association, ne l'entendent pas de cette oreille. Ils s'opposeront en justice au préfet s'il poursuit de telles mesures infondées en droit. Ils ont publié une déclaration commune que nous reproduisons, car en reprenant tous les éléments de droit problématiques, elle peut inspirer d'autres collectifs sur d'autres rivières soumises aux mêmes diktats. La continuité "apaisée" est une tromperie de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie pour endormir la critique des parlementaires et contourner les défaites au Conseil d'Etat: partout, les citoyens s'engagent pour conserver le patrimoine, le paysage, les usages, les milieux et les cadres de vie des rivières face aux casseurs de barrages et chaussées, doublés désormais des "videurs" de retenues. Que des centaines de luttes semblables se lèvent! L'unité et la solidarité des riverains auront raison des dérives administratives.


Déclaration des propriétaires d’ouvrages hydrauliques de la Cléry et riverains sur le projet d’ouverture des vannes entre le 1er novembre et le 30 avril

Vu l’article L 211-1 du code de l’environnement aux termes duquel la gestion équilibrée et durable de l’eau doit permettre de concilier la continuité écologique avec la protection des inondations, la préservation des milieux aquatiques et humides, la vie biologique du milieu récepteur, la valorisation de la ressource, la production d’hydro-électricité, le respect du patrimoine hydraulique,

Vu la « Note technique du 30 avril 2019 relative à la mise en œuvre du plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d’eau » adopté par le Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire le 30 avril 2019,

Vu le projet d’arrêté préfectoral d’ouverture des vannes d’ouvrages hydrauliques de la Cléry entre le 1er novembre et le 30 avril

Considérant que la préfecture du Loiret demande par défaut l’ouverture totale et sans interruption des vannes de moulins de la Cléry sur une période continue de six mois,

Considérant  que la Cléry ne fait l’objet d’aucun classement (liste 1 ou liste 2) et que dès lors la mesure d’ouverture ne pourrait éventuellement s’appliquer que si ont été identifiés des problèmes majeurs avec des enjeux d’intérêt général.

Considérant que, contrairement aux exigences que requerrait au préalable l’adoption d’un tel projet en termes de justification technique et biologique,  le projet d’arrêté se veut « expérimental »,

Considérant dès lors que le projet d’arrêté, ce que reconnait la DDT, ne repose sur aucune étude technique et circonstanciée de nature à démontrer sa nécessité et ne permet pas de connaître les désordres auquel il entend remédier.

Considérant que le projet d’arrêté prévoit dès lors d’imposer une mesure sans que l’administration ne soit effectivement en mesure d’exposer en quoi elle est proportionnelle à des désordres hypothétiques dont la nature n’est pas définie.

Considérant que dans ces circonstances imprécises et à défaut de diagnostic les pétitionnaires ignorent  dans quelles circonstances et au vu de quels critères l’opération « expérimentale » pourra être considérée comme une réussite ou un échec.

Que dès lors ce projet d’arrêté n’est pas fondé en droit.


Considérant  par ailleurs que la circulaire d’avril 2019 du ministère de l’environnement, rappelle que sur les 12 000 ouvrages sur les rivières en liste 2 seuls 600 sont traités par an, de sorte que sur les cours d’eau classés eux-mêmes il est nécessaire d’établir de prioriser les actions et de concentrer l’action publique en matière de continuité écologique sur les cours d’eau classés en Liste 2, et parmi ces cours d’eau sur ceux constituant des axes prioritaires,

Considérant dès lors que l’intérêt de la mesure envisagée sur une rivière non classée ne peut se justifier.

Considérant en outre que la mesure d’ouverture des vannes pendant six mois consécutifs contrevient aux usages traditionnels des moulins ainsi qu’à leur consistance légale autorisée.

Considérant que les retenues et biefs de moulins, avec leurs annexes, forment des milieux aquatiques et humides à part entière dont la faune et la flore sont d’intérêt,

Considérant qu’aucune information n’est donnée sur les impacts de la baisse de niveau de la rivière et les risques afférents de déstabilisation des berges et du bâti dont les fondations sont prévues pour être en eau,

Considérant qu’aucune information n’est donnée sur les impacts de la baisse de niveau sur les activités touristiques et leurs impacts économiques.

