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02/01/2017

Les poissons et la bio-indication des rivières: problèmes liés à l'usage de la typologie de Verneaux

L'Onema – devenu Agence française pour la biodiversité en 2017 – et les fédérations de pêche sont notamment en charge d'établir des états des lieux qualitatifs des rivières, à travers l'examen de leurs populations de poissons. Or, ces acteurs utilisent fréquemment un modèle conçu dans les années 1970 (typologie de Verneaux) qui ne correspond pas aux méthodologies actuelles d'évaluation écologique des cours d'eau, mises au point par des chercheurs français dans les décennies 2000 et 2010. Nous montrons dans cet article l'existence de certains biais de construction dans cette typologie de Verneaux, faisant douter de sa valeur prédictive pour analyser un peuplement ichtyologique aujourd'hui et pour définir le type de pression existant sur la rivière. Dans la mesure où l'analyse écologique par bio-indication des cours d'eau forme la base du diagnostic et des orientations d'action, il convient désormais d'exiger sur chaque rivière l'utilisation prioritaire de l'indice poisson rivière révisé (IPR+) et l'analyse détaillée de ses résultats, au lieu d'approches discutables sur des peuplements "théoriques". Il est indispensable que les établissements publics ou à agrément public donnent une information fiable aux citoyens et aux décideurs.  

En réponse à des mesures réglementaires visant à améliorer la qualité des cours d'eau (Clean Water Act 1972 aux Etats-Unis, Directive cadre européenne sur l'eau 2000 en Europe), les chercheurs ont mis au point des outils d'évaluation de la qualité de la rivière. Ils sont connus sous le nom d'indice d'intégrité biologique (IBI Index of Biological Integrity, Karr 1981) dans le monde anglo-saxon.

La construction de ces indicateurs consiste à prendre des stations de référence représentatives des rivières peu impactées par l'homme, cela dans chaque hydro-éco-région, à évaluer leurs peuplements biologiques (principalement poissons et invertébrés), à construire un modèle pour mesurer à partir de cette référence l'écart au peuplement attendu dans d'autres rivières. En France, le bio-indicateur ichtyologique normalisé pour la DCE 2000 se nomme Indice Poisson Rivière ou IPR (Oberdorff et al 2002), qui a fait l'objet d'un travail d'optimisation récent pour devenir l'IPR+ (sur sa construction et le traitement des incertitudes, voir Marzin et al 2014). Cet indicateur est construit par les chercheurs français en conformité avec les travaux de leurs collègues européens impliqués dans la bio-indication en hydro-écologique (projet FAME et EFI+ par exemple, voir Noble et al 2007 et Pont et al 2007)

La constat : usage préférentiel de la typologie de Verneaux par l'Onema et des fédérations de pêche
On observe que certaines fédérations de pêche et l'Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques, devenu Agence française pour la biodiversité au 1er janvier 2017) continuent souvent d'utiliser aujourd'hui un autre outil – les biocénotypes et la typologie théorique de Verneaux – comme premier instrument d'analyse de qualité des cours d'eau, en particulier dans le domaine ichtyologique.



Deux exemples sont donnés ci-dessus : l'analyse du ruisseau d'Ocques par la fédération de pêche de l'Yonne en 2016 (source) ; l'analyse de la rivière Coquille par la fédération de pêche de la Côte d'Or en 2012 (voir cet article sur la source, rapport non mis en ligne). Ce type d'analyse met en opposition les abondances d'espèces d'un peuplement "théorique" (barres rouges en arrière-plan) avec celles observées dans les relevés (au premier plan).

Nous considérons le non-usage des bio-indicateurs contemporains et scientifiquement validés au profit de la méthode inspirée de Verneaux comme une anomalie dommageable : la mission première de ces établissements publics (ou à agrément public) est de produire une information à l'administration, aux gestionnaires et aux citoyens fondée sur les outils actuels de la recherche appliquée et pertinents pour nos obligations réglementaires de qualité des cours d'eau. Or, si la typologie théorique de Verneaux représente un travail intéressant dans l'histoire de l'hydrobiologie française (et une référence utile pour les données anciennes des rivières comtoises), elle souffre de plusieurs biais de construction amenant à douter de son caractère exploitable aujourd'hui.

La définition d'une biotypologie (et ses limites)
Jean Verneaux est un hydrobiologiste français, qui a fait sa thèse à la fin des années 1960 sur les rivières de Franche-Comté et le réseau hydrographique du Doubs (Verneaux 1973). Sur cette base, il a produit ensuite dans les années 1970 ce que l'on nomme une "zonation" ou (selon ses termes) une "biotypologie" élargie des rivières françaises, c'est-à-dire un séquençage longitudinal de ces rivières selon leur peuplement biologique (poissons, invertébrés) en fonction notamment de conditions physiques et chimiques (Verneaux 1976-1977). Dans la même série d'articles, Jean Verneaux a proposé un modèle prédictif sur le peuplement attendu des rivières en fonction de certaines conditions de milieu. Le chercheur a par ailleurs travaillé dès cette époque jusque dans les années 2000 sur la bio-indication par invertébrés et faune macrobenthique, points qui ne sont pas abordés dans cet article.

La biotypologie de Verneaux décrit 10 guildes d'espèces (ou "biocénotypes") qui se succèdent de l'amont vers l'aval. Elle a été obtenue par une analyse factorielle des correspondances (forme d'analyse en composantes principales sur des classes plutôt que des données continues) sur un échantillon de 240 rivières et 300 espèces. Chaque espèce a un "preferendum typologique" (la biocénose où sa présence est la plus probable) et une "amplitude typologique" (une présence sur plusieurs niveaux de biocénose). Cliquer ci-dessous pour agrandir.


Ce schéma montre le résultat de l'analyse factorielle sur les 2 premiers plans de variance in Verneaux 1976a. La courbe organise les données selon leur moindre écart à son tracé, avec exclusion de certaines espèces non représentatives. La courbe est segmentée en dix biocénotypes notés B0 à B9, qui correspondent à l'évolution du peuplement de la rivière de l'amont vers l'aval. On note au passage  que les invertébrés (en particulier plécoptères, cercles noirs) répondent mieux que les poissons (cercles blancs larges, sur-représentés dans les biocénoses aval et plus éloignés de la courbe).

Quelques remarques sur la biotypologie :
  • La biotypologie à 10 niveaux reflète au plan temporel une certaine classification décrivant la période des mesures (1967-75), une photographie dont on ne sait pas si elle indique un état déjà anthropisée ou non (dès sa thèse, Verneaux signale déjà que de nombreuses rivières comtoises sont déjà polluées). Il n'y a aucune raison a priori de penser que des peuplements sont stables sur des périodes pluridécennales à pluriséculaires. 
  • Dans le travail de 1976-77, il n'y a pas d'indication claire sur les critères d'anthropisation (impact) des stations retenues. Les stations "polluées" sont exclues (sans précision) et l'analyse n'intègre pas d'autres facteurs d'évolution des peuplements comme la morphologie, l'usage des sols et la couverture forestière du bassin, etc. A titre de comparaison l'IPR+ comporte des descripteurs détaillé des bassins versants et des classes d'intensité pour les pressions.
  • La répartition des rivières est déséquilibrée : 140 stations concernent la Franche-Comté (où Verneaux a réalisé sa thèse et construit de premières analyses factorielles), alors que 100 autres seulement couvrent le reste du territoire. Depuis Verneaux, un travail a été fait par l'Irstea sur la détermination des hydro-éco-régions, soit un filtre régionalisé plus précis. A titre de comparaison, l'IPR a été construit et validé sur un ensemble de près de 2000 stations.
  • La biocénotypologie à 10 composantes est construite sur le premier plan de variance (différenciation) des données, soit 63% de l'inertie. Cela veut dire que les deux dimensions retenues expriment un peu moins des deux tiers des variations réellement observées de peuplement des rivières, excluant donc une partie des données empiriques. La courbe de meilleure approche des données exclut à son tour certaines espèces (qualifiée de "centrales" donc négligées car euryèces et non discriminantes). 
  • Le travail ne donne pas le détail des résultats de l'analyse factorielle des correspondances (khi 2, cos 2, eigenvalues, etc.). L'AFC est une méthode conçue pour approcher au mieux des données multidimensionnelles en les réduisant à un espace à faible dimension (généralement 2). C'est davantage une méthode exploratoire, aussi paraît-il fragile d'en déduire un séquençage précis en 10 biocénotypes. Au regard de la méthode statistique choisie, il est déconseillé de faire par la suite de ces biocénotypes une grille trop rigide d'interprétation d'une station : la meilleure description approchée du premier plan de variance d'un jeu de données historiquement situé n'a pas de raison d'être un modèle intangible applicable à chaque rivière. 
La recherche d'un type théorique probable (et ses limites)
Après avoir défini une biotypologie, Verneaux cherche à produire un "type théorique probable", soit une formule qui permettrait de prédire les biocénotypes attendus selon des facteurs mésologiques (c'est-à-dire des données abiotiques, relatives au milieu de vie des espèces).

Certains facteurs de milieux sont éliminés sans description détaillée des motifs (autocorrélation, redondance) et des calculs. Sont finalement retenus 3 facteurs (une régression linéaire + deux exponentielles) qui représentent "50% de la contribution totale à l'explication des axes". Ces facteurs étant la T max moyenne du mois le plus chaud (linéaire), la distance à la source par la dureté, les dimensions hydrauliques pente-section. L'image ci-dessous donne les formules des 3 facteurs (thermique, trophique, morphologique) et leur régression sur les 10 niveaux de la biotypologie précédemment définies (extrait de Verneaux 1977a).


