21/12/2012

Potentiel micro-hydraulique en Côte d'Or: une approche historique

Dans la première partie du XXe siècle, la société dijonnaise Fonderies et ateliers de construction de l'Est (ancienne usine Darnel-Bosshardt) a équipé en turbines hydrauliques 142 fermes, moulins et usines de Côte d'Or, dans 82 communes différentes. Grâce aux données très précises rassemblées dans le catalogue de ce constructeur, il a été possible de reconstituer la puissance totale installée, et d'estimer ce qu'elle pourrait représenter aujourd'hui.

Le résultat est très intéressant : 2,3 MW de puissance, 10 GWh de productible annuel (équivalent de la consommation électrique de 2000 foyers et équivalent de revenus annuels de 1 million d'euros). Presque tous les sites ainsi équipés au XXe siècle peuvent être remis en production en ce début de XXIe siècle, alors que la transition énergétique exige de trouver des formes originales et locales de production durable d'électricité. (Voir le bilan des Assises de l'énergie.)

Cette étude ne porte que sur 142 sites renseignés par le catalogue des Fonderies dijonnaises, mais le Référentiel des obstacles à l'écoulement totalise 770 seuils et barrages en rivières. Autant dire que la micro-hydro-électricité représente une niche importante d'énergie, de ressources et d'emplois pour nos territoires.

Bonne lecture !

A télécharger (lien pdf) : Hydrauxois (2012), Hier et demain : le potentiel micro-hydraulique en Côte d'Or. Une étude à partir du catalogue FACE-Darnel-Bosshardt, 14 pages.

A lire en complément : 10 questions & réponses sur l'hydro-électricité

Onema: poursuite des échanges

M. Jean-Michel Zammite (délégué interrégional Onema Bourgogne Franche-Comté) a répondu à notre courrier du 10 décembre 2012. Nous l'en remercions, quoique nous regrettions de ne pouvoir communiquer avec l'Office que par de tels échanges de lettres recommandées. Notre réponse est publique, parce que d'une manière ou d'une autre, il faudra dans les prochains mois que les acteurs de l'eau – Onema, DDT, Agence de l'eau ou syndicat de rivière – assument leurs arbitrages actuels dans le débat démocratique, et non dans la confidence de décisions lointaines.

Des données difficiles d'accès et peu lisibles
M. Zammite nous fait savoir que l'Onema n'est en charge « que des données piscicoles », et à terme seulement des « données hydromorphologiques ». Il nous a par ailleurs indiqué le site où l'on pouvait consulter les données des relevés piscicoles. Nous lui en sommes gré et nous ne manquerons d'en analyser le contenu. M. Zammite nous informe que les services des Agences de l'eau pertinentes pour la Côte d'Or (trois bassins hydrographiques différents) sont les interlocuteurs pour nos demandes complémentaires. Dont acte – M. Bastien Pellet (Agende de l'eau Seine-Normandie) nous avait déjà orienté vers le site du réseau de surveillance, qui hélas n'a pas répondu à notre requête, les fiches de contenu du réseau n'étant pas accessibles (par exemple, voici ce que donne Nod-sur-Seine, URL Not Found).  Nous reformulerons donc la demande à l'Agence jusqu'à obtenir une réponse claire.

Nous nous étonnons cependant que l'Onema ne dispose pas de l'ensemble des données sur les rivières puisque sur son site, l'Office a mis en avant dès 2009 son rôle de coordinateur national du SIE (système d'information sur l'eau), en charge notamment de l'interopérabilité des données, des référentiels et des méthodologies. Il faut croire que 3 ans après cette annonce, les données ne sont toujours pas coordonnées au point qu'il soit aisé de les transmettre.

Si la publication des données en ligne est bienvenue, nous ne pouvons que déplorer l'extrême fragmentation et complexité de leur accès  : aujourd'hui, aucun citoyen ne peut raisonnablement s'informer sur l'ensemble des mesures faites sur sa rivière, qui paraissent dispersées au gré de divers répertoires (voir notre article sur le problème). Les Agences de l'eau ayant choisi un découpage en masses d'eau et ce découpage intéressant au premier chef les riverains de chacune d'entre elles, il serait infiniment plus transparent et accessible de centraliser les informations disponibles selon ce critère. Et d'assortir chaque masse d'eau d'une fiche de synthèse et explication des mesures réalisées. Cela permettrait une meilleure compréhension des facteurs de qualité ou de dégradation de l'eau – et l'absence éventuelle de mesures serait à elle seule une information utile sur notre niveau réel de connaissance des milieux aquatiques.

La connectivité écologique n'est qu'une condition
parmi beaucoup d'autres du bon état écologique

En l'état des justifications avancées pour le classement des cours d'eau de Seine-Normandie, force est de constater que nous ne disposons pas de l'ensemble des données (jugées indispensables par l'Union européenne) pour statuer sur l'état écologique des rivières et les dispositions les plus urgentes de nature à améliorer cet état. Il existe un déficit apparent de connaissance, que l'Onema reconnaît d'ailleurs au gré de publications ou de colloques assez confidentiels (voir ici ou ici), en contraste avec sa communication grand public où les incertitudes sur les connaissances des milieux aquatiques ne sont guère mises en avant.

Sur les bassins de notre région dépendant de Seine-Normandie (Haute Seine, Armançon, Serein, Cure, soit Seine Amont et Yonne Amont), il est inexact de laisser entendre aux citoyens et aux élus que la simple gestion des obstacles à l'écoulement permettrait d'atteindre le « bon état écologique » en 2015, ou en 2021. Pour prétendre à ce bon état écologique, il faut encore que les administrations de l'eau affichent des mesures correctes et cohérentes entre elles sur de nombreux paramètres : HAP, métaux, dérivés azotés, dérivés phosphorés, phytosanitaires, pH, oxygène, carbone, berges, ripisylves, hydrologie (écoulement, granulométrie, etc.), indices biologiques de qualité (macrobenthique, macrophyte, diatomée, poisson), etc.

Tant que ces données ne sont pas intégralement rendues publiques sur chaque masse d'eau, il existera une légitime suspicion sur leur inexistence même. Le problème n'est pas l'absence d'action, puisqu'on observe dans les SAGE ou les SDAGE qu'elles sont fort nombreuses. C'est la justification,  la cohérence et l'efficacité de ces actions qui doivent être exposées de manière plus transparente, étant donné le coût des politiques publiques de l'eau et leur financement par l'impôt.

