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22/07/2019

La Romanée réduite à des flaques d'eau au droit de l'ancien étang de Bussières

En cet étiage 2019, la Romanée au droit de l'ancien étang de Bussières (89) n'est plus qu'une suite de flaques d'eau chaude qui s'évaporent, dans un lit mineur incisé. Les anciennes zones humides s'assèchent peu à peu. En comparaison et à ce même étiage, un étang à 2 km de Bussières conserve plusieurs hectares d'eau pour le vivant. L'achat et la casse de l'étang de Bussières ont été payés sur argent public (agence de l'eau Seine-Normandie) versé à la fédération de pêche de l'Yonne au motif de favoriser les truites (on n'en voit plus guère sur les cailloux) et les zones humides (elles régressent ici à vue d'oeil). Nous avions demandé à l'agence française pour la biodiversité (AFB-OFB) un inventaire faune-flore des marges et de la queue de l'étang, situé en ZNIEFF de type 2 avec les plans d'eau comme milieu d'intérêt: aucune suite. La digue a été détruite sur simple déclaration sans enquête publique, sans étude d'impact, sans même un affichage local malgré les subventions publiques, et sans garantie évidemment d'étendre des zones humides, ce qui motivait ces subventions. Le cas est en contentieux à la cour d'appel de Lyon. Il faut arrêter ces gabegies contraires à l'intérêt général et détruisant les atouts écologiques des écosystèmes anthropisés.


Participez à notre enquête sur les retenues, plans d'eau, canaux, biefs mis à sec au nom de la continuité écologique. Partout où des effacements d'ouvrages ont éliminé des canaux, baissé la nappe et asséché des zones humides, fait chuter la lame d'eau de retenue au point de menacer la vie aquatique locale, le documenter et nous le rapporter (photos, vidéos des zones à secs et des effets sur le vivant) si possible avec éléments de comparaison par rapport à l'état antérieur. Un dossier en préparation sera envoyé à tous les parlementaires pour que cesse la mise à sec de la France par destruction des moulins, étangs, barrages et autres retenues.

03/07/2019

Auvergne, Bourgogne : biodiversité exceptionnelle des étangs de moulin et de forge

Dans l'actualité, on parle de la biodiversité remarquable des étangs de Marcenay en Bourgogne et de Pulvérières en Auvergne, avec des dizaines d'espèces recensées. Pas seulement les poissons, mais davantage encore les libellules, les amphibiens, les oiseaux, les mammifères, les plantes. Point commun de ces étangs: ce sont des écosystèmes artificiels attenant pour l'un à une forge et pour l'autre à un moulin. Ce n'est pas une surprise : la recherche scientifique nous dit la valeur des étangs, mares, lacs, retenues, canaux et biefs pour le vivant. Et tous les riverains l'observent, même sur des sites de dimension modeste. Nous devons sortir de toute urgence de l'idéologie française de la destruction de ces ouvrages hydrauliques et de leurs biotopes au nom d'une vision dépassée, et dangereuse, de la continuité écologique et de la "renaturation des rivières". Cette doctrine administrative détruit des sites, elle diminue partout les surfaces aquatiques et elle altère le vivant en place. Il est logique de préserver des rivières non encore modifiées par l'homme, il est normal d'aider des poissons grands migrateurs à franchir des barrages, mais il est absurde et délétère de détruire les écosystèmes anthropisés en place. 



En Bourgogne, la préfecture de Côte d'Or a engagé le classement en protection de biotope de l’étang de Marcenay et de ses abords, situé sur les communes de Marcenay et de Larrey.

Cette zone a une biodiversité remarquable dont de nombreuses espèces protégées au titre de l'article L.411-1 du code de l’environnement, notamment :

Renoncule grande douve (Ranunculus lingua), Orchis incarnat (Dactylorhiza incarnanta), Pédiculaire des marais (Pedicularis palustris), Gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe), Blongios nain (Ixobrychus minutus), Rousserolle turdoïde (Acrocephalus arundinaceus), Busard des roseaux (Circus aeruginosus), Bruant des roseaux (Emberiza schoeniclus), Chardonneret élégant (Carduelis carduelis), Gobemouche gris (Muscicapa striata), Gorgebleue à miroir (Luscinia svecica), Grèbe castagneux (Tachybaptus ruficollis), Héron cendré (Ardea cinerea), Mésange boréale (Parus montanus), Phragmite aquatique (Acrocephalus paludicola), Pic épeichette (Dendrocopos minor), Muscardin (Muscardinus avellanarius), Vespertilion de Daubenton (Myotis daubentoni).

En Auvergne, l’étang Grand sur la commune de Pulvérières est classé Espace Naturel Sensible (ENS) depuis 2006. Au total, 171 espèces d’oiseaux dont 68 nicheuses ont été recensées par la Ligue de protection des oiseaux (LPO). De même que 30 espèces de mammifères, 8 d’amphibiens, 6 reptiles ou 21 espèces de poissons.

Une étude de la LPO vient de lancer un inventaire état zéro de la présence des odonates (libellules et demoiselles), dont 47 espèces ont été rapportées en observation.



Quel est le point commun de l'étang de Marcenay et de l'étang de Pulvérières? Ce sont des plans d'eau artificiels, d'origine humaine, créés l'un pour une forge et l'autre pour un moulin. 

La biodiversité exceptionnelle de ces plans d'eau artificiels n'est en rien une surprise : la recherche scientifique européenne comme internationale a amplement montré que des écosystèmes créés par l'homme peuvent abriter des biodiversités équivalentes, voire supérieures à celles des écosystèmes naturels adjacents. C'est vrai en particulier des écosystèmes anciens et partiellement renaturés comme le sont souvent les moulins et les étangs, notamment en têtes et milieux de bassin versant. Même des petits biotopes peuvent héberger une faune ou une flore d'intérêt.

Face à ces évidences massives, observées sur le terrain comme dans la littérature scientifique, nous ne pouvons plus accepter le discours de l'Office français de la biodiversité (ex AFB, ex Onema)  et de la direction de l'eau du ministère de l'écologie selon lequel les ouvrages hydrauliques seraient des problèmes pour le vivant. C'est au contraire la destruction des étangs, retenues, biefs, canaux qui représente une erreur sans précédent. Cette tragique méprise est inspirée par deux biais :
  • d'une part, le discours écologique de la rivière a été centré à l'excès sur certains poissons spécialisés migrateurs ou de milieux lotiques (courants), en particulier ceux qui intéressent des pêcheurs eux-mêmes spécialisés (volonté de maximiser les populations de salmonidés);
  • d'autre part, l'écologie française de la conservation a été trop inspirée par des théories du 20e siècle sur le possible retour à un état antérieur d'équilibre de la nature, alors qu'un nombre croissant de chercheurs pensent que cette manière de poser la problématique est caduque, et contredite par les observations.
Nous devons protéger tous les écosystèmes, naturels comme artificiels, et cesser la destruction de nombreuses surfaces en eau de nos territoires au nom de la continuité en long. Si la franchissabilité d'un ouvrage est démontrée comme nécessaire pour des motifs écologiques de conservation (espèce migratrice menacée et attestée), elle pourra être garantie par des solutions non destructrices.

Toutes les associations doivent désormais être mobilisées pour la défense de ces biens communs menacés et l'explication aux élus de ces enjeux. Et tous les propriétaires d'ouvrages hydrauliques doivent être informés des conditions de bonne gestion écologique de leurs biens.

Sur l'erreur de l'AFB (OFB) et de la doctrine administrative
Une agence française pour ou contre la biodiversité ?

Sur la recherche scientifique des écosystèmes anthropisés

  • L'indifférence et l'ignorance sur les écosystèmes aquatiques artificiels conduit à des mauvais choix de conservation biologique (Clifford et Hefferman 2018)
  • La biodiversité des étangs, mares et lacs est dangereusement négligée (Davies et al 2018)
  • Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)
  • Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion européenne des bassins hydrographiques en raison de leurs peuplements faune-flore (Hill et al 2018)
  • Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
  • Les barrages sont à conserver et gérer pour le vivant et le débit en adaptation au changement climatique (Beatty et al 2017)
  • Un étang augmente la densité de certains invertébrés et la disponibilité d'eau pour le vivant (Four et al 2019)
  • La biodiversité des poissons d'eau douce provient en partie de la fragmentation des milieux (Tedesco et al 2017)
  • Un effet positif des barrages est observé sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018)
  • La biodiversité des étangs piscicoles est d'intérêt en écologie de la conservation (Wezel et al 2014)
  • Les canaux servent de corridors biologiques pour la biodiversité (Guivier et al 2019)
  • Les petits ouvrages ont des effets comparables aux barrages de castor (Ecke et el 2017)
  • Epis hydrauliques et casiers du Rhône, un héritage humain qui profite au vivant (Thonel et al 2018)
  • Les effacements d'étang ont un bilan défavorable pour l'eau et le vivant (Aldomany 2017)
  • L'écrevisse à pattes blanches bénéficie de la fragmentation des cours d'eau par les chutes naturelles et artificielles (Manenti et al 2018

Illustrations : en haut, étang de Marcenay, Claude Piard, CC BY-SA 4.0 ; en bas étang de Pulvérières, Terra Volcana, droits réservés. 

