08/02/2018

L'agence française pour la biodiversité, auxiliaire des pêcheurs de truites de l'Ource?

Notre association fait régulièrement observer que l'AFB (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) développe sur les rivières une expertise très centrée sur l'halieutisme, avec une ignorance de la plupart des enjeux autres que piscicoles (en particulier que les salmonidés et espèces de milieux lotiques). On en trouve encore un exemple dans l'avis de l'AFB sur la destruction de 3 ouvrages hydrauliques de l'Ource, un chantier récemment autorisé par un arrêté préfectoral dont Hydrauxois requiert l'annulation. L'AFB s'y intéresse essentiellement aux truites et fait comme si la disparition de plus de 2000 m de biefs et annexes en eau ne représente pas un enjeu local digne d'un diagnostic écologique avant intervention. De quelle "biodiversité" parlent au juste ces fonctionnaires? Pourquoi le lien d'une agence publique avec les enjeux d'intérêt pour les seuls pêcheurs est-il toujours aussi manifeste?


Après avoir subi un vote négatif en comité syndical du syndicat mixte Sequana le 6 septembre 2017, le projet absurde de destruction de 3 ouvrages hydrauliques sur l'Ource a malgré tout été acté par l'arrêté préfectoral n°792 du 13 décembre 2017. Notre association a déposé un recours amiable en annulation de cet arrêté et, en cas de refus de la préfecture, portera cette requête en annulation devant le tribunal administratif.

A cette occasion, nous avons eu accès à l'avis de l'Agence française pour la biodiversité accompagnant ce projet. Cette pièce émanant d'une administration et concernant l'environnement, donc pouvant être accessible à tout citoyen, nous la rendons publique à ce lien.

Pour ceux qui l'ignorent encore, l'Agence française pour la biodiversité a intégré l'ancien Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même le successeur du Conseil supérieur de la pêche (CSP). L'AFB-Onema-CSP se caractérise par un traitement des questions écologiques en rivière centré sur les poissons des milieux lotiques, particulièrement des poissons qui se trouvent très appréciés de certains types de pêche (salmonidés). Ce qui est bien dommage, car la biodiversité aquatique dont cette agence est supposée être la garante est représentée dans 98% des cas par des espèces autres que les poissons (et dans 99,5% des cas par des poissons autre que spécialisés en eau courante). Si l'on ajoute la biodiversité rivulaire, le poisson est loin d'occuper la place centrale qu'il a aujourd'hui dans l'instruction des dossiers concernant les milieux aquatiques (voir ce rapport).

L'avis de l'AFB sur la destruction des ouvrages de l'Ource montre à nouveau ces biais :
  • appréciation de pure complaisance de la qualité du diagnostic ("le projet présenté s’appuie sur un état initial solide") alors qu'à peu près tout manque dans le dossier présenté par le syndicat Sequana (pas d'analyse des peuplements faune-flore de 2000 m de biefs et zones humides menacés, pas d'état initial correct des poissons avec mesure amont-retenue-aval et bief, absence de la moindre référence aux diverses mesures obligatoires de la directive cadre européenne sur l'eau, pas d'analyse chimique des sédiments, etc.), 
  • généralité sur les sédiments consistant à dire en termes savants et inutilement complexes que la rivière n'aura pas localement la même substrat avec ou sans ouvrage, sans qu'il soit précisé en quoi l'habitat lentique des retenues actuelles et leur fosse en aval de chute poseraient un problème pour le vivant (hors frayères à truite) et en quoi la fin des habitats aquatiques de biefs asséchés et de leurs annexes ne sera pas une perte plus impactante pour le vivant qu'un changement de faciès sur le lit mineur,
  • centrage de tout le document sur les poissons (en particulier les rhéophiles, et bien sûr les truites) sans aucune considération pour d'autres espèces,
  • même sur les poissons, aucune mise en contexte sur les peuplements du tronçon, aucune analyse des causes des densités observées (on cite des impacts de manière impressionniste, sans modèle explicatif), aucune projection de l'évolution de l'hydrosystème et de ses assemblages biologiques en changement climatique (alors les assecs de l'Ource sont signalés, sans que leur discontinuité hydrologique soit cartographiée et analysée), évocation d'un "potentiel piscicole" qui serait "fort" sans élément pour le démontrer (le rapport de la fédération de pêche cité en référence a utilisé des méthodologies datées et absentes de la littérature scientifique récente en écologie), le potentiel est "historiquement reconnu pour la truite fario", mais les ouvrages fondés en tire sont là depuis plusieurs siècles, donc il faut supposer qu'ils n'ont pas empêché "historiquement" la présence de ces truites, etc.
L'AFB suggère sans l'imposer (ni préciser les bonnes pratiques, voir Smith et al 2017 par exemple)  qu'un suivi biologique serait "intéressant" - car le syndicat envisage seulement un suivi morphologique. Vérifier qu'une zone de retenue change de morphologie quand elle devient une zone d'eau courante est sans grand intérêt (car trivial) si l'on ne mesure pas la diversité et la biomasse des espèces présentes avant et après, à des périodes comparables de l'année (dont les étiages). Car c'est bien pour le vivant que l'on est censé agir, pas pour une "diversité de faciès" répétée ad nauseam sans démonstration qu'il y aura gain de diversité alpha ou bêta sur les stations du tronçon. Mais une bonne analyse avant-après suppose plusieurs années de mesure avant travaux (pour analyser la variabilité saisonnière et annuelle du système visé par des travaux) : ce n'est pas fait ici, donc on agit aveuglément, sans se fonder sur des mesures mais seulement sur quelques principes génériques appuyés par de pauvres relevés de pêche.