Urgente nécessité d'un débat démocratique sur l'eau en Côte d'Or
Pour le seul domaine des obstacles à l'écoulement, il faudra également que les administrations de l'eau expliquent publiquement les raisons pour lesquelles les principaux « points noirs » de la circulation piscicole et du transit sédimentaire semblent sélectivement épargnés par l'obligation d'aménagement immédiat découlant du nouveau classement des rivières de Seine-Normandie : barrages de Pont, Grosbois-en-Montagne, Cercey (VNF), Pannecière (Seine Grands Lacs), Chaumeçon ou Crescent (EDF), etc. Selon notre analyse, aucun de ces obstacles massifs ne sera concerné par un aménagement, contrairement aux nombreux seuils et petits barrages des communes ou des particuliers

Si l'Etat n'aménage ni n'efface les ouvrages hydrauliques dont il est à divers titres le propriétaire, alors même que la hauteur de ces ouvrages représente des obstacles majeurs en dévalaison ou montaison piscicole, et alors même qu'il existe des solutions techniques de franchissement pour ces ouvrages (décrites depuis longtemps par les experts de l'Onema), ce même Etat peinera de toute évidence à faire partager sa (bonne) foi dans l'urgence des réformes qu'il promeut.

Ces problèmes ne sont pas seulement techniques, ils sont avant tout démocratiques. Aucune décision n'est légitime si elle n'est précédée d'une information complète et accompagnée d'une concertation approfondie. Les parlementaires ayant voté la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 n'ont certainement pas voté en toute connaissance de cause l'effacement programmé du patrimoine hydraulique français et de son potentiel énergétique. Idem pour les élus qui participent aux commissions locales de l'eau ou aux comités de bassin. Or les arbitrages actuels des Agences de l'eau, de l'Onema et de certains syndicats de rivière conduisent à cette issue, sans garantie qu'il en résulte un bon état écologique au sens que l'Europe a donné à ce terme.

Pour combler ce déficit démocratique manifeste, Hydrauxois en coordination avec d'autres associations de notre département lancera en 2013 un débat citoyen sur les priorités et les modalités de l'action publique dans le domaine de l'eau. Ce sera l'occasion de faire la lumière sur toutes ces questions. Et nous ne doutons pas que l'Onema participera de bon coeur à ce débat.

20/12/2012

Ce que l'on sait (et ne sait pas) de la truite commune

A l'occasion d'un colloque européen dont les actes viennent d'être publiés, une équipe franco-belge de neuf chercheurs a fait le point sur la connaissance des déterminants de la santé des populations des truites communes européennes (Salmo trutta sp., la plus fréquente dans nos rivières étant la Salmo trutta fario). Ces chercheurs appartiennent à diverses institutions spécialisées dans la connaissance des milieux aquatiques : Irstea, Onema, Inra, EDF R&D, Ecogea, Université de Liège.

Hasard du calendrier, cette recension que nous avions préparée survient en même temps que le classement des rivières de Seine-Normandie. Elle est précisément l'occasion d'en souligner quelques limites.

5 phase du cycle de vie et autant d'enjeux
Les auteurs ont divisé le cycle de vie du poisson en 5 phases : œuf, alevins dans son sac vitellin, alevin, juvénile, adulte. La période de fraie a lieu de novembre à février, à certaines conditions de température et débit. Elle est accompagnée d'un comportement migratoire de quelques centaines de mètres à plusieurs dizaines de kilomètres. Le taux de retour dans l'habitat originel (homing) est variable et non observé dans toutes les populations.  Les juvéniles émergent à partir de mars, avec des taux de survie dépendant de conditions physiques et biologiques. Une truite commune vit en moyenne 4 ans, avec des sites favorables à 7 ans et des cas très rares à 12 ans. Les mâles arrivent à maturité vers 2 ans, les femelles vers 3 ans. Ces dernières ont une fécondité de 1000 à 2000 œufs par kilo de masse corporelle.

Pour chacune des phases du développement, les auteurs ont rassemblé leur expérience de terrain et la littérature scientifique disponible, ainsi que l'avis d'un comité de 15 experts de la truite (dont la moitié avait réalisé sa thèse sur ce poisson). Il en ressort qu'à chaque période du cycle de vie de la truite correspondent des stress environnementaux pouvant avoir des effets dommageables sur les individus, donc sur la capacité de renouvellement de la population. Par exemple, la présence d'un substrat de sables grossiers et graviers pour le fraie, ainsi que la vitesse de l'eau au niveau de ce substrat, un taux de fines (matières organiques ou minérales à faible granulométrie) inférieur à 20% pour les embryons dépendant du sac vitellin, de même qu'un niveau correct d'oxygène et d'azote dans les eaux interstitielles,  une température inférieure à 17 °C pour les juvéniles et 21°C pour les adultes, la continuité longitudinale ou latérale pour les migrations précédant le fraie, etc.

Un tableau de synthèse (cliquer l'image pour agrandir) permet d'observer les facteurs connus sur la qualité piscicole des populations de truites. Il ressort que les premiers stages de développement de la truite sont les plus critiques, une densité assez importante de 30 à 50 individus (alevins) par 100m^2 étant regardée comme seuil de bonne santé de la population.

Des incertitudes reconnues
L'intérêt de cette communication réside bien sûr dans la démarche de synthèse cohérente des connaissances, mais également dans le fait que les chercheurs reconnaissent le caractère encore très parcellaire de celles-ci. Ils écrivent ainsi :

« Un consensus global a émergé sur la difficulté d'identification de critères robustes permettant une évaluation précise de la fonction des populations de truites en terme d'abondances, de biomasses, de structures populationnelles et d'usage de l'habitat (taux d'occupation). Il existe la même incertitude sur l'évaluation de la viabilité de la population, en l'occurrence le nombre minimum de poissons nécessaire pour assurer l'autorenouvellement de la population […] La comparaison entre les processus physiques reflétant des degrés variés d'altération [du milieu] et les structures de population pourrait améliorer notre connaissance de la fonction des populations. Une information complémentaire est essentielle pour améliorer le diagnostic fondé sur les paramètres physiques, qui ne reflète pas la variabilité de la réponse des populations en fonction du degré d'altération, l'importance du contexte physique et les phénomènes compensatoires pouvant émerger. 