On observe que la formule est nettement dominée par la température sur les zones B0-B6. Ce qui n'est pas sans poser problème à l'usage : il est rare de disposer des T maximales moyennes sur plusieurs années des rivières échantillonnées (on se contente en général des données atmosphériques, ce qui ajoute du bruit) ;  la température est souvent un facteur ayant connu une nette évolution depuis 50 ans (période des mesures initiales de Verneaux) pour diverses raisons (prélèvement quantitatif, réchauffement climatique, changement des berges).

Quelques remarques sur cette formule :
  • Le principal problème est que la formule prédictive de Verneaux ne couvre que 50% de niveaux typologiques qui eux-mêmes ne représentent que 63% de la diversité des mesures, donc on a en réalité les 2/3 de la variation réelle (empirique) des peuplements qui échappent à cette méthode.
  • L'auteur ne choisit pas de diviser son échantillon en un groupe témoin et un groupe test (pour construire le modèle et pour mesurer la capacité du modèle à prédire correctement), ni de procéder à des tests de puissance ou significativité. On n'a donc aucune idée de la fiabilité prédictive de la formule choisie. 
  • La formule est conçue pour décrire au mieux l'ensemble des données (poissons et invertébrés) de la biotypologie, et non pas les seuls poissons. Il aurait été plus logique de produire une AFC limitée aux poissons et de chercher les facteurs mésologiques la décrivant le mieux.
Verneaux conclut sa série d'articles de 1976-1977 en soulignant que sa typologie forme "une base utile à la pratique d'une économie rationnelle des ressources aquatiques, en particulier à la définition d'objectifs et de critères de qualité des eaux courantes". C'est l'objectif partagé par l'IPR et l'IPR+, sauf que ces indices ont été construits sur des bases plus représentatives des rivières actuelles, avec des données d'entrée plus importantes et des méthodes  statistiques plus fiables. De surcroît, ces indicateurs correspondent aux classes de qualité étalonnées pour répondre aux exigences de la directive cadre européenne sur l'eau : ils offrent donc l'information dont les gestionnaires ont prioritairement besoin aujourd'hui.

La typologie : une approche dépassée?
La typologie de Verneaux n'est pas un exercice isolé : on connaît celles de Léger 1909, de Ricker 1934, de Huet 1949, d'Illies et Botosaneanu 1963, de Statzner et Higler 1986. Elle est aujourd'hui citée dans la littérature scientifique spécialisée en hydrobiologie française et européenne, mais peu au-delà de ces frontières. Elle y est surtout citée comme une étape dans l'histoire des approches classificatoires en hydrobiologie, pas réellement comme un travail d'actualité (voir Wasson 1989 sur une présentation des typologies dont celle de Verneaux).

L'idée d'une biotypologie avec ces successions assez rigides et ses classes d'abondance escomptée est plus ou moins abandonnée en hydro-écologie après Verneaux, comme le sont aussi les typologies précédentes. La zonation de Huet reste la plus souvent citée, en général pour situer approximativement la zone dont on parle.

L'approche statistique de Verneaux est intéressante pour l'époque, de même que son angle plus écologique que halieutique, et cela préfigure ce que l'on va faire plus tard. On peut donc dire que son travail a été pionnier en France. Mais les modèles multiparamétriques développés à partir des années 1980 seront de plus en plus précis dans leur construction, notamment pour essayer de prédire la réponse d'assemblages à différents facteurs d'impacts (morphologiques, chimiques) et aussi pour discriminer des traits fonctionnels (rhéophilie, lithophilie, voltinisme, etc.) plutôt que seulement taxonomiques. Au passage, rappelons que l'idée de base de la continuité (le river continuum concept de Vannotte et al 1980) suggère qu'il y a un changement continu et graduel des conditions physico-chimiques donc des populations adaptées – in fine que des types trop rigides n'ont pas forcément d'intérêt analytique.

Ces réflexions témoignent d'un enjeu plus général sur la manière dont on se représente la rivière. Le vivant forme un système se modifiant à toutes les échelles de temps et d'espace, en lien avec des paramètres internes (biotiques) et externes (abiotiques). Ce système est au minimum complexe, probablement chaotique. Les rivières sont ainsi en modification permanente sous l'influence des changements géologiques et climatiques naturels, mais aussi depuis plusieurs millénaires sous l'influence des actions de l'homme, avec toutes sortes d'accidents historiques modifiant l'histoire de vie des populations locales (dont les discontinuités longitudinales). La reconnaissance récente de l'Anthopocène comme nouvelle ère géologique consacre le fait que cette action humaine est l'un des premiers facteurs de transformation de la nature, de manière durable.

Le principe même de la "typologie" est donc problématique : il suppose une certaine constance de peuplement a priori inexistante à l'échelle de l'évolution comme à celle de l'histoire. Quand, de surcroît, cette typologie est essentialisée pour définir un "peuplement théorique attendu" et juger la valeur supposée d'un écart actuel à ce peuplement, on entre dans une approche très fixiste et déterministe de la rivière, qui ne correspond guère au progrès de nos connaissances depuis un demi-siècle. Les conclusions d'une telle approche seront (invariablement) que le peuplement réel de la rivière ne correspond pas à son peuplement théorique : mais si ce peuplement théorique est un artefact statistique, ce n'est pas étonnant, ni instructif. L'usage de la typologie de Verneaux par l'Onema et les fédérations de pêche pose donc un problème de méthode, exposé ci-dessus, mais aussi de représentation sous-jacente à ces méthodes.

Enfin, il est tout à fait justifié en écologie d'individualiser au maximum les diagnostics et les interventions. Le premier enjeu n'est pas le choix de tel ou tel modèle statistique ou probabiliste – la démocratisation des outils d'analyse de données par l'informatique fait que l'on peut aujourd'hui utiliser des approches multimodèles assez élaborées, et prudentes sur la significativité des résultats –, mais d'abord les données sources sur lesquelles on va travailler. L'une des dimensions intéressantes du travail de Verneaux a été la mise à disposition sur les rivières comtoises de données quantifiées assez précises d'abondance, à partir des années 1960 (au début donc des lourds impacts sur les rivières par la pollution et les recalibrages). C'est d'abord ce travail d'archives (historiques, génétiques) sur l'estimation des peuplements et des abondances passés qui fait défaut sur presque tous les cours d'eau aujourd'hui.

Références citées de J. Verneaux
Verneaux J (1973), Cours d'eau de France-Comté (massif du jura). Recherches écologiques sur le réseau hydrographique du Doubs, Ann sci Univ Besançon, 3e série, zoologie, physiologie et biologie animale,  fascicule 9, 260 p.
Verneaux J (1976a), Biotypologie de l'écosystème "eaux courantes". La structure biotypologie, CR Acad Sci Paris, 283, série D, 1663-66.
Verneaux J (1976b), Biotypologie de l'écosystème "eaux courantes". Les groupements socio-écologiques, CR Acad Sci Paris, 283, série D, 1791-93
Verneaux J (1977a), Biotypologie de l'écosystème "eaux courantes". Déterminisme approché de la structure biotypologique, CR Acad Sci Paris, 284, série D, 77-79
Verneaux J (1977b), Biotypologie de l'écosystème "eaux courantes". Déterminisme approchée de l'appartenance typologique d'un peuplement ichtyologique, CR Acad Sci Paris, 284, série D, 675-78.

18/12/2016

Touques: comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique

Sur la rivière Touques, cela fait plus de 30 ans que l'on restaure la continuité écologique et ce petit côtier normand est fréquemment cité comme "modèle". Plus de 70 ouvrages y ont été détruits ou aménagés, les berges et le lit ont fait l'objet de restauration. La truite de mer est revenue en plus grand nombre sur la rivière, et même quelques saumons. Mais en dehors de ces salmonidés ayant bénéficié des mesures, quels sont les autres enseignements? Cette politique coûte très cher (près de 4 M€ rien que pour la continuité, sans compter les autres postes de restauration physique); les espèces de poissons non migratrices ne montrent pas d'amélioration claire; la promesse d'un fort revenu lié au tourisme pêche n'a jamais été tenue et l'association portant le projet a été mise en liquidation; certains aménagements berges et lits se dégradent car ils ne sont pas gérables dans la durée; les riverains et pêcheurs locaux ont été mécontents de ne pas être entendus pour leurs attentes; la rivière n'est toujours pas conforme au bon état écologique et chimique exigé par la directive cadre européenne sur l'eau. Le vrai bilan de la Touques est donc clair: il faut se garder de généraliser de telles mesures systématiques de continuité longitudinale à un grand nombre de rivières, car leurs bénéfices très ciblés ne sont ni le reflet de l'intérêt général, ni la garantie d'un bon état écologique. 

La Touques, fleuve côtier de 109 km  situé surtout dans le Calvados (pays d'Auge), est considérée comme la première rivière à truite de mer de France.

Les premières actions sur ce cours d'eau ont été lancées dans les années 80 par les pouvoirs publics (Plan grands migrateurs, premières passes à poissons), à partir d'obligations réglementaires déjà existantes (arrêté du 6 janvier 1986, décret et arrêté du 15 décembre 1999 et art. L 432.6 Code de l’environnement).

Au début des années 1990, une action plus engagée sur le volet de restauration de continuité écologique a été portée. En 1994, l’État et les collectivités locales financent la création de l’association PARAGES regroupant des représentants des collectivités territoriales et des pêcheurs du bassin versant.