On note par ailleurs une erreur de droit (qui n'est de toute façon pas la spécialité ni la mission de l'AFB, donc son intervention sur le sujet est étrange) : "Le projet présenté, avec un démantèlement des ouvrages transversaux, consiste en fait à une remise en état des lieux telle que définie par l’article L.214-3. De fait, l’opération projetée ne peut relever du régime de l’autorisation au sens de la rubrique liée aux ouvrages transversaux comme mentionné dans le dossier (p.8)." Or toute modification de plus de 100 mètres de profil de rivière impose une autorisation loi sur l'eau au titre du régime IOTA R 214-1 CE, que cette modification résulte du L 214-17 CE, du L 214-3 CE ou de tout autre article du code de l'environnement. L'AFB semble encore véhiculer la vue naïve selon laquelle un chantier dit de restauration écologique ne serait pas d'abord un chantier, donc une intervention en lit et berge susceptible de dégrader l'état actuel des milieux (ou de nuire aux droits des tiers, par ailleurs).

Comme celui déjà réalisé sur Tonnerre à l'époque de l'Onema (voir cet article), ce rapport sur l'Ource confirme donc que l'AFB cherche certainement à optimiser chaque mètre carré de rivière pour des espèces rhéophiles, mais ne travaille pas sérieusement sur la biodiversité aquatique en dehors de ce cadre étroit. C'est sans doute pour la même raison que l'Onema puis l'AFB n'ont jamais éprouvé la nécessité d'une estimation scientifique des impacts de la pêche sur les milieux, assortie de préconisations sur l'évolution des pratiques.

Ces biais halieutiques et excès de spécialisation piscicole / lotique de certaines instructions en écologie des rivières sont aujourd'hui anachroniques. Ils ont déjà été observés dans des travaux universitaires (par exemple Lespez et al 2015, Dufour et al 2017). L'agence française pour la biodiversité en tiendra-t-elle compte? Ou continuera-t-elle l'enfermement corporatiste qui a déjà caractérisé le CSP, puis l'Onema?

Illustration : bief d'un des ouvrages de Prusly-sur-Ource, milieu riche en vivant qui risque d'être asséché sur plusieurs milliers de mètres sans la moindre étude d'impact par le syndicat Sequana, la fédération de pêche ou l'AFB, alors que le commissaire enquêteur en a demandé le diagnostic. Mais tout ce qui contredit aujourd'hui le dogme de la continuité écologique "à la française" est écarté d'un revers de main : on rationalise les destructions d'ouvrages à la chaîne par des justifications répétitives, copiées-collées d'un site à l'autre, et d'une grande pauvreté de contenu.

07/02/2018

Des zones humides permanentes plus riches en diversité (Gleason et Rooney 2018)

À l'échelle mondiale, de nombreux écosystèmes aquatiques connaissent une dessiccation périodique qui impose un stress sur le vivant. Jennifer E. Gleason (Université de Guelph) Rebecca C. Rooney (Uuniversité de Wterloo) ont étudié la  région des cuvettes des prairies du Nord (PPPR) en Alberta (Canada), qui renferme d'abondantes zones humides sous forme de mares se remplissant lors de la fonte des neiges printanière, avant baisser de niveau en été. On peut leur assigner une classe de permanence selon la durée de présence de l'eau. Résultat : les zones humides permanentes sont plus riches en invertébrés, et les zones humides temporaires n'abritent pas de faune spécifique. De telles études seraient utiles à mener en France, afin d'éclairer la politique de restauration ou conservation de zones humides.  