23/03/2019

Le castor eurasien décide de construire ses barrages selon la hauteur d'eau de la rivière (Swinnen et al 2019)

Champions de la discontinuité écologique, les castors sont connus pour leur capacité à construire des barrages et retenues qui modifient l'environnement local de la rivière. Mais parfois, ils se contentent de bâtir aussi des huttes, des abris ou des terriers, sans édifier d'ouvrages hydrauliques en travers des lits. Une équipe de chercheurs belges a comparé les facteurs écologiques dans 15 territoires de castor avec des barrages (32 ouvrages) et 13 autres territoires sans barrages. Leur principale conclusion, convergente avec une précédente étude suédoise : dans 97% des cas, la profondeur de l'eau est le paramètre décisif pour prédire les rivières qui auront des barrages. Les castors s'engagent dans la construction d'ouvrage avec une haute probabilité là où la lame d'eau est inférieure à 68 cm. Aujourd'hui, le castor se ré-implante dans tous les territoires d'Europe dont il avait été chassé : cela signifie que les rivières de tête de bassin versant ont vocation à être de nouveau fragmentées par leurs nombreux barrages. Cette fragmentation a des avantages écologiques reconnus.


Le castor eurasien (Castor fiber) était autrefois répandu dans les forêts et vallées fluviales boisées d'Europe et d'Asie. Mais sa chasse excessive pour la fourrure, la viande et le castoréum a causé un déclin massif et il ne restait au XXe siècle qu'environ 1200 castors d'Eurasie au sein de 8 petites populations reliques. Les translocations, la propagation naturelle et la réduction de la prédation ont permis une expansion des populations, qui atteignent aujurd'hui jusqu'à un million d'individus. Les castors sont de nouveau présents dans la majeure partie de leur ancienne aire de répartition.

"Les castors sont souvent considérés comme des ingénieurs des écosystèmes car ils peuvent modifier, maintenir ou créer des habitats en modulant la disponibilité des ressources biotiques et abiotiques pour eux-mêmes et pour les autres espèces" rappellent Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues des universités d'Anvers et de Gand. Les castors abattent des arbres, construisent des barrages, assemblent des abris et creusent des terriers, dans le lit des rivières et sur leurs berges.

La technique la plus connue et la plus spectaculaire du castor est la construction de barrages coupant le lit des rivières.

Les chercheurs belges rappellent ainsi le rôle des barrages dans la stratégie de vie des castors : "Bien que les barrages remplissent plusieurs objectifs, ils augmentent tous le niveau d'eau en amont du barrage, créant ainsi une retenue pour les castors. Cette retenue leur permet de construire un terrier ou une hutte avec une entrée sous-marine, ce qui réduit les risques de prédation (Gurnell 1998, Hartman et Axelsson 2004, Rosell et al 2005) et peut être utilisé pour cacher de la nourriture pour l'hiver (Hartman et Axelsson 2004, Beck et al 2010). De plus, l’augmentation du niveau d’eau associée aux barrages de castor peut modifier la position du bord de la retenue, facilitant ainsi l’accès aux sources de nourriture, car les castors préfèrent chercher leur nourriture à moins de 10 m de l'eau (Nolet et al 1994, Hartman et Tornlov 2006)."

Mais cette option du barrage n'est pas systématique. Si les castors peuvent être présents dans divers environnements lentiques et lotiques, des petites rivières et des étangs aux grandes rivières et aux lacs, les ouvrages ne sont pas pour autant construits dans tous leurs territoires.

Qu'est-ce qui détermine le choix de construire ou non ces barrages et retenues de castors?

Les scientifiques ont collecté des données sur tous les territoires de castor connus en Flandre, 3 territoires adjacents dans la région wallonne de Belgique et un territoire aux Pays-Bas. La population de castors de cette région se répartit dans 71 territoires au moment de l'étude (2017), avec un potentiel estimé de 924 territoires de castor (la réintroduction en Belgique ne date que de 2003 et la colonisation par les castors ne fait que commencer). Les chercheurs ont sélectionné 15 territoires à barrages et 13 sites témoins sans barrages.

Dans un précédent travail, Hartman et Tornlov (2006) avaient étudié l'influence de la profondeur et de la largeur du cours d'eau sur la construction de barrages de castor en Suède. Ils ont pu établir une distinction entre les sites de hutte et de barrage dans 93% des cas. Les chercheurs ont testé l'importance de ces paramètres dans un paysage différent et ont inclus 5 paramètres environnementaux supplémentaires : vitesse du cours d'eau, distance entre barrage, terrier, hutte et végétation ligneuse la plus proche, hauteur des berges. Ces nouveaux paramètres différaient significativement entre les sites de barrage et les sites témoins, mais ils n'augmentaient pas pour autant la puissance de l'arbre de classification.

Ainsi, les chercheurs concluent : "le meilleur arbre de classification n'incluait que la profondeur de l'eau, avec une classification correcte de 97% avec un seuil de profondeur de 68 cm, ce qui indique que d'autres paramètres entraînent une amélioration négligeable des résultats de la classification".

Enfin, dans la zone étudiée, les barrages de castor ont augmenté le niveau d'eau en moyenne de 47 ±21 cm, ce qui est presque identique à la 46 ± 21 cm rapporté par Hartman et Tornlov (2006). En ce qui concerne le risque d'inondation, en moyenne, le point le plus bas de la rive n'est que de 25 cm plus haut que le niveau d'eau en amont du barrage.

Discussion
Le fait que la hauteur d'eau soit le critère discriminant de construction des barrages du castor eurasien suggère qu'à mesure de sa recolonisation de nos vallées, le rongeur aquatique va reprendre ses constructions dans les zones boisées des têtes de bassin versant, là où l'on trouve des rivières et ruisseaux de faible profondeur.

Kristijn R. R. Swinnen  et ses collègues rappellent l'intérêt des barrages et retenues de castors : "Bien que la construction de barrages puisse être incompatible avec d'autres types d'utilisation des terres, la présence de castors et de leurs barrages peut également être intégrée à la politique actuelle de restauration écologique des rivières (Pahl-Wostl 2006). Le rôle essentiel des barrages de castor dans le maintien et la diversification des cours d'eau et de l'habitat riverain a été reconnu (Rosell et al 2005, Pollock et al  2018). Les castors peuvent augmenter la rétention d'eau, le débit de base et la recharge des eaux souterraines; diminuer les débits de pointe; augmenter la rétention de sédiments; et influer sur la température de l'eau, le cycle des éléments nutritifs, les contaminants et la géomorphologie (Rosell et al 2005, Pollock et al 2018). En outre, les castors peuvent modifier l’abondance et la richesse en espèces de plantes, invertébrés, amphibiens, reptiles, poissons, oiseaux et mammifères (Collen et Gibson 2001, Rosell et al 2005, Dalbeck et al 2007, Nummi et Hahtola 2008, Stringer et Gaywood 2016)."

Contrairement à certaines idées reçues que véhicule une écologie administrative ("continuité écologique"), la parfaite connectivité en long et la non-fragmentation des lits mineurs ne sont donc pas spécialement l'état naturel des rivières en tête de bassin versant. Outre les castors, les barrages spontanés d'embâcles par chute de troncs sont aussi fréquents dans ces cours d'eau, avec des temps de décomposition pouvant être longs. Pour le petite histoire, l'administration française considère qu'un "obstacle à la continuité écologique" commence à partir de 20 cm, soit deux fois moins que la hauteur moyenne des barrages de castors. La police de l'eau risque d'être débordée par les contrevenants!

Références : Swinnen KRR et al (2019), Environmental factors influencing beaver dam locations, The Journal of Wildlife Management, 83, 2, 356-364

Illustration : en haut, la courbe et le profil de ce barrage (établi sur un petit cours d'eau près d'Olden, dans la région de Jämtland en Suède) le rendent similaire à celui qui aurait été fait par un ingénieur, par Lars Falkdalen Lindahl, CC BY-SA 4.0 ; ci-dessous, barrage de castor dans le Parc national de Lahemaa (Estonie), par Athanasius Soter Domaine public

11/03/2019

La valeur écologique des petits plans d'eau doit être reconnue et préservée (Bolpagni et al 2019)

Etangs, lacs, plans d'eau, canaux, tourbières, mares, marais... de nombreux petits systèmes d'eau lentiques et stagnants sont présents dans les bassins versants, nourris tantôt par les pluies, les nappes ou les cours d'eau. Ils attirent moins l'attention que les rivières et grands lacs : pourtant, leur apport en écologie est essentiel, notamment dans les bassins versants impactés par l'agriculture ou l'urbanisation. Un passage en revue de la littérature scientifique récente (2004-2018) souligne le rôle de ces petits plans d'eau dans la biodiversité, l'épuration des polluants, le refuge face au changement climatique. Les chercheurs appellent à une évolution de la directive-cadre européenne sur l'eau pour intégrer cette réalité dans la gestion publique. C'est une urgence en France, où une politique mal informée de continuité écologique conduit à la destruction de nombreux étangs, plans d'eau et canaux comme à l'assèchement de leurs zones humides annexes.



Les petits plans d'eau (PPE) sont des masses d’eau lentiques peu profondes (moins de 20 m) et d’une superficie comprise entre 1 m2 et plusieurs ha (≤ 10 ha), incluant des petits lacs, retenues, gravières, étangs, mares et zones humides. Elles sont pérennes ou temporaires, avec une origine naturelle ou artificielle. Leur source principale d’alimentation en eau peut varier : dépôts atmosphériques uniquement (type ombrotrophe), eaux de surface ou eaux souterraines. Ces typologies diversifiées sont couplées à un très large spectre de taux d’interconnexion ou d’isolement (dans le temps et dans l’espace) avec le réseau hydrologique de surface. Il y a donc une grande diversité de fonctionnement des PPE, expliquant leur capacité à accueillir du vivant à échelle du bassin.