Considérant qu’aucune information n’est donnée sur les impacts de la baisse de niveau sur la valeur foncière des habitats en bord des cours d’eau principaux et secondaires.

Considérant qu’aucune évaluation n’est donnée de l’effet de la mesure sur la baisse de la nappe d’accompagnement et les effets possibles dans les puits, captages, humidité des sols des parcelles agricoles riveraines,

Considérant qu’aucune précaution ne semble prise concernant la vitesse et l’intensité des crues à l’aval du bassin lorsque les ouvrages auront perdu leur fonction de ralentissement de la cinétique des crues,

Considérant que le projet d’arrêté ne précise pas les espèces cibles de poissons, la démonstration de leur présence à l’aval et leur absence à l’amont, la justification circonstanciée de leur besoin de migration en l’état de la rivière,

Considérant que le projet d’arrêté ne précise pas les impacts sur la faune, les oiseaux, les plantes et leur habitat conséquent à cette baisse de niveau dans les cours d’eau principal et secondaires.

Considérant que le risque de propagation d’espèces invasives de l’aval vers l’amont n’est pas signalé ni évalué,

Considérant que le risque de remobilisation de sédiments pollués présent dans les retenues et de pollution des zones aval n’est pas cité ni évalué,

Considérant enfin que ce projet d’arrêté fait fi de toute explication quant aux garanties données par l’Etat au regard de la mise en jeu de la responsabilité des propriétaires de moulins en cas d’aggravation des inondations, dommages aux berges et bâti, mortalité d’espèces dans les milieux de retenues et de bief.

EN CONSEQUENCE : les signataires de la présente déclaration, propriétaires d’ouvrages hydrauliques et riverains de la Cléry et responsables d’association ou d’entité de la vie civile dans cette vallée déclarent s’opposer à ce projet d’arrêté préfectoral.

Copie de la présente déclaration est donnée aux parlementaires du Loiret et aux maires riverains de la Cléry


15/09/2019

L'agence de l'eau Loire-Bretagne a de l'argent à perdre (le vôtre)

L'agence de l'eau Loire-Bretagne publie un bilan autosatisfait de son action 2013-2018, en exposant que 1263 ouvrages hydrauliques ont fait l'objet d'une restauration de continuité écologique, pour 48,6 millions € d'argent public dépensé. Avec destruction pure et simple des sites dans 70% des cas, contrairement aux attentes de la loi qui demande leur équipement. Au total, cette agence a dépensé 2,7 milliards € en 6 ans... mais pour quel effet au juste sur la qualité de l'eau? Elle ne le dit pas. Et pour cause, ces milliards d'euros ne nous permettent pas d'atteindre les objectifs fixés par l'Europe. Casser du moulin ou assécher de l'étang pour plaire à certains lobbies est certes plus facile que faire reculer les pesticides, les algues vertes ou le carbone. Plus de 30 associations de riverains sont aujourd'hui en contentieux contre le programme d'intervention 2019-2024 de cette agence de l'eau, en raison de ses positions doctrinaires et inefficaces. 

Dans ses "Premiers éléments de bilan" sur les 6 années passées, l'agence de l'eau Loire-Bretagne se félicite d'avoir dépensé 2,7 milliards € entre 2013 et 2018. Curieusement, elle donne pas en face du chiffre l'évolution de l'état biologique, physico-chimique et chimique des masses d'eau du bassin sur la période. C'est pourtant la première information utile au citoyen, puisque l'agence de l'eau existe pour améliorer la qualité de l'eau, et non pour dépenser des milliards sans effet observable. On se souvient que selon le bilan fourni en 2017, le nombre de rivières du bassin Loire-Bretagne en état écologique médiocre ou mauvais a été multiplié par deux entre 2006 et 2013, tendance fort alarmante quand on investit tant d'argent pour des effets si déplorables. Mais cette agence Loire-Bretagne est spécialiste de l'auto-promotion flatteuse de son action sur fond de manque complet de rigueur en caractérisation des impacts du bassin...

