25/05/2016

4es Rencontres hydrauliques régionales, 25 juin 2016

Voici venu le temps de nos Rencontres hydrauliques annuelles, qui se tiendront cette année autour de Quarré-les-Tombes. Téléchargez le programme.

La journée principale sera le samedi 25 juin. Pour ceux qui restent une nuit ou qui habitent à proximité, d'autres activités sont prévues le dimanche 26 juin au matin. Au programme :  visites de l'Abbaye de la-Pierre-qui-Vire et de plusieurs moulins, exposition sur les moulins du Cousin-Trinquelin, conférences, échanges et débats sur l'actualité régionale et nationale des moulins en lutte (continuité écologique, cartographie des cours d'eau, lois patrimoine et biodiversité). Buffet le samedi midi (repas libre possible dans le village), barbecue le samedi soir, sur réservation.

Nous espérons vous y retrouver pour un moment convivial et combatif dans nos belles et libres vallées du Morvan.

A noter : le samedi 18 juin, l'association Hydrauxois co-animera une visite de moulins dans la ville de Semur-en-Auxois, en début d'après-midi. Voir le programme complet des journées des moulins 2016. en Bourgogne. Le matin, notre association présentera (également à Semur-en-Auxois) le moratoire sur la continuité écologique à l'occasion de l'assemblée générale de l'Association des riverains de France.

23/05/2016

Les vrais blocages de la continuité écologique: un collectif d'associations s'exprime

Lettre ouverte au CGEDD

En décembre 2015, Ségolène Royal a envoyé une lettre de mission au CGEDD en vue de clarifier les "blocages" liés à la continuité écologique. La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Environnement laisse régulièrement entendre que la continuité écologique rencontrerait des problèmes mineurs d'application, liés à quelques "incompréhensions" avec les moulins en bonne voie d'être dépassées. C'est faux. La réforme n'est pas appliquée sur la majorité des sites concernés, et elle n'est pas applicable en raison des seuls choix laissés par l'administration: la destruction des ouvrages ou la ruine économique. Jamais une mesure aussi brutale et discriminatoire vis-à-vis de particuliers ne serait tolérée dans un autre domaine. A cela s'ajoute l'inefficacité écologique de la réforme : implantés depuis des siècles, les seuils de moulin (80% des obstacles concernés par la continuité écologique) représentent un enjeu très mineur au plan environnemental, voire apportent des bénéfices aux milieux aquatiques tels qu'ils ont évolué. Leur destruction n'a aucune chance de produire le bon état écologique et chimique de l'eau exigé par l'Union européenne, demandant une lutte prioritaire contre les pollutions. Les associations ayant déjà été partiellement censurées dans le rapport parlementaire Dubois-Vigier, elles ont décidé de prendre les devants et de rendre publique cette lettre collective envoyée au CGEDD sur les vrais blocages de la continuité écologique. L'administration peut décider une nouvelle fois de taire, euphémiser ou nier les problèmes que nous lui soumettons. Elle peut aussi choisir de les reconnaître et de chercher des solutions. Nous jugerons de sa capacité d'écoute et de proposition à la publication du rapport du CGEDD. 



Madame, Monsieur,

Par courrier du 9 décembre 2015, Mme la Ministre de l’Environnement a souhaité que le CGEDD fasse le point sur la continuité écologique, à savoir un «état des lieux précis et une analyse de l’ensemble des blocages et des sites conflictuels, liés en particulier à des moulins, afin de faire des propositions pour faciliter le consensus autour de la mise en conformité des seuils et barrages en rivière».

Il a semblé aux signataires de cette lettre que le meilleur moyen de permettre un «état des lieux précis» est d’y contribuer en vous faisant part de nos expériences d’associations de défense des moulins, des riverains et des cours d’eau. Nous sommes en effet en première ligne de la mise en œuvre de la continuité écologique depuis le PARCE 2009.

Certains documents, comme le récent rapport parlementaire d’information Dubois-Vigier sur les Continuités écologiques aquatiques, n’ont qu’imparfaitement repris les témoignages de terrain des associations. En particulier, il subsiste une idée fausse : le problème viendrait d’un déficit de «compréhension» ou de «pédagogie» chez ceux qui subissent les conséquences de la réforme de continuité écologique. C’est inexact : depuis la loi de 2006 et le classement de 2012, les associations développent une veille technique et scientifique, analysent la réalité des chantiers, vérifient l’arrière-plan réglementaire, légal et jurisprudentiel, échangent sur les sites concernés avec l’administration, les élus et d’autres parties prenantes.

Nous sommes donc tout à fait capables de comprendre le programme de continuité écologique porté par l’administration française, mais nous pensons qu’il est structurellement défaillant à bien des égards dans sa mise en œuvre actuelle.

En particulier, voici les principaux « blocages » que nous constatons et dont nous espérons le dépassement.

Blocage n°1 : prime à la destruction des ouvrages, rupture de confiance
Alors que la loi demande que chaque ouvrage soit «équipé, entretenu, géré» (L 214-17 CE) ou que l’ «aménagement» soit mis à l’étude pour «les obstacles les plus problématiques» (article 29 - loi Grenelle 2009-967), les circulaires administratives (de 2010 sur le PARCE et de 2013 sur le classement) ont mis en avant l’«effacement» des ouvrages «sans usage» comme solution préférable. Cette menace de destruction partielle ou totale, avec remise en question de la consistance du droit d’eau et de l’identité du site comme moulin, est très mal vécue. Elle a rapidement dégradé la confiance vis-à-vis de l’administration (DDT-M, Onema, Agences de l’eau) ou des syndicats qui véhiculent ce message. En particulier, le fait que les Agences de l’eau financent à 80-95 % (selon niveau de priorité de la masse d’eau) les arasements ou dérasements (parfois même à 100 % dans des appels à projets exceptionnels), mais à 40-60 % seulement les dispositifs de franchissement bloque toute envie d’agir : nos adhérents ne veulent pas détruire leur bien, ils ne peuvent pas non plus s’engager dans un chantier hors de leur portée. Si aucune alternative n’est offerte, comment avancer ? Et comment interpréter cette attitude administrative autrement que comme une pression pour pousser chaque propriétaire à accepter malgré lui l’arasement ou le dérasement de son  ouvrage ?  Il ne sera pas possible d’obtenir une pleine participation des moulins à la politique des rivières sans que l’administration prononce d’abord une pleine reconnaissance de la légitimité et de l’intérêt de leur existence, dont se déduit la nécessité de ne pas les détruire et de mieux financer leurs aménagements s’ils sont nécessaires.

Blocage n°2 : coût exorbitant, consentement à payer quasi-nul pour une mesure d’intérêt général qui crée une servitude
Les dispositifs de franchissement ont des coûts élevés : des dizaines à des centaines de milliers d’euros. Même en cas de subvention partielle du financeur public, la somme restant due est exorbitante pour des particuliers (ou des petites exploitations). Il n’est pas possible pour la plupart de nos adhérents propriétaires de signer un projet dont l’issue peut être l’obligation d’assumer de telles charges. De surcroît, ces dispositifs de franchissement, quand ils sont justifiés au plan écologique par la certitude d’un gain piscicole réel et proportionné à la dépense, sont des mesures d’intérêt général, créant une servitude à vie de surveillance et d’entretien. Le consentement à payer de nos adhérents est donc à peu près nul, et beaucoup seraient de toute façon insolvables face à l’explosion du coût des chantiers en rivière. Ce problème n’est pas nouveau : aussi bien la loi de 1865 que l’ancien article L 432-6 CE ont souffert d’une non-application massive en raison des coûts importants des échelles à poissons et du scepticisme sur leur intérêt. Le problème est encore plus aigu aujourd’hui en raison du luxe de précautions environnementales et du surcroît de complexité technique présidant aux chantiers de franchissabilité des seuils et barrages. Dans ces conditions, pourquoi avoir classé entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans (chiffre exact jamais communiqué), objectif manifestement irréaliste ? Pourquoi créer partout une pression largement artificielle d’urgence, pour des ouvrages souvent présents depuis des siècles ?  Sur cette question du financement, il faut ajouter le problème de l’opacité des évaluations administratives et de l’inégalité devant les charges publiques : sur des problématiques similaires, certaines Agences de l’eau financent plus généreusement des passes à poissons que d’autres, alors que la loi est commune à tous en France.

Blocage n°3 : ignorance des dimensions multiples de la rivière et de ses ouvrages (histoire, culture, patrimoine, paysage, loisir, énergie, tourisme, etc.)
La plupart de nos adhérents ont beaucoup investi pour préserver et restaurer des moulins qu’ils considèrent avant tout comme un patrimoine culturel rare, singulier, fragile. Tous les moulins ont une longue histoire, leurs propriétaires en sont fiers, les journées du patrimoine y ont un franc succès. A travers la continuité écologique, le discours public des ouvrages hydrauliques est aujourd’hui centré quasi-exclusivement sur les angles de l’hydromorphologie et de l’hydrobiologie. Ce sont des approches intéressantes et importantes de la rivière, mais elles ne sauraient prétendre épuiser tous les registres de la connaissance et de l’action (y compris au sein du registre écologique, les espèces piscicoles migratrices n’étant qu’une infime partie de la biodiversité aquatique). En plus d’être un fait naturel, la rivière est aussi un fait historique et un fait social : les cours d’eau ont commencé à être modifié substantiellement dès l’Âge du Bronze en Europe, avant même l’apparition des moulins. Les ouvrages hydrauliques, dont l’existence est pluriséculaire pour la plupart, ont des usages très divers, qui ne se réduisent pas aujourd’hui à la production d’énergie. Leur simple existence a une valeur intrinsèque au plan historique, culturel et paysager, et cette existence inclut nécessairement leur système hydraulique, la retenue d’eau et le bief. Le fait que les chargés de mission des Agences de l’eau comme les ingénieurs et techniciens de l’Onema, des fédérations de pêche ou des syndicats de rivière soient le plus souvent ignorants de (ou indifférents à) ces dimensions non-écologiques conduit à un dialogue de sourds et à une mise en œuvre déséquilibrée de la réforme. Propriétaires et riverains ont le sentiment que l’intérêt général n’est pas correctement représenté : pourquoi accorder tant de place à la vision particulière de certains représentants pêcheurs ou de certains militants écologistes, dont le discours est souvent très radical, et ne jamais associer les protecteurs du patrimoine technique, historique et rural, les sociétés des sciences locales, les animateurs culturels ou touristiques, les représentants des usagers des ouvrages et de leurs retenues ? Pourquoi faire si peu de cas de toutes les dimensions non-écologiques associées aux ouvrages, mais aussi aux rivières elles-mêmes et à leurs représentations sociales ?

