20/07/2016

Destruction de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon, un débat si tardif...

L'Yonne républicaine a rendu compte des réactions suscitées par le projet d'effacement du seuil (traditionnellement appelé une chaussée), du plan d'eau et de la chute du moulin de Perigny-sur-Armançon (voir cet article).

Éric Coquille (maire du village et président du Syndicat de l'Armançon, ex-Sirtava) a déclaré : «Il s'agit d'un ouvrage privé. Il appartient à son propriétaire de gérer son patrimoine. Il a sollicité le Syndicat pour une déconstruction raisonnée de ce barrage (…) Pour l'instant, nous n'avons pas le retour de l'enquête publique qui vient de se terminer, mais nous avons vu qu'il y a eu une forte mobilisation, ce qui est heureux en soi. Il y a plusieurs angles de vue qu'il est important d'avoir. D'un point de vue environnemental, il est nécessaire de restaurer la fonction naturelle du cours d'eau. D'un point de vue patrimonial, c'est au propriétaire de décider. Il est important que le dialogue s'installe.»



Quelques observations à ce sujet :

- un propriétaire n'est pas libre de faire ce qu'il veut avec les écoulements de la rivière, qu'il s'agisse de la construction, de la destruction ou de la modification d'un ouvrage. Dans tous les cas, les droits des tiers et la protection des milieux doivent être garantis. Certains gestionnaires, pétris de la croyance qu'ils agissent forcément "pour le bien de la rivière", ont du mal à concevoir que la destruction d'un ouvrage est un chantier ayant des conséquences tant écologiques qu'hydrologiques, patrimoniales et paysagères dont il n'est pas garanti qu'elles seront bonnes. Il est assez établi dans la littérature scientifique que ces opérations ont parfois des effets écologiques nuls, voire négatifs : continuer à le nier, ne pas ausculter le détail des effets attendus par l'effacement et ne pas prévoir une analyse avant / après sur la base d'indicateurs fiables, cela devient du dogme  ;

- nous vérifierons au cours de l'été (à Perrigny comme sur les autres projets de destruction) que le propriétaire a été correctement informé par le syndicat avant de signer une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. En effet, le maître d'ouvrage perd le droit d'eau de son moulin (qui devient une simple maison en zone inondable) et donc une certaine valeur foncière, court parfois des risques géotechniques dont il faut garantir l'absence sur les parties usuellement en eau du bien, engage sa responsabilité en cas de problèmes futurs avec des tiers ou des biens riverains liés aux changements d'écoulement. De même, on a déjà vu le Syndicat de l'Armançon brandir des études totalement fantaisistes dans le passé (par exemple passe à anguilles estimée par le BE Cariçaie à 300.000 euros pour moins d'un mètre de chute) et il convient de vérifier que le même procédé n'a pas été utilisé ici pour faire peur. Un consentement ne vaut que s'il découle d'une information complète et non biaisée ;

- le président du Syndicat de l'Armançon parle de "plusieurs angles de vue" et de "dialogue". Nous regrettons que ces échanges se tiennent au dernier moment de l'enquête publique, au cours de l'été, moins de deux mois avant le projet de destruction. Tout projet d'effacement a un comité de pilotage, dès la phase diagnostique. Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc. De la même manière, les réunions publiques doivent être organisée sur la base d'une communication directe et franche. Demander aux gens "voulez-vous faire disparaître le barrage et son plan d'eau" mobilisera davantage le "dialogue" et les "angles de vue" qu'un propos abstrait sur la "déconstruction" du site à fin "hydromorphologique" (chacun sait que jargonner est un moyen d'endormir l'esprit critique et de tuer le débat démocratique). Appelons la destruction par son nom au lieu de l'euphémiser : si les gains écologiques et paysagers sont si énormes, si évidents, les gens ne pourront qu'approuver. Il est assez extraordinaire que le Syndicat "découvre" au moment de l'enquête publique que les 2/3 des habitants du village sont hostiles à la disparition du site.

- pour mettre les choses en perspective, rappelons que plus de 300 ouvrages hydrauliques sont classés en rivières liste 2 (obligation de mise en conformité à la continuité écologique) dans l'Yonne, et sensiblement le même nombre dans la Côte d'Or, avec théoriquement une échéance d'aménagement d'ici la fin 2017.  Ce n'est donc pas une opération anodine et isolée, mais un programme systématique menant soit à la casse du patrimoine (choix majoritaire à ce jour dans les chantiers du Syndicat de l'Armançon) soit à l'obligation de mettre partout des passes à poissons (non ou très peu financées publiquement). Les citoyens considèrent-ils vraiment que ce programme est d'intérêt général? Leur a-t-on expliqué (et démontré) le bénéfice écologique concret (et pas théorique) associé à ces destructions et à la dépense d'argent public impliquée? Savent-ils que le plus grand barrage de l'Armançon (Pont-et-Massène, 20 m de hauteur), ayant lui des effets réels sur les poissons, les sédiments, le débit et la température, n'a aucune obligation ni projet de continuité écologique (alors que VNF a dépensé 15 millions d'euros pour moderniser son déversoir de crue)?