Rossano Bolpagni et 5 collègues universitaires ont passé en revue la littérature scientifique récente sur ces petits plans d'eau. Ils constatent que les nombreuses preuves de leur intérêt écologique "ne se traduisent pas en réglementations contraignantes et programmes politiques capables de produire une stratégie de protection globale. Cela contraste avec les résultats de plusieurs études mettant en évidence la contribution essentielle des PPE à la biodiversité locale, régionale et mondiale. (...) Cela est imputable aux dimensions relativement petites et à la complexité structurelle et biotique intrinsèque des PPE, ce qui limite considérablement la possibilité d'établir des mesures générales de conservation, ainsi que d'acquérir des données de qualité sur leur statut ou des valeurs de naturalité."

Leur recherche sur les études scientifiques concernant la valeur écologique des PPE a produit 118 articles correspondaient au sujet, dont 62 pour la période récente 2013-2018. Sur l'ensemble de la période considérée (2004-2018), les habitats cibles des études sur les PPE étaient principalement des étangs (49,2%) et des zones humides (25,4%). Les autres types d’habitat pris en compte en tant que PPE (tourbières, chenaux, lacs, mares, rizières, plans d'eau, marais) ont été beaucoup moins étudiés avec des taux largement inférieurs à 10,0%.

Les macro-invertébrés benthiques (43,2%), la flore vasculaire (incluant également les plantes non strictement aquatiques 19,5%) et les macrophytes (plantes exclusivement aquatiques 18,6%) ont été les plus étudiés. En revanche, peu d’articles ont traité d’amphibiens (8,5%), d’oiseaux (3,4%), d’algues (3,4%) et de mammifères (0,8%).

Les chercheurs observent : "Rosset et al., Fuentes-Rodríguez et al, Tóth et al, Briers, Hill et Wood, Bazzanti, Wissinger et al, Harabiš et Hill et al offrent des exemples clairs des travaux les plus récents de PPE. Ces auteurs ont détecté des taux élevés de biodiversité et la présence de taxons rares ou menacés hébergés dans des étangs, qui ont tendance à augmenter de manière significative en présence de végétation aquatique submergée ou de faibles taux de perturbation humaine (conditions proches de l'état vierge). Mais les étangs sont des habitats de valeur exceptionnelle, en particulier dans les paysages moyennement à fortement impactés tels que les contextes agricoles ou urbains. Là, les plans d'eau contribuent activement au maintien d’une gamme diversifiée et abondante de niches d’eau douce pouvant offrir un refuge convenable à un large éventail d’espèces. Cependant, cela ne peut être garanti qu'en fournissant des conseils solides aux propriétaires ou aux riverains de manière à renforcer la contribution des étangs à la biodiversité locale. En outre, ces travaux ont également souligné le «comportement sentinelle» des étangs dans la mesure où ils sont particulièrement vulnérables aux perturbations régionales et mondiales provoquées par l'homme, notamment l'eutrophisation, l'acidification de l'eau et le changement climatique."

Enfin, les scientifiques soulignent qu'il s'agit d'un "sujet en pleine expansion dans le domaine de la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l'eau. Il est maintenant généralement admis que l’échelle du bassin versant est l’échelle spatiale (unique) appropriée de l’intervention de restauration lorsqu’un rétablissement durable d’un écosystème dégradé est visé. À cette échelle, les petits plans d'eau apparaissent comme l'un des composants les plus importants de la régulation de l'équilibre de l'eau et des flux de matières, en particulier des cycles du carbone et des éléments nutritifs, ainsi que du contrôle des pesticides et des polluants par purification biologique".

Ils ajoutent à propos des nouvelles conditions hydroclimatiques : "l'incidence croissante de l'intermittence des rivières conduira à une pertinence croissante des «plans d'eau résiduels», en raison de la contraction progressive du débit superficiel dans les habitats aquatiques lotiques. Dans quelques décennies, cela aura pour effet d’élargir le rôle des PPE dans la préservation de la biodiversité et des fonctions écologiques."

Discussion
La pleine intégration des masses d'eau lentiques et stagnantes est donc une prochaine étape pour la mise en oeuvre de la directive européenne sur l'eau, comme pour les politiques publiques de protection de milieux aquatiques en général.

On doit souhaiter que la France engage des programmes de recherche pour faire l'inventaire des fonctionnalités et biodiversités des petits plans d'eau. Cela inclut notamment les dizaines de milliers de sites issus de l'implantation ancienne des moulins et étangs, dont certains se sont "naturalisés" avec le temps, particulièrement en tête de bassin versant. Alors que des travaux sont menés sur certains milieux d'intérêt - par exemple les tourbières, les zones humides littorales, les mangroves -, il n'existe pas à notre connaissance de programme coordonné en vue d'un inventaire des petits plans d'eau continentaux et d'une grille méthodologique d'estimation de leur intérêt écologique. Cette carence est dommageable à l'heure où l'on investit beaucoup dans la restauration des bassins versants.

La politique de restauration de continuité écologique longitudinale, qui absorbe énormément de fonds publics dans le domaine morphologique, conduit dans de nombreux cas à remettre en question l'existence de canaux, retenues, zones humides latérales aux écoulements en place. Cette politique a un coût-bénéfice douteux si l'on prend en compte les aspects positifs des plans d'eau (et non leur seule discontinuité), ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Elle ne peut pas persister sans être accompagnée d'une analyse systématique des complexes faune-flore en place et du rôle auto-épurateur de sites. En particulier, aucune effacement de petits plans d'eau ni assèchement de biefs ou canaux ne devrait avoir lieu sans avoir préalablement établi la garantie d'un bilan positif net de biodiversité et sans une compensation systématique des surfaces en eau perdues, sur le même bassin, et avec hydropériode comparable.

Référence : Bolpagni R et al (2019), Ecological and conservation value of small standing-water ecosystems: A systematic review of current knowledge and future challenges, Water, 11, 402, doi:10.3390/w11030402

Illustration : milieu humide en marge de l'étang de Bussières (89). Sur ce site, 5 hectares d'étang et de zones humides ont été détruits par une restauration bâclée de continuité écologique, sans aucune étude d'impact ni inventaire de biodiversité malgré la demande de notre association à l'Agence française de la biodiversité. Le cas est en contentieux.

A lire sur ce thème
Les canaux comme corridors biologiques contribuant au maintien de la biodiversité (Guivier et al 2019)
Sortir de l'indifférence et de l'ignorance sur les écosystèmes aquatiques artificiels (Clifford et Hefferman 2018)
Evaporation et effacement des étangs: une thèse universitaire dénonce certains dogmes publics (Aldomany 2017) 
Les casiers Girardon du Rhône, des aménagements hydrauliques favorables au vivant (Thonel et al 2018) 
Les nouveaux écosystèmes et la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018) 
Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018) 
Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018) 
Des zones humides permanentes plus riches en diversité (Gleason et Rooney 2018) 
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013) 

Nos requêtes à l'AFB et au ministère de l'écologie
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes 

14/02/2019

Inquiétudes autour de l'étang du Pont de Kerlouan

Les riverains de l'étang du Pont de Kerlouan, dans la communauté de communes de Lesneven (Finistère) sont inquiets à propos de l'avenir du site. Comme dans bien d'autres lieux en France, la mise en conformité à la continuité écologique est problématique et la solution provisoire demandée par la DDT-M (ouverture en permanence des vannes) nuit aux fonctions écologiques, paysagères et épuratoires du site, de même qu'elle interdit toute reprise de l'activité du moulin en tête d'étang. Nous reproduisons ici la lettre ouverte de ses riverains, qui souhaitent une gestion de l'étang adaptée à l'ensemble de ses enjeux. La position de l'administration du Finistère sera un bon test de la continuité écologique "apaisée" promise par le ministère de l'écologie, mais toujours pas entrée dans les faits. Les territoires demandent davantage de concertation sur l'avenir de leur cadre de vie, et cette attente est particulièrement forte pour la gestion des rivières et étangs.


Lettre
Nous sommes un collectif de riverains qui était préoccupé en premier lieu par l’aspect paysager de ce site méconnu et remarquable. Nous nous sommes également fortement intéressés à  l’écologie liée à ce site constitué d’un étang naturel, dortoir et refuges d’oiseaux (principalement des anatidés), hébergement de mollusques filtrants (anodontes) et de poissons, et à la flore remarquable et méconnue. Cet étang est précédé par une zone humide.

En queue de cet étang naturel, traversé par la rivière Quillimadec, s’était développée une activité de meunerie maintenant éteinte. 

Les vannages de cette activité de meunerie  ont peu à peu contribué à l’envasement de ce petit lac, aidé par le déboisement et la suppression de talus sur l’amont.

D’autre part un curage violent de la rivière en amont (il y a une trentaine d’années) avait déjà entrainé un afflux de boue à l’entrée de l’étang. Les travaux ayant du s’interrompre car le chenillard de curage s’était envasé dans ces boues brassées.

Toutefois, l’activité du moulin réussissait  à garder cet étang en eau et à en maintenir son pouvoir filtrant reconnu et non négligeable.

L’arrêt de cette activité meunière et un vannage aléatoire n’ont fait qu’accélérer l’envasement.

La succession du meunier a vendu l’étang en 2015 à la communauté de communes de Lesneven et le moulin a été vendu à un opérateur économique qui devait y moudre de la farine biologique. Hélas cet opérateur a été touché par une liquidation judiciaire avant que de commencer son exploitation. Le moulin est toutefois dans les actifs  du failli et le non paiement de la vente dans la masse des créanciers de cette liquidation.

Aujourd’hui, le propriétaire actuel du moulin, en liquidation judiciaire, est mis en demeure par arrêté préfectoral de produire une analyse sur la création d’une passe à poissons pour maintenir la continuité écologique.