Blocage n°4 : études de sites à charge, ne produisant pas une analyse complète ni des objectifs tangibles, ignorant les pollutions
On voit se multiplier sur les rivières des analyses de bureaux d’études (parfois de fédérations de pêche), au mieux par tronçon, le plus souvent par ouvrages isolés ou très petits groupes d’ouvrages — donc sans grande cohérence de continuité en terme hydrographique et sans prise en compte de certains effets cumulatifs (évolution de la cinétique de crue et du risque inondation, par exemple). Le contenu de ces études pose de très nombreux problèmes : biais manifeste en faveur des solutions radicales d’effacement préconisées par les Agences de l’eau (financeur principal des dites études), non prise en compte de solutions simples (ouverture de vanne, rivière de contournement existante), défaut de proposition d’indemnité alors que la perte de l’ouvrage, du bief en eau et du droit d’eau produit une importante moins-value foncière, absence d’état DCE de la masse d’eau, carence de mesures complètes de la biodiversité (ne se résumant pas aux poissons), prétention à « restaurer de l’habitat » (détruire la retenue) qui n’a jamais été l’objectif légal ni réglementaire du classement des rivières, non prise en compte ou sous-estimation de l’intérêt des ouvrages (épuration chimique, paysage des biefs et retenues, intérêt historique et culturel, etc.), absence d’évaluation ou minimisation des risques liés aux effacements (érosion régressive ou progressive, fragilisation berge et bâti, espèces invasives, sédiments pollués mais remobilisés, etc.). Dans la majorité des cas, l’approche morphologique ignore les dégradations physico-chimiques et chimiques de la masse d’eau (nitrates, pesticides, etc.), dont sont victimes les propriétaires d’ouvrages et qui sont les premiers facteurs limitants du bon état de la rivière.  De surcroît, ces travaux ne donnent aucun objectif écologique de résultat et ne promettent aucune mesure de suivi dans l’immense majorité des cas, donc ne permettent pas une analyse coût-bénéfice sérieuse. On ne peut pas accepter de détruire un bien ou de dépenser des sommes considérables pour des bénéfices non démontrés et non garantis. Ces études ne sont donc pas considérées comme recevables, leur conclusion ne saurait servir de base à des choix éclairés d’aménagement.

Blocage n°5 : gouvernance très peu démocratique, absence des associations dans les instances de concertation, décision et programmation
À l’échelle nationale, les fédérations de moulins ou de riverains n’ont été que très peu associées aux décisions sur la continuité depuis 10 ans. À l’échelle de bassin, elles sont exclues des Comités de bassin et ne figurent pas dans les commissions techniques qui définissent la programmation des travaux en rivières pour les SDAGE. Les travaux de ces commissions (C3P, Comina, etc.) sont opaques, rarement rendus publics (et quand ils le sont, on s’aperçoit d’un déficit scientifique et démocratique manifeste dans les échanges préparatoires aux décisions). À échelle régionale ou départementale, nos associations ne sont pas sollicitées en amont pour l’élaboration des SRCAE ou des SRCE, ne sont pas conviées aux réunions de travail des MISEN, ne sont pas intégrées dans les comités de pilotage des projets de restauration (contrairement aux fédérations départementales de pêcheurs qui le sont par défaut), ne sont pas listées comme membres de droit des Commissions locales de l’eau des SAGE. Par ailleurs, les interventions sur ouvrage hydraulique négligent le plus souvent de convier à la réflexion préalable l’ensemble des riverains et usagers dans la zone d’influence du bief et/ou de la retenue (et non pas le seul propriétaire de l’ouvrage). Ajoutons que les données brutes et corrigées sur l’état biologique, physico-chimique, chimique et morphologique de chaque masse d’eau et pour chaque campagne de mesure sont très difficiles voire impossibles d’accès pour les citoyens (dispersion des bases, des formats, données manquantes) : or, une information complète, accessible et transparente est le fondement du débat démocratique sur l’environnement. Ces faits traduisent une gouvernance absolument déplorable : non seulement on décide une politique d’effacement des ouvrages ou d’imposition de travaux d’aménagement à coût exorbitant, mais on le fait de surcroît sans que les principaux intéressés aient la possibilité de s’informer, de débattre, de donner leur avis, de vérifier les impacts réels ou de proposer des alternatives.

Blocage n°6 : doutes scientifiques sur le bien-fondé de la réforme, sentiment de précipitation et lourdes incertitudes sur les résultats
Nos associations ont organisé une veille scientifique sur la question de l’écologie des rivières. Ses résultats montrent un décalage important entre le ton prudent, parfois critique, des chercheurs et les affirmations pleines de certitudes de la communication grand public des Agences de l’eau ou de l’Onema. Cette veille suggère que l’impact des ouvrages hydrauliques sur la qualité piscicole et sédimentaire reste faible (par exemple Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015 en France, nombreux autres travaux européens ou nord-américains), ne justifiant pas des solutions aussi radicales que les destructions, en même temps que ces ouvrages présentent des intérêts au plan de la qualité de l’eau (par exemple l’épuration chimique, Gaillard et al 2016 sur les pesticides, programme PIREN-Seine et innombrables travaux internationaux sur les nutriments). D’autres études pointent le manque de rigueur des chantiers de restauration physique de rivière et leur difficulté à avancer des résultats tangibles (par exemple en France Morandi et al 2014, Lespez et al 2015). Aucune de ces recherches (nous ne citons ici que des publications françaises et récentes) n’affirme bien sûr que la continuité écologique ou la restauration morphologique est sans intérêt ; mais la plupart convergent sur l’importance des travaux préparatoires proprement scientifiques (ce que ne furent pas du tout les classements administratifs de 2012-2013), sur le rôle des analyses d’impacts de bassin versant comme conditions limitantes du succès de la restauration physique, sur l’utilité des modèles (presque jamais employés en France) pour prioriser les sites d’intérêt, sur la nécessité de la prise en compte des données d’histoire de l’environnement (dynamique sédimentaire et biologique de long terme), sur la nécessité d’associer les populations locales et les parties prenantes, etc. Quant au «recueil d’expériences de l’Onema» mis en avant par le Ministère, il est constitué d’appréciations subjectives d’experts et d’administratifs, pas de travaux de chercheurs ni d’études quantitatives sur les résultats réels des travaux de restauration. Ces lectures nous amènent à la conclusion désagréable que le classement massif de rivières s’apparente à une logique douteuse d’« apprentis sorciers » où, au lieu d’étudier au préalable et de manière approfondie un échantillon de quelques dizaines à centaines de projets (étude incluant un suivi écologique de long terme, mais aussi les sciences humaines et sociales pour le versant de la gouvernance), on se précipite à engager des milliers de chantiers sans aucune certitude sur leurs résultats individuels comme sur les effets cumulatifs. Enfin, le classement de continuité a été découpé «à la carte» pour épargner dans bien des cas les grands barrages (beaucoup à gestion publique) des tronçons, alors qu’ils devraient être les premiers ciblés au regard de leur impact piscicole et sédimentaire bien plus établi par la recherche scientifique que ceux des modestes seuils et chaussées de moulin, quant à eux très peu étudiés.

*
Bien des points ici énumérés figuraient déjà dans votre premier rapport de 2012 consécutif aux problèmes rencontrés à partir du PARCE 2009. Ce rapport n’a pas été suivi d’effet pour la plupart de vos recommandations. Les conflits actuels sont la conséquence de cette inertie. De notre point de vue, ils ne pourront cesser que si l’administration revient au texte de la loi, cesse de promouvoir une politique destructive des ouvrages, ré-évalue le bien-fondé du classement et recherche des solutions viables, en particulier sur le point noir du financement des solutions de franchissement. Toute autre option, notamment des mises en demeure préfectorales aux dates échéances des classements, se traduirait par des contentieux auxquels nos associations ont hélas ! dû se préparer.

Ajoutons pour finir que nous doutons de la capacité des représentants actuels de la Direction de l’eau et de la biodiversité en charge des ouvrages hydrauliques à engager ces évolutions nécessaires : ils ont méprisé les objections des représentants des moulins et riverains depuis 10 ans, ils ont ignoré l’essentiel de vos recommandations depuis 3 ans, ils ont donné des informations biaisées et largement incomplètes aux parlementaires, pourquoi agiraient-ils différemment dans les prochaines années ? La concertation demande une confiance mutuelle dans la bonne foi et la capacité d’écoute de l’interlocuteur : cette confiance n’existe plus aujourd’hui sur la question des ouvrages hydrauliques.

Nous vous remercions par avance de refléter dans votre rapport la réalité du point de vue de nos associations, condition d’un diagnostic objectif des blocages et d’une recherche efficace des moyens de les surmonter.

Avec nos respectueuses salutations.

Signataires
Association de Sauvegarde du Bassin de la Seiche et de ses affluents - Association de la Vègre, des Deux-Fonts et de la Gée - Association de défense des riverains de la Colmont et de ses affluents - Association des Amis et de la Claise et de ses affluents - Association des riverains de la Jouanne et du Vicoin - Association de Sauvegarde et d'Animation du Moulin de Lançay - Association des Amis et de Sauvegarde des Moulins de la Mayenne - Collectif des Moulins et Riverains du Morbihan - Association des Amis des Moulins du Cher - Association de Sauvegarde des Moulins et Rivières de la Sarthe - Association des Riverains de l'Erve de la Vaige et du Treulon - Association pour la Sauvegarde de la Dives - Association de Sauvegarde des Moulins à eau du Loir-et-Cher - Association Blaise 21 - Association de Sauvegarde des Moulins de l'Anjou - Association des Riverains et Propriétaires de Moulins du Bassin du Loir Amont - Association Chailland sur Ernée - Comité d'Action et de Défense des Victimes des inondations du Loir - Association de Défense et de Sauvegarde de la Vallée de l'Oudon - Association des Moulins du Morvan et de la Nièvre - Association des Moulins de Touraine - Association des Moulins et Riverains des Côtes d'Armor - Collectif des Riverains et des Moulins de Bretagne -  Association Départementale des Amis des Moulins de l'Indre - Association des Rivières et Acteurs des Moulins de Basse Normandie et 35 -  Association des Moulins du Poitou -  Association au Cours de l'Eure – Association de Sauvegarde des Moulins de la Loire - Association les Amis des Moulins de l’Orne - Association des Amis des Moulins de Loire-Atlantique – Aproloing – Association des Riverains et Propriétaires d’ouvrages hydrauliques du Châtillonnais - Association des Amis des Moulins d'Ile-de-France - Hydrauxois

A nos lecteurs
Nos députés et sénateurs sont en train d'examiner les lois Patrimoine et Biodiversité, deux textes susceptibles de faire évoluer la réforme de continuité écologique dans un sens plus respectueux du patrimoine. Par ailleurs, les parlementaires souffrent d'un manque d'information sur ces problèmes très pointus, et ils reçoivent des réponses floues voire inexactes du Ministère quand ils l'interrogent. Nous vous demandons donc de télécharger le texte de cette lettre (ici en pdf) et de l'envoyer à vos élus à l'Assemblée nationale et au Sénat, en ajoutant le commentaire de votre choix. Aujourd'hui, des milliers d'ouvrages hydrauliques sont menacés de destruction, leur avenir dépend avant tout de votre mobilisation. Prenez quelques minutes pour agir et stopper le ballet destructeur des pelleteuses: nos moulins et nos rivières le méritent. Merci d'avance.