Les zones humides dynamiques, à hydropériode variable, abritent des communautés diverses macro-invertébrés. La question posée par les chercheurs est de savoir si la permanence des mares transforment les communautés de macro-invertébrés. Outre la composition taxonomique, ils ont caractérisé ces communautés par groupes fonctionnels afin de tester les associations entre la dessiccation des étangs, les typs alimentataires ou les guildes comportementales.

Les macroinvertébrés aquatiques ont été échantillonnés sur 87 milieux humides de la RPPN qui couvraient une gamme de classes de permanence des étangs, soit 600 prélèvements, 62 taxons plus plus de 2,25 millions d'individus. L'abondance moyenne par site était de 22,31 (± 7,61) taxons, et de 6776,19 (± 5617,31) individus au mètre carré. la profondeur moyenne des mares était de 0,51 ± 0.23 m. Des analyses multivariées ont visé à identifier les différences dans la composition et les groupes fonctionnels selon les classes de permanence.

Principaux résultats :

  • la composition de la communauté de macro-invertébrés est statistiquement distincte selon les classes de permanence des étangs, les zones humides les plus extrêmes en caractère temporaire ou permanent différant le plus,
  • les macro-invertébrés dans les zones humides temporaires ne sont pas des taxons uniques spécialement adaptés, mais un sous-ensemble de la communauté que l'on trouve dans les zones humides plus permanentes,
  • la plupart des taxons sont plus abondants dans les zones humides plus permanentes. Seuls deux groupes taxonomiques (Culicidae et Anostraca) sur 62 sont plus abondants dans les milieux humides temporaires.
  • étonnamment, la qualité de l'eau (conductivité, turbidité, cations dominants, phosphore, azote et carbone), n'est pas fortement associée aux principaux gradients de composition des communautés.

Nous ne connaissons pas d'étude en France de la biodiversité des zones humides selon le niveau de permanence en eau de leurs milieux (on trouve en revanche des travaux sur les rivières intermittentes). Il serait intéressant de mener ces analyses dans diverses hydro-écorégions. A l'heure où la préservation et la restauration de ces zones humides forment une politique publique, le gestionnaire gagne à faire les meilleurs choix pour optimiser la biodiversité, finalité de ces programmes.

Référence : Gleason JE et RC Rooney (2018), Pond permanence is a key determinant of aquatic macroinvertebrate community structure in wetlands, Freshwater Biology, 63, 3, 264–277

Illustration : une petite zone humide intermittente se formant en pied de bief d'un moulin du Morvan.

05/02/2018

Droit de pêche, propriété et riveraineté: un point sur les lois et règlements

En cours d'eau domanial et non domanial, la pêche de loisir en eau douce ne répond pas aux mêmes règles d'exercice. Nous proposons ici une première présentation synthétique des textes régissant le droit de pêche. Tout pêcheur doit avoir un permis de pêche, quelque soit la rivière et le régime de propriété. En cours d'eau domanial, l'Etat ou la collectivité détient le droit de pêche (sauf dans les cas de droit fondé en titre), le riverain doit respecter une servitude de passage pour les pêcheurs. En cours d'eau non domanial, les riverains sont les propriétaires du droit de pêche (découlant de la propriété des berges et du lit). Les associations de pêche ne peuvent alors proposer à leurs adhérents que les linéaires où elles détiennent des droits de pêche (soit par propriété des fonds, soit par accord avec leurs propriétaires). Voici les principaux textes de loi, leurs liens vers les codes et quelques commentaires.


