27/07/2017

Genèse de la continuité des rivières en France (1) : la loi de 1865

Le 31 mai 1865, la France se dote de sa première loi moderne visant à équiper les barrages d'échelles à poissons. L'objectif à l'époque? Conjurer le dépeuplement des eaux et alimenter le pays, en particulier de la chair appréciée des truites et des saumons. L'enjeu est d'abord un enjeu de pêche, et ce trait sera constant dans la continuité "à la française". On voit néanmoins émerger dès cette époque des réflexions sur l'habitat et la migration qui jettent les bases des représentations actuelles. La Société d'acclimatation joue un rôle d'influence dans la genèse de cette mesure centrée sur la productivité alimentaire des rivières. La loi de 1865 sera dans l'ensemble un échec: destinée aux ouvrages de navigation et aux nouvelles usines à eau (davantage qu'aux moulins et étangs d'Ancien Régime), elle sera vite dépassée par le déploiement de la moyenne et grande hydraulique qui décolle au cours du XIXe siècle, et qui bloquera définitivement au XXe siècle l'accès de nombreuses têtes de bassin pour les grands migrateurs.


Après quelques ordonnance sous l'Ancien Régime, la loi du 31 mai 1865 relative à la pêche est la première à envisager de manière systématique la question de la circulation des poissons migrateurs. Voici ses articles 1 et 3.
Art. 1er. — Des décrets rendus en Conseil d'Etat, après avis des conseils généraux de département, détermineront :1° Les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d'eau réservées pour la reproduction, et dans lesquelles la pêche des diverses espèces de poissons sera absolument interdite pendant l'année entière; 2° Les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d'eau dans les barrages desquels il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle, destine à assurer la libre circulation du poisson.Dans les parties de cours d'eau désignées par cet article, toute pêche est interdite, même celle à la ligne flottante tenue à la main, même celle de l'écrevisse.Pendant les périodes d'interdiction de la pêche, il est défendu de laisser vaguer les oies, les canards et autres animaux aquatiques susceptibles de détruire le frai du poisson, sur les canaux et cours d'eau, dans l'étendue des réserves affectées à la reproduction. (Art 5 du décret du 2 avril 1830.)
(...) 
Art. 3. — Les indemnités auxquelles auront droit les propriétaires riverains qui seraient privés du droit de pêche, par application de l'article précédent, seront réglées par le Conseil de préfecture, après expertise, conformément à la loi du 16 septembre 1807.Les indemnités auxquelles pourra donner lieu l'établissement d'échelles dans les barrages existants seront réglées dans les mêmes formes.
Cette première loi prévoyait donc une mesure au cas par cas, avec sollicitation préalable des départements et validation par l'Etat. Elle prévoyait également une indemnisation selon expertise, point non négligeable car cette question des indemnités relatives à un motif d'intérêt général ayant un coût pour le particulier ou l'exploitant apparaît vite comme un enjeu.

On ne peut comprendre cette loi sans examiner ses conditions d'élaboration. Comme l'a montré la recherche de Rémi Luglia, les fonctionnaires du Second Empire ont travaillé étroitement avec la Société d'acclimatation (voir Luglia 2012, Luglia 2013 in Mouhot et Mathis 2013,  Luglia 2014).

La Société d'acclimatation de France, lieu d'échange entre ingénieurs, naturalistes et fonctionnaires
Fondée en 1854 par  Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, la Société zoologique (plus tard "impériale, puis "nationale")  d'acclimatation de France est l'ancêtre de la Société nationale de protection de la nature. Au XIXe siècle toutefois, les préoccupations ne relèvent pas de ce que l'on nomme aujourd'hui l'écologie de la conservation. L'article 2 des statuts de la Société précise en effet qu'elle concourt "1° À l'introduction, à l'acclimatation et à la domestication des espèces d'animaux utiles ou d'ornement ; 2° Au perfectionnement et à la multiplication des races nouvellement introduites ou domestiques".