Aux associations non-signataires
Tout le monde n'a pu être contacté dans les délais impartis, les premiers signataires viennent des réseaux Loire-Bretagne et Seine-Normandie ayant déjà mené des actions communes. Si vous partagez les constats de ce texte, vous pouvez bien sûr nous le signaler par courrier électronique (nous ajouterons votre nom à la liste) ou reprendre librement le texte ci-dessus pour un usage local, en vous y associant.

A lire en complément
Le CGEDD avait produit en 2012 un premier rapport suite au nombreux problèmes nés du Plan de restauration de la continuité écologique (PARCE) de 2009. Ce rapport contenait plusieurs propositions intéressantes... qui n'ont jamais été suivies d'effet dans la mise en oeuvre du classement en 2012-2013.  Combien de temps va-t-on repousser de rapports en rapports les décisions nécessaires?

22/05/2016

Tonnerre, Avallon, Belan-sur-Ource... les effacements d'ouvrages continuent de plus belle

Le 9 décembre 2015, Ségolène Royal avait demandé aux Préfets de ne pas insister sur les effacements de seuils de moulin, en attendant les recommandations du CGEDD pour comprendre les meilleurs moyens de sortir des blocages. Peine perdue, les établissements de rivière ou de bassin (ici Sirtava, Sicec, Parc du Morvan) continuent leur programme méthodique de destruction du patrimoine hydraulique dans les rivières classées au titre de la continuité écologique. Un gâchis d'argent public, pas même capable de promettre un gain écologique concret, entretenant l'illusion abêtissante d'une "renaturation" de rivières anthropisées depuis des millénaires et chimiquement altérées depuis 50 ans. 



Nous avons exposé dans le cas de Tonnerre le caractère absurde de ces travaux au regard de la qualité IPR du cours d'eau et de son peuplement piscicole (voir l'ensemble des articles), nous avions longuement étudié le cas du Cousin, où les truites n'ont pas souffert historiquement des moulins et où le patrimoine de la ville d'Avallon est classé en ZPPAUP (voir l'ensemble des articles), nous avions évoqué à Belan-sur-Ource la diversité écologiquement intéressante des écoulements créés par les ouvrages répartiteurs (voir cet article). Les mêmes pratiques s'observent partout : étude préparatoire à charge, répétition du catéchisme sans analyse de biodiversité locale, absence d'objectif écologique précis, régime de responsabilité peu clair en cas de troubles liés au changement local des écoulements, prime à la casse du patrimoine et du paysage, acharnement sur des petits ouvrages sans impact réel, voire à effet positif, quand les grands barrages n'ont pas de projet. On jette l'argent public par les fenêtres pour des opérations cosmétiques décidées au nom de dogmes. Nous appelons évidement les riverains et les amoureux du patrimoine à participer aux trois enquêtes publiques.

Effacement de deux ouvrages à Tonnerre (Sirtava) - Enquête publique relative à l'effacement de deux ouvrages hydrauliques (services techniques et Bief Saint-Nicolas) du vendredi 3 juin 2016 au mardi 5 juillet 2016 inclus en mairie de Tonnerre. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie de Tonnerre, les 3 juin 2016 de 9 à 12 heures ; 18 juin 2016, de 9 à 12 heures ; 28 juin 2016, de 14 à 17 heures ; 5 juillet 2016, de 14 à 17 heures.

Effacement total ou partiel de trois ouvrages à Avallon (Parc du Morvan) - Enquête publique relative à l'aménagement de trois ouvrages hydrauliques (Moulins-Nageotte, Poichot et Mathey) du lundi 6 juin 2016 au jeudi 7 juillet 2016 inclus en mairie d'Avallon. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie d'Avallon, les  lundi 6 juin 2016, de 9 à 12 heures ; mardi 14 juin 2016, de 9 à 12 heures ; samedi 25 juin 2016, de 14 à 17 heures ; jeudi 7 juillet 2016, de 14 à 17 heures.

Effacement d'un ouvrage à Belan-sur-Ource (Sicec) - Enquête publique relative à l'effacement de l'ouvrage Massard à Belan-sur-Ource du 14 juin au 16 juillet inclus en mairie de Belan-sur-Ource. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie de Belan, les 16 juin de 09:30 à 12:30, 27 juin de 14 à 17 heures, 11 juillet de 09:30 à 12:30.

Illustration : moulin de Belan-sur-Ource.

21/05/2016

Effet cumulé des retenues: une expertise Irstea-Inra souligne les incertitudes

A la demande du Ministère de l'Ecologie en 2013, une expertise scientifique collective a été requise auprès d’Irstea, en partenariat avec l’Inra et l'Onema, concernant l’impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique. L’étude de ces impacts est normalement exigée avant la création de nouveaux ouvrages. Problème : les méthodologies manquent. La synthèse de cette expertise vient d'être présentée et publiée. En absence du texte complet que nous recenserons, on peut déjà y observer un point saillant : les fortes incertitudes tenant à la fois au manque de données, à l'immaturité ou à la complexité des modèles, parfois à la rareté des travaux dans la littérature scientifique. En soi, ce faible niveau de robustesse de nos connaissances est une information utile pour l'analyse critique des politiques publiques de l'eau. Cela nous change de certains catéchismes pleins de certitude et de suffisance récités depuis plusieurs années... 


L'expertise collective a été présentée le 19 mai 2016, et sa synthèse est disponible (mais pas encore le rapport complet), voir ce lien pdf. En attendant de disposer du texte complet pour une recension, nous nous attarderons sur un aspect déjà manifeste de cette synthèse : le défaut de connaissances, de données et de modèles. Voici quelques extraits (mise en gras de notre fait) :

"L’expertise a mis en évidence la faiblesse des connaissances sur l’effet environnemental cumulé des retenues. Très peu d’études abordent l’influence cumulée des retenues sur l’ensemble des différentes caractéristiques fonctionnelles considérées dans l’expertise, bien que celles-ci interagissent fortement.
(...)
La dynamique de prélèvement est rarement connue, surtout pour les petites retenues individuelles. Elle est au mieux approchée par une estimation de la demande évaporatoire des cultures irriguées. Ceci induit une large incertitude sur ce terme du bilan hydrique de la retenue qui conditionne en grande partie sa dynamique de remplissage et les volumes qu’elle intercepte effectivement, surtout quand elle ne peut être déconnectée du cours d’eau.
(...)
Plusieurs types de données sont nécessaires pour déterminer l’influence d’une retenue, et a fortiori d’un ensemble de retenues, sur le cours d’eau : leur position dans le bassin versant, leur mode d’alimentation, leur capacité (surface, volume) et leur mode de restitution au cours d’eau, les usages de l’eau et la dynamique de prélèvement et de restitution qui en résulte. Toute tentative pour estimer l’influence d’une retenue sans disposer de ces données, qu’il s’agisse de l’hydrologie, du transport solide ou de la qualité de l’eau conduit à une grande incertitude
(...)
La modélisation numérique apparaît comme une méthode privilégiée pour évaluer l’effet cumulé des retenues sur l’hydrologie. (…) La modélisation se heurte toutefois à diverses questions, pour beaucoup liées à une caractérisation insuffisante des retenues elles-mêmes, aux hypothèses associées à la représentation de leur fonctionnement au sein du bassin, à la prise en compte des usages de l’eau des retenues, et à l’évaluation des incertitudes associées à la modélisation.
(...)
Le degré même de complexité des modèles à mettre en œuvre, dans un contexte donné, pour cerner les processus émergents liés au cumul de retenues reste une question de recherche."


Quand des chercheurs académiques sont sollicités par le décideur pour une expertise collective sur une thématique, ils ont un devoir de précision sur le niveau d'incertitude scientifique de l'exercice ou, ce qui revient au même, sur le niveau de robustesse scientifique des connaissances. Certains rapports, comme ceux du GIEC sur le climat, prévoient d'ailleurs pour leurs auteurs des procédures assez précises d'évaluation des niveaux d'incertitudes (soit les incertitudes des avis collégiaux d'experts, soit les incertitudes des mesures, soit encore les incertitudes au sens mathématique des résultats de modèles statistiques ou probabilistes). On lira avec intérêt le guide de rédaction des auteurs principaux du GIEC sur cette question (lien pdf, anglais), un modèle dont devrait s'inspirer toute expertise collégiale sur les sujets scientifiques d'intérêt public.

Pourquoi est-ce important ?

  • Dans tout domaine, il existe des ignorances partagées et des savoirs partiels, qui peuvent mener à des convictions fausses et des choix délétères. Le rôle de la science n'est pas de "dire la vérité", ce dont elle n'a pas la prétention, mais de proposer l'analyse la plus précise ou la moins inexacte possible d'un phénomène, à partir de protocoles rigoureux permettant de caractériser le phénomène en question, ses causes, ses modalités, ses effets. 
  • La science moderne est un exercice collectif, en particulier dans les sciences des phénomènes complexes. L'image du chercheur isolé qui a "raison avant tout le monde" (modèle galiléen ou newtonien) n'a plus beaucoup de sens : chaque sujet de recherche même très spécialisé représente des milliers d'articles dans la littérature scientifique, les protocoles expérimentaux ou observationnels mobilisent des équipes très nombreuses, etc. Donc la production de la science comme l'évaluation de ses résultats est forcément un exercice provisoire et surtout collégial : un expert ou un trop petit groupe d'experts peut donner des conclusions biaisées par non-prise en compte de données ou surinterprétation de certains résultats.
  • Tous les domaines scientifiques n'ont pas le même niveau de maturité, c'est-à-dire d'intelligibilité et de consensus chez les chercheurs. Par exemple dans le domaine de l'eau, il n'y a pas beaucoup de débats sur les équations de l'hydraulique, de la mécanique des fluides et des milieux continus appliquée aux approches de grande échelle, car il y a déjà deux ou trois siècles de formalisation (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas encore beaucoup de recherches). A l'extrême inverse, si l'on s'intéresse à la biologie ou à l'écologie de la conservation (domaine à la fois plus empirique et plus récent, datant des années 1980 pour l'essentiel au plan institutionnel), on trouve des écoles différentes, des paradigmes en discussion, des méthodologies en construction, etc. y compris sur l'objet même du domaine, à savoir ici ce qu'il s'agirait de "conserver". 
  • La science tire sa crédibilité sociale de la rigueur descriptive et prédictive dans l'approche des phénomènes étudiés, ainsi que de la transparence de ses procédures internes d'évaluation et de publication. Cette rigueur est d'autant plus importante que la science est désormais facilement prise en otage par des enjeux de pouvoir (politique, financier, économique). Il y a une "manufacture du doute" comme il y a une "industrie de la peur" ou un "business de la catastrophe", c'est-à-dire des stratégies de communication visant à rendre peu lisibles et discutables les messages de la science, voire à distordre sa pratique même (cas des conflits d'intérêt), au bénéfice généralement d'intérêts économiques ou de croyances idéologiques.
  • Dans les démocraties modernes, une politique publique sur des thèmes à forte composante scientifique comme la santé, le climat, l'énergie, l'eau ou l'environnement tend à être fondée sur la preuve (evidence-based policy) et dirigée par la donnée (data-driven policy). Ce n'est pas une obligation en soi, mais on considère comme peu recevable démocratiquement une politique préférant la conviction de croyances religieuses ou idéologiques à l'examen scientifique, ou bien une politique n'étant pas capable d'asseoir de manière rationnelle ses choix publics et de démontrer de façon empirique leur bien-fondé au regard des objectifs qu'ils se donnaient. Donc en démocratie, on n'engage pas (ou on ne devrait pas engager) des dépenses ou des contraintes sur des domaines où il existe une forte incertitude de résultat. Pareillement, et en vertu du principe de précaution, on n'autorise pas (ou on ne devrait pas autoriser) des actions où il existe une forte suspicion de risque. Il y a une marge d'interprétation dans le niveau requis de connaissance (l'adjectif "forte" dans la phrase précédente), ce qui relève à la fois du débat scientifique et du débat démocratique.