Il y a donc d'évidents motifs d'inquiétude. Voici par exemple ci-dessous la carte des présences de pesticides dans les cours d'eau selon les statistiques d'Etat (SoES 2015, données 2012), carte dont il y a de fortes chances que ses informations soient sous-estimées puisque les tests de présence sont très ponctuels et ne couvrent pas toutes les substances ni tous les cours d'eau. Le bassin Loire Bretagne est fortement concerné. Alors quelles mesures ont été financées pour quelles évolutions constatées après la mesure? Qu'en est-il pour d'autres sujets ayant encore fait l'actualité récemment comme les proliférations d'algues vertes?  L'agence se donne-telle des obligations de résultat, ou dilapide-t-elle l'argent public sans contrôle du retour d'efficacité de ses choix? Dans son état des lieux des bassins, qui est en cours pour le prochain SDAGE 2022, l'agence est-elle vraiment capable d'identifier et hiérarchiser les pressions sur les milieux? De traiter les problèmes urgents et prioritiares ayant vu la dégradation rapide de l'eau depuis les années 1950, ce qui ne concerne certainement pas la présence de moulins ou d'étangs pluriséculaires du bassin?



Dans cet opuscule, l'agence de l'eau Loire-Bretagne précise aussi qu'entre 2013 et 2018, ce sont 1263 ouvrages hydrauliques qui ont fait l'objet d'une restauration de continuité écologique, pour 48,6 millions €. Le choix de l'effacement (arasement) a primé dans 70% des cas. L'agence confirme donc la dérive visant à privilégier la casse des ouvrages là où la loi demande leur gestion, équipement et entretien. Nos bureaucrates aiment les mesures "radicales" pour effacer le patrimoine historique, nettement moins pour stopper les pollutions chimiques.

Une telle prime arbitraire à la destruction a été instaurée dans les programmations de bassin par des fonctionnaires militants pro-casse des ouvrages, et elle a été validée ensuite par un comité de bassin fort peu démocratiquement nommé par le préfet – comité où ne sont pas représentés les moulins, étangs et riverains. Ce déni de démocratie conduit les associations concernées à aller désormais systématiquement en justice pour contester les choix opérés. En Loire-Bretagne, plus de 30 associations portent une requête contentieuse en annulation du programme d'intervention 2019-2022. Et elles travaillent à donner plus d'ampleur aux contentieux futurs sur l'adoption du SDAGE 2022 si les bureaucrates persistent dans l'opacité de leurs données, le rejet de la concertation comme le refus du respect des ouvrages hydrauliques et milieux aquatiques que demande la loi.

Ainsi que nous le pressentions, la plupart des retours de terrain en Loire-Bretagne comme en Seine-Normandie confirment que le "plan de continuité apaisée" du gouvernement est un enfumage pur et simple de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère, n'ayant rien changé aux mauvaises pratiques de l'administration : aucune transparence dans la priorisation des rivières (on décide en vase clos, sans rigueur scientifique), aucun changement dans l'état d'esprit négatif qui prévaut vis-à-vis des ouvrages (on pense toujours qu'ils ne devraient plus exister), passage en force pour casser les barrages de la Sélune sans attendre l'avis des tribunaux, persistance des primes à la casse dans les programmes de diverses agences de l'eau, absence de volonté de valorisation des atouts nombreux des ouvrages (sécheresses, crues, énergie, paysage, loisirs, tourisme, etc.). Tant que les fonctionnaires de l'eau ne reçoivent pas de leur tutelle un rappel clair (et opposable...) sur la nécessité de respecter les ouvrages, de chercher des solutions douces de continuité, d'engager une approche positive d'amélioration de leur gestion, rien ne se débloquera.