Le motif en était au premier chef (dans les statuts) de "réhabiliter, entretenir et valoriser les cours d’eau et développer le tourisme pêche grâce à une politique de maîtrise du droit de pêche". Le tourisme halieutique, en particulier le public très mobile des pêcheurs à la mouche (une technique particulière de pêche), fut donc le premier argument d'action avec la promesse de valoriser le pays d'Auge par des ressources touristiques liées à la pêche de la truite de mer. A condition que ses populations se reconstituent. Par la suite, il a été avancé que le bassin versant ayant assez peu de pressions anthropiques d'usages des sols, la restauration morphologique de la rivière serait également le meilleur moyen de garantir son bon état écologique général.

L'ensemble de ces promesses a-t-il été tenu ? Une expérience grandeur nature sur un bassin entier permet de vérifier les réalités.

73 ouvrages détruits ou aménagés, près de 4 M€ de dépense pour la seule continuité
Dans un premier point publié en 2007 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie (Site 4.3bis, Le bassin versant de la Touques, Bocages normands), il est fait état sur la période 1991-2006 de 4,5 millions d'euros de dépense (financement public à 40%), avec pour premier poste à 1,7 millions € les travaux sur ouvrages hydrauliques : 19 effacements et 33 passes à poissons. Les autres postes concernent notamment des travaux de restauration physique et d'entretien (1,7 M€ également en cumulé).

Dans un second point publié par le syndicat du bassin versant de la Touques en 2011 (source), il est fait état de 33 ouvrages supprimés ou abaissés (1,2 million €) et de 38 ouvrages de franchissement (2,5 millions €). Nous n'avons pas trouvé de document plus récent, le site de suivi des migrateurs faisant état d'un total de 73 ouvrages traités.


Le schéma ci-dessus montre les aménagements de la période 1980-2009. On observe au passage qu'un seul aménagement (passe de Breuil-en-Auge) a engagé presque 30% du gain de linéaire pour la truite.

Un succès pour la remontée de truites de mer…
L'évolution des remontées de truites de mer à la station vidéo de la passe à poissons de Breuil-en-Auge montre que le nombre de poissons y a été multiplié par quatre à cinq entre 2001 et 2014 (effectif des dernières années entre 5000 et 7000), celui des saumons ayant connu une évolution similaire, mais sur une population beaucoup plus faible (entre 30 et 70 relevages ces dernières années).


Historique des comptages, source

Il y a donc un résultat incontestable, et au demeurant prévisible : quand on détruit les ouvrages ou quand on les dote de dispositifs de franchissement, cela favorise le passage des poissons migrateurs remontant vers l'amont. On notera que la multiplication des passes à poissons n'empêche pas d'obtenir des résultats dans le cas des espèces ici concernées, essentiellement la truite de mer (voir cette idée reçue sur le refus des passes à poissons).

Pour les dépenses engagées et le patrimoine détruit, on a donc gagné en 30 ans quelques milliers de poissons de deux espèces migratrices.

…mais sans avancée sur d'autres poissons...
Qu'en est-il des autres poissons de la Touques? Ont-ils bénéficié de manière notable de l'ouverture de plus de 70 obstacles? Nous n'avons trouvé aucune étude piscicole globale sur l'ensemble du bassin, a fortiori aucune étude de biodiversité au-delà de la question des poissons. Problème habituel de la réforme actuelle de continuité, centrée sur des gains très spécialisés et ne donnant pas une vision écologique globale des effets observés.

Nous avons téléchargé sur la base Image les données de pêche électrique sur la Touques. Deux stations de mesure donnent des résultats entre les années 1980 (ou début 1990) et les années 2010 : Moutiers-Hubert et St-Martin-de-la-Lieue (cliquer pour agrandir).



Outre une forte variabilité interannuelle, on observe qu'il n'y a pas d'évolution sensible dans le temps vers l'amélioration des espèces autres que la truite de mer. Sur la station ayant le plus de mesures, les meilleurs scores de densité se retrouvent au début de la période plutôt qu'à la fin (anguille, chabot, vairon), signalant que les capacités d'accueil du milieu se sont éventuellement dégradées pour les espèces à moindre densité. On note aussi au passage la présence de quelques truites arc-en-ciel et ombres, espèces non natives du bassin de Normandie. Cela rappelle le double discours de la pêche, qui vante parfois "l'intégrité biotique" des milieux, mais qui n'hésite pas à perturber cette intégrité par des empoissonnements d'espèces étrangères aux bassins.

... avec un état chimique et écologique toujours dégradé
La Touques visait le bon état, voire le très bon état écologique dès 2015 pour ses masses d'eau. Et un certain discours prétend que la restauration morphologique (continuité, habitat, berge, soit justement les dépenses réalisées sur la Touques) serait pour certaines rivières le moyen le plus sûr de parvenir à ce bon état écologique.

En cherchant sur les données AESN du dernier bilan de l'état écologique des eaux (2013), on voit que ce programme n'est pas atteint. En fait, une seule station de la Touques atteint le bon état écologique, les autres sont toujours en état moyen (ci-dessous, cliquer pour agrandir).


Les données chimiques ne respectent pas davantage nos obligations  (ci-dessous, cliquer pour agrandir). Tous les cours d'eau du bassin sont en mauvais état chimique, dégradés par les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). Il est à noter que pour la Touques elle-même, l'Agence de l'eau reconnaît un indice de confiance faible dans l'appréciation, ce qui signifie un risque élevé de manquer la présence de polluants circulant dans les eaux. Nous ne sommes pas parvenus à trouver en ligne les données sources des relevés chimiques ni leurs méthodologies.



Les lourds investissement consentis sur un compartiment particulier (morphologie et continuité) n'ont donc pas entraîné un respect de nos obligations de qualité de l'eau et des milieux sur tout le linéaire.

Une catastrophe de gestion: revenus dix fois moindres qu'escomptés, association en liquidation, riverains insatisfaits
Marie-Anne Germaine (Laboratoire GECKO (EA 375), UFR SSA, Université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense) a étudié le territoire de la Touques. En 2011, elle a publié un bilan peu flatteur des 20 années de gestion (Germaine 2011  voir aussi l'article récent de Lespez et al 2016).

Que nous disent les travaux de cette universitaire?

Tout pour les pêcheurs à la mouche, pas grand chose pour les riverains - "Ce changement paysager a par ailleurs suscité de nouvelles attentes chez les habitants de la vallée. Celles-ci s’expriment principalement par une demande d’accessibilité au cours d’eau. Or, PARAGES n’ayant pas prévu une valorisation autre que la pêche, les habitants et touristes se trouvent exclus et privés d’accès aux berges : en dehors de la traversée urbaine de Lisieux qui a profité d’un aménagement des bords de la Touques en 2005 (chemins piétonniers, aires de repos…), seule une courte section (propriété d’une ferme musée) propose un cheminement au bord de la Touques. Interrogés sur l’opportunité de profiter de la valorisation de la rivière pour aménager un parcours piétonnier, les gestionnaires répondent que le projet est impossible du fait de son incompatibilité avec la pêche."

Des aménagements non viables dans la durée - "Comme les pêcheurs s’en félicitaient, 'chaque parcours loué à PARAGES reçoit en contrepartie une renaturation par génie végétal ainsi qu’un entretien régulier sans frais à la charge du propriétaire'. Ce système pesait en réalité sur les éleveurs qui exploitent des herbages de fond de vallée. Si PARAGES a financé l’installation d’abreuvoirs et de clôtures le long des berges, elle a ensuite confié leur entretien aux agriculteurs. Or, ces derniers sont peu enclins à modifier leurs pratiques pour entretenir des équipements non choisis et dont ils estiment qu’ils ne représentent pas d’avantages productifs. Par ailleurs, une marge piétonnière de 1,50 à 2m entre la berge et la clôture a été négociée. Elle constitue un manque à gagner pour l’exploitant mais son entretien est assuré par l’association tous les ans. Aujourd’hui, ces bandes sont mal entretenues et certains éleveurs préfèrent conserver les ronciers qui s’y sont développés comme clôtures naturelles pour que les bêtes ne traversent pas la rivière. Accumulées, ces contraintes favorisent un abandon des fonds de vallées"

Des pêcheurs locaux exclus par une "aristocratie" de la pêche - "La création des parcours spécifiques exclut les pêcheurs locaux qui pratiquent peu la pêche sportive. Ces derniers se sont vus privés de l’accès à un certain nombre de berges (parcours spécifiques, pépinières) pourtant fortement appréciées et fréquentées jusque-là. Ils se sont sentis d’autant plus dépossédés de leur rivière que la pêche à la mouche, requérant beaucoup de temps de loisir, de technicité et un équipement coûteux, est considérée comme un 'loisir haut de gamme […] assurant une différenciation sociale marquée' (Bonnieux, 1993). Ils ont alors protesté en organisant des manifestations contre une pêche réservée aux riches « horsains » et dénoncé une privatisation de la Touques. Ces réactions témoignent du manque de concertation qui a présidé à la gestion de la rivière."

Des kayakistes et autres usagers pas toujours contents - "la Touques est pratiquée par des kayakistes : un club fonctionne à l’année à Lisieux et deux établissements louent des canoës-kayaks pour descendre la rivière depuis Pont-l’Evêque. Ces derniers sont partagés : ils profitent de l’ouverture de certains barrages qui rend le parcours de la Touques plus agréable puisqu’il n’est plus nécessaire de sortir l’embarcation de l’eau pour les franchir, de la création d’un parcours d’eaux vives à Lisieux qui remplace depuis 2008 un barrage-clapet d’une hauteur de 1,90 m mais ils doivent aussi composer avec la diminution des hauteurs d’eau. L’aménagement du barrage-clapet a par exemple supprimé le plan d’eau en amont utilisé comme terrain d’entrainement au kayak polo. Finalement, la politique menée par l’association s’est opérée sans concertation avec les autres usagers et sans réflexion sur les aménités associées à la rivière ou toute autre forme de valorisation que le tourisme halieutique."