La Société d'acclimatation répond donc à des objectifs en vogue au XIXe siècle : importer des espèces venues des colonies ou des voyages d'exploration, maximiser la richesse nationale, en particulier alimentaire. Dans le domaine des rivières, elle travaille énormément sur la question de la pisciculture, reproduction, fécondation et diffusion artificielles d'espèces dans les milieux (poissons surtout, aussi des crustacés). L'invention de la salmoniculture par Remy et Géhin dans les années 1850 allait donner naissance à une longue trajectoire d'empoissonnement des rivières françaises, illustrée par la création de la pisciculture d'Huningue (voir Vivier 1956). Néanmoins, la Société d'acclimatation est aussi le lieu de rencontre des naturalistes, qui n'ont pas une approche exclusivement utilitariste.

La loi de 1865 doit beaucoup aux échanges entre la section "poissons" de la SNAF et les hauts fonctionnaires de l'Empire. Le "dépeuplement des rivières" est un lieu commun du XIXe siècle (voir cet article), leur repeuplement un objectif d'intérêt public. La première accusée est la pêche qui se développe de manière anarchique, perfectionne ses instruments et exerce une pression excessive sur la ressource. La loi de 1865 est d'abord une "loi sur la pêche", comme le fut déjà celle de 1829.

Mais au cours du XIXe siècle, d'autres facteurs sont apparus : le développement de l'hydraulique, avec la diffusion des ouvrages de grande taille pour la navigation, l'irrigation, l'approvisionnement en eau potable et l'énergie, la croissance des villes et des industries avec leurs pollutions souvent jetées dans la rivière, la généralisation des curages, dragages, extractions de graviers et galets des lits mineur et majeur.

Rapporteur Dalmas : la loi de 1865 comme une mesure saumon et truite en vue de l'alimentation
Le bulletin de la Société d'acclimatation (1865, 428 et suivantes) reproduit en 1865 la présentation qui fut faite aux législateurs (rapport M. de Dalmas), qui est intitulée "projet de loi relatif à la pêche du saumon et de la truite" :
"Le projet de loi qui vous est présenté consacre de nouveaux moyens de développer la production du poisson. Il a pour objet d'accroître, dans une grande proportion, les richesses alimentaires du pays ; nous espérons que l'administration comprendra Ja portée sociale d'une semblable entreprise et que, dans l'avenir, sa sollicitude saura protéger les cours d'eau contre la dévastation qui en a amené le dépeuplement.
Bien que vivant dans le même milieu, les poissons ne sont pas tous soumis à des conditions identiques d'existence ; leurs moeurs sont déterminées par des caractères physiologiques particuliers. D'une manière générale, ils peuvent être divisés en deux grandes classes : les espèces sédentaires et les espèces voyageuses. Les premières comprennent les poissons qui vivent dans l'espace restreint d'une partie du cours d'eau où ils sont nés; quant aux secondes, à chaque saison nouvelle elles accomplissent de lointains voyages. Soumises à la loi de reproduction, avec leur instinct pour guide, elles vont à la recherche des lieux où elles doivent rencontrer les conditions nécessaires à la fécondation de leur progéniture.
Ces espèces comprennent le Saumon, la Truite, l'Anguille et l'Alose, qui passent alternativement de l'eau douce dans l'eau salée, afin d'accomplir les différentes évolutions de leur existence.
Ce qui précède suffit à faire comprendre que la police des eaux doit consister principalement, soit à préserver de toute dévastation les frayères pendant l'époque de la ponte et jusqu'à réclusion, soit à permettre les migrations périodiques qui s'accomplissent à la descente comme à la remonte des cours d'eau. Parmi les espèces voyageuses dont nous venons de parler, le Saumon, la Truite et l'Anguille ont une valeur propre dont l'importance est considérable pour l'alimentation, et plusieurs dispositions du projet de loi que nous vous proposons d'adopter sont arrêtées en vue de favoriser leur reproduction."
 Le corps législatif se voit donc proposer avant tout une croissance des "richesses alimentaires" du pays, avec le ciblage sur quatre espèces (saumons, truites, anguilles, aloses) dont la "valeur propre" est d'être appréciée par leur consommateur. La truite ici concernée est la truite de mer, puisque le rapporteur évoque les espèces qui passent de l'eau douce à l'eau salée dans leur cycle de vie. La truite commune de rivière n'est donc pas un enjeu.