A titre conservatoire et le temps donné à cette analyse, les vannes sont maintenues en position ouverte. Ainsi plus 13 hectares d’étang sont à l’air libre et sont menacés à très court terme de se végétaliser, ne laissant passer que la rivière.

Cet arrêté est d’autant plus affligeant qu’il existe un exutoire naturel à ce moulin par lequel la continuité écologique se fait naturellement quand l’étang est en eau. Cet exutoire est l’ancien lit de la rivière Quillimadec.  Le meunier avait quant à lui aménagé la queue de l’étang pour faciliter son activité et même installer une turbine de production électrique. Pour ce faire il avait quasiment by-passé la sortie naturelle.



Notre collectif est persuadé qu’il y a des solutions intelligentes pour garder l’étang en eau et maintenir la continuité écologique sans qu’il y ait un curage d’ampleur mais un rétablissement du site naturel d’origine. Ce site est fréquenté par nombres de randonneurs, de photographes animaliers, d’amoureux de la nature sauvage.

Il devrait même être possible de rétablir une production électrique en sortie de ce petit lac alimenté par 25 kilomètres de rivière et 250 kilomètres de ruisseaux et ainsi « effacer positivement» l’activité de meunerie.

L’autre sujet corollaire à cet étang est la considération de son pouvoir filtrant, Ô combien nécessaire dans le cadre des rejets des eaux du Quillimadec dans son estuaire de la baie de Guissény. La coïncidence de l’interdiction de baignade sur deux plages de cette baie avec l’arrêt d’exploitation du moulin est troublante.

Que penser alors du nouvel « affluent » que va constituer le rejet de la nouvelle station d’épuration de Kerlouan-Guissény en amont de l’étang du Pont ? Notamment quand celui ci aura rapidement disparu ne laissant subsister que le chenal du Quillimadec ? 

Pour notre réflexion nous sommes mis en contact avec divers organismes et associations ( Eau et Rivières, Moulins et Rivières, Bretagne Vivante, Natura 2000, OCE,…)

Nous posons les questions suivantes :

  • Qu’est ce qui a motivé l’achat de l’étang par par la Communauté de Communes?
  • Pourquoi un achat « partiel » c.a.d sans le moulin et son bief?
  • Pourquoi avoir choisi rejet  de la station d’épuration  dans le Quillimadec au lieu de l’Alanan comme précédemment?
  • Pourquoi avoir choisi le rejet de la station d’épuration en amont de l’étang du pont?
  • Quid de la continuité écologique ( poissons migrateurs et oiseaux migrateurs, dortoirs...)?
  • Quid des capacités d’auto épuration si l’étang est totalement envasé ne laissant que la rivière ( nitrates, phosphore,  bactériologique)?
  • Les études déjà menées ont-elles été effectuées en connaissance de cause et en tenant compte des potentiels? 
  • Et enfin  : quelles sont les hypothèses d’avenir ?



Illustrations : en haut, l'étang vidé, avec sauvetage de chevreuil prisonnier des vases ; au milieu, l'étang en eau, un réservoir reconnu pour les oiseaux aquatiques ; en bas, le moulin de l'étang du Pont (Ouest-France, DR).

12/02/2019

Faut-il reconstruire des barrages mimant ceux des castors ? (Lautz et al 2019)

Les Etats-Unis avaient été pionniers de la politique de destruction des grands barrages dans le dernier tiers du XXe siècle. Une nouvelle pratique s'y répand aujourd'hui : la multiplication de petits seuils artificiels mimant les effets des barrages de castor, là où les grands rongeurs semi-aquatiques ont été décimés. Car ces ralentissements de l'eau ont des effets recherchés, comme la lutte contre l'incision, le débordement en lit majeur, la diversification des habitats ou encore la recharge de la nappe phréatique au long de l'année. Des chercheurs appellent toutefois à mesurer les impacts avant de généraliser, d'autres techniques de restauration de rivières ayant révélé des échecs ces dernières décennies. Le débat sur l'intérêt des petits ouvrages est néanmoins relancé, car divers effets positifs des barrages de castors existent aussi bien pour des seuils et chaussées en rivière issus de l'histoire humaine, que certains réputent pourtant en France dénués de tout intérêt écologique...



Les castors sont des ingénieurs de l'écosystème. Lorsqu'ils construisent leurs barrages pour retenir l'eau, on observe des effets à l'échelle du bassin sur l'hydrologie, la dynamique des sédiments, la composition et la diversité des communautés animales aussi bien que végétales.

Comme l'observent Laura Lautz et ses collègues, "il n’est peut-être pas surprenant que des ingénieurs travaillant à la restauration de cours d’eau imitent maintenant les activités des castors, dans l’espoir de produire des effets similaires sur l’écosystème."

Les "barrages de type castor" (Beaver Dam Analogues, BDA) sont ainsi des "barrages construits par l'humain, conçus pour imiter les barrages de castors naturels dans le but de ralentir le débit de l'eau, d'augmenter les dépôts de sédiments et d'améliorer les habitats des rivières et des berges (Pilliod et al 2018)."

Des milliers de ces "BDA" ont déjà été déployés dans les montagnes de l'Ouest des États-Unis et leur popularité ne cesse de croître là-bas.

Pour les chercheurs, "le BDA en tant qu'outil de restauration de cours d'eau représente un changement de paradigme, passant de méthodes de conception statiques à long terme, telles que la conception de canaux naturels (NCD), à des approches de conception dynamiques à court terme."

Les BDA, conçus pour être provisoires, ne sont toutefois pas des analogues exacts des barrages construits par les castors. Ils sont souvent implantés pour en mimer les effets là où les castors ont disparu, où le lit s'est incisé et la nappe abaissée.

"Les BDA ne créent pas de conditions géomorphorlogiques statiques et sont conçus pour durer quelques années. Les BDA ont pour but de modifier les schémas d'érosion et les niveaux des cours d'eau et des nappes phréatiques, permettant ainsi au canal d'évoluer vers des formes de canaux plus naturelles (par exemple, des prairies et des chenaux de rivière tressés) (Pollock et al 2014). Les BDA ne sont pas non plus explicitement équivalents aux barrages de castor naturels, mis à part leur forme physique. En effet, ils sont généralement installés pour restaurer une étendue dégradée en raison de l'extinction locale du castor dans le paysage. La perte de castors entraîne généralement une érosion du chenal (en raison de la vitesse élevée de celui-ci), une diminution de la disponibilité de l'eau en fin d'été (en raison de la nappe phréatique abaissée) et une productivité réduite de la végétation riveraine (en raison de l'humidité limitée du sol; Bouwes et al 2016). Au moment de l'installation des BDA, les canaux sont souvent tellement incisés que les castors ne sont pas censés le réoccuper sans BDA, même s'ils sont introduits pour le repeuplement."

Les chercheurs appellent toutefois les gestionnaires à modérer les ardeurs : il est désormais reconnu que des erreurs ont été faites en restauration écologique de rivières "naturelles" ces dernières décennies, avec des choix précipités sans retours d'expérience très solides :

"Dans de nombreux cas, des études montrent que les rivières impactées passent à un nouvel état après restauration, mais qu'elles ne se dirigent pas nécessairement vers un statut de référence (par exemple, Daniluk, Lautz, Gordon et Endreny 2013). En outre, le simple concept de rivière de référence peut ne pas constituer une conceptualisation réaliste dans les régions fortement touchées par l'agriculture et l'urbanisation (McMillan et Vidon 2014). Malheureusement, beaucoup de ces résultats ont été publiés après que la conception de flot naturel soit devenu synonyme de restauration de cours d'eau. Même s'il existe des cas où les approches de restauration des cours d'eau ont porté leurs fruits, la popularité et l'utilisation systématique de ces travaux dans de nombreuses régions se poursuivent malgré le manque de preuves de leur efficacité."

Sans nier l'intérêt potentiel de cette technique, Laura Lautz et ses collègues suggèrent donc une certaine prudence et une analyse plus systématique des effets des recréations de petits barrages de type castor.

Discussion
La disparition de castors suite à leur chasse excessive par les humains a entraîné des effets bien documentés par la recherche scientifique : érosion, incision, moindre disponibilité d'eau à l'étiage, baisse de la productivité biologique en berge.

A l'heure où l'administration française s'est mis en tête de supprimer le maximum d'ouvrages hydrauliques, mêmes modestes, pour restaurer des cours d'eau rapides comme paradigme de la "nature retrouvée" (et pour la satisfaction de certains usagers pêcheurs de salmonidés), il est intéressant de voir que les idées évoluent en hydro-écologie. Peut-être faudrait-il éviter de se précipiter avec des politiques à coûts élevés et retours d'expérience encore peu rigoureux, comme Laura Lautz et ses collègues le demandent outre-Atlantique? La restauration de cours d'eau est loin d'être une science exacte, et les modes du moment peuvent révéler des effets pervers inattendus. On aimerait que les gestionnaires publics aient cette prudence à l'esprit avant de perturber des systèmes d'hydraulique ancienne présent depuis des siècles, formant parfois des écosystèmes originaux, et qu'il sera bien difficile de reconstruire si le bilan de leur disparition se révèle moins bon que prévu.

Quant au retour du castor européen dans les rivières, déjà bien entamé en France, il est évidement le bienvenu. Ce retour ne manquera pas de montrer que les discontinuités hydrologiques et morphologiques sont aussi nombreuses là où des hydrosystèmes reprennent leurs propres dynamiques.