« L'acquisition d'une connaissance plus détaillée de ces mécanismes est nécessaire pour poser les fondements de la restauration écologique. C'est pourquoi la Directive cadre sur l'eau [de l'Union européenne] place la biologie au centre de son dispositif. Afin de relever ce défi, il est nécessaire en dernier ressort d'établir des critères biologiques [de santé des populations] et non de se restreindre seulement aux critères physiques, même s'ils sont cruciaux pour la biologie. De nouvelles recherches doivent être lancées pour comprendre la variabilité des paramètres biologiques, leur échelles spatiotemporelles et les process fonctionnels ».

Savoir avant d'agir
On ne peut que se féliciter de ces démarches intégratives en hydro-écologie, visant à obtenir pour chaque espèce de nos rivières un modèle fiable permettant de décrire et prédire le comportement de la population lorsque les paramètres de son milieu de vie sont modifiés.

La truite, pour emblématique qu'elle soit, n'est qu'une des espèces aujourd'hui protégées dans nos rivières. Les connaissances sont également indispensables sur bon nombre d'autres : spirlin, grande alose, alose feinte, anguille, loche de rivière, lamproie de rivière, blageon, vandoise, lote, lamproie marine, bouvière, saumon atlantique, ombre commun, etc.

Mais on ne peut en revanche que regretter le phénomène de « double discours » déjà critiqué ici. C'est-à-dire que les spécialistes de l'eau réservent la confidence de leurs incertitudes et du caractère encore embryonnaire de leurs connaissances à des colloques destinés à leurs pairs, en même temps qu'ils tiennent dans leurs discours publics (à leur tutelle ou aux citoyens) des propos beaucoup plus définitifs sur les actions nécessaires dans les rivières françaises pour restaurer la qualité de vie aquatique. Ainsi que sur la hiérarchie de ces actions, puisque comme le relevait la Commission européenne dans sa critique de la politique actuelle de l'eau, une bonne connaissance est nécessaire pour faire des choix appropriés et éviter des mesures aussi inefficaces que coûteuses.

L'exigence d'une certaine robustesse dans nos connaissance scientifiques n'a rien d'aberrant. Nous avons décidé par exemple de réduire nos émissions de gaz à effet de serre parce que des modèles climatiques ont établi (en plus de 50 ans de recherche) un lien causal sans équivoque entre ces gaz, le déséquilibre énergétique au sommet de l'atmosphère et le réchauffement conséquent du système terrestre. La politique démocratique essaie généralement de s'adosser à des expertises techniques et scientifiques de ce genre, mais à des expertises aux conclusions robustes, et non des expertises qui de leur propre aveu sont encore en train de se construire.

Poser les vraies priorités
La publication du classement des cours d'eau de Seine-Normandie permet de pointer ce problème manifeste : celui du niveau exact de connaissance des conditions chimiques, physiques et biologiques de nos rivières, préalable indispensable à la justification des mesures d'action et de leurs coûts.

Ces remarques ne contestent nullement l'intérêt intrinsèque de la continuité écologique, et en particulier l'intérêt des travaux dans les disciplines concernées (hydromorphologie, hydrobiologie, hydro-écologie). Nous avons rendu compte de certains de ces travaux et nous continuerons de le faire. Tout ce qui fait avancer nos savoirs sur l'eau doit être reconnu à sa juste valeur. De la même manière, nous n'appelons nullement à l'inertie et nous souhaitons que, lorsque les situations s'y prêtent (coût réaliste, bénéfices écologiques tangibles, concertation avec les acteurs), les restaurations de continuité écologique soient engagées. Y compris sous forme d'effacement lorsque les ouvrages n'ont ni usage possible ni intérêt patrimonial avéré.

Ce que nous contestons en revanche, et l'article de Gouraud et al 2012 en est un nouvel exemple après d'autres, c'est que le niveau de nos connaissances est suffisant pour produire un classement global à effet immédiat, et que le financement des conséquences de ce classement est une priorité écologique alors que bon nombre de nos rivières restent massivement polluées par les effluents domestiques, agricoles ou industriels.

Référence : Gouraud V et al. (2012), What do we know to evaluate the health of brown trout (Salmo trutta) populations ?, 9th International Symposium on Ecohydraulics, Vienne.

Illustration (photo) : Stefan Weigel / Wikimedia Commons

19/12/2012

Classement Seine-Normandie: pas de mesure de l'avantage environnemental

Un document de 142 pages intitulé Étude d’impact du classement des cours d’eau sur le bassin Seine- Normandie a été mis à disposition du public sur le site de la DRIEE IdF, conformément aux articles 4 des arrêtés du 4 décembre 2012. Ce document est censé apporter la justification du bien-fondé du classement.

Un objectif affiché  : évaluer les avantages environnementaux
L'Etude d'impact énonce en page 10 son objectif (mise en gras d'origine) : "L’étude de l’impact du classement des cours d’eau sur les usages est prévue à l'article L. 214-17 du Code de l’Environnement. C’est l’une des étapes clefs de la démarche de classement des cours d’eau. Cette étude doit permettre au préfet d’appréhender les coûts et les avantages économiques et environnementaux, marchands et non marchands qu’apporte le classement des cours d’eau au titre des listes 1° et/ou 2° de l’article L.214-17 du code de l’environnement. Elle doit notamment établir qu'il n’entraîne pas de coûts disproportionnés pour les autres usages au regard des avantages environnementaux à attendre."

La circulaire du 15 septembre 2008 (ministère de l'Ecologie), cadrant l'exercice de cette Etude d'impact, précisait quant à elle dès son introduction :

"Les classements sont un outil visant à atteindre les objectifs environnementaux de la DCE [Directive cadre sur l'eau]. Ainsi, les classements doivent répondre aux objectifs de bon état et de bon potentiel des eaux fixés par les schémas directeurs d’aménagement des eaux (SDAGE). L’étude de l’impact des classements tel que le prévoit la LEMA [Loi sur l'eau et les milieux aquatiques] appuie la démarche de révision des classements. Ainsi, cet outil permettra au préfet de justifier des avantages environnementaux des listes proposées."