Article L435-1 code de l'environnement
I. - Le droit de pêche appartient à l'Etat et est exercé à son profit :
1° Dans le domaine public de l'Etat défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d'un droit fondé sur titre ;
2° Dans les parties non salées des cours d'eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l'inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret.
II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'exploitation par adjudication, amodiation amiable ou licence, du droit de pêche de l'Etat, et les modalités de gestion des ressources piscicoles du domaine et des cours d'eau et canaux mentionnés aux 1° et 2° du I. Il fixe, en particulier, la liste des fonctionnaires, des agents et des membres de leur famille qui ne peuvent prendre part directement ou indirectement à la location de ce droit de pêche.
Article L435-3-1 code de l'environnement
Dans le domaine public fluvial d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales, le droit de pêche appartient à cette collectivité territoriale ou à ce groupement.
Article L2131-2 code général de la propriété des personnes publiques 
Tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d'un droit réel, riverain d'un cours d'eau ou d'un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l'usage du gestionnaire de ce cours d'eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons.
Sauf exception, l'accès aux rives et la pêche sont libres (moyennant le paiement d'une carte annuelle) sur les cours d'eau domaniaux, qui sont généralement les canaux publics et les anciennes rivières dites navigables et flottables, propriété de l'Etat ou des collectivités. Le droit fondé en titre sur rivière domaniale (ouvrage devant exister avant 1566) fait exception en ce que le droit de pêche reste attaché à la propriété privée. En cours d'eau ou plan d'eau domanial, le riverain a une servitude de passage pour les pêcheurs (voir les détails de cet article L2131-2 CPPP ci-dessus pour la mise en oeuvre). 

Article L435-4 code de l'environnement 
Dans les cours d'eau et canaux non domaniaux, les propriétaires riverains ont, chacun de leur côté, le droit de pêche jusqu'au milieu du cours d'eau ou du canal, sous réserve de droits contraires établis par possession ou titres.
Dans les plans d'eau non domaniaux, le droit de pêche appartient au propriétaire du fonds.
Dans les plans d'eau et cours d'eau non domaniaux (ni navigables ni flottables), le droit de pêche est lié à la propriété privée riveraine. Par défaut, il est interdit à toute autre personne que le propriétaire de pêcher depuis la berge. L'accès en bateau est autorisé (l'eau est bien commun) à condition de ne pas débarquer sur la rive ou le lit (de même pour la pêche depuis un pont sur une route publique). Pour rappel un bief est un canal privé, non assimilable à un cours d'eau selon la loi (lit "non naturel" à l'origine).

Article L434-3 code de l'environnement
Les associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique contribuent à la surveillance de la pêche, exploitent les droits de pêche qu'elles détiennent, participent à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques et effectuent des opérations de gestion piscicole.
Les AAPPMA (associations agréées de pêche) ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent, ce qui suppose en cours d'eau non domaniaux la capacité à démontrer des accords en ce sens avec les propriétaires des berges sur tout le linéaire du domaine réputé pêchable par ces associations.

Article L435-5 code de l'environnement
Lorsque l'entretien d'un cours d'eau non domanial est financé majoritairement par des fonds publics, le droit de pêche du propriétaire riverain est exercé, hors les cours attenantes aux habitations et les jardins, gratuitement, pour une durée de cinq ans, par l'association de pêche et de protection du milieu aquatique agréée pour cette section de cours d'eau ou, à défaut, par la fédération départementale ou interdépartementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique.
Pendant la période d'exercice gratuit du droit de pêche, le propriétaire conserve le droit d'exercer la pêche pour lui-même, son conjoint, ses ascendants et ses descendants.
Cet article prévoit une exception à l'attribution du droit de pêche au seul propriétaire riverain dans un cours d'eau non domanial : le propriétaire ayant bénéficié d'un financement public majoritaire de travaux, et pour l'entretien du cours d'eau, doit concéder le droit de pêche à l'association agréée. Cette concession est limitée sur une période de 5 ans après les travaux. Le conseil d'Etat (n° 320852 , 23 décembre 2010) a précisé que cette disposition s'applique si toutes les conditions requises par les articles R. 435-34 CE et suivant pour la définition et l'évaluation des travaux sont remplies.

Article L435-6 code de l'environnement 
L'exercice du droit de pêche emporte bénéfice du droit de passage qui doit s'exercer, autant que possible, en suivant la rive du cours d'eau et à moindre dommage. Les modalités d'exercice de ce droit de passage peuvent faire l'objet d'une convention avec le propriétaire riverain.
Article L435-7 code de l'environnement 
Lorsqu'une association ou une fédération définie à l'article L. 434-3 exerce gratuitement un droit de pêche, elle est tenue de réparer les dommages subis par le propriétaire riverain ou ses ayants droit à l'occasion de l'exercice de ce droit.
Lorsqu'un droit de pêche a été concédé par le propriétaire, les usagers sont tenus de respecter les lieux et de réparer des dommages. 