On conclura que la synthèse de cette expertise collective sur l'effet cumulé des retenues apporte plutôt confirmation de notre critique des politiques environnementales appliquées à l'eau et aux milieux aquatiques : elles ont été sous-informées dans leur programmation (quand des collèges pluridisciplinaires de chercheurs auraient dû être sollicités pour des expertises rigoureuses à titre préparatoire) comme elles sont trop souvent bâclées dans leur exécution (quand des bureaux d'études exploitent des données locales très partielles pour des conclusions parfois définies à l'avance par le financeur). L'environnement est un domaine qui donne lieu à des postures fortes de croyance et de militance chez les uns, de résistance au changement chez les autres. Certains acteurs s'accommodent mal du temps nécessaire à la construction de la connaissance scientifique, puis des inévitables concessions liées à la concertation démocratique. C'est pourtant ainsi que nos sociétés décident de leur évolution. La certitude d'avoir raison contre tout le monde n'y changera finalement pas grand chose.

Illustration : les différents types de retenues d'eau, citation de la synthèse de l'expertise collective Irstea-Inra 2016, Impact cumulé des retenues sur les milieux aquatiques, document cité, tous droits réservés.  

20/05/2016

Sélune: les casseurs-pêcheurs reviennent à la charge

Les pêcheurs veulent-ils être assimilés à des casseurs? C'est en tout cas l'impression déplorable que donnent les diatribes de plus en plus violentes de leurs représentants officiels en faveur de la casse pure et simple des seuils et barrages formant le patrimoine hydraulique français. Les associations locales de pêche, souvent plus raisonnables et pragmatiques, devraient tirer la sonnette d'alarme auprès de leurs fédérations: ces dérives sectaires nuisent à l'image populaire de leur pratique. Sur la Sélune, certains souhaitent gagner quelques dizaines de kilomètres pour des parcours de pêche aux saumons et sont prêts pour cela à détruire le profil de la vallée. Ils prétendent que la casse des barrages relève de "l'intérêt général" et de la "gestion équilibrée".  Un slogan faux, puisque les barrages de la Sélune apportent de nombreux services aux populations, mais aussi certains bénéfices aux milieux aquatiques.

Les pêcheurs appellent à une manifestation pour la destruction des barrages de la Sélune (voir leur tract ci-dessous, cliquer pour agrandir).


Ce tract fait mention de la "gestion équilibrée et durable de l'eau". Il s'agit d'une disposition de la loi sur l'eau de 2006. Rappelons ce que dit la loi, à savoir l'article L 211-1 du Code de l'environnement dans sa forme actuelle:
La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
Les barrages et lacs de la Sélune permettent l'alimentation en eau potable, la production d'énergie, le tourisme, les loisirs et sports nautiques, la pêche aux carnassiers et poissons blancs, diverses activités légalement exercées en rives. Ils servent aussi au laminage des crues et à la dépollution des eaux qui filent vers la baie du Mont Saint-Michel. Les ouvrages appartiennent au patrimoine technique et industriel. Les biotopes des lacs offrent enfin des écosystèmes originaux favorables à la biodiversité, réalité vivante ne se résumant heureusement pas à quelques espèces de poissons offertes à la prédation des pêcheurs.

Et il faudrait casser tout cela au seul nom des saumons déjà présents sur de nombreux côtiers normands et bretons, pour 50 millions d'euros d'argent public?

Une fois de plus, l'esprit de la loi et l'avis des populations sont méprisés par ceux qui prétendent monopoliser "l'intérêt général" depuis leurs visions partisanes, leurs postures dogmatiques et leurs logiques sectorielles.

La destruction ruineuse des barrages de la Sélune au motif de faire revenir des saumons sur quelques dizaines de kilomètres de zones amont (par ailleurs polluées et dégradées) représenterait une gestion totalement déséquilibrée de la rivière. Cessons de confondre le sectarisme minoritaire des casseurs d'ouvrages avec la défense de l'intérêt général des riverains et l'avenir des rivières.

Pour comprendre, lire nos articles sur la Sélune
(1) Le déni démocratique
(2) Bassin pollué et dégradé, risques sur la baie du Mont-Saint-Michel
(3) Le gain réel pour les saumons
(4) Le bilan coût-bénéfice déplorable de la destruction des barrages
(5) Pollution génétique des saumons de la Sélune par les empoissonnements


Associations, élus, personnalités : comme déjà plus de 2000 représentants des citoyens et de la société civile, engagez-vous aujourd'hui pour défendre les seuils et barrages de France menacés de destruction par une interprétation radicale et absurde de la continuité écologique. En demandant un moratoire sur la destruction des ouvrages, vous appellerez le gouvernement et son administration à cesser la gabegie d'argent public, à prendre en considération le véritable intérêt général au lieu de visions partisanes de la rivière, à chercher des solutions plus concertées, plus consensuelles, plus constructives pour l'avenir de nos cours d'eau, de leurs milieux et de leurs usages.

19/05/2016

Ger et Job, rivières en lutte

Dans les petits villages du Comminges coulent le Ger et le Job. Ici, on dit que de tout temps la rivière fut ainsi, avec ses moulins et ses digues. On dit que les anciens savaient ce qu’ils faisaient. On se questionne et on s’inquiète : pourquoi défaire notre histoire, notre paysage ? Est-ce cela l’écologie ? Confrontés comme tant d'autres à la mise en oeuvre de la continuité écologique, avec maîtrise d'ouvrage d'une Fédération de pêche de surcroît, les amis du Ger et du Job se sont constitués en association. Ils entendent se battre pour préserver leur lieu de vie. Nous publions leur communiqué.  

Moulins et rivières en danger
L’administration a décidé de détruire les seuils, ces petits barrages qui alimentent les moulins de notre Comminges. Ici c’est tout d’abord le Ger et le Job qui sont menacés. En partie. Prétendant rétablir la continuité des rivières, l’administration les a au contraire tronçonnées. Certaines parties doivent être débarrassées de leurs obstacles, d’autres tronçons ne sont pas inquiétés. La logique administrative a des raisons qui nous échappent.



Rétablir la continuité écologique: Qu’es aquo?
La loi établit que les poissons migrateurs doivent pouvoir remonter et dévaler le cours des rivières et qu’il convient donc d’équiper les obstacles qu’il rencontrent. En toute logique la loi préconise que pour rétablir cette continuité il faut commencer par l’aval et remonter vers l’amont.
Sauf que: sur le Ger et le Job il n’y a pas de poissons migrateurs et qui plus est, ces deux rivières de montagne sont plutôt très éloignées de leur aval, l’Océan, la Gironde...
 Alors l’administration nous invente de nouveaux poissons migrateurs: les truites. Ainsi donc les moulins poseraient problème aux truites. En effet il y a moins de truites que par le passé. Mais par le passé il y avait plus de moulins. Depuis deux, trois et parfois dix siècles. Peut- être faudrait-il chercher ailleurs ce qui est véritablement nuisible pour les truites.



L’administration: qui c’est ça?
Nous évitons de dire l’Etat. En effet que ce soit les maires concernés, la ministre de l’environnement ou les nombreux députés et sénateurs qui se manifestent pour demander l’arrêt de cette œuvre de destruction, nos hommes et femmes politiques ne sont pas à l’origine de cette incongruité. Quels que soient leurs tendances ils constatent et dénoncent une « sur- interprétation » administrative de la loi. La loi dit qu’il faut équiper les seuils mais l’administration souhaite les détruire. C’est la solution qui est la seule subventionnée... Les services de l’Agence de l’eau Adour-Garonne et l’Onema (ex conseil supérieur de la pêche) sont les principaux instigateurs de cette dérive destructrice. Pour éviter de prendre le moindre risque, ils ont embarqué dans leurs manœuvres la Fédération de pêche qui dépend beaucoup de ces deux organismes. En effet, détruire un seuil n’est pas sans risque. Ici même, sur le Ger à Pointis-Inard, nous savons que cela peut produire des inondations. C’est ainsi que l’administration prend bien soin de ne pas assumer la moindre responsabilité juridique. Pas d’enquête publique, pas de déclaration d’utilité publique. C’est la Fédération de pêche qui se voit attribuer la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage... Que se passera-t-il si les destructions de seuils conduisent comme nous le craignons à de nouvelles catastrophes? Va-t- on demander aux pêcheurs de réparer les dégâts?



Nous nous posons des questions.
Est-ce que la suppression des seuils va améliorer la qualité chimique des eaux?
 En été, quand il y moins d’eau, et qu’il n’y aura plus de retenues d’eau, devra-t-on couper le captage du Job qui nous alimente en eau potable pour maintenir un filet d’eau sur notre rivière transformée en oued?

Est-ce le hasard qui épargne ces destructions à l’endroit exact où la Fédération de pêche dispose elle même d’un seuil qui alimente sa pisciculture? C’est vraiment très curieux car les obstacles qui obstruent et dénaturent le Ger (pour reprendre la terminologie de nos adversaires) sont bien plus importants que ceux qui sont situés sur le Job. Nous n’avons pour l’instant pas pu dénicher l’étude scientifique qui a permis de décréter que ce qui valait pour le Job ne valait pas pour le Ger au niveau de la pisciculture fédérale de Soueich.