Il s'agit donc d'abord de préciser le gain environnemental de la réforme proposée.

Un biais originel : la France ne respecte pas le cadrage européen 
Comme nous l'avons longuement exposé dans un précédent article, le ministère de l'Ecologie trompe son monde depuis quelques années quand il affirme que les dispositions de la loi sur l'eau de 2006 ont pour objectif et pour effet principal de satisfaire les exigences de la directive-cadre sur l'eau 2000. L'Union européenne était très claire dans la démarche, les Etats-membres devaient se doter préalablement à toute programmation d'un outil de surveillance et connaissance complet des milieux aquatiques, outil permettant d'apprécier pour chaque masse d'eau :

  • l'état chimique
  • l'état biologique
  • l'état physicochimique
  • l'état hydromorphologique

Or, le centrage de l'action publique sur les obstacles à l'écoulement (LEMA 2006) ne représente qu'un sous-facteur de l'état hydromorphologique des cours d'eau, et ce centrage a été décidé en 2006 alors que la France ne disposait absolument pas des informations nécessaires sur les autres facteurs de qualité écologique (puisqu'ils n'étaient pas mesurés – et à dire vrai le sont encore peu, les masses d'eau où la totalité des mesures exigibles sont disponibles étant très rares).

Il est donc intrinsèquement mensonger de prétendre que le classement des rivières va permettre de satisfaire nos obligations européennes : ce classement apporte une place excessivement importante à un seul problème (l'obstacle à l'écoulement) dont rien ne démontre aujourd'hui qu'il est le principal problème des rivières françaises, et notamment de Seine-Normandie (voir pour ce qui concerne notre région les analyses sur le bassin Armançon et le bassin Haute Seine suggérant au contraire que l'obstacle à l'écoulement n'est nullement le premier facteur dégradant des rivières).

Un résultat navrant : aucune démonstration des avantages environnementaux
Sans surprise donc, l'Etude d'impact n'est pas en mesure d'apporter aux citoyens (ni plus tard au juge administratif quand il devra examiner la valeur du classement) le moindre élément d'information sur les différents facteurs dégradant les rivières et la hiérarchie de ces facteurs.

Sur le seul sous-aspect hydromorphologique formant l'apparente monomanie de la LEMA 2006 sous le label de continuité écologique, cette Etude est incapable de conclure à quoi que ce soit de probant. En page 24, le document admet cette carence dans un paragraphe sur les "limites de la méthode" :
La méthode de calcul utilise des coefficients par défaut. Celle-ci pourrait être affinée en prenant en compte des données plus précises, en particulier : recensement exhaustif des obstacles à la continuité, en particulier sur les très petits cours d’eau, indicateur de franchissabilité spécifique à chaque ouvrage, pour une ou plusieurs espèces données, relevé précis des dispositifs de franchissement, ainsi que leur fonctionnalité effective, identification de barrières de pollution ou de zones de rejet impactant les migrateurs, identification de zones de présence réelle ou supposée des espèces. Les données ouvrages existantes ne permettent pas d’obtenir de tels niveaux de précision.
L'Etude d'impact reconnaît ainsi que ni les pollutions ni même... la présence réelle des espèces concernées (!) n'est établie pour valider ses calculs. En d'autres termes, elle utilise des "coefficients par défaut" qui ne correspondent pas à la réalité, et pour cause puisque les données existantes ne lui permettent pas de décrire cette réalité. Il paraît difficile de mesurer avec précision l'avantage environnemental pour une espèce dont on admet ignorer la présence au droit des obstacles étudiées, et dont on admet par ailleurs que l'on ne connaît pas mieux les autres facteurs impactants.

La même observation étant reproduite en page 27 pour les migrateurs holobiotiques (vivant dans un seul milieu, et non alternativement en eau salée et en eau douce comme les grands migrateurs amphihalins) : "Les limites sont similaires à celles de l’approche 'amphihalins' décrite précédemment. Il convient par ailleurs de noter que certaines espèces holobiotiques sont exigeantes et que les passes existantes pourraient ne pas être adaptées à leur franchissement. Ici également, les évaluations gagneraient en précision par la collecte d’informations de franchissement à l’ouvrage."

Bref, le modèle n'a pas le début du commencement d'un certain réalisme biologique sur le cycle de vie des poissons, il se contente d'additionner des franchissements à 0% (obstacle sans passe), 80% (obstacle aménagé avec passe) ou 100% (obstacle effacé). Pour conclure, ô surprise, que l'effacement de tous les obstacles donnerait la franchissabilité maximale. Cette simple addition dans l'abstrait, dont un élève de 3e serait capable, ne représente pas ce que l'on peut décemment appeler une analyse de l'avantage environnemental du classement comparé à ses coûts économiques et sociaux.

Une conclusion logique : nullité du classement
Il paraît donc clair qu'en l'état, le ministère de l'Ecologie et le préfet coordonnateur de bassin ne sont pas en mesure de préciser les avantages environnementaux du classement des cours d'eau de Seine-Normandie. Le document de justification ne comporte qu'une part minime des définitions européennes en vigueur du bon état écologique (donc du gain environnemental) sur les rivières de notre bassin hydrographique et, sur cette part minime, il n'est pas capable d'apporter une information exploitable.

La question qui se pose est désormais double : pour le juge administratif, apprécier la validité du classement (si ce juge dispose d'un minimum de sens commun, il devrait conclure à sa nullité) ; pour les citoyens (et leurs élus), comprendre comment on en est arrivé à de telles aberrations.

Nous avons souligné à plusieurs reprises ici – et nous continuons de penser – que la continuité écologique est  une des dimensions indéniables de la qualité des milieux aquatiques et qu'une modernisation intelligente des ouvrages hydrauliques représente un enjeu intéressant, à condition d'être justifiée par des analyses scientifiques probantes et d'être couplée à une modernisation énergétique dont notre pays a besoin.  Mais dans la politique de l'eau de la France depuis le début des années 2000, il y a eu un très étrange "hold up" au terme duquel certaines exigences européennes sur la qualité de l'eau (chimique, physique, biologique) ont été bâclées tandis qu'une seule dimension de l'hydromorphologie (obstacle à l'écoulement) a pris une importance de premier plan – au point que le classement des rivières est tout entier centré sur elle.