Référence : Lautz L et al (2019), Restoring stream ecosystem function with beaver dam analogues: Let's not make the same mistake twice, Hydrological Processes, 33, 1, 174-177

Illustration : un barrage artificiel de type castor, sur le ruisseau de Red Canyon, dans le Wyoming. Extrait de Lautz et al 2019, art cit, tous droits réservés.

20/10/2018

Sortir de l'indifférence et de l'ignorance sur les écosystèmes aquatiques artificiels (Clifford et Hefferman 2018)

Dans un vaste passage en revue de la littérature scientifique, deux chercheurs de l'université Duke appellent à une prise en compte des écosystèmes aquatiques d'origine artificielle dans la gestion écologique de l'eau et des milieux aquatiques. Ils soulignent que ces écosystèmes sont déjà incontournables, et parfois majoritaires dans le "paysage aquatique" de nos sociétés. Si ces artificialisations représentent des impacts sur la nature, elles produisent également des services écosystémiques. Même du point de la vue de la biodiversité, l'évolution locale des espèces est rapide : il n'est plus possible de gérer l'avenir du vivant en se restreignant à la seule fraction des masses d'eau très peu impactées, ni en opposant le naturel à l'artificiel pour négliger le second terme, alors que chaque bassin versant est devenu une réalité hybride. Partout dans le monde, des chercheurs en sciences de l'environnement et sciences sociales appellent à ce changement de paradigme en vue d'une écologie de la réconciliation. L'action publique en France a urgemment besoin de s'en inspirer, car ce sont des enjeux concrets pour les milieux aquatiques comme pour les populations humaines, notamment face aux pressions croissantes du changement climatique. A l'heure où des choix précipités et peu informés menacent partout l'existence de lacs, retenues, étangs, canaux et zones humides dans nos bassins, il est grand temps d'envisager la question de l'eau en se débarrassant de certaines oeillères.



L'article de Chelsea C. Clifford et James B. Heffernan s'ouvre sur un constat : "Les humains modifient la géomorphologie à une échelle de plus en plus grande, comparable à et, à certains égards, supérieure à la vitesse des processus naturels. Chaque changement que les gens apportent à la surface de la Terre peut avoir une incidence sur le débit et l’accumulation de l'eau. Les gens ont creusé des fossés, endigué des ruisseaux et des rivières, et déplacé d’une manière ou d'une autre la surface de la Terre pour diriger et stocker de l’eau à des fins humaines, en particulier de l’agriculture, pendant plus de 5 000 ans."

Les chercheurs observent que toutes ces masses d'eau d'origine humaine sont finalement peu connues. On les classe comme "artificielles" ou 'anthropiques", mais on ne reconnaît pas leur intégration dans un "paysage de l'eau" (hydroscape) complexe, hybride. L'étude de ces masses d'eau est confiée à des disciplines diverses qui travaillent trop peu entre elles. Leur valeur écologique manque d'une base de connaissance solide.

Clifford et Heffernan appellent la communauté savante à sortir de cet état d'ignorance. Les chercheurs proposent de mieux caractériser l'artificialisation d'un milieu, en fonction de traits permettant de comprendre la nature, l'extension, l'ancienneté des interventions humaines (construction ex nihilo, transformation, altération). Ils appellent aussi et surtout à une évaluation complète de leur valeur écologique : "Les systèmes aquatiques artificiels auront probablement une importance écologique, en raison de leur étendue, qui peut rivaliser avec celle des systèmes de drainage naturels et des masses d’eau. Les fonctions écologiques des systèmes artificiels ont probablement une signification sociale, souvent en tant que services et "disservices" écosystémiques, en raison de leur emplacement fréquent près d'un grand nombre de personnes. De plus, l'étendue, la répartition et les caractéristiques des masses d'eau artificielles sont susceptibles de changer rapidement, parallèlement à celles des masses d'eau naturelles. Une compréhension interdisciplinaire des services et disservices des systèmes aquatiques artificiels, des facteurs qui les influencent et de leur répartition dans l’espace et dans le temps pourrait favoriser la prise de décisions qui accroissent leur valeur écologique."

L'article de Clifford et Heffernan passe ainsi en revue plus de 200 références scientifiques et propose en annexe une première liste indicative des services (ou disservices) rendus par les écosystèmes aquatiques artificiels. Même dans le domaine de la biodiversité, où l'action humaine est souvent pointée comme négative, ce tableau fait apparaître que des masses d'eau artificielle peuvent aussi avoir des aspects positifs (pour des invertébrés et plantes aquatiques, des amphibiens, des espèces localement menacées qui ont colonisé ces milieux etc.)

Enfin, dans leur conclusion que nous traduisons ci-après, les chercheurs appellent à une écologie de la réconcliation qui englobe tous les écosystèmes (naturels et artificiels) dans nos réflexions et nos gestions de paysages aquatiques en mutation permanente :

"Les systèmes aquatiques artificiels constituent une composante importante, peut-être prédominante et probablement durable du paysage moderne de l'eau (modern hydroscape). Parce que l'extension même des écosystèmes aquatiques artificiels, par certaines mesures, rivalise de plus en plus avec celle des systèmes naturels, ils peuvent jouer un rôle important à la fois dans la conservation et dans la fourniture de services écosystémiques au sein de ces paysages aquatiques hybrides. La prémisse sous-tendant une écologie de la réconciliation est l’étendue insuffisante des habitats relativement non perturbés pour préserver autre chose qu’une fraction des espèces existantes. Dans certaines régions, il peut être difficile d’adopter une politique de conservation de la biodiversité suffisamment large sans inclure des systèmes artificiels. Étant donné que les systèmes aquatiques artificiels sont intimement liés aux éléments naturels du paysage aquatique et ne sont pas séparés de ceux-ci, l'amélioration de l'état des systèmes artificiels peut également bénéficier aux masses d'eau naturelles, ou parfois peut dégrader ces masses d'eau naturelles par captage; l'effet net de leur création doit tenir compte de tout ce qui précède. Ainsi, les plans d'amélioration de la gestion des terres et des eaux devraient cibler les systèmes aquatiques artificiels ainsi que ceux d'origine naturelle.

Pour tirer le meilleur parti des avantages socio-écologiques des systèmes aquatiques artificiels, nous devons comprendre non seulement leur valeur actuelle, mais également leur fourniture éventuelle de services écosystémiques. Cette compréhension nécessitera d’abord et avant tout de meilleures évaluations de l’extension et de la condition des systèmes aquatiques artificiels. Pour améliorer cette situation, nous devrons suspendre notre hypothèse conventionnelle selon laquelle les systèmes aquatiques artificiels sont intrinsèquement inférieurs ; au lieu de cela, nous avons besoin de plus d'études fondées sur des hypothèses évaluant les facteurs tels que les paramètres des bassins versants, la structure et la conception physiques des écosystèmes, la durée et la gestion qui influencent leurs conditions écologiques. Au-delà de cette exploration initiale, nous devrons examiner plus en détail les interactions entre ces facteurs et les autres moyens de définir les mécanismes sous-jacents à l'artificialité (physique ou biologique, par exemple), d'abord conceptuellement puis au moyen d'études bien contrôlées.

Étant donné que la manière dont nous percevons les systèmes aquatiques artificiels peut affecter leur état et leur valeur ultimes, une gestion efficace du paysage hybride moderne de l'eau peut nécessiter de reconsidérer les normes culturelles relatives au concept d'artificialité, allant même jusqu'à défaire nos idées profondément ancrées sur la dichotomie homme / nature. Nous scientifiques de l'environnement et nos collaborateurs interdisciplinaires devons d'abord déployer de tels efforts pour soutenir notre propre travail, mais nous pouvons également jouer un rôle en aidant les responsables politiques et autres à faire face à ces défis."

Référence: Clifford CC, Heffernan JB, Artificial aquatic ecosystems, Water 2018, 10, 1096 - doi:10.3390/w10081096

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Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)

A lire notre requête 
Pour une étude publique de la biodiversité et de la fonctionnalité des ouvrages hydrauliques

23/07/2018

Evaporation et effacement des étangs: une thèse universitaire dénonce certains dogmes publics (Aldomany 2017)

"L’effacement des plans d’eau (petits ou grands) du continuum hydrographique est le nouveau dogme français lié à l’interprétation de la Directive cadre européenne sur l'Eau (DCE-2000) dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA-2006). En effet, cette stratégie se base sur des idées ne reposant sur aucune mesure exacte de l’influence des plans d’eau, supposée néfaste, sur la quantité d’eau s’écoulant dans les réseaux hydrographiques aval." C'est par ces mots que s'ouvre le résumé de la thèse de géographie de Mohammad Aldomany, dédiée à la mesure du bilan hydrologique réel des étangs en Brenne et Limousin. Le jeune chercheur observe que l'évaporation due aux étang est comparable à celle d'autres milieux naturels, et que leur bilan annuel est souvent favorable à la recharge en eau des milieux adjacents. Tout en pointant que nombre de documents administratifs se laissent aller à des généralités et des prescriptions sans mesure réelle des milieux concernés. Il est salutaire que les universitaires rappellent aux décideurs la nécessité de fonder les politiques publiques sur des données robustes, pas sur des diktats inspirés de diagnostics partiels et partiaux des milieux aquatiques. L'effacement préférentiel et l'assèchement des plans d'eau, des canaux dérivés, de leurs annexes humides est une politique sous-informée, dont le bilan écologique n'est pas étudié sérieusement, hormis quelques espèces spécialisées de poissons qui sont bien loin de résumer tous les enjeux de biodiversité ou d'usage de l'eau. Il est urgent de repenser les outils de la continuité écologique, dont les destructions sont hélas des choix sans retour pour les riverains et les biotopes. Extraits de l'introduction et de la conclusion de la thèse de Mohammad Aldomany.