Pourquoi ne pas utiliser toutes ces chutes d’eau pour produire une énergie propre?

Nous invitons tous les riverains à partager ces questions lors d’une réunion le 20 mai à 18h30 à la salle des fêtes d’Encausse-les-thermes.

Voir aussi sur Facebook La digue du Job. Les illustrations sont extraites de ce site, tous droits réservés.

Complément : remarques sur la pisciculture de Soueich
Sur le site internet de la pisciculture de Soueich, il est dit que la Fédération départementale de pêche élève de l'ombre commun pour l'introduire dans le bassin Adour-Garonne-Dordogne-Gaves. Pourtant, ce n'est pas une espèce native sur ces rivières: l'ombre (Thymallus thymallus) fréquente les bassins du Centre et de l'Est de la France, comme ceux de l'Europe centrale et septentrionale. Mais l'ombre plaît à certains pêcheurs à la mouche. Les fédérations de pêche se prétendent souvent les gardiennes des milieux aquatiques, de l'intégrité biotique des rivières, des espèces autochtones, etc. Elles font volontiers la morale aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques, et sont rarement les dernières en comité de pilotage à appuyer les solutions les plus radicales d'effacement. Mais alors, pourquoi modifier les peuplements des rivières? Pour y reproduire des espèces qui plaisent à leurs adhérents et pour vendre de la carte de pêche?  Pour concurrencer les espèces autochtones ? Certaines études scientifiques ont montré qu'à long terme, les empoissonnements à fin halieutique peuvent modifier davantage les assemblages piscicoles des cours d'eau que les barrages (voir Haivogl et al 2015). Pour notre part, nous ne sommes pas particulièrement hostiles à l'introduction raisonnée et contrôlée d'espèces (phénomène de toute façon difficile à empêcher) : le fait est que la biodiversité piscicole totale de la France a augmenté depuis 150 ans (ajout d'une trentaine d'espèces non natives). Nous sommes par ailleurs tolérants envers les différents usages de la rivière, pêche incluse. En revanche, les doubles standards sur l'intégrité à géométrie variable des assemblages piscicoles et les postures agressives envers les ouvrages de la part d'institutions ayant des agréments publics ne sont pas acceptables. Quant au fait de confier la maîtrise d'ouvrage d'une restauration de continuité écologique à une Fédération de pêche (comme le cas du Ger et du Job), nous y sommes clairement défavorables : les instances officielles de la pêche ont pris des positions trop partisanes et radicales pour se voir confier ce type de mission, qui demande une ouverture d'esprit vis-à-vis des différentes représentations de la rivière et une bonne prise en compte des enjeux non-écologiques.

18/05/2016

Embâcles et bois morts: faut-il toujours les retirer?

Retirer les embâcles de la rivière figure de très longue date parmi les obligations du riverain. Ces amas de bois morts modifient l'érosion et le régime des inondations, pouvant occasionner des risques pour les biens et personnes. Pourtant, du point de vue écologique, on reconnaît des vertus aux embâcles et certains projets de gestion de rivière prévoient même l'ajout volontaire de débris ligneux. Un point sur la question.

On appelle embâcle des amas de débris ligneux et bois morts qui se forment sur les rivières. Les branches et parfois les troncs tombent dans la rivière suite à une mortalité naturelle ou à certains épisodes météorologiques. Les embâcles de grande taille ont un poids qui excède la capacité d'entraînement du courant et restent sur place. Les débris de plus petite taille sont emportés par le flot mais tendent à se bloquer dans certaines zones : rochers émergents, seuils naturels, chaussées ou barrages, écluses, ponts, etc.


La position longtemps dominante de l'administration et du gestionnaire a consisté à exiger un retrait de tous les embâcles en rivière. En France, l'article L 214-14 du Code de l'environnement continue de présenter l'"enlèvement des embâcles" comme une obligation du riverain des cours d'eau non domaniaux, avec désormais des motivations environnementales pas toujours très lisibles  :
"le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives."
Comme nous allons le voir, ces injonctions sont devenues quelque peu contradictoires, car le déséquilibre local créé par les embâcles fait partie de l'écoulement normal d'une rivière (de même que des bancs d'atterrissement). Par son empressement à ajouter de "l'écologique" dans un maximum de textes, le législateur manque parfois de précision ou de cohérence.

Pourquoi tend-on à retirer les embâcles?
La motivation à retirer des embâcles peut venir de l'aspect esthétique et paysager : certains riverains n'aiment pas l'impression de "négligé" des amas anarchiques de branches et demandent aux syndicats de les retirer. Elle peut aussi être liée aux besoins de certains usagers. Par exemple, les moulins et usines hydro-électriques risquent de voir les biefs, les prises d'eau de conduite ou les grilles de chambre d'eau obstrués de bois mort, ce qui crée des pertes de charge et d'exploitation. Dans ce cas précis, les embâcles sur un seuil ou un barrage peuvent aussi élever la lame d'eau au-dessus du niveau légal autorisé, ce qui est interdit. Enfin, en milieu urbain, le ruissellement sur sols artificialisés augmente les risques liés aux crues, et il est indispensable pour la sécurité que tous les exutoires soient non encombrés pour permettre la bonne évacuation des eaux.

Au-delà de ces cas particuliers, la perturbation des embâcles pose deux types de problème hydraulique : l'inondation et l'érosion.

L'inondation tient au fait que les embâcles, s'ils barrent totalement le lit des petits cours d'eau, vont avoir pour effet d'augmenter la hauteur d'eau à l'amont. Il peut alors y avoir débordement des berges et déversement dans les propriétés riveraines, qui font office de champ d'expansion de la rivière, particulièrement en crue. On notera que l'augmentation du risque à l'amont diminue le risque à l'aval, car les embâcles limitent le débit de pointe et lamine la crue. Le même type de problème est posé par les barrages de castors dans les zones colonisées par cette espèce.

L'érosion dépend de la géométrie locale des embâcles. Quand ceux-ci ne bloquent que partiellement le cours d'eau, la section restant libre voit une accélération du flot (effet Venturi). Si l'embâcle dirige ce flot accéléré vers une berge (ou une construction comme une pile de pont), il augmente l'érosion et peut donc dégrader le foncier ou le bâti.

Des intérêts écologiques avérés
Malgré ces problèmes, la représentation des embâcles a changé au cours des dernières décennies. On a même vu parfois des gestionnaires recharger artificiellement des rivières en débris ligneux. La raison en est que les embâcles présentent des intérêts écologiques :

  • en modifiant localement la vitesse, la hauteur et la granulométrie, les embâcles créent une mosaïque de micro-habitats dans les petites rivières; 
  • dans les cours d'eau aval, les embâcles peuvent faire émerger des habitats plus importants (mésoformes) comme des bras, des tresses ou des îles, dont l'intérêt pour la biodiversité est établi;
  • les zones calmes à l'amont des embâcles servent d'abri ou de refuge (repos lors de migration piscicole notamment), et les mouilles assez profondes en été peuvent avoir un intérêt thermique et hydrologique à l'étiage;
  • les débris ligneux et bois pourris alimentent une faune spécialisée d'invertébrés.

On notera au passage que certains avantages écologiques liés aux obstacles formés par les embâcles sont aussi valables pour des petits seuils de moulins et leur bief dérivé.

Comme souvent sur les questions d'eau et de milieux aquatiques, il est donc difficile d'édicter des règles homogènes. La ligne de partage semble ici définie par le risque de dommage sur les personnes et les biens : si ce risque est avéré, la gestion des embâcles doit éviter la perturbation locale de l'écoulement, surtout en crue. S'il n'y a pas d'enjeux de riveraineté (friches, vallées encaissées et non peuplées), laisser tout ou partie des embâcles à la rivière paraît préférable. En prenant tout de même garde au fait qu'une forte crue tendra à emporter les flottants laissés dans le lit, et représentera donc une charge solide conséquente à gérer vers l'aval. Enfin, l'avis des riverains est un paramètre à prendre en compte : le cours d'eau répond à des attentes sociales, pas seulement à des impératifs écologiques.

Lectures : Piégeay H et al (2005), Les risques liés aux embâcles de bois dans les cours d’eau : état des connaissances et principes de gestion, TEC&DOC et Lavoisier in Bois mort et à cavité, une clé pour des forêts vivantes, oct 2004, Chambéry, France. pp.193-202 ; Maridet L et al (1996), L'embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique ? un facteur de risques naturels ?, Houille Blanche, 96 5., 32-37

Illustrations : embâcles encastrés sur une pile de pont (Kenneth Allen CC BY SA 2.0), déposés en berge (Franzfoto CC BY SA 3.0), dans le lit d'une rivière du Morvan (Hydrauxois).

16/05/2016

Défendre la valeur intrinsèque du patrimoine historique des moulins

Il ne viendrait à l'esprit d'aucune personne civilisée, ou même sensée, de casser systématiquement certains éléments du patrimoine d'une nation. Et pourtant, cette idée aberrante a pu paraître légitime en France quand le patrimoine concerné est celui des moulins et de leur exceptionnel témoignage sur l'histoire des rivières. Affirmer que tout ouvrage hydraulique pose problème à la rivière et que toute disparition d'ouvrage est un bénéfice désirable pour les milieux, refuser de mettre en balance les considérations écologiques avec les sensibilités esthétiques, paysagères et culturelles, cela revient à promouvoir une négation de la valeur intrinsèque du patrimoine hydraulique et de notre devoir de transmission de ce patrimoine aux générations futures. Ne pas dénoncer cette folie, c'est s'en rendre complice. Ce n'est pas demain qu'il faut défendre l'héritage menacé de nos rivières : c'est maintenant. Et partout.

Les moulins appartiennent au patrimoine historique, technique et culturel des rivières françaises. La valeur de ce patrimoine est essentiellement associée au système hydraulique de captage et usage de l'eau, sans lequel le moulin n'a plus aucun sens. Pendant près de deux millénaires, l'eau a été la principale source d'énergie renouvelable avec la biomasse, la transformation des céréales par les moulins a été au coeur de l'alimentation humaine et animale : ce n'est pas anecdotique, c'est au contraire une clé de lecture du développement des civilisations.

A la valeur patrimoniale du bâti s'ajoute une valeur paysagère : les retenues et les canaux (biefs) associés à l'existence des moulins dessinent un certain profil de la rivière et de la vallée, inscrit dans les représentations collectives, déterminant les occupations humaines des berges. Obligés de s'adapter au cours des rivières, les moulins sont souvent des modèles d'intégration du bâti humain aux contraintes naturelles des sites, ce qui est au coeur même de la définition du paysage. Et ces paysages sont, en France et en Europe, la manière singulière dont l'homme habite la nature. Nous n'avons pas de ce côté-ci de l'Atlantique le goût des "réserves de vie sauvage" où l'homme est interdit de présence, nous préférons plutôt assumer et valoriser une très longue et subtile co-existence du naturel et du culturel.