La (nouvelle) direction de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de l'Ecologie n'est pas obligée d'assumer les errements de ses prédécesseurs depuis 2006. Mais si elle persiste dans cette direction fort peu productive pour la qualité de l'eau – sans compter la négation du patrimoine historique, la destruction du potentiel énergétique, l'endettement des particuliers et des communes –, elle devra en assumer toutes les responsabilités.

18/12/2012

Etat chimique et écologique de nos rivières: où sont donc les mesures ?

A partir de 2000, l’Union européenne a établi un cadre communautaire pour la protection et la gestion de l’eau, à travers une directive-cadre (DCE). La démarche a été programmée en deux temps : d'abord, identifier et analyser les eaux européennes, recensées par bassin et par district hydrographiques ; ensuite, proposer des plans de gestion et des programmes de mesures adaptés à chaque masse d’eau. Cela en vue en vue d'atteindre un bon état chimique et écologique des masses d'eau européennes en 2015 (avec prorogation justifiée 2021, 2027).

Nous examinons ici les différents critères du bon état chimique et écologique de nos rivières tels que les a définis l'Union européenne, puis la loi française. Nous constatons que la France ne semble apparemment pas capable de produire en 2013 des mesures chimiques et écologiques complètes pour l'ensemble de ses rivières – bien qu'elle prétende par ailleurs les classer selon leur « état écologique », contrevenant manifestement à ses engagements européens.

Les textes cités au fil de l'article sont consultables dans les références finales (sauf exception de lien direct).

Etat chimique d'une masse d'eau
Pour apprécier l'état chimique d'une masse d'eau, la DCE établit une liste de 41 substances chimiques : 33 substances prioritaires et 8 substances dangereuses. Les substances prioritaires doivent être inférieures à des taux maximaux de concentration définis par les normes de qualité environnementale ; les substances dangereuses doivent être éliminées.

Il n'existe pas de gradient dans l'état chimique d'un cours d'eau : il est respecté ou non respecté. Les mêmes valeurs seuils s'appliquent à toutes les masses d'eau (de surface).

Les substances concernées sont des hydrocarbures (HAP), des métaux, des pesticides, des polluants issus de l'industrie ou de l'usage domestique. Une masse d'eau dont les 41 mesures n'ont pas été effectuées contrevient à la DCE et son état chimique ne peut être qualifié.

Etat écologique d'une masse d'eau
L'état écologique d'une rivière ne correspond pas toujours à des seuils déterminés par l'Union européenne, même s'il existe une réflexion commune dans le cadre du groupe Ecostat (Ecological Status). Chaque Etat-membre fixe sa méthodologie. Trois paramètres sont pris en compte en France pour évaluer l'état écologique : état biologique, état physico-chimique dont présence de polluants spécifiques à effet biologique, état hydromorphologique (voir en référence Guide technique 2009 faisant suite à la circulaire du 28 juillet 2005 et aux instructions de décembre 2007, ainsi que l'arrêté du 25 janvier 2010 sur le classement des rivières reprenant ces critères).

Etat biologique - Il est analysé par plusieurs types de mesures complémentaires, dont nous indiquons ici les indices les plus fréquemment employés :
• Indice biologique macrophytique en rivière (IBMR) pour l'eutrophisation (les macrophytes sont des algues visibles)
• Indice biologique global normalisé (IBGN) pour le peuplement macrobenthique
• Indice biologique diatomées (IBD)
• Indice poissons en rivière (IPR), peuplement piscicole en écart à la station de référence du milieu

Etat physico-chimique - Six mesures sont requises pour apprécier cet état :
• Bilan de l'oxygène (dissous, saturation, DBO5 et carbone organique)
• Température
• Nutriments (composés phosphorés PO4x, azotés NO2x, NO3x, NH4x)
• Acidification (pH)
• Salinité (si pertinent)
• Polluants spécifiques (métaux et phytosanitaires : arsenic, cuivre, zinc, chlortoluron, oxadiazon, linuron, 2.4 D, MCPA)

Etat hydromorphologique - Ce critère inclut diverses mesures dont l'appréciation est mal normalisée – la France insiste sur cette dimension spécifique plus que ne le font les textes européens, d'abord attachés aux paramètres mesurables de qualité chimique, biologique et physicochimique. La description de l'état hydromorphologique inclut notamment :
• connectivité latérale et longitudinale (obstacles à l'écoulement)
• nature des substrats
• dynamique sédimentaire érosions / dépôts
• diversité des régimes d'écoulement
• nature de la berge et ripisylve

Une approche fondée sur la preuve
Quoiqu'elles puissent paraître complexes au premier abord, les informations relatives au bon état chimique et écologique des masses d'eau sont finalement assez claires : on a une liste finie de critères à renseigner, avec dans certains cas des valeurs seuil définies par l'UE, dans d'autres cas des valeurs seuil ou des situations de référence décidées par l'Etat-membre dans son rapportage à l'UE.

La liste des substances concernées, le choix de tel ou tel indicateur peuvent nourrir des débats légitimes sur leur capacité à refléter la qualité des milieux aquatiques. On sait par exemple que les micropolluants de rivière se comptent en centaines, et non en dizaines, de sorte que le choix de l'UE peut paraître conservateur. De même, la notion de référence pour le peuplement piscicole d'une rivière donne lieu à des ambiguïtés, car elle est calculée sur des cours d'eau quasi-indemnes de toute influence anthropique ne correspondant plus aux usages économiques et sociaux depuis un grand nombre de générations.

Il n'en demeure pas moins que l'Union européenne a posé le fondement d'une démarche saine, que l'on dit « fondée sur la preuve » (evidence-based). Il ne s'agit de parler dans le vide ou dans le flou, sous prétexte qu'il existe un consensus pour un meilleur état écologique de nos milieux, mais bien de mesurer clairement les facteurs de dégradation. Et de n'agir qu'en connaissance de cause, lorsque l'on possède les informations complètes sur l'état des masses d'eau (souterraines, littorales ou de surface continentale) et sur les mesures prioritaires pour l'améliorer.

Informations non accessibles
Ces informations sur la qualité de l'eau devraient être accessibles à tous, de manière compréhensible par tous. Et en soi, la chose est aisée. C'est un peu comme une analyse de sang, où chacun regarde ses résultats et observe des écarts par rapport à la référence : inutile d'avoir un doctorat en hématologie pour comprendre si notre formulation sanguine a un problème !