Introduction : des politiques publiques inspirées par des généralités, une absence notable d'études empiriques préalables malgré un choix précipité d'effacement des plans d'eau

Récemment, le Syndicat de Bassin pour l'Aménagement de la rivière l'Oudon a adopté un chiffre qui estime la sur-évaporation correspondant au delta entre l'évaporation d'un plan d'eau et celle d'une prairie de 0,5 l/s/ha, soit à l'échelle annuelle une différence de 1577 mm ! Ce chiffre est similaire à la différence entre la quantité d'eau perdue par l'évaporation à partir d'une surface d'eau libre de 1000 m2 de superficie et celle perdue par l'évapotranspiration réelle d'une prairie possédant la même superficie qui est égale à 500 m3 pour une période de six mois allant du premier avril au 30 septembre. Cela veut-dire une sur-évaporation de 500 mm pour six mois seulement ! Ce dernier chiffre est issu de l'étude intitulée ''Étude sur la Détermination de débits de référence complémentaires sur le bassin versant de la Sarthe Amont'' menée par le bureau d'étude SAFEGE (avril 2015) pour le compte de l'Institution Interdépartementale du Bassin de la Sarthe. En sachant que les deux chiffres précédents se réfèrent à la sur-évaporation d'un plan d'eau existant dans une région de climat océanique humide par rapport à une prairie et pas à l'évaporation totale du plan d'eau qui est égale à la quantité totale de l'eau qui quitte la surface évaporante au profit de l'atmosphère grâce à l'énergie solaire, les premières questions qui viennent à l'esprit sont :
1- Ces chiffres sont-ils représentatifs des rapports internes et des discours des administrations françaises, tant au niveau national que par bassin ?
2- Un étang évapore-t-il vraiment une tranche d’eau de plus d’un mètre cinquante de plus qu’un fond de vallée humide ?
3- Vu le nombre de centaines de milliers de ces petites pièces d’eau sur le territoire français, ne bouleversent-ils pas le bilan hydrologique du pays ?

En essayant de trouver la réponse à la première question au niveau national, nous avons consulté le site officiel du Ministère de l'Environnement, de l’Énergie et de la Mer et voici ce qu'il dit propos de l'évaporation des plans d'eau : « La restauration hydromorphologique des cours d’eau, à travers des effacements d’ouvrages notamment, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l’évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives». À l'échelle des bassins versants nous trouvons dans un rapport officiel issu de la préfecture de la région Pays de la Loire intitulé "Quelle qualité des eaux dans notre région ? Où et comment agir en priorité ?" la phrase suivante : « La forte tension sur la ressource en eau en période estivale, sur une grande partie de la région, nécessite la mise en place de mesures d’économies d’eau, de cadrage, voire de substitution des prélèvements, ainsi que la diminution de l’impact des plans d’eau, par lesquels s’évapore un grand volume d’eau ».

En fait, la stratégie adoptée par le Ministère de l'Environnement, de l’Énergie et de la Mer pour appliquer la directive cadre sur l'eau et qui s'appuie sur l'effacement des petits plans d'eau afin de restaurer la continuité écologique des cours d'eau, nous permet de bien comprendre pourquoi il utilise des mots ''grandiloquents'' comme (forte, beaucoup, significative...etc) en évitant de donner des mesures exactes ou, au moins, d'apporter une explication plus globale du phénomène décrit.

En fait, les étangs, ces petits plans d'eau de 6 à 7 mètres de profondeur maximale qui possèdent, en général, une superficie allant de 0,1 à 100 hectares où le volume maximum est inférieur à un million de m3 (Touchart et al., 2014), font partie du patrimoine de plusieurs régions de l'hexagone où l'apparition des plus anciens date du Moyen-âge (Benoît, 1992 ; Dérex, 2001), voire même avant (Bartout, 2012). À l'origine, ils permettaient d'assurer à la fois les multiples fonctionnements de moulins et la production de poissons. Plus tard, la pluriactivité des étangs est passée à une forme de monoactivité volontaire ou subie et de fait la morphologie du plan d’eau s’est adaptée à ce seul besoin et pas à une multitude d’entre eux. Dans une époque beaucoup plus récente, ce patrimoine aquatique s’est enrichi par la construction de lacs de barrage à la destination différente (électricité, régularisation du débit des fleuves et des rivières, alimentation des villes en eau potable ou à une fin agricole ou industrielle) mais pouvant également être le support soit d’une aquaculture (intensive ou extensive), soit d’activités nautiques, soit d’activités cynégétiques. Ils répondent également à une forte demande de loisirs, et jouent, sur le plan du développement local, un rôle de levier touristique souvent incontournable.

Les étangs français de petites tailles se sont multipliés à la fin du 20ème siècle sous l’effet de multiples facteurs (terrains libres liés à l’exode rural, mode de loisirs, recherche du bien être personnel, pollution des eaux courantes, réglementations permissives...etc). La région Centre-Ouest de la France contient plus de la moitié (plus de 123 000 étangs) des étangs existant dans la France métropolitaine (plus de 250 000 étangs) (Bartout et Touchart, 2013), ces étangs occupant environ 58% de la superficie totale de tous les plans d'eau (lacs, étangs et mares) (Bartout, 2015). Ces milieux artificiels sont à la source d'une biodiversité étonnante car des études récentes (Céréghino et al., 2008 ; Soomets et al., 2016) montrent que les petits plans d'eau, comme les étangs et les marais, sont tout aussi importants que les rivières et les lacs pour soutenir un éventail de biodiversité aquatique dans le paysage agricole d'Europe. Ces intérêts écologiques, économiques et paysagers reconnus dans le Centre-Ouest de la France exigent une gestion durable compatible avec les principes généraux législatifs, que ce soit au niveau international et européen [la convention de Ramsar (1971), la déclaration du Dublin (1992), la directive cadre sur l’eau (2000) et la directive INSPIRE (2007)] ou français [la Loi Pêche (1984), la loi sur l'eau (1964 et 1992), la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (2006), et les documents réglementaires comme les Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) et les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE)].

L'application de ces législations, surtout la directive cadre européenne sur l’eau (DCE) a rencontré un échec notable (Bouleau et Pont, 2014 ; Bartout et Touchart, 2015). Parmi les multiples raisons de cet échec nous pouvons citer l'absence d'une définition claire pour distinguer les lacs, qui étaient le seul type de plans d'eau pris en considération lors de l'application de la (DCE), et les étangs. Un travail énorme effectué par L. Touchart et ses doctorants a conduit à bien distinguer les lacs et les étangs qui ne sont plus des ''lacs tronqués'' ou des lacs de dimensions réduites comme les présente J. Loup (1974).

Une gestion durable des étangs nécessite une connaissance de tous les processus physico- chimiques, biologiques, historiques, économiques et sociologiques. Malgré les très nombreuses études scientifiques qui ont été consacrées à étudier les étangs durant les décennies précédentes (Banas D., et al., 2001 ; Banas D., et al., 2002 ; Banas D., et al., 2005 ; Gaillard, 2014), ainsi que les estimations récentes qui indiquent que le monde contient plus de 117 millions de plans d’eau ayant une superficie supérieure à 0.2 ha (Verpoorter et al., 2014), très peu d'études ont été consacrées à étudier le bilan hydrologique de ces petits plans d'eau, qui est la balance entre les eaux entrantes et sortantes de l'étang. En effet, les études effectuées sur le sujet du bilan hydrologique et surtout sur l'évaporation des plans d'eau sont soit faites sur des territoires aux conditions géographiques très différentes de celles présentes dans la région Centre-Ouest de la France, à savoir des régions arides ou semi-arides (Bouchardeau et Lefèvre, 1957 ; Riou, 1975, sur le lac Tchad, Neumann, 1953, sur le lac Houle et le lac de Tibériade), soit réalisées à l’échelle de grands lacs (Afanas'ev, 1976, sur le lac Baïkal, Nicod et Rossi, 1979, sur le lac Victoria) et des réservoirs emblématiques aux États-Unis.

Les études existant sur le sujet de l'évaporation des étangs français sont très rares. L'explication de la forte pénurie d'études sur le bilan hydrologique d'étangs et la détermination de l'évaporation de ces petits plans d'eau est liée à plusieurs raisons, les plus importantes d'entre elles sont l'intérêt ou le financement qui ne sont pas suffisants pour justifier le temps et les dépenses mais aussi la difficulté pour estimer et mesurer certains éléments de ce bilan. Bien que les précipitations et le débit entrant et sortant des étangs soient faciles à mesurer, le taux de percolation et d'évaporation compliquent les études sur le bilan hydrologique. Tandis que plusieurs études montrent que le taux d'infiltrations vers les nappes d'eau profondes, dans les principales régions des étangs, est modeste, l'évaporation reste la composante du bilan hydrologique la plus difficile à étudier à cause de l'hétérogénéité de la topographie entourant les étangs et des multiples facteurs météorologiques affectant l'évaporation comme la température de l’eau et celle de l'air, l'humidité relative, le rayonnement solaire, la pression atmosphérique et la vitesse du vent. Outre le climat, les caractéristiques des étangs telles que la taille, la forme, la profondeur, la qualité de l'eau, la clarté, la température de l'eau et la circulation, même son emplacement, peuvent affecter le taux d'évaporation. Pour cela, les études les plus sérieuses ne mentionnent pas l'évaporation, ou ne lui assignent qu'une place modeste (Loup, 1957).

