09/11/2016

Les pêcheurs des Pyrénées-Atlantiques traquent les moulins... et les seuils naturels

Le lobby de la pêche est le principal initiateur de la réforme de continuité écologique en France, et le chantre de la casse des ouvrages hydrauliques. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la fédération de pêche s'est mise en quête d'ouvrages à détruire. Un cap est franchi avec l'objectif d'effacer aussi un seuil naturel en rivière, sur financement public de l'Agence de l'eau Adour-Garonne. Les nombreux pêcheurs de terrain qui apprécient souvent les ouvrages et aspirent à des rapports paisibles avec les autres usagers vont-ils tolérer longtemps la dégradation de leur image par ce genre de postures intégristes?

Un lecteur nous a fait parvenir le compte-rendu du dernier conseil d'administration (septembre 2016) de la Fédération de pêche 64 (accessible à ce lien). On peut y lire l'extrait suivant :



Quand l'Agence de l'eau Adour-Garonne propose de dilapider l'argent public en finançant à 100% la destruction du patrimoine hydraulique de son bassin (voir l'article sur cette scandaleuse prime à la casse), les officiels de la pêche sont bien évidemment les premiers à répondre à l'appel puisque leur lobby est le principal instigateur et le principal bénéficiaire de la réforme française de continuité écologique.

Neuf seuils, pour l'essentiel des moulins, vont donc être la cible des velléités de destruction des pêcheurs pyrénéens. Coût estimé : 135.000 euros d'études, 470.000 euros de travaux et une embauche (à financement Agence) pour suivre ces destructions. Rappelons que de nombreux gaves de la région ont été équipés au XXe siècle d'usines hydro-électriques ayant modifié substantiellement la morphologie et l'hydrologie, de sorte que l'intérêt écologique de cette traque aux moulins anciens sur des affluents modestes laisse sceptique sur le gain réel.

Il serait intéressant de connaître la manière dont "l'accord des propriétaires" est obtenu par la Fédération de pêche, vu les procédés douteux si souvent employés (défaut d'information sur le droit d'eau et sa valeur foncière, chantage sur des risques de travaux lourds non subventionnés ou d'amende, etc.). On observe qu'il a fallu des "brigades vertes", un stagiaire et 5 mois de travail pour aller traquer quelques moulins à détruire, les volontaires ne se bousculant manifestement pas au portillon de l'appel d'offres de l'Agence de l'eau.

Le point le plus notable de ce document est certainement l'objectif avancé et assumé de détruire un seuil naturel en rivière, présenté comme un "verrou". Le lobby s'en félicite: "Il s'agirait d'une première en France". Espoir de faire des émules? Quand la nature fait mal les choses, c'est elle que l'on est prêt à corriger. Il est vrai que d'autres défendent de prétendues "rivières sauvages" en dynamitant leurs ouvrages ; un petit milieu, ivre du pouvoir que lui ont donné les dérives administratives de la continuité écologique, a perdu le sens des limites.

Sous le vernis écologique...
Le lobby de la pêche prospère sur la reconnaissance d'utilité publique au service de ses intérêts et de sa vision singulière de la "protection des milieux aquatiques". Car sous le vernis "écologique" qu'il affiche si ostensiblement, tout n'est pas vert dans le loisir pêche :
  • encouragement à une activité consistant à stresser, blesser ou tuer des poissons pour le plaisir et non pour la subsistance, ce qui est à la base une manière pour le moins curieuse d'exprimer sa sensibilité à l'écologie et à la préservation des espèces; 
  • déversements massifs de poissons d'élevage, y compris non natifs du bassin (1); 
  • pollutions génétiques de souches sauvages (cet exemple sur les saumons de la Sélune où les pêcheurs ont justement posé en vertueux défenseurs de l'intégrité biotique); 
  • introductions de pathogènes par les empoissonnements, mais aussi par les bottes et les équipements (notamment les mordus de pêche à la mouche connus pour leur forte mobilité d'un bassin l'autre, par exemple suspicion sur les rivières franco-suisses); 
  • tir de cormorans au prétexte qu'ils sont meilleurs pêcheurs (et donc concurrents directs); 
  • destruction d'espèces jugées nuisibles en première catégorie mais qui se sont révélées des espèces menacées (l'anguille jusqu'en 1984, le brochet jusqu'en 2016); 
  • indifférence à la plupart des espèces non pisciaires (par exemple destruction d'étangs et plans d'eau sans inventaire complet de leur biodiversité);
  • sur des bassins à saumons, aloses, truites de mer et autres amphihalins, mise en avant de l'intérêt "sportif" de la pêche aux migrateurs que l'on dit par ailleurs fragiles ou menacés, et incitation au tourisme halieutique pour venir de loin les traquer en masse, etc. 
La pêche se prétend d'autant plus facilement "écologique" qu'elle jouit en fait du laxisme de l'Etat, qui lui a délégué l'essentiel de ses missions de contrôle (un coup de tampon sur les plans de gestion, quand ils existent seulement), et de l'absence d'étude scientifique sérieuse de son impact cumulé dans le temps (le Conseil supérieur de la pêche a été rebaptisé Onema en 2006, c'est pratique d'être juge et partie dans l'évaluation des usages de la rivière).