- Hydrauxois a écrit à la Ministre de l'Environnement pour faire respecter le moratoire sur les effacements problématiques d'ouvrages, le collectif de riverains de Perrigny-sur-Armançon a fait de même. Le cas est similaire à Tonnerre, avec trois associations refusant la casse du patrimoine de la ville et un collectif de 130 riverains s'apprêtant à saisir la Ministre. Nous avons par ailleurs commencé une campagne estivale d'information des parlementaires à ce sujet et alerté les services administratifs sur ce que nous estimons être des manquements réglementaires dans les dossiers déposés. La réforme de continuité écologique fonce dans le mur tant qu'elle se coupera des citoyens, qu'elle refusera la concertation systématique avec les représentants associatifs et les riverains, qu'elle bâclera l'analyse coût-avantage et l'estimation des bénéfices écologiques réels, qu'elle privilégiera des destructions irrémédiables du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique de nos rivières.

Illustration : le seuil (ou chaussée) de Perrigny-sur-Armançon, photographie Linet Andrea, tous droits réservés.

6 commentaires:

  1. Dans la campagne d'information aux parlementaires, il faudra rappeler que par le passé votre association comparait le fonctionnement d'un syndicat porteur de projet de restauration, à savoir le SICEC à DAESH, entreprise terroriste. Ces parlementaires doivent connaitre l'intégralité de vos point de vue.

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    1. Anonyme : vous n'avez décidément rien de rien à dire sur le fond pour défendre votre action. C'est pitoyable. Pouvez-vous indiquer le lien de ce site ou d'un document Hydrauxois faisant la comparaison que vous évoquez? Ah, non, vous ne pouvez pas. Pour la simple raison que cette évocation de Daesh a été faite par le président de l'Arpohc dans le cadre de vifs échanges oraux à une réunion syndicale du Sicec, le jour même où l'on détruisait le patrimoine de Palmyre en même temps que l'on parlait de la destruction en cours du patrimoine séquanien, et que l'auteur de cette métaphore (malheureuse) s'est excusé en fin de réunion si d'aucuns avaient mal interprété son propos. On retrouve dans certains de ces commentaires ici la philosophie de certaines des pratiques que l'on observe en rivières : fuite devant le débat, absence de réponse aux questions et objections, tromperie organisée des gens. Les désaccords de fond sur la rivière sont tout à fait légitimes au sens où chaque point de vue est défendable en démocratie. Si vous n'avez pas d'arguments pour défendre votre point de vue, eh bien changez de métier ou de fonction, les rivières méritent mieux que cela!

      Plus généralement : il y a 377 articles, souvent assez nourris, sur le site Hydrauxois. Les commentaires servent à discuter du contenu de chaque article. Si vous n'avez rien à en dire, retournez au café du commerce.

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  2. Ce commentaire simplement pour rappeler que pour le projet de Perrigny, comme toujours, il y a eu des COPIL et réunions publiques ouvertes à tous en amont. Le débat ne commence donc pas à la fin de l'enquête publique comme votre titre le suggère.

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    1. Déjà répondu dans l'article : "Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc."

      Etait-ce le cas? Hydrauxois n'a pas souvenir d'avoir été invité à débattre au Copil, par exemple, ni à donner son avis sur le diagnostic. L'ex Sirtava n'est pourtant pas sans ignorer notre existence, vu que nous sommes l'une des associations les plus actives sur la question des ouvrages en rivière, sur le bassin Armançon en particulier depuis 2012...

      Le fait est qu'à Tonnerre comme à Perrigny, des gens (et pas seulement Hydrauxois) sont insatisfaits de l'effacement des ouvrages et de la manière dont le choix de cet effacement a été motivé, puis décidé. A partir du moment où les syndicats savent très bien (et les agences, les DDT, l'Onema, etc.) que l'effacement d'ouvrages de moulin est devenu un problème tant local que national (on a quand même deux ministres qui s'en sont publiquement ému, ce n'est pas rien sur un "petit" sujet), il ne faut pas s'étonner que la persistance à vouloir effacer malgré tout rencontre une opposition résolue.

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  3. Pourriez vous nous faire entendre la voix du propriétaire et nous la transcrire dans un article comme vous savez si bien le faire. MERCI

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    1. N'est-ce pas le rôle du Syndicat de l'Armançon d'exposer au public les motivations des propriétaires justifiant une DIG? De manière générale, de communiquer davantage vers les citoyens? Les propriétaires des ouvrages concerné, dont Perrigny donc, seront informés de l'ensemble des points de droit (y compris ceux passés sous silence ou traité rapidement par les syndicats quand ils "vendent" l'effacement), nous vous dirons ce qu'il en est de leur réponse.

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