Les propriétaires et riverains d'ouvrages hydrauliques ont à nouveau été trompés et méprisés sous couvert d'une "concertation" réduite à l'obligation de respecter le seul avis du ministère (et de quelques lobbies que ce ministère subventionne pour les avoir à sa botte). Les syndicats, fédérations, associations et collectifs en lutte doivent en tirer les conséquences sur la conduite à tenir face aux agences de l'eau qui persistent à vouloir détruire les patrimoines des rivières.

A lire en complément
L'agence de l'eau Loire-Bretagne reconnaît les échecs de la continuité écologique... mais fonce dans le mur en ne changeant rien!
Lettre ouverte à M. Joël Pélicot sur le SDAGE Loire-Bretagne 2016-2021 

13/09/2019

Les modifications des rivières depuis 15 000 ans (Gibling 2018)

La directive cadre européenne sur l'eau affirme que les rivières pourraient être conformes à un "état de référence" entendu comme peu impacté par l'homme. Si cela a un sens pour la mesure de pollutions, qu'est-ce que cela signifie au juste en évolution de la biologie et de la morphologie? Quelle "référence" serait celle de la nature? Dans un article récent visant à réfléchir à la notion d'Anthropocène, le géologue Martin R. Gibling montre ainsi que les premières altérations humaines des rivières sont nettement perceptibles voici 10 000 ans, puis que les cours d'eau commencent à être plus ou moins largement modifiés dans le monde voici 6500 ans, avec les techniques d'irrigation et de diversion de l'eau pour les populations sédentaires. Alors quel est donc "l'état de référence" d'une rivière française actuelle? Pourquoi faudrait-il revenir à une forme fluviale de 1900, de 1700 ou d'un âge antérieur, forme qui n'est pas plus "naturelle" qu'une autre si l'on entend par là "non-humaine"? La politique de l'eau doit réviser ses concepts en intégrant les données nouvelles de l'écologie et de l'archéologie de l'environnement. 



Schéma illustrant l'ampleur des influences anthropiques sur les systèmes hydrologiques. Les exemples illustrés proviennent principalement de milieux à influence technologique modeste, en particulier sur une période d'environ 10 000 à 4 000 ans BP. Figure conçue et rédigée par Meredith Sadler, extrait de Ginling et al 2018, art cti

Voici le résumé de l'article de Martin R. Gibling (Université Dalhousie, Canada):

"Les rivières sont au centre des débats sur l’Anthropocène car de nombreuses activités humaines depuis l’antiquité se sont concentrées sur leurs cours et dans les plaines inondables.

Une compilation de littérature sur le début de la modification humaine des rivières identifie six étapes qui représentent des innovations clés, concentrées au Proche-Orient et dans les zones voisines:

(1) des effets minimaux avant environ 15 000 BP, avec utilisation du feu et cueillette de plantes et de ressources aquatiques;
(2) des effets mineurs dus à une culture accrue après environ 15 000 ans BP, avec domestication des plantes et des animaux après environ 10 700 ans BP;
(3) l'ère agricole débutant environ 9800 ans BP, avec les sédiments mobilisés, l'utilisation répandue du feu, les premiers barrages et l'irrigation, la fabrication de briques;
(4) la période de l'irrigation à partir d’environ 6500 ans BP, avec irrigation à grande échelle, grandes villes, premiers grands barrages, approvisionnement en eau en milieu urbain, utilisation accrue des eaux souterraines, navigation sur rivières et exploitation alluviale;
(5) l'ère de l'ingénierie avec des remblais, des barrages et des moulins à eau après environ 3000 ans BP, en particulier dans les empires chinois et romains;
(6) l'ère technologique après environ 1800 de notre ère.

Les effets anthropiques sur les rivières étaient plus variés et plus intenses qu'on ne le reconnaît généralement, et ils devraient être systématiquement pris en compte dans l'interprétation des archives fluviales du Pléistocène supérieur et du Holocène".

Référence: Gibling MR (2018), River Systems and the Anthropocene: A Late Pleistocene and Holocene Timeline for Human Influence, Quaternary, 1, 3, 21

11/09/2019

Rencontre de l’hydroélectricité en Bourgogne-Franche-Comté


Propice au développement de l’hydroélectricité, la région Bourgogne-Franche-Comté comporte déjà environ 500 centrales en exploitation et de nombreux sites continuent de se développer chaque année.