Entendons-nous bien : la pêche est une activité sociale et économique légitime, elle a un rôle louable d'animation auprès des jeunes, ses altérations des milieux restent a priori mineures par rapport à d'autres impacts. Et nous ne versons pas pour notre part dans l'intégrisme de la nature-musée intouchable que certains chevaliers blancs portent en étendard. Une gestion intelligente de la rivière doit être capable de tolérer ses différents usages en cherchant à limiter raisonnablement leurs dommages. Mais quand ses représentants officiels viennent donner des leçons de morale écologique en cassant des chaussées de moulin et maintenant en projetant de détruire des seuils naturels, la pêche devient simplement un lobby sectaire dont les autres usagers de l'eau n'ont pas à supporter la nuisance et le double standard. D'autant que c'est l'exploitation de droits de pêche ne lui appartenant pas et la subvention publique qui nourrissent ce lobby.

(1) Dans le PDPG (plan départemental piscicole) en cours de cette Fédération 64, on peut lire : "essais d’implantation de l’Ombre commun (OBR) sur le gave de Pau depuis 2006 (15000 ombrets/an)". L'ombre est un poisson du centre-est de l'Europe et n'est pas natif de ce bassin. Mais comme sa pêche est tolérée après la fermeture de la truite, les pêcheurs apprécient beaucoup de poursuivre la saison. Tant pis si l'on introduit des espèces étrangères dans des bassins dont on affirme vouloir défendre les "biotypologies". La même posture à géométrie variable s'observe avec les déversements d'ombres dans la Cure (voir cet article). L'écologie, c'est bien ; vendre de la carte de pêche pour remplir la caisse, c'est quand même mieux.

8 commentaires:

  1. Le lobby de la pêche prospère sur la subvention publique, laquelle? Je pensais qu'ils vivaient principalement de la vente des cartes de pêches.

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    1. Pour ce qui est de subventions proprement dites, il faut voir d'une part le différentiel entre redevance milieux aquatiques (quote-part du revenu carte) des fédés vers les agences de l'eau et aides des agences de l'eau vers les fédés, d'autre part les versements divers de collectivités (en général CD, CR pour les fédés départementales, divers autres pour la nationale). Sur le premier poste, certaines fédés aiment souligner qu'elles sont le seul loisir à payer une taxe de protection des milieux. Sauf qu'il faut aller voir le bilan comptable (quand on le trouve et quand il est clair), regarder dans les charges le montant impôts, taxes et assimilés, dans les produits le montant subventions (hors la redistribution interne du national vers chaque fédé).

      Après, sauf erreur, on ne peut pêcher en rivière sans avoir une carte (concrètement payer une taxe), de fait adhérer à une association agréée elle-même obligatoirement membre de la fédération départementale et de la fédération nationale, elles aussi agréées. Environ 80% de l'assiette de la taxe reste interne aux structures pêche (n'est pas reversé à l'Etat), structures qui se voient tenues en contrepartie de ce revenu à des obligations liées au caractère d'intérêt public de leur agrément. Cet aspect n'est pas à proprement parler de la subvention, mais un système contraint qui entretient une confusion entre activité d'intérêt privé (pêche) et activité d'intérêt public (protection des milieux) avec la même structure qui gère le tout et qui monopolise le revenu des cartes.