Depuis bientôt 12 ans que la directive-cadre sur l'eau a été adoptée, on s'attend donc à ce que les citoyens disposent aujourd'hui d'un atlas Seine-Normandie, avec les données établies pour chaque masse d'eau (état zéro, puis mesures successives de contrôle de l'évolution) sous forme d'une fiche à télécharger ou à consulter en ligne, et d'un rapport annuel.

En d'autres termes, que chaque citoyen puisse savoir facilement : ma rivière est-elle en bon état chimique et écologique ? Et si elle ne l'est pas, quelles en sont les preuves, et les causes présumées ?

Hélas, il n'en est rien.

Un dispositif lourd, un budget conséquent
Pour satisfaire à ces obligations, l'Agences de l'eau Seine-Normandie (dont dépend la partie occidentale de notre département) a mis en place quatre « réseaux de contrôle » dédiés à la surveillance permanente (RCS), aux actions opérationnelles sur certains cours d'eau éloignés de l'objectif (RCO), à l'enquête sur des pollutions accidentelles (RCE) et à l'analyse additionnelle des zones protégées (RCA). Et pour faire bonne mesure, un réseau complémentaire de bassin (RCB) a été ajouté au dispositif.

Outre l'Agence de l'eau et l'Onema, principaux maîtres d'oeuvre de l'évaluation chimique et biologique des cours d'eau, toutes sortes d'organismes et d'administrations ont été mobilisés et sont énumérées dans le rapport 2011 sur l'état des milieux aquatique (AESN 2011, p. 2) : Ifremer, Cemagref (aujourd'hui Irstea), BRGM, Museum national d'histoire naturelle, Cellule de suivi du littoral normand, Centre d'étude et de valorisation des algues, DREAL, collectivités territoriales, bureaux d'études, laboratoire d'analyses...

Le budget alloué à la restauration écologique et la connaissance des milieux aquatiques est conséquent. Dans le Rapport annuel 2011 de l'Agence de l'eau, en Seine-Normandie, on observe que 57,5 millions d'euros sont dédiés à la seule étude de la qualité des eaux (et 48,8 millions d'euros à l'intervention).

Complexité, opacité, inefficacité
Hélas, la complexité du dispositif (que nous simplifions grandement ici en vous épargnant la profusion des bases de données, des référentiels, des méthodologies, etc.) n'a d'égale que l'opacité de ses résultats. Et leur rareté.

La Commission européenne ne s'y était pas trompée dans son premier rapport 2009 sur le suivi de la DCE en observant : «Il est encore nécessaire d’améliorer certains aspects du système afin de garantir la clarté et l’exhaustivité des rapports transmis, condition sine qua non pour que la Commission puisse effectuer une analyse correcte de la mise en œuvre de la DCE. Les rapports de l’Autriche, de la République tchèque, de la Hongrie et des Pays-Bas sont des exemples de bonne pratique en matière de clarté des informations communiquées.»

Chacun aura remarqué que la France ne faisait pas partie des bons élèves en terme de clarté et exhaustivité.

Pour donner un exemple, dans le rapport 2011 précité (AESN 2011, p. 10), l'Agence de l'eau observait : «Les données ont permis d'attribuer un état chimique à 324 masses d'eau suivies, lesquelles représentent 44% du linéaire total sur les 1688 masses d'eau du bassin. Il n'est en effet pas possible d'attribuer un état à plus de 80% des masses d'eau faute de données et/ou d'outils.»

Arriver à 80% des masses d'eau non renseignées sur leur état chimique dix ans après l'adoption de la DCE : on comprend la perplexité de la Commission européenne  !

Quel examen réel des masses d'eau ?
Les points de prélèvement des réseaux de surveillance dont nous parlions précédemment sont (selon l'Agence de l'eau 2011) au nombre de 391 pour l'analyse permanente (RCS) et de 691 pour l'analyse ponctuelle (RCO), ce qui est manifestement inférieur au nombre total de masses d'eau signalées par l'Agence (1688 dans le bilan publié en 2011).

Ce n'est pas très étonnant qu'une masse d'eau n'ait pas de donnée chimique si elle n'a pas pour commencer de point de prélèvement...

De surcroît, le maillage des masses d'eau par l'Agence de l'eau soulève un problème de fond : l'état chimique et écologique d'un cours d'eau ne s'apprécie pas par une mesure prise à 30 ou 60 km des facteurs dégradants (par exemple un élevage, un rejet industriel ou domestique, une succession de seuils, etc.). Donc, on s'interroge la valeur scientifique réelle des « points de prélèvement » et des « masses d'eau » quand il s'agit de statuer sur la qualité de l'eau dans tel ou tel tronçon du Serein, de l'Armançon, de la Brenne ou de tout autre cours d'eau de notre département.

Si l'on se pose des questions sur la qualité chimique et écologique de l'Armançon à Montbard, on ne sera que modérément informé par des mesures faites à Pont ou à Tonnerre, par exemple... La densité des analyses chimiques et écologiques est donc une condition de leur capacité à refléter l'état réel de nos rivières.

Le classement des rivières
Si vous trouviez déjà les précédents développements un peu compliqués, sachez que nous n'êtes pas tout à fait au bout de vos peines. Car au terme de la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, la France a décidé de produire le 1er janvier 2014 au plus tard un nouveau classement des rivières (voir ce premier article d'explication). Celui de Loire-Bretagne est paru à l'été 2012, celui de Seine-Normandie vient tout juste d'être publié au Journal Officiel.

Les rivières ont trois statuts possibles : liste 1, liste 2, non classées. La liste 1 correspond à une masse d'eau en très bon état écologique, à un réservoir biologique classé au titre d'une protection ou à une rivière à fort enjeu migrateur. La liste 2 rassemble les rivières « à restaurer » dans lesquelles il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons. Pour le franchissement piscicole, le Code de l'environnement mentionne les poissons « migrateurs », mais d'autres espèces ont été introduites.

On voit donc que le cœur du classement est constitué par la distinction des rivières en bon état écologique (liste 1) et des rivières à simple potentiel de bon état écologique (liste 2). Il n'échappe à personne que cette notion de « bon état écologique » est justement celle que la directive-cadre sur l'eau de 2000 a défini.