Le développement de l’hydroélectricité passe par la réhabilitation de centrales ou moulins ne produisant plus (y compris usage de forges, meuneries…), par l’optimisation des centrales existantes et l’équipement de seuils existants non valorisés. La prise en compte des enjeux environnementaux est primordiale pour obtenir une cohérence globale sur l’utilisation de la ressource.

Comme tous les ans depuis 2013, l’ADEME organise la 7ème rencontre de l’hydroélectricité qui se déroulera le vendredi 15 novembre 2019 à Nuits-Saint-Georges.

L'association Hydrauxois encourage tous les propriétaires d'ouvrages hydrauliques, particuliers ou communes, à participer à ces rencontres pour mûrir leur projet de relance hydro-électrique. Après près de 25.000 sites équipables (Punys et al 2019), notre pays a la chance d'avoir un potentiel considérable de relance en petite hydro-électricité. Une énergie simple, locale, présente dans de très nombreux villages de nos campagnes, qui doit apporter sa contribution à la transition bas-carbone de la France et à l'émergence des territoires à énergie positive. Le 15 novembre prochain, on pourra s'informer et en discuter avec des professionnels ainsi qu'avec les administrations en charge de l'énergie.

Découvrez le programme.

08/09/2019

Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire

Depuis deux millénaires, les étangs et moulins se sont développés sur les rivières et bassins versants de France. Outre leur fonction piscicole et énergétique d'origine, ces ouvrages ont aussi créé sur tous les bassins des rétentions et des diversions d'eau, dont les fonctionnalités sont parfois proches de celles des zones humides naturelles. Ces dernières ont pour la plupart disparu par drainage et recalibrage, à partir du Moyen Âge, puis avec une forte accélération au XXe siècle. Pierre Potherat, ICTPE en retraite ayant longtemps travaillé sur l'hydro-géomorphologie des bassins versants, rappelle ces réalités dans le cas du Châtillonnais, au nord-ouest du plateau de Langres. Il déplore la politique de destruction des ouvrages de moulins et étangs au nom de la continuité dite "écologique", appelant les décideurs à changer clairement d'orientation. Extrait et lien de téléchargement de son rapport. 


Introduction :
"Les sécheresses estivales des quatre à cinq dernières années ont contraint les décideurs à envisager de changer leur fusil d’épaule en matière de gestion de l’eau de nos rivières. Une mission parlementaire réfléchit actuellement aux moyens les plus pertinents pour répondre aux attentes des personnes directement concernées sur le terrain.

Le présent document a été rédigé à la suite d’une réunion d’information et d’échanges, tenue à Montbard en juillet dernier en présence de trois parlementaires. Il a pour but d’apporter, en premier lieu, un éclairage sur les pratiques anciennes de gestion des cours d’eau, sur les pratiques des années d’après-guerre puis sur celles des vingt dernières années. En second lieu un diagnostic des difficultés rencontrées a été formulé accompagné de pistes d’amélioration.

Les cours d’eau du plateau de Langres ont été aménagés depuis près d’un millénaire pour tirer bénéfice d’une énergie hydraulique gratuite. Des retenues d’eau, des biefs servant à faire tourner moulins, scieries et autres installations ont été créées et ont fonctionné tout ce temps sans porter atteinte à l’environnement et à la qualité des ressources halieutiques. 


En outre, ces installations, en favorisant le maintien d’un niveau d’eau élevé dans la rivière et dans les alluvions, ont permis, d’une part, de stocker une importante quantité d’eau utile en période de sécheresse, aussi bien pour la sauvegarde des poissons que pour la préservation des milieux humides, d’autre part de faciliter le débordement de l’eau et son stockage dans la plaine inondable en cas de crue.