      Il y a déjà des établissements publics et des administrations en charge des milieux aquatiques (Agences, EPTB, EPAGE, Onema, etc.), pourquoi certains usages particuliers se voient-ils reconnus un statut d'exception et un agrément public? Pour un non-pêcheur, soit la majorité de la population, c'est opaque.

      Mais il nous manque peut-être des éléments d'appréciation.

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  2. @ Hydrauxois : la redevance milieux aquatiques serait (conditionnel vu la source) supérieure aux subventions, voir ce document (dont le thème est la baisse de 50% de cette RMA négociée avec le ministère en 2012)
    http://www.reseau.eaufrance.fr/webfm_send/2840

    L'exemple de votre 1/2 million d'euros de la fédé 64 montre l'ambiguité, ce ne sera pas affecté comme subvention à la pêche, mais subvention à la continuité écologique dans le cadre d'un appel à projets dont une structure de pêche est MO.

    Depuis Pétain et la création du pré-CSP en 1941, l'Etat français préfère cette gestion corporatiste (vaguement) supervisée. Vu ses finances, il ne va pas changer.

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    1. Merci, suite aux remarques, une édition du texte pour qu'il soit plus conforme à la réalité :

      Le lobby de la pêche prospère sur la reconnaissance d'utilité publique au service de ses intérêts et de sa vision singulière de la "protection des milieux aquatiques"

      Pour y voir plus clair, espérons que la cour des comptes se plonge un jour dans l'examen de cette gestion piscicole, comme elle l'a fait pour le CSP puis l'Onema (à chaque fois ce ne fut pas brillant).

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  3. aller voir les sites de pêches bourrés de photograhies de poissons la gueule ouverte et l'hamecon encore planté, fiérement brandi comme des trophées, en train d'étouffer, ah ca c'est un loisir sain, 100% écolo, 100% utilité publique! détruire des moulins mais pas toucher aux usines EDF autrement plus juteuse et meurtrière pour les poissons turbinés, 100% intelligent!!

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    1. Le mieux à faire, signaler votre incompréhension à vos élus et, si vous observez un comportement déplacé sur votre département, au service de police de l'eau (DDT, préfecture). Les pêcheurs, du moins les plus militants, le font régulièrement et depuis longtemps. Si les élus et l'administration n'entendent qu'un seul son de cloche, il n'est pas étonnant qu'ils laissent prospérer la situation établie. S'ils commencent à recevoir des réclamations sur certaines dérives, ils seront (progressivement) plus prudents et plus attentifs. Si ce sont vos convictions, vous pouvez aussi signaler des choses inappropriées à des associations (Peta France sur la cruauté envers les animaux, LPO sur les tirs d'oiseaux et les protections de certains plans d'eau, etc.)

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  4. "travaux sur un seuil naturel"

    Lol, c'est la meilleure celle là, on va "renaturer" la nature, il y a un peu trop de creux et de bosses :-) !

    Quelle bande de charlots, je dirais plutôt de "rigolos", j'ai beaucoup trop de respect pour Charlie Chaplin !

    Bonne journée

    d.Beaume

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    1. Sur le chantier qui a vu naître notre association (foulon de la Laume à Semur-en-Auxois), le syndicat Sirtava (SMBVA) était fort ennuyé car le barrage béton est construit sur un seuil granitique naturel, affleurement du socle du Morvan. La chute résiduelle aurait été trop forte. Ils envisageaient un temps de "dérocter" ce seuil naturel pour laisser passer les pauvres petits poissons... devant affronter un peu plus haut les 20 m du barrage de Pont-et-Massène!

      Tout cela est en effet grotesque et plus on s'éloigne de la mer (où au moins il y a beaucoup de migrateurs amphihalins), plus la continuité devient le règne de la gabegie et de l'arbitraire, chapeauté notamment par un lobby pêche qui essaie de conforter son pouvoir sur les cours d'eau non domaniaux.

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