Des bénéfices économiques surévalués d'un facteur 10 - "Le surplus journalier généré par la pratique de la pêche à la truite de mer sur la Touques a néanmoins fait l’objet d’analyses économiques (Bonnieux et Vermersch, 1993 ; Bonnieux, 2000). Celles-ci s’appuient sur l’évaluation du coût d’une saison de pêche décomposée d’une part en droits de pêche et frais de séjour, qui profitent directement à l’économie locale, et d’autre part en équipement et transport, dont les bénéfices locaux directs paraissent moins évidents. Ces travaux estiment à 762 245 € (Bonnieux et Vermersch, 1993) puis 1 562 775 € (Bonnieux, 2000) l’impact de la pêche sur l’économie locale sans que les facteurs de cette réévaluation soient clairement explicités. Il est certain que la pêche a profité aux gîtes de pêche labellisés ainsi qu’à quelques autres structures d’hébergement et de restauration. Leurs gains sont toutefois limités par une durée de séjour relativement courte : le nombre de nuitées par jour de pêche était estimé à 0,7 en moyenne pour la période 1998-2002 par PARAGES. La variabilité des chiffres annoncés montre en outre qu’il reste difficile de mesurer précisément cette valeur : 3 000 nuitées dans les gîtes et hôtels de la vallée et 3 500 repas suscités par l’activité halieutique pour l’AESN (2007) contre 6 000 nuitées/an liées à la pêche selon le diagnostic du futur Agenda 21 du Pays d’Auge (Pays d’Auge Expansion, 2009). En revanche, l’activité permet clairement de doper la fréquentation touristique de la vallée en saison creuse (mai/juin puis septembre/octobre) puisque 80 % des journées sont vendues hors pleine période touristique (AESN, 2007). Au final, les hypothèses de retour sur investissement semblent s’être révélées exagérément optimistes puisque celles-ci sont en définitive évaluées à 110 000 € en 2003 (hébergement, restauration, droits de pêche) par PARAGES."

Au final, liquidation de la structure porteuse- "Mise en liquidation judiciaire suite à un déficit chronique et des difficultés de gouvernance, l’association a négocié une année blanche en 2008 auprès des propriétaires qu’elle n’était pas en capacité de payer. À la fin de cette période, l’association a finalement été dissoute."

Ce qu'il faut retenir de ces premières expériences à grande échelle de continuité écologique
Avant de devenir une politique nationale, la continuité écologique a fait l'objet d'engagements locaux. Ceux-ci furent loin d'être tous des succès. Nous avions par exemple évoqué la politique de restauration du saumon sur l'axe Loire-Allier qui, malgré quarante ans de programmation et un soutien constant du financeur public, ne parvient pas aujourd'hui à retrouver de meilleurs chiffres que dans les années 1970 et produit pour l'essentiel du saumon élevé en captivité. La Touques offre un autre exemple où, à côté du succès incontestable sur l'objectif centré sur une seule espèce de poisson (truite de mer), il n'apparaît pas que l'état de la rivière et les intérêts de riverains aient fait l'objet de toute l'attention nécessaire.

Que peut-on retenir de l'exemple de la Touques?
  • La restauration de continuité prend du temps, plus de 30 ans depuis les premières passes de la Touques, ce qui rend irresponsable le choix actuel d'un délai de 5 ans (ou même 10 ans) pour la mettre en oeuvre sur des rivières entières présentant des dizaines d'obstacles,
  • cette restauration coûte cher (ici de l'ordre de 4 millions € pour la continuité elle-même, sans compter les autres aménagements de berge et lit) et la dépense d'argent public doit faire l'objet d'un débat démocratique sur chaque cours d'eau,
  • le bénéfice obtenu sur des catégories particulières de poissons migrateurs est réel, mais il ne préjuge pas du reste de la biodiversité aquatique ni des obligations de bon état chimique et écologique des eaux,
  • le lobby de la pêche joue un rôle anormalement important dans la genèse et la mise en oeuvre de la continuité écologique, alors que les intérêts particuliers de ce loisir ne coïncident pas spécialement avec ceux des autres usagers ou des riverains. Par ailleurs, de nombreux pêcheurs ne se retrouvent pas dans le discours de la défragmentation, ils préfèrent localement les profils d'écoulement proposés par les rivières aménagées,
  • les faibles services rendus par les écosystèmes restaurés n'incitent pas à aménager d'autres vallées lorsque les coûts sont importants, par exemple celle la Sélune où le lobby de la pêche a là aussi prétendu sans preuve convaincante qu'il y aurait des revenus conséquents en tourisme halieutique, alors que les ouvrages et leurs lacs rendent déjà des services bien réels à la population locale (voir nos articles sur le dossier de la Sélune),
  • quand l'administration se décidera à tirer un premier bilan de la continuité, l'exemple de la Touques montre que cet exercice ne saurait se limiter à compter des migrateurs, il faudra détailler l'ensemble des coûts, les effets sur le reste de la faune piscicole (a minima) et la contribution de la restauration de continuité aux autres paramètres biologiques / chimiques des masses d'eau concernées.
Alors que le budget de l'eau est contraint et que la France doit en priorité agir en vue de respecter les objectifs des directives européennes (pollutions chimiques au premier chef), la diversion de moyens humains et financiers importants sur le seul volet de la continuité longitudinale doit décidément faire l'objet d'un débat national.

09/11/2016

Les pêcheurs des Pyrénées-Atlantiques traquent les moulins... et les seuils naturels

Le lobby de la pêche est le principal initiateur de la réforme de continuité écologique en France, et le chantre de la casse des ouvrages hydrauliques. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la fédération de pêche s'est mise en quête d'ouvrages à détruire. Un cap est franchi avec l'objectif d'effacer aussi un seuil naturel en rivière, sur financement public de l'Agence de l'eau Adour-Garonne. Les nombreux pêcheurs de terrain qui apprécient souvent les ouvrages et aspirent à des rapports paisibles avec les autres usagers vont-ils tolérer longtemps la dégradation de leur image par ce genre de postures intégristes?

Un lecteur nous a fait parvenir le compte-rendu du dernier conseil d'administration (septembre 2016) de la Fédération de pêche 64 (accessible à ce lien). On peut y lire l'extrait suivant :



Quand l'Agence de l'eau Adour-Garonne propose de dilapider l'argent public en finançant à 100% la destruction du patrimoine hydraulique de son bassin (voir l'article sur cette scandaleuse prime à la casse), les officiels de la pêche sont bien évidemment les premiers à répondre à l'appel puisque leur lobby est le principal instigateur et le principal bénéficiaire de la réforme française de continuité écologique.

Neuf seuils, pour l'essentiel des moulins, vont donc être la cible des velléités de destruction des pêcheurs pyrénéens. Coût estimé : 135.000 euros d'études, 470.000 euros de travaux et une embauche (à financement Agence) pour suivre ces destructions. Rappelons que de nombreux gaves de la région ont été équipés au XXe siècle d'usines hydro-électriques ayant modifié substantiellement la morphologie et l'hydrologie, de sorte que l'intérêt écologique de cette traque aux moulins anciens sur des affluents modestes laisse sceptique sur le gain réel.

Il serait intéressant de connaître la manière dont "l'accord des propriétaires" est obtenu par la Fédération de pêche, vu les procédés douteux si souvent employés (défaut d'information sur le droit d'eau et sa valeur foncière, chantage sur des risques de travaux lourds non subventionnés ou d'amende, etc.). On observe qu'il a fallu des "brigades vertes", un stagiaire et 5 mois de travail pour aller traquer quelques moulins à détruire, les volontaires ne se bousculant manifestement pas au portillon de l'appel d'offres de l'Agence de l'eau.

Le point le plus notable de ce document est certainement l'objectif avancé et assumé de détruire un seuil naturel en rivière, présenté comme un "verrou". Le lobby s'en félicite: "Il s'agirait d'une première en France". Espoir de faire des émules? Quand la nature fait mal les choses, c'est elle que l'on est prêt à corriger. Il est vrai que d'autres défendent de prétendues "rivières sauvages" en dynamitant leurs ouvrages ; un petit milieu, ivre du pouvoir que lui ont donné les dérives administratives de la continuité écologique, a perdu le sens des limites.

Sous le vernis écologique...
Le lobby de la pêche prospère sur la reconnaissance d'utilité publique au service de ses intérêts et de sa vision singulière de la "protection des milieux aquatiques". Car sous le vernis "écologique" qu'il affiche si ostensiblement, tout n'est pas vert dans le loisir pêche :
  • encouragement à une activité consistant à stresser, blesser ou tuer des poissons pour le plaisir et non pour la subsistance, ce qui est à la base une manière pour le moins curieuse d'exprimer sa sensibilité à l'écologie et à la préservation des espèces; 
  • déversements massifs de poissons d'élevage, y compris non natifs du bassin (1); 
  • pollutions génétiques de souches sauvages (cet exemple sur les saumons de la Sélune où les pêcheurs ont justement posé en vertueux défenseurs de l'intégrité biotique); 
  • introductions de pathogènes par les empoissonnements, mais aussi par les bottes et les équipements (notamment les mordus de pêche à la mouche connus pour leur forte mobilité d'un bassin l'autre, par exemple suspicion sur les rivières franco-suisses); 
  • tir de cormorans au prétexte qu'ils sont meilleurs pêcheurs (et donc concurrents directs); 
  • destruction d'espèces jugées nuisibles en première catégorie mais qui se sont révélées des espèces menacées (l'anguille jusqu'en 1984, le brochet jusqu'en 2016); 
  • indifférence à la plupart des espèces non pisciaires (par exemple destruction d'étangs et plans d'eau sans inventaire complet de leur biodiversité);
  • sur des bassins à saumons, aloses, truites de mer et autres amphihalins, mise en avant de l'intérêt "sportif" de la pêche aux migrateurs que l'on dit par ailleurs fragiles ou menacés, et incitation au tourisme halieutique pour venir de loin les traquer en masse, etc. 
La pêche se prétend d'autant plus facilement "écologique" qu'elle jouit en fait du laxisme de l'Etat, qui lui a délégué l'essentiel de ses missions de contrôle (un coup de tampon sur les plans de gestion, quand ils existent seulement), et de l'absence d'étude scientifique sérieuse de son impact cumulé dans le temps (le Conseil supérieur de la pêche a été rebaptisé Onema en 2006, c'est pratique d'être juge et partie dans l'évaluation des usages de la rivière).