Les pratiques des années cinquante à soixante ont surtout été axées sur la lutte contre les inondations par l‘augmentation du gabarit des rivières et la suppression des méandres. Ces travaux ont contribué à abaisser de près d’un mètre le niveau de l’eau dans la rivière ainsi que dans la nappe alluviale avec pour effet indésirable l’assèchement estival des chenaux, des praires et de certains milieux humides.

Au début des années 2000, l’application volontariste de la directive européenne relative au bon étal écologique et chimique des masses d’eau, par suppression des seuils et vannages, a contribué à amplifier le phénomène d’asséchement des zones humides et a accru la vitesse du courant en période de crue sans apporter la moindre amélioration du peuplement piscicole.

Des pistes d’amélioration sont proposées en conclusions. Il est notamment proposé de rendre à la rivière son rôle dans le stockage de l’eau en cas de sécheresse ou d’inondation."

Téléchargez le document complet :
Potherat P (2019), La gestion de l’eau des rivières de plaines. Cas du versant NW du plateau de Langres, 15 p.

06/09/2019

Mortalité nulle d'anguilles au droit d'une usine hydro-électrique (Økland et al 2019)

Une étude allemande montre que la mortalité des anguilles en dévalaison dans des centrales hydro-électriques peut être réduite à néant, moyennant des passages adaptés et des grilles fines. L'écartement proposé pour ces grilles n'est cependant guère réaliste pour toutes les rivières et toutes les installations. Les producteurs d'hydro-électricité sont toujours en attente de protocoles d'étude du comportement des poissons en dévalaison, en particulier sur des sites de petite hydro-électricité où les conditions de vitesse, pression et débit diffèrent des moyennes et grandes centrales les plus souvent étudiées. La proportionnalité des mesures de correction d'impact passe par une définition robuste et consensuelle de l'impact au départ: l'Office français pour la biodiversité rechigne pour le moment à mettre en place les bons protocoles. 


Le site étudié, in Økland et al 2019, art cit

Finn Økland et ses collègues ont étudié la mortalité des anguilles en dévalaison au droit de la centrale Unkelmühle, reconstruite en 2011 sur la rivière allemande Sieg, un affluent du Rhin. La centrale est à 44 km de la confluence avec le Rhin, exploite une chute de 2,7 m avec 3 turbines Francis capable de faire transiter un débit total de 27 m3/s. L'accès à chaque turbine est protégée d'un rack de grilles à angle de 27° et à entrefer de 10 mm.

Voici le résumé de leur recherche :

"Nous avons examiné la mortalité, les voies de migration et le comportement de l'anguille argentée dans une centrale électrique en Allemagne, après la reconstruction de la centrale, afin de réduire la mortalité des poissons en migration vers l'aval. 

Sur 270 anguilles implantées avec des émetteurs radio et relâchées en amont de la centrale, 222 anguilles ont traversé la centrale, principalement en octobre et novembre, bien que certaines soient descendues en hiver et au printemps. La plupart des anguilles ont suivi le flux principal et sont passées au niveau de l’évacuateur de crue (59% et 49% au cours des deux années d’étude) ou ont suivi la route menant au plan de grilles situées devant les turbines (24% et 27%), où elles ont été guidées vers une voie échappant des turbines via le canal de vidange. Certaines anguilles utilisaient une passe à fentes verticales (12% et 8%), tandis que peu utilisaient une passe à poissons de type naturelle, une passe à canoë ou des passages sur-mesure pour anguilles. 

Les anguilles ont montré une grande variation individuelle dans le calendrier de migration, les vitesses de migration et le choix du contournement. Aucune anguille n'a été tuée dans les turbines, puisqu'aucune d'elles ne l'a traversée, probablement en raison de l'espacement étroit des barreaux (10 mm). Les résultats ont montré que la mortalité des centrales de passage d’anguilles peut être faible (0-4% et 0-8% au cours des deux années de l’étude) lorsque l’admission vers la turbine est protéger de grilles empêchant les anguilles de pénétrer et que des voies de dérivation sûres sont disponibles. Les estimations de la mortalité sont présentées sous forme d'intervalles, car il n'a pas été possible de déterminer le sort de 4% et 8% des individus. La mortalité potentielle aurait pu être liée à des blessures sur les voies de contournement ou à un risque accru de prédation, mais rien n'indique que des blessures ont été causées dans ces voies de contournement."