Article R436-71 code de l'environnement
Toute pêche est interdite à partir des barrages et des écluses ainsi que sur une distance de 50 mètres en aval de l'extrémité de ceux-ci, à l'exception de la pêche à l'aide d'une ligne.
En outre, la pêche aux engins et aux filets est interdite sur une distance de 200 mètres en aval de l'extrémité de tout barrage et de toute écluse.
Seule la pêche à la ligne est autorisée à proximité des ouvrages hydrauliques de type barrage ou écluse.

Article Article R436-70 code de l'environnement
Toute pêche est interdite :
1° Dans les dispositifs assurant la circulation des poissons dans les ouvrages construits dans le lit des cours d'eau ;
2° Dans les pertuis, vannages et dans les passages d'eau à l'intérieur des bâtiments.
La pêche est totalement interdite dans les passes à poissons et rivières de contournement, ou depuis les pertuis et vannages des ouvrages en rivière.

Illustration : photo par Janter, CC BY-SA 3.0.

02/02/2018

La définition juridique des zones humides

Deux critères permettent de définir une zone humide : la présence temporaire ou permanente d'eau, la présence de végétation hygrophile (plantes spécialisées de milieu aquatique ou humide). Le Conseil d'Etat a précisé que ces critères doivent être cumulatifs. Explications. [MAJ 2019 : voir cet article sur la modification de la loi]


Les zones humides sont définies en droit français dans l'article L 211-1 du code de l'environnement, qui entend assurer
"La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année"
Deux critères sont donc requis :
  • l'hydromorphie du sol, les terrains devant être "inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire";
  • la présence de végétation hygrophile. 
Dans un arrêt récent (n° 386325, 22 février 2017), le Conseil d'Etat a précisé que "une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d'eau et, pendant au moins une partie de l'année, de plantes hygrophiles", c'est-à-dire que "ces deux critères sont cumulatifs" et non alternatifs. [MAJ 2019 : la loi a restauré la notion de critères alternatifs]

Le caractère partiellement ou totalement inondé est assez évident à observer.

Le critère botanique doit être par ailleurs caractérisé. Comme le précise cet article du site "zones humides" de l'administration de l'environnement:
"On désigne par le terme d’hygrophytes toutes les plantes qui poussent en milieux humides mais, selon leur niveau d’adaptation, celles-ci se distribuent selon des gradients d’humidité et/ou de salinité. En France, on distingue ainsi les hydrophytes, toujours immergées ou affleurant à la surface de l’eau (cératophylles, potamots, nénuphars, élodées, lentilles d’eau…) et les amphiphytes qui poussent à la limite terre-eau et sont adaptées aux deux environnements ; ce groupe inclut les hélophytes qui sont enracinées au fond de l’eau et dont les parties aériennes sont émergentes (roseaux, Typha, Baldingère, carex…)"
Des plantes hygrophiles indicatrices des zones humides sont répertoriées dans des listes établies par région biogéographique (article R-211-108 code de l'environnement, à noter que le 2 aliéna de cet article n'est plus conforme à la loi).

L'annexe II A l'arrêté du 24 juin 2008 précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 code de l'environnement  définit une première liste de 775 espèces et 26 sous-espèces permettant de qualifier une zone humide sur le critère végétal.

Malgré leur intérêt pour la biodiversité, les zones humides naturelles sont aujourd'hui menacées par l'extension de l'artificialisation des sols et des milieux (construction, drainage, etc.). Les zones humides anthropiques (étangs, lacs, plans d'eau, biefs) sont mises en danger par certaines destructions d'ouvrages dans le cadre de la restauration de continuité en long (souvent pour des motifs halieutiques). Divers outils juridiques existent pour protéger les zones humides, même si le droit se montre encore contradictoire en ce domaine (voir Cizel 2017).

Illustration : marges et queue de l'étang de Bussières (89), dont on observe qu'elles réunissent les deux critères de définition de la zone humide. Ce site en ZNIEFF de type II est aujourd'hui menacé par des travaux de démolition de la digue et mise à sec des milieux humides d'intérêt par la fédération de pêche de l'Yonne, sans que notre association ait obtenu l'étude d'impact environnemental.