Entendons-nous bien : la pêche est une activité sociale et économique légitime, elle a un rôle louable d'animation auprès des jeunes, ses altérations des milieux restent a priori mineures par rapport à d'autres impacts. Et nous ne versons pas pour notre part dans l'intégrisme de la nature-musée intouchable que certains chevaliers blancs portent en étendard. Une gestion intelligente de la rivière doit être capable de tolérer ses différents usages en cherchant à limiter raisonnablement leurs dommages. Mais quand ses représentants officiels viennent donner des leçons de morale écologique en cassant des chaussées de moulin et maintenant en projetant de détruire des seuils naturels, la pêche devient simplement un lobby sectaire dont les autres usagers de l'eau n'ont pas à supporter la nuisance et le double standard. D'autant que c'est l'exploitation de droits de pêche ne lui appartenant pas et la subvention publique qui nourrissent ce lobby.

(1) Dans le PDPG (plan départemental piscicole) en cours de cette Fédération 64, on peut lire : "essais d’implantation de l’Ombre commun (OBR) sur le gave de Pau depuis 2006 (15000 ombrets/an)". L'ombre est un poisson du centre-est de l'Europe et n'est pas natif de ce bassin. Mais comme sa pêche est tolérée après la fermeture de la truite, les pêcheurs apprécient beaucoup de poursuivre la saison. Tant pis si l'on introduit des espèces étrangères dans des bassins dont on affirme vouloir défendre les "biotypologies". La même posture à géométrie variable s'observe avec les déversements d'ombres dans la Cure (voir cet article). L'écologie, c'est bien ; vendre de la carte de pêche pour remplir la caisse, c'est quand même mieux.

19/09/2016

Sur la Cure, deux poids deux mesures

Les moulins des tronçons de la Cure classés au titre de la continuité écologique doivent affronter toute la rigueur des contrôles administratifs et des exigences de mise en conformité. Pendant ce temps-là, les grands barrages de la rivière continuent d'impacter le franchissement piscicole, le transit sédimentaire, le régime des débits et la température de l'eau. Les associations de pêche sont quant à elles autorisées à déverser des poissons qui ne sont pas autochtones au bassin de Seine, curieuse conception de la défense de "l'intégrité biotique" affichée avec tant de détermination quand il s'agit d'autres usagers de l'eau. Les gestionnaires actuels de rivière (DDT, Onema, Fédération de pêche, Agence de l'eau, Parc du Morvan) ne sauraient cautionner indéfiniment cette rigueur à géométrie variable. Soit on admet que le bassin de la Cure est un hydrosystème anthropisé, et l'on respecte l'ensemble de son patrimoine et de ses usages tout en cherchant des bonnes pratiques consensuelles pour ne pas dégrader son environnement. Soit on prétend "renaturer" le milieu, et on montre l'exemple sur les ouvrages gérés par les entreprises à capitaux publics comme dans les pratiques des associations ayant un agrément public. Les riverains et les propriétaires d'ouvrages refusent d'être plus longtemps les victimes expiatoires de choix aussi irrationnels qu'inéquitables.

Notre association est engagée sur plusieurs chantiers de défense des ouvrages de la Cure, notamment la suppression indue du droit d'eau du moulin de Chastellux-sur-Cure et la résistance aux fortes pressions administratives pour l'effacement du plan d'eau et du déversoir de Bessy-sur-Cure.

L'acharnement de certaines parties prenantes de la politique de l'eau sur les ouvrages de petite hydraulique a de quoi surprendre.

D'abord, nombre d'ouvrages de moulins ont aujourd'hui disparu de la Cure ou sont échancrés, de sorte que leur impact (s'il existe) est plutôt en baisse tendancielle. Cette influence n'empêche pas la rivière d'avoir d'excellents scores sur les composantes biologiques de son état écologique tel qu'il est défini par la directive cadre européenne européenne sur l'eau.

Ensuite, la problématique de continuité longitudinale de la Cure a été décidée "à la carte" par l'administration, et non pas en fonction d'une logique purement environnementale. Que nous dit en effet le classement de décembre 2012 sur le bassin Seine-Normandie ?  La Cure a été classée en liste 2 au titre du L 214-17 CE de la manière suivante (voir l'arrêté, pdf) :
  • De sa source à la limite aval de la masse d’eau: [FRHR. 49A] la Cure de sa source à l’amont du lac des Settons (exclu)
  • De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 49C] la Cure de l’aval du lac des Settons à l’amont de la retenue de Crescent (exclu) au point défini par les coordonnées L. 93 : X : 770998, Y : 6698207
  • Du point défini par les coordonnées L.93: X: 768404, Y : 6699076 à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0200] L’Yonne
Un image aide à comprendre ce très étrange découpage, qui n'a évidemment rien d'écologique (ni de très honnête intellectuellement) : il s'agit des équipements hydro-électriques EDF sur le bassin.


Aménagements EDF en Morvan, citation extraite de la brochure "Les aménagements hydro-électriques du groupement Bourgogne", EDF. Sur la Cure on voit ici les barrages de Crescent et de Malassis, ainsi que le débit dérivé qui est exploité à Bois-de-Cure. L'ouvrage de Chaumeçon est sur un affluent, le Chalaux. Le lac des Settons, plus à l'amont, n'est pas représenté. 

Outre le barrage des Settons, qui dès le XIXe siècle a empêché la remontée du saumon vers les sources, la Cure est massivement modifiée par des grands ouvrages qui changent son hydrologie, sa franchissabilité piscicole, son transit sédimentaire et sa température. Mais ces ouvrages n'ont pas fait l'objet d'obligation de continuité, alors que de tels impacts sont justement au coeur de l'exploration scientifique de la notion de discontinuité de la rivière.

Enfin, en examinant le dernier rapport annuel de l'association Avallon Morvan pour la pêche (lien pdf), nous avons la surprise de lire cette information :
"Pour la 9 ème année consécutive, nous avons réalisé un alevinage de 2000 ombrets sur la moyenne Cure, en participation avec la Fédération de l’Yonne qui nous apporte toujours son soutien. Des poissons, dont la taille varie de 20 à 38 cm, sont régulièrement capturés entre le lac de Malassis et le Chalet du Montal."
Nous sommes surpris parce que l'ombre commun (Thymallus thymallus), originaire du Danube, est autochtone en France dans le Nord-Est et le Massif central, mais n'est nullement attestée sur le bassin de Seine. Sa présence y résulte d'introductions volontaires afin de satisfaire les pêcheurs. Il est pour le moins étonnant que les services instructeurs de l'Onema ou les services techniques des fédérations de pêche (qui ont un agrément public), connus pour développer des grilles de lecture "biotypologique" où chaque déviation par rapport au peuplement supposé "naturel" d'une rivière est déplorée comme une preuve d'altération, ne trouvent par ailleurs rien à redire quand on déverse des poissons exogènes dans la rivière pour satisfaire un loisir.

A dire vrai, cette "naturalité idéale" du peuplement piscicole paraît assez fantaisiste puisque le tiers de la diversité spécifique des poissons du bassin de Seine est d'ores et déjà composé d'espèces importées (voir les travaux du Piren 2009), et les lacs du Morvan sont abondamment peuplés de certains de ces nouveaux-venus, y compris quand ils sont gérés par des associations de pêche (voir des données d'histoire chez Belliard et al 2016).

En revanche, la moindre des choses est de ne pas tenir des doubles discours ni d'adopter des doubles standards : tolérer qu'on modifie un peuplement quand on est pêcheur, mais ne pas le tolérer quand il s'agit de l'effet local d'un seuil de moulin ; accepter des barrages de dizaines de mètres de hauteur et barrant le lit majeur, mais exiger la destruction des chaussées de moins de 2 m noyées en crue.

Cette politique à géométrie variable n'est pas tolérable. Et les citoyens sont de plus en plus nombreux à ne plus la tolérer, dès lors qu'ils en sont informés.