Discussion
La réduction de mortalité des poissons en dévalaison est un but logique pour tous les producteurs d'hydro-électricité, qui doivent viser à réduire les impacts accidentels et non désirés de leur production d'énergie bas carbone. D'autres sources d'énergie sont d'ailleurs confrontées à ce problème, comme la mortalité des oiseaux, chauve-souris et insectes dans les fermes éoliennes.

L'étude de Finn Økland et de ses collègues apporte l'intéressante démonstration que l'on peut obtenir une mortalité nulle. Elle montre aussi que certain dispositifs coûteux (passes dédiées) ne sont pas toujours utilisés par le poisson (autre exemple chez Newton et al 2017). Toutefois, l'espace de 10 mm entre les barreaux des grilles de protection est généralement considéré comme peu viable, pour plusieurs raisons: coût d'installation et de dégrillage (plus les grilles sont fines, plus elles sont obstruées) surtout en sites de régions très boisées (forte charge flottante de feuilles et branches), perte de productible ne permettant pas de compenser sur le revenu énergétique (aux tarifs français de rachat de l'électricité, qui ne sont probablement pas les tarifs allemands). Par ailleurs, une mortalité nulle avec une grille à entrefer de 10 mm ne dit rien de la mortalité avec des grilles à barreaux plus espacés.

Nous manquons à ce jour d'expériences plus élémentaires et de consensus sur les résultats pour caractériser le problème :
  • analyses en conditions les plus naturelles possibles (pas des animaux d'élevage projetés depuis une barrique devant les turbines...), mesure au long cours par caméra du nombre d'animaux passant dans la turbine plutôt que par exutoire ou déversoir (comme on le fait pour les suivis de passes à poissons),
  • suivi radiotélémétriques de migrateurs (anguilles, saumons ou autres) pour définir le taux  d'animaux passant dans la turbine ou choisissant les voies libres, cela à différentes conditions (sans grilles, grilles à entrefer allant de 100 à 10 mm), avec analyse des arrêts d'émission (mortalités par causes naturelles ou provoquées pour turbine),
  • comparaison de résultats dans des conditions réalistes pour les différents types de cours d'eau, d'installations (hauteur de chute, débit, vitesse, pression...) et pour les différents types de dispositif (roue, vis, turbines Kaplan, Francis, Pelton, Banki-Mitchell). 
Divers producteurs ayant installé des processus de comptage en petite hydro-électricité nous ont fait état de mortalité nulle même avec grilles larges, avec évitement complet du passage usinier quand le débit d'entraînement est assez lent pour permettre de choisir d'autres chemins. Ils souhaitent que l'Office français de la biodiversité définissent des protocoles d'étude, d'autant que la recherche a montré un potentiel de près de 25 000 moulins équipables en hydro-électricité (voir Punys et al 2019) et que la loi française comme les directives européennes soutiennent le développement de cette petite hydro-électricité.

Un ingénieur avait produit une analyse des formules semi-empiriques de mortalité d'anguilles (Rick 2016), montrant que les mortalités sont en rapport croissant avec la hauteur et la vitesse, mais décroissant avec le débit. Certaines modélisations produites par les services administratifs sur des bassins versants se fondent sur des choix de formule contestables (voir critique de Briand et al 2015).

Ces points ne pourront donc être éclaircis que si les établissements publics (OFB), les syndicats de producteurs et d'autoconsommateurs se mettent d'accord sur des études portant sur un assez grand nombre de sites, définissant un ratio mortalité-coût-productible acceptable et s'engageant à en respecter les conclusions. Nous n'y sommes pas pour le moment.

Référence : Økland F et al (2019), Mortality of downstream migrating European eel at power stations can be low when turbine mortality is eliminated by protection measures and safe bypass routes are available, Hydrobiology, 3-4, 68-79

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