Ces études donnent des estimations très différentes, voire paradoxales. Parfois ces études affirment la forte évaporation des étangs sans aucune mesure ni calcul ni preuve comme l'étude intitulée "Étude diagnostic des causes d'eutrophisation du plan d'eau de la Ramade" réalisée par Aqua Concept Environnement – BCEOM pour le compte de la commune de Giat : «On dénombre 64 étangs sur le bassin versant (...). Ces retenues réduisent sensiblement la ressource en été par évaporation et délivrent des eaux réchauffées». D'autres études, comme celle du SAFEGE (2015) cité ci-dessus, donnent des valeurs de l'évaporation pour une région française proches de celles des lacs existant dans les régions arides ou semi-arides. D'autres études arrivent aux résultats inverses selon lesquels les étangs jouent un rôle plutôt positif en ce qui concerne la quantité des eaux parce qu'ils stockent de l'eau pendant les périodes de fortes précipitations et les restituent ensuite dans les réseaux hydrographiques pendant les périodes d'étiages et parce que l'évaporation des étangs est, la plupart de temps, inférieure à l'évapotranspiration des couverts végétaux entourant les étangs (Morton, 1983 ; Perrin, 2011).

Un autre type d'études qui ne s'appuient sur aucune mesure sur les territoires Français donne des chiffres extraits des documents scientifiques internationaux sur l'influence des étangs sur l’hydrologie et l’hydrogéologie des bassins versants. Un exemple de ce type d'étude est le troisième chapitre du rapport de l'expertise scientifique collective Inra, Onema et Irstea intitulé «Impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique». Les auteurs de ce chapitre disent :«Toutes les études basées sur des observations s’accordent sur le fait que les retenues induisent une réduction des débits, réduction attribuée parfois principalement aux pertes externes des retenues (par évaporation ou infiltration). L’intensité des diminutions varie dans le temps, et peut être assez forte sur les débits de crues et d’étiages. La réduction des débits est plus marquée les années sèches que les années humides». Mais ils disent dans la synthèse de cette expertise que «l’analyse de la littérature n’a pu mettre en évidence un indicateur permettant d’évaluer a priori l’effet cumulé des retenues sur l’hydrologie. La densité de retenues ou le volume de stockage cumulé sur un bassin n’ont de sens que sur des zones relativement homogènes». (...)



Conclusion : l'évaporation des étangs est parfois du même ordre que celle d'autres milieux naturels, le bilan hydrologique annuel est souvent positif pour la réserve en eau

Nos estimations montrent que l'évaporation annuelle des étangs de notre région d'étude varie entre 850 mm/an pour l'étang des Oussines (étang situé à plus de 800 mètres d'altitude) et 1000 mm/an pour les étangs de la Brenne.

En essayant de comparer la quantité d'eau perdue via l'évaporation à partir des étangs et celle perdue par d'autres types d'occupation du sol, nous avons comparé chacun de nos étangs de mesures avec une forêt de chênes ayant la même superficie. Nos analyses montrent que la différence entre la quantité d'eau perdue via l'évaporation, ou (l'évaporation + l'évapotranspiration des plantes aquatiques pour les étangs ayant une partie de leur surface occupée par ces plantes), et celle perdue via l'évapotranspiration et l'interception de la forêt n'est pas très grande. Par contre, cette perte, à l'exception des mois où les arbres souffrent d'un stress hydrique, peut être plus grande pour la forêt que pour l'étang. Nos comparaisons ont aussi montré que les étangs avec des plantes aquatiques perdent une quantité d'eau supérieure à celle perdue par les étangs sans plantes aquatiques. Pour cela, si ces plantes ne font pas partie de la chaîne alimentaire des poissons ou des autres espèces animales qui vivent dans l'étang, ou si elles ne constituent pas un endroit de reproduction pour les oiseaux nicheurs, nous recommandons de couper ces plantes, ou au moins, réduire la proportion qu'elles occupent à la surface de l'étang.

D'après notre travail, l'évaporation d'un étang représentatif du Limousin (l'étang du Château à Rilhac-Rancon) est de 964,5 mm par an, alors que, selon nos mesures directes de l'évaporation réelle à partir d'une surface d'eau libre et l'évapotranspiration réelle d'une surface ayant la même superficie mais occupée par les joncs, nous estimons l'évapotranspiration d'une prairie humide à plus de 2500 mm par an.

En ce qui concerne l'étiage estival de la Claise, nos analyses ont montré que les étangs de la Brenne jouent un rôle dans ce phénomène naturel, car ils empêchent les précipitations tombées durant cette période de continuer leur chemin jusqu'au lit de la rivière. Par contre, nos données ont bien montré que la majorité des eaux tombées sur les étangs pendant la période chaude de l'année ne sont pas perdues par l'évaporation, elles ont été simplement stockées dans les étangs. Du plus, ces étangs, après avoir repris leur volume maximum à la fin d'automne, permettent l'écoulement libre
des cours d'eau.

Concernant les étangs limousins, surtout ceux qui ont des débits entrants et sortants permanents, nos analyses ont montré clairement que ces étangs ont un rôle plutôt positif sur le débit estival des réseaux hydrographiques de cette région par rapport aux autres occupations du sol, car ils restituent la totalité des précipitations qu'ils reçoivent pendant cette période. Or, les forêts les interceptent en grande partie et le reste est utilisé pour compenser la diminution de l'humidité du sol résultant de l'absorption des racines des arbres.

Les résultats de ce travail nous permettent de dire que la présence des étangs favorise l'évaporation, mais il est inexact d'affirmer que ce phénomène impacte fortement la quantité d'eau disponible sur un bassin versant. Au contraire, dans les régions où les précipitations dépassent l'évaporation, et les débits entrants et sortants des étangs sont permanents, ces plans d'eau jouent un rôle positif pour assurer un bon débit des réseaux hydrographiques surtout pendant la période estivale.

Notre étude a aussi confirmé le fait que les régions d'étangs ont une perméabilité réduite, donc les quantités de l'eau infiltrée vers les nappes phréatiques sont petites par rapport aux autres composantes du bilan hydrologique, surtout les débits entrants et sortants. Nos données ont aussi confirmé l'importance de l'écoulement souterrain pour les étangs de vallée. Nous estimons cet écoulement de 0,25 l/s pour l'étang du Château.

À la fin de ce travail, nous espérons que nous avons réussi à ajouter une nouvelle étude de grande valeur à la littérature scientifique sur le sujet de l'évaporation et du bilan hydrologique des petits plans d'eau. Nous souhaitons que les nombreux exemples chiffrés, détaillés et cités dans ce mémoire, aident le plus grand nombre possible des étudiants et autres personnes intéressées à bien comprendre le déroulement du processus d'évaporation.

Espérons que ce travail, qui nous a coûté beaucoup d'efforts, de recherche, d'analyse et des mesures quotidiennes sur les terrains, retienne l'attention des décideurs et des responsables de la gestion de ces plans d'eau, car nous pensons que cette étude les aidera à mieux comprendre ces plans d'eau. Bien que les étang de la Brenne sont partiellement responsables de l'étiage estival de la Claise, les étangs limousins, par contre, soutiennent un bon débit estival de leur région. Donc, la situation géographique des étangs doit être prise en considération au moment d'établir d'un bilan de gestion de ces plans d'eau. Selon notre recherche nous pensons que le choix d'effacement des étangs n'est certainement pas la réponse la plus efficace au problème de l'étiage estival des réseaux hydrographiques de la région Centre-Ouest de la France.

Référence : Aldomany, Mohammad (2017), L’évaporation dans le bilan hydrologique des étangs du Centre-Ouest de la France (Brenne et Limousin). Géographie. Université d’Orléans, 2017. Français. NNT: 2017ORLE1155, tel-01661489, 332 p.

Illustrations : en haut, étang de Brenne, du côté de La Gabrière, par Jean-Marie Gall CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons ; en bas, mare alimentée par l'étang de Bellebouche, en Brenne, par Jacques Le Letty CC BY-SA 3.0.

16/05/2018

L'étang de Bussières effacé en catimini… mais avec l'argent du contribuable!

Aucune pancarte sur site, aucune annonce sur panneau municipal, aucune publicité: l'étang de Bussières a été effacé en conciliabule très fermé où les citoyens n'étaient manifestement pas les bienvenus. Les acteurs de cette casse: la fédération de pêche 89, la DDT, l'AFB, mais aussi désormais l'Agence de l'eau Seine-Normandie. A l'occasion du contentieux pénal et administratif en cours, nous venons en effet de découvrir que le lobby pêche s'est fait offrir 80% de l'acquisition de l'étang en 2015 (44 000 €) puis 80% de la destruction en 2017 (22 400 €). La première aide nous paraît des plus suspectes dans sa motivation et fera l'objet d'un complément d'enquête: l'agence de l'eau a officiellement financé l'acquisition d'une "zone humide de 7 ha", qui en réalité a disparu! Une chose est sûre : les pêcheurs de truite cassent le patrimoine et altèrent les milieux en place avec l'argent des autres, mais sans écouter l'avis des autres. C'est tellement simple, quand un lobby jouit d'une telle protection d'Etat…



Quelle que soit l'issue que la justice donnera à cette affaire, l'effacement de l'étang de Bussières est d'ores et déjà un symbole des pratiques déplorables et nuisibles du lobby pêche en France en matière de continuité écologique, mais aussi de l'inacceptable laxisme de l'appareil d'Etat à son endroit. Le cas n'est pas isolé : le plan de gestion piscicole de l'Yonne est fondé sur des données vieilles d'un quart de siècle sans que la préfecture n'y voit le moindre problème ; les demandes de respect des droits de pêche en cours d'eau non domanial restent lettre morte et devront, elles aussi, faire l'objet de contentieux face au mépris complet des pêcheurs et services de police de l'eau devant les demandes des citoyens.