Les moulins forment un patrimoine vernaculaire de proximité : il n'est pas forcément reconnu au sens réglementaire de la protection patrimoniale, mais il participe à l'identité et à l'esthétique des territoires, comme ses autres édifices remarquables et constructions (lavoirs, ponts, fontaines, pigeonniers, fours, calvaires, maisons et fermes anciennes, etc.). Les moulins sont aussi parfois associés à un patrimoine immatériel, quand les savoir-faire de production ont été préservés. Leur influence sur la toponymie, l'hydrographie, l'histoire et la géographie indique assez leur place importante dans l'héritage national.

Les moulins étaient originellement des édifices utilitaires : véritables usines à eau, ils servaient à la transformation des produits agricoles ou manufacturiers. La perte progressive de cet usage économique originel n'implique nullement la perte de leur valeur patrimoniale — pas plus qu'un château-fort perd son intérêt sous prétexte qu'il ne permet plus la défense des villageois, ni que la chapelle perd sa beauté quand ses fidèles la quittent.

Toutes choses égales par ailleurs, est-il bénéfique pour la collectivité de permettre la conservation, l'entretien et la transmission de ce patrimoine des moulins aux générations futures ? Nous pensons que la réponse est évidente : depuis un siècle, tant à l'échelle nationale qu'internationale, la valeur sociale, éducative, économique de la préservation du patrimoine s'est imposée comme une nécessité pour la construction d'un rapport toujours plus riche, plus dense, plus divers à la mémoire collective. Tout ne peut certainement pas être conservé, ni ne doit forcément l'être. Mais c'est souvent avec répugnance que l'on voit disparaître les témoignages singuliers du passé, et c'est toujours avec horreur que l'on condamne les entreprises terroristes ou totalitaires de destruction volontaire des héritages culturels de l'humanité. Le patrimoine des moulins, comme tous les autres, possède une valeur intrinsèque digne d'être comprise et transmise.

Aujourd'hui en France, certains veulent opposer le patrimoine culturel des ouvrages hydrauliques au patrimoine naturel des espèces aquatiques. La défense du second pourrait justifier la destruction du premier. Cette position est intenable.


Au plan empirique, rien ne démontre sérieusement que les moulins ont provoqué la disparition d'espèces aquatiques. Ces disparitions – ou plus exactement régressions – limitées au domaine piscicole sont essentiellement documentées à compter du XXe siècle, en réponse à d'autres pressions que celles des petits ouvrages hydrauliques. Par ailleurs, la biodiversité aquatique s'est transformée par l'introduction volontaire ou accidentelle de nombreuses espèces, de sorte que le patrimoine naturel est une notion en constante évolution. Enfin, il existe des méthodes non destructives pour aboutir à des bénéfices écologiques en faveur de la conservation de certaines espèces. L'opposition est donc largement factice.

Au plan éthique ou philosophique, la fin ne justifie pas tous les moyens. La prise en compte de l'intérêt des espèces vivantes non humaines est certainement un progrès pour nos sociétés, et désormais un élément de notre culture commune. Mais cette sensibilité nouvelle ne saurait supplanter ou nier les grands principes fondateurs comme le respect des personnes et des biens, le droit à la sûreté et à la propriété, la défense de la diversité culturelle, l'accès à la culture et à l'éducation, etc. Réduire la destruction d'un moulin à une froide "solution" technocratique et économique a quelque chose de profondément inquiétant car désincarné et déshumanisé. Vouloir systématiser cette solution par des processus organisés de contraintes se place clairement à la limite du tolérable pour une démocratie fondée sur les droits de l'homme.

Enfin, la valeur patrimoniale des moulins n'implique pas que la collectivité peut et doit tous les préserver. En fait, beaucoup ont déjà disparu au fil des siècles. Au bord des rivières, il est fréquent de trouver des anciens sites de moulin en ruine. La nature a repris toute seule ses droits, les crues successives ont fini par éventrer et emporter l'ouvrage, le bief est devenu un bras mort. Il est bon qu'il en soit ainsi : le temps fait son oeuvre, certains ouvrages sont préservés car transmis et entretenus de manière continue, d'autres sont rendus à l'écoulement spontané de la rivière. Laissons faire ainsi la nature au lieu d'amener sur nos rivières des pelleteuses et des bétonnières qui n'ont rien d'écologique.

Illustrations : en haut la rivière (Lignon) et son béal, à Jaujac. Le patrimoine des moulins est inséré dans celui de la nature, souvent de manière harmonieuse. En bas un moulin abandonné sur le Serein, à Courcelles-Frémoy.  Le seuil s'échancre, la rivière reprend peu à peu sa liberté, l'ancienne retenue et la chute résiduelle forment un biotope non dénué d'intérêt au plan écologique.

15/05/2016

Restauration de rivière, un bilan critique (Wohl et al 2015)

Ingénierie écologique sans résultats significatifs sur les indicateurs de qualité ou les objectifs initiaux, défaut d’inclusion des acteurs sociaux et partenaires locaux, limites d’échelle à la réussite des actions engagées : trois chercheurs tirent un bilan critique de la restauration de rivière à l’occasion d’un panorama de sa jeune histoire. Tous les chantiers ne sont certes pas inefficaces, mais beaucoup ne tiennent pas leurs promesses. Et ces promesses elles-mêmes doivent être questionnées si l’état écologique désiré de la rivière diverge des attentes esthétiques, émotionnelles ou pratiques des riverains.  Il est grand temps que la politique publique des rivières en France cesse la censure administrative sur ces retours critiques de plus en plus nombreux venus du monde scientifique. Au-delà, ce sont les paradigmes mêmes de la restauration écologique dont il convient de débattre. Une partie de l’écologie reste sensible à des convictions dont le bien-fondé n’est pas évident : une suppression d’impact anthropique permettrait de revenir à un état antérieur non perturbé ; l’influence humaine ne serait pas devenue partie intégrante du milieu et les trajectoires naturelles tendaient spontanément vers la stabilité, la permanence, l’équilibre ; l’évolution des éco-anthroposystèmes aurait une bonne prédictibilité malgré leur caractère complexe, voire chaotique. Ce dont nous avons besoin : nettement plus de recherche amont pour évaluer ces assertions, affiner les concepts et les modèles ; nettement moins de chantiers précipités aux coûts importants, aux résultats décevants, aux suivis inexistants et au consensus social défaillant.

A l’occasion du 50e anniversaire de la revue Water Resources Research, Ellen Wohl, Stuart N. Lane et Andrew C. Wilcox ont publié une revue sur la science et la pratique de la restauration de rivière.  Cet exercice consiste à faire le point sur l’état des connaissances et des débats dans la communauté scientifique : ce n’est pas un travail de recherche proprement dit, mais de bilan sur quelques aspects dominants de cette recherche.  Ellen Wohl et ses collègues soulignent que la restauration physique a pris une importance croissante dans la gestion des rivières à partir de la seconde moitié du XXe siècle, et surtout des années 1980-1990. Ils dressent une perspective critique assez sévère des trois premières décennies de restauration. Leurs propos devraient faire réfléchir plus d’un décideur dans notre pays, en pleine préparation du transfert de la compétence Gemapi (gestion de l’eau, des milieux aquatiques, prévention des inondations) aux intercommunalités, alors que l’efficacité de la dépense publique pour l’eau est contestée et que certaines réformes supposées "phare" (comme la continuité écologique) provoquent de nombreux conflits.


La première partie de l’article d’ Ellen Wohl et ses collègues est dédiée au rappel des divers types d’actions de restauration, selon qu’elles concernent des petits cours d’eau de tête et milieu de bassin, des corridors fluviaux ou des milieux plus spécifiques. Les auteurs rappellent les diverses options de cette restauration : stabilisation de berge, reconfiguration du chenal (géométrie, profil, ligne d’énergie), suppression de seuils ou barrages, dispositifs de franchissement piscicole, reconnexion de la plaine d’inondation, gestion environnementale des prélèvements et du débit, amélioration des micro-habitats dans le lit et les berges, gestion des espèces, acquisition foncière pour renaturer les abords des cours d’eau.

Nous nous concentrons ici sur quelques éléments mis en avant par les chercheurs dans le retour critique de ces chantiers de restauration.

Suivi rare, efficacité limitée, information scientifique insuffisante - "Même si une prise en compte plus large des processus de la rivière et de la restauration au-delà du corridor fluvial s’est installée, la communauté scientifique a souligné deux thèmes persistants dans la restauration de rivière : le suivi limité des projets pour déterminer objectivement et quantitativement si les buts de la restauration sont atteints (par exemple, Bernhardt et al, 2005) et la proportion élevée de projets de restauration qui ne parviennent pas à des améliorations significatives des fonctions de la rivière telles que les reflètent des critères comme la qualité de l’eau ou les communautés biologiques (Lepori et al 2005, Bernhardt et Palmer 2011, Violon et al 2011, Palmer et Hondula 2014). Nous pouvons ajouter à cela le troisième défi consistant à mieux intégrer la communauté non scientifique dans la planification et l’implémentation de la  restauration de rivière (Eden et al 2000, Pfadenhauer 2001; Wade et al 2002, Eden et Tunstall 2006, Eden et Bear 2011). L’échec apparemment très répandu de beaucoup d’approches de restauration souligne le besoin de comprendre pourquoi une proportion substantielle des projets de restauration n’atteignent pas leurs objectifs et comment la communauté scientifique peut contribuer à rendre cette restauration plus efficace".

Critères de réussite écologique non atteints - "A date, la majorité des projets de restauration de rivière ne satisfont pas les critères centraux posés par Palmer et al 2005 pour une restauration écologiquement réussie. Ces critères sont que les conditions écologiques doivent être améliorées de manière démontrée et que l’écosystème doit être plus auto-suffisant et plus résilient aux perturbations externes, de sorte qu’un minimum de maintenance soit nécessaire après la restauration. Les problématiques entourant la signification sociale des projets de restauration sont rarement prises en considération, alors qu’elles sont souvent prédominantes pour leur implémentation dans des systèmes où les communautés ont leur mot à dire sur la manière dont l’environnement est géré".