Les cours d'eau de l'Auxois et du Châtillonnais ont-ils été analysés ?
Nous publions par exemple en annexe de cet article la liste des tronçons de rivières de Côte d'or (bassin Seine seulement, c'est-à-dire partie occidentale du département) faisant l'objet d'un classement soit en liste 1, soit en liste 2.

Les services publics de l'eau sont-ils capables de produire pour chacun de ces tronçons la liste complète des mesures prévues dans le cadre de l'application de la DCE 2000, pour le volet état écologique ? Ont-ils vraiment mesuré sur chaque tronçon les 4 indices biologiques, les 7 indices physicochimiques, la liste des polluants spécifiques ? Ont-ils une description cohérente et comparative des paramètres hydromorphologiques ?

Nul ne le sait, et il n'est pas tout à fait certain que les services concernés le sachent eux-mêmes, au regard des échanges que nous avons avec ceux qui daignent nous répondre... (pas l'Onema par exemple). Même le travail récent (par ailleurs de bonne qualité) sur le bassin Haute Seine, que nous avons commenté ici, ne comporte pas toutes les informations requises pour juger l'état écologique des cours d'eau concernés (ni l'état chimique). Sans parler des travaux bien plus minces sur les bassins Serein ou Armançon, du moins ceux qui sont accessibles au public à ce jour.

Le préfet coordonnateur de bassin devra justifier le classement
Pourtant, il paraît très difficile d'imaginer que le préfet coordonnateur de bassin ait publié ce 18 décembre 2012 un classement des rivières Seine-Normandie en « bon état écologique » ou en potentiel de « bon état écologique » sans pouvoir le justifier par rapport aux critères retenus par la règlementation française et européenne.

On observe par exemple que dans le classement des cours d'eau du bassin Loire-Bretagne, déjà publié cet été, il n'existe quasiment aucune mesure sur les masses d'eau des 8 polluants chimiques susceptibles d'altérer la biologie, ni des macrophytes. Or, l'arrêté du 25 janvier 2010 stipule que ces données font partie de la définition d'un bon état écologique. (A défaut d'une mesure directe, il faut présenter une modélisation validée permettant de quantifier le polluant dans la masse d'eau concernée... procédure pour le moins étrange, quand on sait la complexité d'une modélisation pour exclure la présence de traces d'éléments chimiques donnés. Nous sommes en conséquence curieux d'obtenir la publication de ce genre de modèle, et notamment de vérifier sa validation scientifique dans des revues évaluées par les pairs).

Il faut également noter qu'au regard de la circulaire DCE 2008/25 sur le même classement des cours d'eau, il avait été précisé par le Ministère de l'Ecologie : «Le gain écologique (maintien ou restauration) doit être vérifié au regard du diagnostic de la continuité des habitats. Si ce gain est faible ou inexistant, le déclassement doit être la suite logique.» En conséquence de quoi le préfet coordonnateur de bassin est tenu de justifier à publication du classement que le gain écologique est «non faible» pour un cours d'eau en liste 2 et que le déclassement n'était pas le choix le plus logique.

Rien de tout cela n'apparaît dans le « Document technique d'accompagnement » ou les autres pièces fournies en Loire-Bretagne. Soit une situation quelque peu ahurissante où la France paraît décréter administrativement l'état de ses rivières sans avoir au préalable analysé scientifiquement cet état. Nous verrons très vite ce qu'il en est sur le bassin Seine-Normandie et nous vous tiendrons ici informés des réponses de l'administration à nos requêtes.

Ce que nous attendons : en finir avec la confusion...
Notre association espère mettre fin dans les meilleurs délais à cet état de confusion totale sur les cours d'eau de Côte d'Or dépendant du bassin de Seine-Normandie. Les citoyens ont le droit d'être informés ce qui a été fait (ou non) pour apprécier la qualité de leurs rivières, mais surtout d'en être informés de manière accessible, en publiant tout simplement l'ensemble des mesures exigées par la directive-cadre sur l'eau de l'Union européenne et par ses translations ou circulaires d'application en France.

La question que nous posons est donc simple : dispose-t-on oui ou non de l'intégralité des mesures d'état chimique et écologique des eaux de surface ?

Sans réponse à cette question, on devra logiquement conclure que l'Onema et l'Agence de l'eau ne sont pas capables de donner un état chimique et écologique de nos rivières conforme à l'ensemble de nos obligations européennes, et surtout conforme à la réalité de nos cours d'eau. Subsidiairement, que le préfet de bassin ne sera pas capable de justifier devant le juge administratif un classement de masse d'eau en liste 1 ou liste 2 fondé sur les mesures règlementaires à cette fin.

… et les diversions
La réponse à ces questions ne saurait évidemment être celle qu'un responsable de l'Agence de l'eau Seine-Amont nous a faite, à savoir d'aller voir sans plus de précision sur le portail labyrinthique et kafkaïen Eau France. Portail qui vous informe par exemple que la base de données requise est «indisponible» (voir capture d'écran ci-contre)...

La base de données serait-elle disponible quelque part dans le labyrinthe des fichiers empilés, le problème est ailleurs : il ne devrait y avoir aucune difficulté à donner à chaque citoyen qui en fait la demande le fichier des diverses mesures chimiques et écologiques du cours d'eau dont il est riverain. C'est une question (constitutionnelle) de bon accès à la documentation et à l'information environnementales. L'Onema le reconnaît d'ailleurs comme une de ses missions :

«Le système d’information sur l’eau (SIE) est conçu pour répondre aux besoins des parties prenantes (y compris le grand public) en matière d’information environnementale publique dans le domaine de l’eau. L’enjeu : disposer d’un outil national, homogène et à fonctionnement partenarial, au service d’une gestion de l’eau pilotée par la connaissance et permettant d’évaluer les politiques, au niveau européen mais également à l’échelle des bassins.»