Dans le cas de l'étang de Bussières, rappelons que :
  • pendant 3 ans entre 2015 et 2018, la fédération pêche 89 a agi de manière totalement indifférente aux riverains, donnant des informations incomplètes et de mauvaise foi aux demandes de notre association,
  • alors que la destruction de l'étang équivalait à changer plus de 2000 m de profil de rivière Romanée, à mettre hors d'eau plus de 5 ha de plans d'eau et zones humides, avec divers impacts sur les milieux et les tiers, la DDT et la fédération de pêche ont organisé le chantier de telle sorte qu'il échappe à toute autorisation préfectorale, donc à toute enquête publique ouverte aux citoyens et à toute étude d'impact environnemental. Un comble quand la même DDT si laxiste avec les pêcheurs devient si rigoriste avec les riverains, propriétaires et collectivités. L'administration de l'eau ne peut pas espérer la moindre attitude coopérative sur la base d'une attitude aussi manifestement déséquilibrée et partiale,
  • l'Agence française de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a produit un déplorable rapport de complaisance de quelques pages, pour un chantier en site classé Znieff de type 2 avec plans d'eau comme milieux d'intérêt, et hébergeant de nombreuses espèces propres à ces milieux lentiques et annexes humides, dont plusieurs sont vulnérables en Bourgogne ou en France. Cela à l'heure où la recherche européenne appelle à protéger les mares et étangs pour leur très forte contribution à la biodiversité, ce qui manifestement indiffère un service d'Etat pour qui la biodiversité aquatique concerne d'abord des poissons spécialisés d'intérêt halieutique,
  • enfin et nous venons de l'apprendre, cette procédure opaque a de surcroît été financée depuis 3 ans par l'argent des contribuables... ceux-là mêmes qui n'étaient pas les bienvenus pour donner leur avis!
A l'occasion du procès en cours, notre avocat a pris soin de vérifier si par hasard cette destruction fort confidentielle avait fait l'objet d'aides publiques. Ce qui normalement fait l'objet d'un affichage sur le site ayant bénéficié d'une aide (information ici absente). Il s'avère que c'est le cas : l'Agence de l'eau Seine-Normandie a versés des subventions à deux reprises, 44 k€ en 2015 pour l'acquisition de l'étang, puis 22,4 k€ en 2017 pour sa destruction.



Comme on peut le voir ci-dessus (cliquer pour agrandir), la justification de la subvention de 2015 est pour le moins suspecte.
  • D'abord, il est acté dès cette époque que l'objectif est un "effacement", alors que la DDT 89 prétendra par la suite que les opérations relèvent au plan réglementaire de la gestion de pisciculture. (Plus c'est gros, plus ça passe, mais pas cette fois.)
  • Ensuite, l'Agence de l'eau justifie sa généreuse subvention de 80% par rapport à ses barèmes internes en posant que "l'intervention est de type "zones humides" et concerne une "acquisition" sur les milieux en état naturels ou pseudo-naturels". Elle précise "surface de zones humides 7 ha".
Voilà qui est pour le moins étrange :
  • la fédération de pêche et l'administration nient que l'étang et ses marges forment une zone humide, or il a été acquis comme tel avec l'argent public (soit c'est faux et la subvention est mal motivée, donc indue ; soit c'est vrai et notre association a raison de vouloir protéger une zone humide dont la DDT et la fédération de pêche nient l'existence),
  • la fédération de pêche n'a aucun projet connu de restauration de "7 ha" de zones humides. Au contraire, après un chantier bâclé et sans analyse des milieux humides, elle laisse en ce moment même la rivière inciser son lit dans les sédiments (cf photo ci-dessus), de sorte que toutes les zones et annexes humides périclitent, et leurs populations sont parfois en train de périr sur place (diverses observations en ce sens, que le juge recevra).
Nous avons donc demandé à notre avocat un complément d'enquête sur les conditions précises d'attribution de cette subvention, dont le motif officiel paraît de sauvegarder 7 ha de zones humides mais dont le seul résultat pour le moment est détruire ces zones humides et d'offrir au lobby des pêcheurs de truite 2000 m de linéaire d'une rivière au modeste débit, enfoncée dans son lit, non susceptible de nourrir en eau les zones adjacentes pour former un milieu humide comparable à ceux qui ont été détruits.

Pour conclure, ce procès est important, comme le sont nos autres actions en justice : ce sera le procès d'un système de casse organisée et de ses dérives. Nous appelons tous nos lecteurs à nous soutenir financièrement afin de contribuer à en payer les frais. L'association Hydrauxois se bat contre une administration de l'eau opaque, brutale, refusant de reconnaître ses erreurs et de répondre de ses contradictions : seul votre soutien nous permet de faire entendre en justice la voix du patrimoine hydraulique menacé, la voix des riverains méprisés et la voix des milieux altérés.


02/05/2018

Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)

A partir de 100 points de mesure dans un bassin versant, concernant des milieux aquatiques naturels aussi bien qu'artificiels, deux chercheurs slovaques montrent que les plans d'eau et canaux hébergent une forte biodiversité végétale. Des résultats comparables ont été observés dans d'autres pays européens. Ces travaux confirment la nécessité d'étudier sans a priori la biodiversité des milieux en place, en particulier dans les chantiers risquant de réduire la surface en eau et d'altérer des habitats (effacement ou assèchement de biefs, canaux, plans d'eau, retenues, étangs, lacs). 



Kateřina Bubíková et Richard Hrivnák (Centre des sciences botanique et de la biodiversité, Institut de recherche sur l'eau, Bratislava) observent que les eaux douces sont actuellement l'un des habitats les plus menacés. Si de nombreuses études se sont concentrées sur la diversité de leurs espèces végétales, les deux chercheurs slovaques notent que "les informations concernant la contribution de divers types de plans d'eau à la diversité des macrophytes manquent".

Ils ont donc décidé d'étudier la diversité des espèces de quatre types de masses d'eau: rivières larges (plus de 7 m); ruisseaux et petits cours deau (moins de 7 m); fossés et canaux; étangs. "Les rivières et les ruisseaux sont des habitats d'origine naturelle, mais souvent modifiés par l'homme dans les régions habitées. Les canaux sont des habitats artificiels utilisés à plusieurs fins, telles que l'irrigation, le drainage ou les centrales hydroélectriques. La catégorie des plans d'eau comprenait toutes les eaux stagnantes ayant une superficie de 0,05 à 5 ha (taille moyenne de 1,9 ha), naturelles (par exemple, les bras morts, la dépression du terrain gorgée d'eau) et artificielles (fosses de gravière, étangs)".

Ce travail a été mené dans deux écorégions distinctes (Carpates occidentales et Pannonie), en Europe centrale. Au total 100 localités (25 par type de plan d'eau) ont été échantillonnées, toutes situées le long d'un cours d'eau de 400 km de la rivière Váh. Les diversités locale (alpha), inter-sites (bêta) et régionale (gamma) ont été analysées.

Résultat : "le nombre le plus élevé d'espèces au niveau local et régional a été trouvé dans les plans d'eau et les canaux. Les petits cours d'eau sont les habitats ayant la plus faible diversité locale et régionale, et le plus petit nombre d'espèces uniques ou sur la liste rouge." Au total, 84 espèces ont été trouvées, dont 31 avec une observation unique.

Cependant, remarquent les chercheurs, "aucune des mesures de diversité utilisées n'a montré de différence statistiquement significative entre les types d'habitats. Ainsi, nous pouvons affirmer que tous les types de plans d'eau contribuent à la diversité des macrophytes à un degré comparable à l'échelle générale dans le paysage d'Europe centrale."

Discussion
Des mesures similaires ont déjà été faites au Royaume-Uni (voir notre recension de Davies 2008, voir aussi Williams 2004) et avaient abouti à la même conclusion. Les végétaux ne sont pas les seuls à bénéficier de la diversité des masses d'eau, puisque des résultats du même ordre s'observent sur des invertébrés ou des amphibiens. Ce n'est pas une surprise : le vivant colonise les milieux aquatiques et humides, des habitats naturels ou artificiels peuvent présenter des fonctionnalités et des propriétés comparables. Il est regrettable que l'on trouve très peu de travaux en France sur la biodiversité des masses d'eau selon leur typologie, leur origine (naturelle ou artificielle) et leurs caractéristiques. La grande masse des travaux concernent les seuls poissons. Et un "biais de naturalité" pousse souvent le gestionnaire à se désintéresser des milieux d'origine anthropique, même lorsque ceux-ci sont anciens.

Cette absence de connaissance conduit à des choix qui ne sont pas forcément optimaux pour la biodiversité, en particulier dans la stratégie d'aménagement ou effacement des ouvrages hydrauliques, qui focalise l'attention sur des espèces spécialisées de poissons, sans prise en compte du reste du vivant (voir ce rapport, voir Dufour et al 2017). Des chercheurs européens appellent aujourd'hui à prendre davantage en compte la diversité des masses d'eau, y compris celle des plans d'eau ou autres habitats d'origine artificielle (voir Hill et al 2018), tout en les intégrant dans les stratégies de gestion de la biodiversité à échelle des tronçons, des bassins versants, des éco-complexes et des hydro-écorégions.

Référence : Bubíková K, Hrivnák R (2018), Comparative macrophyte diversity of waterbodies in the Central European landscape, Wetlands, doi.org/10.1007/s13157-017-0987-0