Adhésion des populations locales - "La restauration implique des coûts financiers (Holl et Howarth 2000) et autres (Junker et al 2007). Développer un intérêt soutenu des populations locales pour la restauration de rivière (eg Åberg et Tapsell 2013) est particulièrement important pour préserver un soutien de la société au projet. Les rivières sont à la fois une source de valeur (par exemple loisir) mais aussi d'inquiétude (par exemple risque d’inondation) pour ceux qui vivent avec elles (e.g., Jacobs et Buijs, 2011; Seidl et Stauffacher, 2013). Si les objectifs de la restauration dépendent de l’engagement continu de ceux qui vivent avec la rivière ou qui influencent les décisions de gestion, ils doivent en conséquence être conçus en termes socialement pertinents et acceptables (Tunstall et al 1999, 2000; Junker et al 2007, Buijs 2009, Åberg et Tapsell 2013, Yocom 2014). La pertinence sociale est fortement liée aux facteurs esthétiques et émotionnels qui définissent si des communautés considèrent un projet de restauration comme réussi (Buijs, 2009; Jacobs et Buijs, 2011; Yocom, 2014). Des rivières peuvent avoir acquis une valeur sociale même quand elles sont écologiquement dégradées (e.g., Adams 1997; Junker et al 2007) et la recherche a montré que des éléments vus par des scientifiques comme nécessaires pour une restauration réussie en termes biophysiques ne sont pas ceux qu’une communauté va valoriser (Che et al 2014)."

Hybride nature-culture, intégration des riverains dans la conception et la décision - "Ces observations montrent pourquoi la rivière doit être vue comme un hybride de nature et de culture (Eden et al 2000, McDonald et al 2004) et cela a des implications majeures pour l’implémentation des projets de restauration de rivière. Aussi louables que puissent être les objectifs scientifiquement ou écologiquement informés pour la restauration, l’incapacité à considérer l’interface entre la société et la science de la restauration a des chances de causer une divergence entre les praticiens, les chercheurs et ceux qui vivent avec les rivières. La définition des objectifs et la mise en oeuvre de la restauration de rivière doivent faire participer les communautés qui les portent financièrement, culturellement et politiquement  (eg Mann et al 2013, Seidl and Stauffacher 2013). Cette attention est nécessaire pour faire de la restauration un processus plus responsable au plan démocratique et pour respecter les origines de la restauration comme mouvement social. C’est aussi nécessaire parce que certains pouvoirs au sein des communautés locales peuvent bloquer des projets de restauration".

Contraintes d’échelle, contraintes d’acceptabilité - "Notre revue suggère que l’incapacité répandue à restaurer des fonctionnalités de la rivière et des communautés écologiques comparables à des conditions de référence reflète deux contraintes primaires. La première est la divergence entre l’échelle de l’altération et l’échelle de la restauration. Typiquement, les projets de restauration ne s’attaquent pas aux changements à échelle de bassin versant de l’eau, des sédiments, des nutriments et des contaminants entrant dans la rivière et aux changements à échelle de bassin versant des connectivités longitudinales, latérales et verticales des rivières. Les efforts de restauration à échelle du tronçon ont particulièrement peu de chances d’être suffisants quand la majorité du bassin a été altéré, et même une restauration à échelle de bassin sur une seule variable, comme le débit, aura probablement un succès limité. La seconde contrainte d’importance est le fossé parfois substantiel entres les attentes de la société vis-à-vis de la rivière, qui peuvent être largement esthétiques, et la compréhension scientifique des rivières comme systèmes dynamiques qui requièrent un certain niveau de déséquilibre et comme écosystèmes avec de nombreuses fonctions invisibles, comme les échanges hyporhéiques. Ce fossé peut conduire à l’adhésion sociale en faveur d’efforts cosmétiques de restauration plutôt qu’à l’acceptation du maintien de formes et de facteurs importants pour la rivière, comme par exemple ceux associés aux crues."


Quelques observations
Le constat d’Ellen Wohl et de ses collègues est devenu ces dernières années un topique de la littérature scientifique en écologie des rivières : la restauration physique des cours d’eau, cela ne marche pas très bien et cela rencontre souvent peu d’adhésion sociale. Le travail des trois chercheurs s’abstient de tout volet d’analyse économique (étude coût-bénéfice), qui aurait probablement assombri un peu plus le diagnostic –la sensibilité à l’efficience de la dépense est désormais une tendance lourde de l’évaluation des politiques publiques comme des contraintes budgétaires des Etats.

Les extraits cités sont évidemment aux antipodes du story-telling infantilisant des gestionnaires publics, qui nous assurent avec force communication du formidable enthousiasme collectif autour de ces actions et des résultats faramineux promis par elles. En France, le Ministère de l’Environnement conseille sans rire d’aller lire les recueils d’expériences hydromorphologiques de l’Onema, qui ont cette particularité d’avoir le taux exceptionnel de 100% de réussite. Et pour cause, ces recueils ne sont pas le fruit d’un suivi scientifique, mais d’une auto-appréciation subjective des porteurs de projets et d’un contrôle superficiel des résultats... très exactement les travers que critique la communauté scientifique depuis plus de 10 ans à la lueur de ses "vrais" retours d’expérience! Il serait temps de montrer un minimum d’honnêteté intellectuelle envers les citoyens qui paient ces "expériences", car comme Ellen Wohl et ses collègues le rappellent, l’adhésion sociale fait partie intégrante de la restauration de rivière.

Cela dit, il y a dans la manière même dont la problématique de restauration est posée par les auteurs (comme beaucoup d’autres) un angle mort qui nous trouble toujours un peu. Après tout, les gestionnaires n’ont pas inventé tout seul l’ingénierie écologique et la restauration physique des rivières, ils appliquent pour l’essentiel certains paradigmes définis par des scientifiques eux-mêmes ces dernières décennies. Dire par exemple que l'action locale (station, tronçon) ne suffit pas et qu'il faudrait agir sur tous les impacts du bassin versant, cela ressemble un peu à une fuite en avant irréaliste où l'on persiste dans une approche déficiente au lieu d'interroger la déficience elle-même.

L’écologie est la science qui étudie les interactions des organismes entre eux et avec leurs milieux. Cette science observe que le milieu spécifiquement humain a pris une dimension telle qu’il change substantiellement le fonctionnement et le peuplement des rivières. Lesquelles sont devenues des "anthroposystèmes", au même titre que nous vivons dans l’"Anthropocène". Ce processus date des implications hydrauliques de la sédentarisation amorcée voici dix millénaires (maîtrise nécessaire, locale, permanente de l’eau), s’est accéléré par seuils au gré des innovations, avec un bond à partir de la révolution scientifique et  industrielle moderne, s’associe désormais en premier ordre au boom démographique nous ayant mené à 7 milliards, et demain 9 milliards d’humains visant un certain confort d’existence. Il paraît donc difficile de construire une science des milieux autre que science des milieux anthropisés.

Dans ces conditions, la compréhension écologique de l’état "naturel" (au sens d’antérieur à un impact humain) d’une rivière devrait se démarquer assez clairement de l’espoir d’un retour à cet état "naturel" (espoir relevant de l’utopie politique davantage que de l’investigation scientifique). Par son appellation même, la "restauration" entretient cette ambiguïté puisque restaurer, c’est revenir à la situation antérieure. Mais le vivant ne revient jamais aux situations antérieures (de manière générale, aucun système dynamique complexe ou chaotique ne revient aux conditions préalables à une perturbation).

Nous ne devrions donc pas proposer à la collectivité une restauration ou une renaturation, mais (plus platement certes) une gestion ou un management de la rivière en vue de réaliser certains objectifs. Ce qui pose toute sorte de questions. Cette gestion est-elle collégiale, démocratique, technocratique? Est-elle définie au plan national ou au plan local, dans quelle instance ayant légitimité démocratique à le faire? Ses objectifs sont-ils définis par la science ou par la politique? Quel niveau minimal d’information sur les milieux et d'estimation des incertitudes est requis pour prendre une décision éclairée?  Comment s’arbitrent des attentes conflictuelles ou plus simplement des représentations divergentes? Est-il seulement possible au plan théorique de prétendre maîtriser l’évolution temporelle d’un hydrosystème, en garantissant que le "bon" choix aux conditions actuelles des milieux et de nos connaissances donnera des "bons" résultats quelques décennies plus tard? Qui définit le niveau d’incertitude de l’action et qui prend la responsabilité des échecs, quand la marge d’erreur concerne la vie des gens?

Ces questions sont complexes, nous ne prétendons pas avoir de réponses toutes faites. Une chose est au moins certaine : on ne trouvera pas ces réponses avec un système politique fondé sur des choix centralisés, non concertés avec l’ensemble des parties prenantes,  non informés par l’ensemble des disciplines scientifiques et non dégagés du court-termisme permanent alimenté par des états d’urgence factices (dont un certain discours écologique dégradé est hélas friand, enfant fidèle de son époque "bougiste" où il faut forcément agir vite ; sans parler de la manie politicienne de vouloir "laisser sa marque" le temps du mandat, ce qui aboutit à une inflation législative et réglementaire ou à des chantiers somptuaires auxquels les citoyens sont de plus en plus allergiques).

Hier, il n’y a pas si longtemps, des choix ont été faits. Déjà au nom d’une certaine rationalité scientifique et technique, déjà avec une certaine verticalité politique : drainage, curage, rectification, canalisation, barrage, endiguement, usages des sols en vue de la productivité économique et de la croissance territoriale, etc. On nous dit aujourd’hui que ces choix sont mauvais et qu’ils doivent être déconstruits. Gare à ne pas atteindre le point de lassitude où la société ne supporte plus d’être le cobaye d’une expérimentation permanente, ni le point de révolte où elle ne respecte plus les expérimentateurs eux-mêmes. Fussent-ils drapés de la toge écologique, qui ne prémunit pas des colères sociales.

Référence : Wohl E et al (2015), The science and practice of river restoration, Water Resour. Res., 51, doi:10.1002/2014WR016874.

Illustrations : restauration des habitats des rivières Warren Brook et Cold, US Fish and Wildlife Service, Creative Commons paternité générique 2.0.


Continuité écologique à la française: contre-modèle d'une réforme ratée 
Les propos d’Ellen Wohl, Stuart N. Lane et Andrew C. Wilcox prennent un sens particulier en France, où les chantiers de restauration de rivière sont dominés depuis quelques années par la réforme de continuité écologique visant à supprimer ou aménager de nombreux obstacles longitudinaux à l’écoulement (seuils, digues, barrages à divers usages).  Cette réforme a soulevé contre elle les représentants des riverains, des moulins, des étangs, des forestiers, des hydro-électriciens, d’une partie des agriculteurs, des grandes associations de défense du patrimoine et du paysage, de nombreux acteurs locaux, politiques ou associatifs (voir l’appel à moratoire et voir le bilan d’étape). Elle est donc d’ores et déjà un contre-modèle qui cumule la plupart des travers mis en lumière par les chercheurs : gouvernance opaque n’ayant pas associé les communautés concernées en amont, choix autoritaire de l’obligation légale et réglementaire d’aménager au lieu d’une démarche volontaire co-construite, solutions brutales (effacement privilégié) ou coûteuses (passes à poissons sur des milliers d’ouvrages) n’ayant pas de consensus social, absence de suivi scientifique voire d’objectifs initiaux dans la majorité des chantiers, délai obligatoire de 5 ans décalé par rapport aux capacités d’action et de financement des gestionnaires comme au temps nécessaire du débat sur des chantiers qui affectent durablement le cadre de vie de gens.  La question est désormais de savoir si le système défaillant de décision ayant produit cette programmation est capable de se réformer pour supprimer les dispositions les plus contestées et pour engager une gouvernance durable. La continuité écologique "à la française" a mal démarré, elle n'est pas obligée de mal finir...