01/02/2018

Transporter des sédiments... mais lesquels? Le problème des sédiments fins (Mathers et al 2017)

On parle beaucoup en France du "transport des sédiments" comme d'une fonction vertueuse pour la santé des rivières et de leurs milieux. Mais l'invocation de ce mécanisme naturel de transport de la charge solide par les cours d'eau doit s'interroger au préalable sur la qualité et la quantité de sédiments que le bassin versant peut produire. En particulier, comme vient de le rappeler un numéro spécial de la revue River Research and Application, la question des sédiments fins (moins de 2 mm de diamètre), de leur évaluation et de leur impact biologique reste encore largement sous-traitée dans la recherche, et plus encore dans son application à la gestion écologique de la rivière. 


Un colloque national de la British Hydrological Society s'est tenu en 2016, à l'Université de Loughborough (Royaume-Uni), et un numéro de River Research Applications vient d'en publier les actes. Trois thèmes principaux sont associés à la gestion du problème des sédiments fins: caractériser les sources primaires dans les systèmes fluviaux; définir des approches physiques et biologiques de l'évaluation des pressions des sédiments fins sur les écosystèmes aquatiques; évaluer les conséquences écologiques des sédiments fins en excès, par des mesures empiriques et des modélisations.

Comme l'observent K.L. Mathers et ses 4 collègues dans l'article introductif de synthèse, "l'érosion, le transport et le stockage des sédiments fins dans les bassins fluviaux sont largement reconnus comme une cause mondiale de dégradation de l'habitat et de l'environnement. Ces sédiments sont une composante essentielle d'un fonctionnement normal de la rivière. Cependant, les charges sédimentaires de nombreux cours d'eau dépassent actuellement les niveaux usuels en raison du changement de la couverture végétale, de l'utilisation des terres et des pratiques de gestion." Certains modèles prévoient que les pressions des sédiments fins augmenteront à l'avenir en raison des changements de régimes de précipitations et de ruissellement. Il paraît donc essentiel aux chercheurs de développer une meilleure compréhension de la dynamique des sédiments fins : leurs sources, leurs voies d'exportation, leurs dépôts et infiltrations dans les substrats riverains, leurs implications pour les habitats aquatiques et l'écologie.

On considère en général comme sédiment fin une particule de moins de 2 mm de diamètre. Mais la taille n'entre pas seule en considération :  "il est important de noter que la prédiction de l'effet des surcharges sur les organismes dépend fortement d'un certain nombre de facteurs critiques, notamment la granulométrie, la composition chimique, la durée d'exposition et la concentration", soulignent les chercheurs.

Un premier enjeu est de savoir le potentiel de mobilisation du bassin versant et de la rivière. La méthode la plus communément utilisée pour identifier les sources est le "fingerprinting" qui va quantifier les contributions relatives des classes de sédiments dans des échantillons ciblés, recueillis dans le lit ou la charge en suspension. Les sources minérales et organiques sont alors estimées (sols supérieurs agricoles, berges, bordures et talus, fosses septiques et fumiers, végétation en cours de décomposition, etc.).

La mesure des matières en suspension de l'eau (ce qui définit sa turbidité) est souvent effectuée sur les rivières au titre du contrôle pour la directive-cadre européenne sur l'eau. Mais "les effets délétères des niveaux de sédiments fins sur l'écologie des cours d'eau sont associés à leur composante déposée plutôt que suspendue, car les caractéristiques du substrat exercent un contrôle important sur la disponibilité de l'habitat, particulièrement aux stades critiques de la vie", rappellent les chercheurs. Il y a donc un enjeu dans la capacité de quantifier avec précision la teneur en sédiments fins d'un lit de rivière soit directement (analyse physique), soit indirectement (présence ou absence de communautés d'organismes tolérantes des sédiments).

Enfin, comme le soulignent les scientifiques, "une meilleure compréhension des effets négatifs de l'excès de sédiments fins sur le fonctionnement des écosystèmes demeure un domaine où la recherche fondamentale est toujours requise. Malgré la richesse de la littérature et l'intérêt historique pour les conséquences écologiques de la sédimentation, de nombreux processus fondamentaux entourant les effets restent non étudiés". Les chercheurs observent que les implications des dépôts de sédiments fins sur les embryons de salmonidés ont été très étudiées, en raison de l'intérêt économique ou social donné à ces espèces. Mais bien d'autres aspects restent méconnus.

Référence : Mathers KL et al (2017), The fine sediment conundrum; quantifying, mitigating and managing the issues, River Res Applic, 33, 10, 1535-1467