Note sur l'étang de Bussières
Dans le même bilan de l'association Avallon Morvan pour la pêche, nous lisons : "A notre demande, la Fédération de pêche s'est portée acquéreur de l'étang de Bussières qui était à vendre. Cet étang, qui a des effets désastreux sur la rivière Romanée, devait être arasé dans le cadre de la continuité écologique. La vidange de l'étang est programmée sur plusieurs mois de sorte à permettre la végétalisation progressive des boues de sorte à ne pas envaser le lit de la Romanée." Notre association va bien entendu réclamer des explications à la Préfecture sur ce projet, et en particulier vérifier si un inventaire complet de biodiversité de l'étang a été réalisé. Des plans d'eau proches, comme par exemple l'étang de Marrault (co-géré par l'AAPPMA), sont en effet classés ZNIEFF en raison de leur intérêt pour la biodiversité, qui ne se résume nullement aux salmonidés si chers aux pêcheurs (les poissons en général représentent environ 2% de la biodiversité aquatique). Un projet d'aménagement doit prendre soin de vérifier qu'il n'entraîne pas de perte nette de cette biodiversité, et le fait que ce projet soit à prétention "écologique" ne signifie nullement qu'il respecte les bonnes pratiques (d'autant que certains confondent facilement enjeu écologique et enjeu halieutique).

Quant au Parc du Morvan, nous lui rappellerons les termes de sa charte : "Le Parc naturel régional véhicule une image forte, en tant que territoire reconnu pour ses qualités naturelles et paysagères. Le paysage est donc une des sources principales de l'image du Morvan pour la société actuelle (dans ses dimensions sociales et culturelles). Il est utilisé comme valeur de référence pour évoquer le Morvan et comme un atout économique pour l'attractivité du territoire (tourisme et nouveaux habitants)." Les plans d'eau font partie intégrante de ce paysage morvandiau, et l'on ne voit guère ce que leur destruction apporte aux riverains et aux visiteurs.


La chute après la digue de l'étang de Bussières.

25/06/2016

La FNPF est-elle capable d'une approche responsable de la continuité écologique?

Au dernier congrès de la FNPF (Fédération nationale de la pêche), le président Claude Roustan a livré une nouvelle charge sur la continuité écologique. Objectif : essayer de remettre en cause auprès de Barbara Pompili, secrétaire d'Etat à la biodiversité, les (très modestes) avancées en cours pour une gestion plus équilibrée des rivières. Alors que beaucoup de pêcheurs soutiennent sur le terrain l'existence des étangs, des plans d'eau, des retenues et des biefs, la FNPF semble incapable d'une approche ouverte et concertée avec les autres usagers de l'eau sur ce dossier de la continuité écologique. Un tel intégrisme est-il compatible avec le rôle central que la loi donne à cette fédération et à ses antennes départementales? Nous en doutons. Extraits des propos de Claude Roustan et réponses. 


"Je ne reviendrai que sur un seul sujet : la continuité écologique. Je veux revenir sur cette notion car elle est assez symptomatique d’un acquis de la loi sur l’eau de 2006 et que l’on cherche à déstabiliser, à remettre en cause. Cette notion fait l’objet d’une tentative de remise en cause sans précédent pour différentes raisons sur lesquelles je ne reviens pas."
La "remise en cause" dont parle Claude Roustan, c'est le débat démocratique normal face à une réforme brutale et précipitée, allant très au-delà des souhaits du législateur, décidée pour l'essentiel en petits comités d'initiés, largement non financée dès qu'on sort des solutions simplistes de la destruction par pelleteuse en rivière. Claude Roustan a bien tort de ne pas revenir sur ces "différentes raisons" de la remise en cause des dérives constatées dans la mise en oeuvre de la continuité écologique :
  • une dépense publique considérable pour un gain écologique non garanti,
  • une réforme sans base scientifique sérieuse, davantage formalisée par des idéologues que par des chercheurs,
  • une absence récurrente de concertation avec les principaux concernés (propriétaires, riverains, usagers) dans les décisions amont,
  • une pression intolérable pour casser le patrimoine hydraulique du pays.
"Or, ces ruptures de continuité constituent à coup sûr une cause déterminante de la non atteinte du bon état écologique des eaux."
Cette affirmation sans preuve est un slogan éculé et depuis longtemps dénoncé. Aucun modèle n'a été mobilisé pour le classement de continuité écologique des rivières, ce qui est un scandale d'amateurisme et de confusion pour une politique publique. Les classements de 2012-2013 ont été construits par de supposés "experts" dont on ne connaît pas les travaux sur chaque rivière. Cela s'est fait :
  • sans publication scientifique, 
  • sans analyse modélisée des autres pressions des bassins versants, 
  • sans priorisation des sites d'intérêt pour la connectivité locale,
  • sans recours à l'histoire environnementale pour connaître la variabilité naturelle / forcée des biocénoses, 
  • sans croisement avec les données DCE,
  • souvent en excluant les grands barrages publics, malgré leurs impacts autrement plus manifestes que les seuils de moulin. 

Depuis la loi de 2006 et le classement de 2012-2013, des travaux de chercheurs comme Van Looy et al 2014 ou Villeneuve et al 2015 ont montré que la densité de barrage a un impact relativement faible sur les peuplements piscicoles utilisés comme bio-indicateurs de qualité pour la DCE (et parfois un impact positif sur la biodiversité du tronçon, en raison de la création de nouveaux habitats lentiques). D'autres chercheurs, comme Morandi et al 2014 ou Lespez et al 2015 ont montré que les opérations de restauration physique des rivières ont des protocoles scientifiques défaillants et/ou de mesures de succès largement subjectives.

Largement couvertes par les officiels de la pêche, ces pratiques sous-informées sont un scandale permanent que nous dénoncerons aussi longtemps que l'administration ne sera pas capable de rehausser le niveau de mise en oeuvre de la continuité écologique et de l'intégrer dans une vision plus large de la rivière, incluant l'ensemble des services rendus par les écosystèmes aménagés (et non pas la focalisation sur une sélection de poissons intéressant les pêcheurs, mais représentant une modeste partie de la biodiversité aquatique).

Nous espérons de ce point de vue que la création de l'Agence française pour la biodiversité va mettre un terme à une vision incomplète et biaisée des différentes approches de la conservation et de la restauration en rivière.
"Depuis la suspension de l’arasement des ouvrages de la Sélune dans la Manche, jusqu’à la jurisprudence qui semble admettre que le plus noble des classements à savoir en liste 1 de l’article L 214-17, aux annonces de la volonté de développer la production hydroélectrique, il faut admettre que les signaux envoyés aux propriétaires de ces ouvrages ne sont pas conformes au bien commun. (…) Ce mouvement a créé les conditions propices aux amendements que tout le monde connait et portés dans le cadre des projets de loi biodiversité et patrimoine. Un énième délai de mise en conformité a été accordé à tous ceux qui, depuis des années, diffèrent le respect de leurs obligations. Mieux on a cherché à poser le principe selon lequel tous ces ouvrages doivent être protégés par la législation sur les monuments historiques."
L'énergie bas carbone d'origine hydraulique fait partie des atouts mobilisés par la France pour engager la transition énergétique en vue de prévenir un réchauffement climatique dangereux pour les sociétés et les milieux. Le patrimoine des moulins est par ailleurs un héritage exceptionnel du dernier millénaire de notre histoire, témoin important du peuplement humain de chacune de nos vallées. Cela relève tout autant du "bien commun" et les fédérations de pêche — dont il faut tout de même rappeler que les adhérents tuent ou blessent des millions de poissons chaque année par loisir et dont les pratiques d'empoissonnement volontaire ou accidentel modifient depuis des siècles les populations piscicoles des rivières françaises — n'ont pas à prétendre au monopole en ce domaine. La littérature scientifique en conservation désigne au demeurant la pêche comme l'un des grands facteurs passés et présents de menace sur les milieux aquatiques : c'est un comble d'entendre des leçons de morale écologique de ce milieu qui, en raison d'une connivence historique avec l'administration en charge de l'eau, n'a jamais reçu la moindre évaluation scientifique indépendante de ses impacts.

Que Claude Roustan balaie donc devant la porte de sa Fédération avant de prétendre administrer des labels de "bien commun" avec une telle arrogance. L'appel à moratoire sur la continuité écologique est soutenu par des représentants des riverains, des moulins, des gestionnaires d'étangs, des forestiers, des agriculteurs, des hydro-électriciens, des grands acteurs de la protection du paysage et du patrimoine. Il a même été signé par des associations de pêche et des syndicats de rivière. Affirmer que ces instances, les 100.000 adhérents locaux directs, les 1400 élus qui les appuient sont des adversaires du "bien commun", c'est une posture insultante et irresponsable, indigne d'une grande fédération comme la FNPF.

De leur côté, les représentants officiels des pêcheurs ont refusé de signer la Charte pour une hydro-électricité durable en 2010, comme ils refusent aujourd'hui de signer une Charte des moulins qui reconnaîtrait la légitimité de l'existence du patrimoine hydraulique. Cette intolérance caractérisée face aux autres usages de l'eau rend difficile toute gestion durable, concertée et équilibrée de la rivière.
"Nous avons tous à cœur de défendre des moulins dès lors qu’ils ont un propriétaire, qu’ils ont un usage et qu’ils respectent le fonctionnement naturel des rivières qui les accueillent."
Ce n'est certainement pas le ressenti sur le terrain ni ce qui transparaît de la communication FNPF. Avec l'assistance de l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema, les fédérations de pêche ont été les premières à promouvoir le discours de la destruction du patrimoine hydraulique comme choix prioritaire car le plus efficace pour la "renaturation" des cours d'eau (cette renaturation étant assez fantasmatique vu l'anthropisation plurimillénaire des milieux, dont la pêche est au demeurant l'une des dimensions). Pourtant, la majorité des pêcheurs de France s'intéresse aux carnassiers et aux "blancs" (cyprinidés), ils ne se retrouvent pas dans certains discours dogmatiques de la FNPF et des FDAAPPMA sur la disparition des retenues, laissant un filet  d'eau et quelques flaques à l'étiage. Localement, les AAPPMA sont de plus en plus souvent désolées de l'image dogmatique et brutale que renvoie l'appel de certains officiels de la pêche à effacer les ouvrages sous prétexte d'une continuité n'ayant parfois d'écologique que le nom.