14/05/2016

Hydro-électricité de montagne et populations piscicoles (Benejam et al 2016)

Des chercheurs se penchent sur les effets piscicoles de l'hydro-électricité (ouvrages de dimension petite à moyenne) dans une rivière massivement équipée des Pyrénées espagnoles. Ils trouvent bel et bien un impact sur les poissons en comparant les tronçons court-circuités et les zones non impactées. Certaines espèces sont moins nombreuses (truite, vairon), d'autres plus nombreuses (barbeau, loche, carpe). Les truites montrent l'effet le plus marqué en abondance, taille et poids en aval immédiat des barrages. La lecture attentive des résultats suggère que l'impact est plutôt modeste, essentiellement limité aux tronçons court-circuités. Les chercheurs – qui s'inscrivent dans une approche conservationniste – demandent davantage d'études des petits ouvrages et une meilleure gestion environnementale de ceux-ci. Ce genre de recherche est habituellement présenté dans le débat public comme élément de "preuve" que les petits ouvrages nuisent grandement aux milieux, généralement par ceux qui n'en lisent que le résumé de dix lignes. En réalité, seules quelques variétés de poissons sont étudiées (pas la biodiversité totale) et toutes les espèces piscicoles ne souffrent pas des barrages. Si ces travaux démontrent une chose, c'est que la politique des rivières doit caractériser très précisément les bénéfices écologiques attendus avant d'engager des dépenses publiques conséquentes ou des contraintes réglementaires lourdes. 

Lluis Benejam et ses collègues déplorent que la littérature internationale s'intéresse surtout aux grands barrages, mais assez peu aux ouvrages plus modestes. Ils étudient la tête de bassin de la rivière pyrénéenne Ter (Catalogne) et de six affluents (bassin versant 2955 km2). Cette rivière ayant deux grands barrages vers le milieu de son cours (Sau, Susqueda) – on peut regretter le choix d'une rivière impactée par de tels ouvrages s'il s'agissait d'isoler l'effet propre des barrages plus modestes –, c'est sur la seule tête de bassin (1799 km2) que les chercheurs ont mené leur travail.

Ce cours amont du Ter et de ses affluents comporte 85 ouvrages hydro-électriques construits à partir du XIXe siècle. 16 d'entre eux ont été étudiés : 3,4 m de hauteur moyenne (1,1 - 7,0 m), 0,789 MW de puissance moyenne (0,02– 2,8 MW), 2 km de tronçon court-circuité (0,5–5 km). Les auteurs donnent quelques indications sommaires d'usage des sols (dans l'ensemble, peu modifiés par l'agriculture et l'urbanisation), mais ne précisent pas l'état chimique ou physico-chimique des masses d'eau.

Sur la moitié des échantillonnages piscicoles, la truite (Salmo trutta) était la seule espèce présente. Ailleurs se trouvent une espèce native, le barbeau méridional (Barbus meridionalis), et trois espèces non natives (loche du Languedoc Barbatula quignardi, vairon de l'Adour Phoxinus bigerri, carpe commune Cyprinus carpio).

Les auteurs ont analysé 36 tronçons avec un échantillon de contrôle (secteur amont de l'ouvrage) et un échantillon d'étude (zone impactée du tronçon court-circuité à l'aval immédiat des ouvrages). Quelles sont leurs principales conclusions ?

- Les secteurs impactés (tronçons court-circuités) ont des eaux moins profondes, moins de refuges pour les poissons, moins de radiers et plus de bassines (ci-dessous, synthèse des différences observées, cliquer pour agrandir);

Extrait de Benejam et al 2016 art cit., droit de courte citation ; le second tableau sur une échelle de 1 à 10 pour les variables montre que les différences d'habitat ou végétation restent globalement assez modestes

- le substrat n'est affecté que marginalement (un peu plus de grosses roches, un peu moins de galets);

- l'abondance totale de poissons est plus élevée dans les zones de contrôle que dans les zones impactées;

- le poids et la taille des truites sont plus faibles dans les zones impactées (ci-dessous, quelques comparaisons, cliquer pour agrandir);


Extrait de Benejam et al 2016 art cit., droit de courte citation, le CPUE en haut à gauche est un indicateur d'abondance

- les truites et vairons sont moins nombreux dans les tronçons court-circuités, les barbeaux et loches sont plus nombreux, les carpes sont présentes sur deux sites;

- la différence entre zone de contrôle et zone d'impact tend à augmenter vers l'aval.

Les auteurs en concluent que les ouvrages de taille intermédiaire ont des effets observables sur les populations piscicoles, effets qui pourraient être compensés par des passes à poissons et une meilleure gestion du débit réservé. Ils suggèrent par ailleurs d'étudier davantage les impacts de la petite et moyenne hydrauliques.

Discussion
Les auteurs s'inscrivent dans l'approche de la biologie de la conservation – ils font observer que leurs résultats peuvent être sous-estimés car les zones de contrôle ne sont pas des "tronçons vierges" (pristine reach). Cela revient à considérer implicitement qu'une rivière hors de toute influence anthropique serait le bon étalon pour analyser la dégradation d'une population piscicole. Ce n'est pas l'approche de tous les écologues aujourd'hui, un certain nombre d'entre eux jugeant que l'état anthropisé du milieu fait partie de son évolution observable et non réversible depuis plusieurs millénaires. De sorte que l'opposition "vierge-modifié" ou "sauvage-anthropisé" n'a plus grand sens dans les zones à forte et ancienne densité humaine comme l'Europe, ni grand intérêt pour la réflexion sur l'avenir des rivières puisque cette influence anthropique n'est pas appelée à changer substantiellement à l'horizon temporel des décisions du gestionnaire, pas plus que l'état des peuplements déjà modifié.

Mais surtout, analysons ce que nous disent les résultats des chercheurs.

Y a-t-il un effet des ouvrages sur les poissons? Oui, les ouvrages changent l'hydrologie et les habitats, donc ils créent des zones plus ou moins favorables aux espèces selon leurs besoins et leurs cycles de vie.

Y a-t-il une pression à l'extinction ? On ne le sait pas, les auteurs ne recherchent aucune donnée historique pour définir des tendances de populations depuis l'existence des barrages. Au vu du temps de génération des espèces (quelques années) et du temps de présence des barrages (plus d'un siècle), on déduit a minima que ces espèces sont capables de vivre dans un hydrosystème fragmenté.

Y a-t-il une perte de biodiversité totale ? On ne le sait pas, les auteurs se contentent d'étudier les poissons, alors que les retenues des barrages sont aussi connues pour abriter des faunes et des flores d'intérêt. Pour ces populations piscicoles, on observe une simple répartition différentielle des espèces (certaines profitent, d'autres non), la présence d'une espèce nouvelle par rapport à ce type de milieu (carpe, normalement absente des têtes de bassin), un impact négatif surtout centré sur la truite et dans la zone des tronçons court-circuités.

Les impacts des ouvrages de taille modeste sont-ils bien connus ? Non, les chercheurs admettent que les études sont rares par rapport aux grand barrages. Cela contredit une fois de plus les affirmations de gestionnaires français prétendant que l'on dispose déjà d'un solide corpus de connaissance scientifique sur la petite hydraulique (ce qui a été indument opposé à Hydrauxois par une Dreal de bassin et l'Onema dans la recension de Van Looy et al 2014 par exemple, voir cet article de réponse).

Les ouvrages étudiés par Benejam et al sont-ils représentatifs des ouvrages classés dans les rivières françaises à fin de continuité écologique? Non, ils sont plutôt dans la tranche haute en terme d'impact, outre le fait qu'ils sont en zone montagneuse. La majorité des ouvrages de rivière classés au titre de la continuité écologique en France sont des seuils de moulin d'Ancien Régime, et non pas des usines hydro-électriques construites au XIXe siècle. La plupart ont moins de 2 mètres de hauteur de chute nette, et moins de 2 km de tronçon court-circuité, ils modifient très peu le débit liquide ou solide.

Les chercheurs concluent-ils à la nécessité d'effacer les ouvrages? Non, il suggèrent une meilleure gestion environnementale. Par ailleurs, ils ne livrent aucune réflexion sur les services rendus par les barrages hydro-électriques – y compris bien sûr la prévention du réchauffement climatique, qui est la menace de premier ordre en terme de perturbation thermique et hydrologique des rivières au cours de ce siècle. Une expertise scientifique sur les ouvrages demande des analyses biologiques et écologiques (comme celle que nous commentons), mais aussi bien l'avis des historiens, géographes, sociologues, juristes, économistes, etc. La rivière n'est jamais un phénomène réductible à sa naturalité, son étude est nécessairement multidisciplinaire.

En France, un travail comme celui de Benejam et al 2016 sera couramment cité dans des "revues" de littérature grise faites à destination du gestionnaire pour démontrer que les seuils et barrages ont des effets délétères sur les milieux. L'examen détaillé du contenu montre que les ouvrages ont des impacts (ce que personne ne nie), mais que la gravité relative de leurs effets paraît assez loin de justifier des mesures radicales ou coûteuses. Au demeurant, les études d'hydro-écologie quantitative (sur un grand nombre de sites) concluent à une influence modeste des ouvrages, voir Van looy et al 2014 ou Villeneuve et al 2015.

Une bonne information du public consiste donc à expliquer dans le détail les variations induites par des ouvrages, à exposer avec honnêteté ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas (notamment le diagnostic de biodiversité totale, la trajectoire historique des peuplements), à poser le débat dans des termes précis sur les gains pour les poissons (s'agit-il de les sauver de l'extinction ou de simplement gérer leur répartition) et les autres espèces animales ou végétales, à interroger enfin le consentement à payer sur ces bases précises, et non pas sur des assertions généralistes vaguement teintées de catastrophisme. Il se peut que les citoyens soient massivement motivés pour dépenser de l'argent public et détruire des ouvrages hydrauliques en vue de modifier localement des assemblages de poissons. Il se peut aussi que cet objectif ne soit en réalité qu'un lobbying de pêcheurs et de militants associatifs ayant réussi à transformer un intérêt sectoriel et une vision idéologique de la nature en politique publique. Notre veille nous conduit à considérer la seconde hypothèse comme la plus probable...

Référence : Benejam L et al (2016), Ecological impacts of small hydropower plants on headwater stream fish: from individual to community effects, Ecology of Freshwater Fish, 25, 295–306