Pour la Commission européenne, un « problème majeur »
La Commission européenne s'est à nouveau inquiétée en novembre dernier de certains aspects de la politique de l'eau en France pour le suivi de la directive-cadre (voir notre premier article). Voici quelques extraits complémentaires faisant naître le doute sur la capacité de notre pays à juger réellement les causes de dégradation de ses masses d'eau, et notamment de ses rivières :

«Il y a des manques dans la réseau de surveillance des eaux de surface. Tous les éléments de qualité environnementale ne sont pas surveillés dans les programmes de mesure (…) Le statut chimique des eaux de surface a été considéré comme correct pour un peu plus de 53% des masses d'eau, tandis que 23% ne parvenaient pas à ce statut. Le pourcentage élevé (34,1%) de masses d'eau en état chimique inconnu doit être souligné. C'est un problème majeur, car cela entrave le reste du processus de programmation, c'est-à-dire l'établissement des objectifs et la mise au point des mesures appropriées pour améliorer l'état (…) L'analyse des éléments qualitatifs fondant les caractéristiques physico-chimiques et hydromorphologiques n'a généralement été développée que partiellement à ce jour (…) Pour les éléments hydromorphologiques, la continuité de la rivière et les conditions morphologiques n'ont généralement pas été analysés. Dans les premiers programmes par bassin, des standards n'ont pas encore été établis pour les données hydromorphologiques, et l'évaluation a été fondée sur l'information disponible sur les pressions hydromorphologiques».

Des jolies plaquettes (inutiles) aux vraies données (indispensables)
Nous partageons l'inquiétude de la Commission européenne. Nous avons eu droit depuis quelques années à des développements très bavards sur la continuité écologique et particulièrement sur les obstacles à l'écoulement qui, comme on l'observe à l'analyse de ce que demande réellement la DCE, ne représentent qu'une dimension annexe de l'état chimique et écologique de nos rivières.

Inversement, les mesures indicielles claires correspondant à un état objectif de la qualité de l'eau sont fort difficiles à trouver, et peu commentées si elles existent. Il est grand temps que l'on cesse de dépenser de l'argent public dans des belles plaquettes quadrichromiques sans contenu réel (ou dans des pinaillages de droit d'eau sans fondement), et que l'on informe correctement les citoyens sur les vraies mesures scientifiques de pollution et dégradation de nos rivières.

Notre action est territoriale, et volontairement limité aux cours d'eau dont nous sommes riverains. Mais nous encourageons bien sûr toutes les associations de défense de la qualité de l'eau ou du patrimoine hydraulique à poser les mêmes questions aux établissements publics en charge de fournir les réponses.

Références citées
Annexe
Liste des cours d'eau Côte d'Or du bassin Seine Amont dont le préfet de bassin devra justifier le classement en liste 1 ou liste 2 au regard des paramètres mesurés de l'état écologique (arrêté du 25 janvier 2010) et d'une appréciation du gain écologique (circulaire de cadrage DCE 2008/10)
Code Hydro et cours d'eau ; F00-0400 Le Revinson ; F0002000 Ruisseau du Feu ; F0003000     Ruisseau de Jugny ; F0003500 Ruisseau du Movillot ; F0011000 Ruisseau des Trois Fontaines ; F0020600 La Coquille ; F0022000 Le Prelard ; F0028000 Ruisseau de Banlot ; F0050600 Le Brevon ; F0058000 Ruisseau du Noin ; F0110600 Rivière de Courcelles ; F0111000 Ruisseau du Creux Manchard ; F0240600 Ruisseau du Val Dupuis ; F0400800 Fossé 01 de la Tanière ; F0402250     Fontaine au Devin ; F0404000 Ruisseau de Chaugey ; F0404600 Ruisseau des Pres Mous ; F0405000     L'Arce ; F0405500  Ruisseau de Bure ; F0406000 La Groeme ; F0408000 Ruisseau de Valverset ; F0410600 La Digeanne ; F0413000 Ruisseau de Villarnon ; F0413500 Ruisseau du Fays ; F0415000 Ruisseau de la Cave ; F0421000 Ruisseau du Canal ; F0436000     Ruisseau de Beaumont ; F1020600     L'Aubette (bras) ; F1025000 Ruisseau de Combe-Jean ; F1040600  Le Coupe-Charme ; F1042000     Ruisseau de Fontenil ; F3--0210 L'Armançon ; F3132000 Ruisseau de la Vente ; F3133000     Ruisseau des Pontas ; F3134000 Ruisseau de Chaillou ; F3140600 La Romanee ; F3145000 Le Tournesac ; F3147000 Le Vernidard ; F32-0400 Le Serein ; F3232000  La Baigne ; F3232200     Ruisseau de Saulieu ; F3232250 Ruisseau de Balathier ; F3232300 Ruisseau des Comes ; F3232400     Le Brazon ; F33-0400 La Brenne ; F3301000 Ruisseau de la Motte ; F3317000 Ruisseau de la Belle Fontaine ; F3321000 Ruisseau de Roussot ; F3321500 Ruisseau de l'Envers ; F3322000 Ruisseau du Moulin ; F3322500 Ruisseau de la Come ; F3323000 Ruisseau de Vernet ; F3323500  La Golotte ; F3324000 Ruisseau du Val d'Ete ; F3324500     Ruisseau de Roche d'Hy ; F3325000 Ruisseau de Batarde ; F3325500  Ruisseau du Pontot ; F3325501 Bras la Brenne ; F3326000 Ruisseau de Miard ; F3326400 Ruisseau du Grand Pre ; F3326500 Ruisseau de Volnay ; F3327500 Ruisseau de Quionquere ; F3328000 Ruisseau de Chemerey ; F3328500 Ruisseau de la Lochere ; F3330600 L'Ozerain ; F3331000 Les Combes ; F3332000 Ruisseau de Fontette ; F3333000 Ruisseau de Barain ; F3334000  Ruisseau de Saint-Cassien ; F3334500 Ruisseau de Chevrey ; F3335000 Ruisseau Guenin ; F3336000 Ruisseau de Jagey ; F3337000 Ruisseau de Grissey ; F3338000 Ruisseau du Val Sambon ; F3350600 L'Oze ; F3351000 Ruisseau des Fosses ; F3352000 Ruisseau de Vau-Mercy ; F3352700 Ruisseau de Trouhaut ; F3353000 Ruisseau de la Combe de Pâques ; F3354000 La Drenne ; F3354300 Le Drevin ; F3354380 Ruisseau de la Barre ; F3354700 Ruisseau de Come ; F3356000 Ruisseau de Presilly ; F3357000 Ruisseau du Canal ; F3358000 Le Vau ; F3359000 Le Rabutin