Quant à défendre les moulins à la condition limitative qu'ils aient "un usage", c'est le diktat posé de manière arbitraire depuis 15 ans par les Agences de l'eau et la Direction de l'eau du Ministère de l'environnement. On connaît la chanson : la définition de l'usage est tellement restrictive que la plupart des sites sont condamnés (voir encore l'exemple récent du plan d'eau de Bessy-sur-Cure, dont les usages sont affirmés par des centaines de riverains y compris des pêcheurs appréciant ce lieu depuis toujours, ce qui est purement et simplement nié par l'Agence de l'eau).

Les pêcheurs et les moulins n'ont qu'un avenir commun : poser la légitimité de l'existence des ouvrages hydrauliques et travailler à définir des règles efficaces de gestion écologique, en fonction des besoins réels des tronçons. Si cette évidence est impossible à mettre en oeuvre au plan national et départemental en raison de postures institutionnelles et de dérives dogmatiques, c'est au plan local qu'il faudra développer des pratiques concertées. Nous y sommes pour notre part disposés.

20/05/2016

Sélune: les casseurs-pêcheurs reviennent à la charge

Les pêcheurs veulent-ils être assimilés à des casseurs? C'est en tout cas l'impression déplorable que donnent les diatribes de plus en plus violentes de leurs représentants officiels en faveur de la casse pure et simple des seuils et barrages formant le patrimoine hydraulique français. Les associations locales de pêche, souvent plus raisonnables et pragmatiques, devraient tirer la sonnette d'alarme auprès de leurs fédérations: ces dérives sectaires nuisent à l'image populaire de leur pratique. Sur la Sélune, certains souhaitent gagner quelques dizaines de kilomètres pour des parcours de pêche aux saumons et sont prêts pour cela à détruire le profil de la vallée. Ils prétendent que la casse des barrages relève de "l'intérêt général" et de la "gestion équilibrée".  Un slogan faux, puisque les barrages de la Sélune apportent de nombreux services aux populations, mais aussi certains bénéfices aux milieux aquatiques.

Les pêcheurs appellent à une manifestation pour la destruction des barrages de la Sélune (voir leur tract ci-dessous, cliquer pour agrandir).


Ce tract fait mention de la "gestion équilibrée et durable de l'eau". Il s'agit d'une disposition de la loi sur l'eau de 2006. Rappelons ce que dit la loi, à savoir l'article L 211-1 du Code de l'environnement dans sa forme actuelle:
La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
Les barrages et lacs de la Sélune permettent l'alimentation en eau potable, la production d'énergie, le tourisme, les loisirs et sports nautiques, la pêche aux carnassiers et poissons blancs, diverses activités légalement exercées en rives. Ils servent aussi au laminage des crues et à la dépollution des eaux qui filent vers la baie du Mont Saint-Michel. Les ouvrages appartiennent au patrimoine technique et industriel. Les biotopes des lacs offrent enfin des écosystèmes originaux favorables à la biodiversité, réalité vivante ne se résumant heureusement pas à quelques espèces de poissons offertes à la prédation des pêcheurs.

Et il faudrait casser tout cela au seul nom des saumons déjà présents sur de nombreux côtiers normands et bretons, pour 50 millions d'euros d'argent public?

Une fois de plus, l'esprit de la loi et l'avis des populations sont méprisés par ceux qui prétendent monopoliser "l'intérêt général" depuis leurs visions partisanes, leurs postures dogmatiques et leurs logiques sectorielles.

La destruction ruineuse des barrages de la Sélune au motif de faire revenir des saumons sur quelques dizaines de kilomètres de zones amont (par ailleurs polluées et dégradées) représenterait une gestion totalement déséquilibrée de la rivière. Cessons de confondre le sectarisme minoritaire des casseurs d'ouvrages avec la défense de l'intérêt général des riverains et l'avenir des rivières.

Pour comprendre, lire nos articles sur la Sélune
(1) Le déni démocratique
(2) Bassin pollué et dégradé, risques sur la baie du Mont-Saint-Michel
(3) Le gain réel pour les saumons
(4) Le bilan coût-bénéfice déplorable de la destruction des barrages
(5) Pollution génétique des saumons de la Sélune par les empoissonnements


Associations, élus, personnalités : comme déjà plus de 2000 représentants des citoyens et de la société civile, engagez-vous aujourd'hui pour défendre les seuils et barrages de France menacés de destruction par une interprétation radicale et absurde de la continuité écologique. En demandant un moratoire sur la destruction des ouvrages, vous appellerez le gouvernement et son administration à cesser la gabegie d'argent public, à prendre en considération le véritable intérêt général au lieu de visions partisanes de la rivière, à chercher des solutions plus concertées, plus consensuelles, plus constructives pour l'avenir de nos cours d'eau, de leurs milieux et de leurs usages.

26/04/2016

Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015)

Le cas des barrages de la Sélune a été très médiatisé: associations écologistes et pêcheurs militent pour la suppression de ces ouvrages hydrauliques (voir nos articles). Nettement moins commentée, une analyse génétique menée par des chercheurs a montré l'an dernier que les saumons de la Sélune souffrent de pollution génétique liée à l'introduction de géniteurs étrangers au bassin lors des alevinages, ayant engagé des hybridations avec apparition de traits pas forcément favorables à long terme pour les souches locales de saumons. Avant de donner des leçons d'intégrité biotique aux autres usagers de l'eau et de militer pour transformer en profondeur des cadres de vie au nom des saumons, certains devraient déjà améliorer leurs propres pratiques.

La Sélune est l'une des quatre rivières à saumons trouvant leur exutoire dans la baie du Mont Saint-Michel. La population de salmonidés de cette rivière a décliné depuis plusieurs décennies en partie pour des causes locales (construction des barrages qui bloquent son cours supérieur et pollutions du bassin versant), en partie pour des causes plus générales et encore mal connues.

Afin de soutenir la population de migrateurs, des introductions de saumons atlantiques ont été réalisées entre 1989 et 1997. Sur la période, 337.000 juvéniles ont été déversés depuis des progéniteurs d'élevage venus de l'Aulne en 1989-1994 et 1996-1997 ; 30.000 autres juvéniles venus d'une souche du Gave d'Oloron ont été introduits en 1995. L'empoissonnement artificiel a cessé sur la Sélune après 1997, mais il a continué sur la rivière voisine du Couesnon jusqu'en 2010.

Sabrina Le Cam et ses collègues (Inra, Agrocampus Ouest, Station biologique de Roscoff, Université Laval Québec) ont analysé le génotype et le phénotype de 720 poissons en montaison. Il s'agissait d'individus ayant passé soit un hiver en mer (castillon, SSW) soit plusieurs hivers (saumon de printemps, MSW). C'est une des premières études au monde à procéder ainsi à un suivi longitudinal de 21 ans (1989-2009) sur l'évolution génétique et physiologique avant, pendant et après un empoissonnement de souches distinctes des saumons locaux.

Voici quelques-unes de leurs observations :

  • les poissons déversés se sont reproduits entre eux aussi bien qu'avec la souche locale de la Sélune (sur l'ensemble de la période, 471 prises de souche Sélune, 21 de souche Gave, 103 de souche Aulne et 125 hybrides);
  • le brassage génétique des différentes souches a augmenté rapidement dans la première décennie, avec diminution de la différenciation des populations sources;
  • des différences phénotypiques (taille et poids moindres) se retrouvent entre les souches, mais aussi chez les populations mélangées par rapport à leurs géniteurs;
  • la perte d'intégrité génétique des populations locales (hybridation introgressive) a été rapide et marquée.

Les chercheurs font observer en conclusion qu'un tel mélange de populations peut avoir toutes sortes de conséquences difficiles à prédire : dérive neutre (sans effet adaptatif), renforcement de la valeur sélective (par admission de nouveaux gènes-traits mieux adaptés à des conditions variables), dépression hybride (perte du potentiel adaptatif par introduction de gènes-traits défavorables). Ils concluent en appelant à la prudence: "La taille et le poids plus faibles des poissons issus d'une hybridation entre individus natifs et d'élevage indique des effets potentiellement négatifs sur la viabilité à long terme des populations locales (…) Ces impacts potentiellement négatifs suggèrent donc que la translocation d'individus devrait être considérée prudemment en gestion de conservation des espèces menacées et que ses conséquences devraient être suivies sur le long terme pour être pleinement appréciées".

Discussion
La pêche compte parmi les activités ayant eu le plus grand impact sur la biodiversité aquatique au cours des derniers siècles en Europe. Ces impacts ont d'abord été associés aux excès de captures en eaux douces et estuaires à l'époque de la pêche vivrière, jusqu'au XIXe siècle. Ils ont ensuite été liés à la pratique massive des acclimatations, ensemencements, alevinages, repeuplements et autres empoisonnements artificiels, ayant toutes sortes de conséquences : prédation par espèces invasives, compétition territoriale avec les espèces natives, apport de pathogènes, hybridations génétiques (introgressions). Les introductions récentes de saumons étudiées par S. Le Cam et ses collègues ne sont évidemment pas une nouveauté, elles sont motivées de manière ambiguë par la volonté de restauration biologique, relevant d'un intérêt général, et par le soutien à un loisir, relevant d'un intérêt sectoriel à visée prédatrice (voir par exemple déjà Vibert 1945 sur la gestion des rivières à saumons)

Faut-il pour autant céder à l'alarmisme? Non, laissons cela aux marchands de peur et prophètes d'apocalypse qui ont besoin de postures maximalistes pour exister dans l'opinion. Les populations mondiales de saumons ont certainement des problèmes plus graves que des hybridations locales. Et les introductions d'espèces peuvent aussi avoir des effets favorables sur la biodiversité totale. En revanche, ces travaux sur le saumon de la Sélune rappellent combien les gestionnaires et représentants du monde de la pêche sont mal placés pour donner aux autres usagers de la rivière des leçons d'intégrité biotique et de soi-disant respect scrupuleux des équilibres naturels des milieux. Un peu moins d'agressivité et de suffisance, un peu plus de modestie et de rigueur seraient bienvenues de leur part...

Référence: Le Cam S et al (2015), Genetic and phenotypic changes in an Atlantic salmon population supplemented with non-local individuals: a longitudinal study over 21 years, Proc. R. Soc. B, 282, doi: 10.1098/rspb.2014.2765

14/03/2016

Quelques réflexions sur la pêche, les pêcheurs et leurs représentants

La pêche en rivière est un loisir populaire. Avec 1,5 millions de pratiquants réguliers ou occasionnels, elle est aussi un facteur de mortalité et morbidité pour les poissons d'eaux douces, ainsi qu'une activité de gestion halieutique modifiant les assemblages piscicoles des rivières, hier comme aujourd'hui.  Les représentants départementaux et nationaux de la pêche développent souvent des discours négatifs sur la question des ouvrages hydrauliques. Dans les concertations ministérielles comme dans les commissions des Agences de l'eau, ils défendent plus qu'à leur tour des positions maximalistes, qui sont rarement les plus réalistes et qui ont contribué à détériorer les rapports avec d'autres riverains ou usagers depuis 10 ans. La question se pose aujourd'hui de la représentativité de certains parti-pris plus idéologiques que scientifiques de ces instances, alors que nombre d'AAPPMA vivent très bien avec les seuils et barrages, voire les défendent pour certaines. Par ailleurs, la pêche ne peut pas donner des leçons d'exemplarité à tout le monde et prétendre arbitrer dans les usages légitimes de l'eau tout en continuant de fuir l'examen scientifique de son propre impact historique et actuel sur les milieux.

C'est l'ouverture de la pêche, et l'occasion de (se) poser certaines questions. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques entretiennent souvent des bons rapports avec les associations locales de pêche (AAPPMA), généralement animées par des gens de terrain et de bon sens, qui n'ont pas le désir de donner suite à des mots d'ordre un peu trop idéologiques et systématiques de destructions d'ouvrages. Essayer d'améliorer la gestion des ouvrages hydrauliques, parfois défaillante, en même temps que le comportement de certains pêcheurs sur le domaine privé, parfois désagréable, tels sont des terrains simples de progrès sur lesquels on peut s'entendre entre riverains et usagers des mêmes eaux. Plusieurs AAPPMA ont déjà signé le moratoire sur les effacements d'ouvrages, montrant un consensus possible. La situation est cependant variable, et dans les zones où prospèrent certains mordus de la pêche à la truite ou au saumon, les rapports locaux peuvent être plus tendus. Rappelons que selon les données disponibles (Changeux in Keith et al 2011), l'attrait pour la pêche aux cyprinidés et aux carnassiers reste majoritaire (environ deux tiers des amateurs), les espèces concernées évoluant sans problème dans des hydrosystèmes aménagés (rivières, fleuves, canaux, étangs ou lacs).

Quand on progresse du terrain vers des représentations plus "officielles" de la pêche, les choses tendent cependant à se dégrader, d'abord avec les fédérations départementales (qui sont parfois maîtres d'ouvrage par délégation des campagnes d'aménagement très orientées sur les effacements), et plus encore avec la Fédération nationale pour la pêche en France (FNPF). Ce lobby est connu pour ses positions assez sectaires à l'encontre du patrimoine hydraulique comme de l'énergie hydro-électrique. Il est aussi connu pour ses contradictions, faisant de la surenchère écologique quand il s'agit de discuter avec les officiels des Agences de l'eau et du Ministère de l'Ecologie, mais défendant l'intérêt économique du loisir pêche qui, faut-il le rappeler, blesse ou tue tout de même quelques dizaines de millions de poissons chaque année dans nos rivières et nos lacs. Et le fait d'autant plus qu'il y a davantage de pratiquants.



On peut en voir l'exemple dans le numéro de Pêche Mag (bulletin de la FNPF) dédié à la loi sur la biodiversité (cliquer l'image ci-dessus pour agrandir). Dans les pages de ce magazine, un article expose la nécessité de protéger le brochet, espèce vulnérable inscrite sur la liste rouge de l'IUCN, notamment de ne pas détruire les prises en dessous de la taille réglementaire quand elles se font en première catégorie. (Car pendant que certains syndicats demandent aux maîtres d'ouvrage de casser leur seuil pour aider les brochets, on ordonne ainsi d'en tuer les juvéniles sur nos rives). La FNPF se flatte donc d'avoir déposé un amendement à la loi Biodiversité pour ne plus sacrifier le brochet, ce qui paraît de bon sens vu que les pêches électriques montrent sa présence fréquente en rivières dites de première catégorie (salmonicoles). Dans le même numéro cependant, la FNPF vante la pêche comme un atout du "tourisme vert" (France Nature Environnement appréciera) et Pêche Mag nous montre les inévitables photos du brochet fièrement sorti des eaux, la gueule encore harponnée du leurre synthétique. Pas franchement une image convaincante de la "protection des milieux aquatiques" ni une incitation à protéger l'espèce vulnérable qu'est devenu le brochet.

Au-delà de l'anecdote, la FNPF ne peut tenir plus longtemps des postures maximalistes sur certains aspects de l'écologie des milieux aquatiques tout en espérant s'absoudre des mêmes exigences envers le loisir qu'elle représente et le lobby qu'elle incarne. Le double discours consistant notamment à prendre un ton horrifié face à l'impact supposé des ouvrages hydrauliques tout en parsemant ses magazines, ses dépliants et ses forums de photos de poissons morts fièrement brandis pour vendre des cartes de pêche n'est pas tenable indéfiniment. Pas plus au demeurant que les stratégies trop visibles d'euphémisation vantant la pêche comme l'occasion de retrouver la nature, la famille et les copains, en omettant de signaler que ces retrouvailles se font quand même sur la base d'un goût partagé pour la prédation envers les espèces naturelles.

A notre connaissance, la pêche est le seul usage de la rivière qui, à ce jour, n'a fait l'objet d'aucune analyse d'impact de la part de l'Onema, de l'Irstea, de l'Inra, du MNHN ou autres instances censées assurer la synthèse des connaissances scientifiques et techniques pour procéder à des recommandations. Dans les discours administratifs (Agences), elle est surtout vantée comme un usage économique et social légitime, sans distance critique. Un tel aveuglement volontaire n'est évidemment pas crédible de la part de ces institutions, car la littérature scientifique internationale montre bel et bien des impacts : la prédation elle-même, moins marquée aujourd'hui qu'hier mais toujours existante ; les empoissonnements et alevinages, qui changent la structure des assemblages piscicoles tout en augmentant le risque invasif et pathogène, ou la concurrence territoriale avec des espèces patrimoniales ; le devenir des leurres plastiques ou métalliques perdus dans les cours d'eau ; la difficulté pour les chercheurs à disposer de statistiques fiables de capture, etc. Les pêcheurs sont souvent des acteurs impliqués dans la protection de la rivière, il ne s'agit pas de contester cette réalité ; mais les déclarations et les bonnes intentions ne suffisent pas, seul l'examen critique par la recherche scientifique permet d'évaluer l'impact des pratiques.

En terme de gouvernance, on peut avoir une co-existence pacifique au bord de nos rivières, en acceptant ses différents usages et en essayant d'améliorer notre rapport à l'environnement. On peut aussi avoir une posture agressive et intransigeante, militer pour nuire à des usages que l'on n'aime pas, répandre pour cela diverses idées reçues. Les représentants officiels de la pêche française se sont trop souvent engagés et égarés dans la seconde attitude depuis 2006 (en même temps que l'ancien Conseil supérieur de la pêche renommé Onema était propulsé conseiller scientifique du gouvernement sur les milieux aquatiques, ce qui n'est pas sans susciter des doutes sur l'objectivité de cette mission). Ces représentants ne contribuent pas à la réputation de la pêche en agissant ainsi, car la casse du patrimoine hydraulique n'est pas vraiment l'action la plus populaire dans la ruralité. S'ils sont cohérents avec eux-mêmes et s'ils persistent à vanter une "renaturation" supposant que l'on ne touche plus aux évolutions spontanées de la faune halieutique ni des écoulements de la rivière, ils exposent finalement leur propre loisir à des évolutions réglementaires de plus en plus draconiennes, qui ne manqueront pas d'en limiter l'attrait et d'en précipiter le déclin. Il va de soi que l'on ne tolérera pas de détruire le patrimoine hydraulique ou de consentir à des dépenses exorbitantes d'aménagement des rivières pour soi-disant sauver les truites, anguilles, brochets ou saumons tout en acceptant que ces espèces fassent ensuite l'objet de prédations ou de compétitions d'espèces introduites au nom d'un loisir (ou d'une activité professionnelle dans le cas des anguilles).

Nous invitons en conséquence les pêcheurs à une réflexion sur leurs pratiques, sur leurs rapports avec les autres usages de l'eau et sur la manière dont ils sont aujourd'hui représentés dans le débat public sur certains sujets polémiques, comme la destruction du patrimoine hydraulique des rivières.