Le premier rapport de 1856: la Société d'acclimatation envisage la protection des espèces migratrices
Cette loi est l'aboutissement d'un premier rapport formalisé 9 ans plus tôt par la Société d'acclimatation: le Rapport sur les mesures a prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la France de 1856, par Charles Millet, inspecteur des Forêts et membre de la Société (avec MM. de Montgaudry, A. Perier, C. Wallut, C. Millet, étant le rapporteur). Ce rapport énonce ainsi:
"Plusieurs de nos confrères, et particulièrement M. Monier de la Sizeranne, en rappelant à l'attention de la Société d'acclimatation l'importance de la pisciculture pour le repeuplement des cours d'eau de la France, ont exprimé le vœu que des études fussent faites et que des instructions spéciales fussent préparées par la Société, dans le but de propager les bonnes pratiques de pisciculture et d'apporter un remède aux diverses causes qui concourent au dépeuplement des eaux.
Ces importantes questions ont déjà fixé l'attention de la Société ; son Bulletin présente un grand nombre de notices ou mémoires relatifs à la pisciculture : le n° 4 du tome II (avril 1855) renferme des instructions détaillées et pratiques sur la récolte, la fécondation et le transport des œufs de poissons; et le numéro de février 1855 contient un mémoire sur l'hygiène et l'alimentation des jeunes poissons, etc., etc.
Toutefois, dans ces divers mémoires et instructions, on ne s'est occupé jusqu'à ce jour que des moyens de féconder des œufs et de créer de jeunes poissons ; on n'a ainsi envisagé la question qu'à un point de vue très—restreint, car, en pisciculture notamment, il ne suffit pas de créer, il faut surtout savoir conserver.
En effet, les sacrifices de temps et d'argent que l'on pourrait faire pour avoir des poissons à l'état d'alevin ou de fretin, et les meilleurs résultats que l'on pourrait obtenir dans cette voie deviendraient en général inutiles ou tomberaient en pure perte, si le repeuplement naturel ou artificiel des eaux et si la conservation du poisson n'étaient pas protégés d'une manière très-efficace. Il y a donc lieu de rechercher les meilleurs moyens de protection et de conservation, et de les étudier dans leur application réellement pratique."
Le point notable est ici que les auteurs envisagent clairement une stratégie de protection et conservation des espèces, en complément de l'option du repeuplement par le progrès des techniques de pisciculture.



La libre circulation des poissons, un enjeu face aux nouveaux ouvrages
Le rapport en vient à envisager le cas des barrages et autres ouvrages hydrauliques.
"Sur un grand nombre de cours d'eau, on construit soit des usines, soit des barrages, écluses, etc., qui ne permettent pas au poisson de circuler librement et surtout d'aller frayer dans des endroits convenables. Il en résulte nécessairement que la reproduction de plusieurs espèces devient impossible, ou du moins insignifiante, et que, par suite, le dépeuplement des eaux s'opère très-rapidement.
Sans porter aucune entrave au service régulier des usines, de la navigation et du flottage, on peut facilement concilier les exigences de ce service avec celles de la reproduction naturelle du poisson.
Il suffirait, en effet, d'établir sur les points où la libre circulation et surtout la remonte du poisson sont devenues impossibles, soit des passages libres toujours faciles à franchir par la truite et par les migrateurs, tels que saumon, alose, lamproie, etc., soit des plans inclinés avec barrages discontinus qui feraient l'office de déversoirs, ou qui serviraient à l'écoulement des eaux surabondantes, soit enfin des écluses que l'on tiendrait ouvertes à l'époque de la remonte ou de la descente.
L'organisation de ces passages naturels ou artificiels devrait être rendue obligatoire : 1° pour l'avenir, à l'égard des constructions, barrages, écluses, etc., qui seraient établis sur les cours d'eau, et qui, par leur situation, pourraient empêcher ou entraver la libre circulation, et notamment la remonte et la descente du poisson; 2° dès à présent, à l'égard des établissements de cette nature qui existent sur les cours d'eau dont l'entretien est à la charge de l'État, Enfin, dans un grand nombre de localités, les usiniers, et notamment les meuniers, ont établi et entretiennent soigneusement des appareils de pêche (les anguillières, par exemple ), qui sont très-destructeurs. Nous avons vu, en différentes occasions, des appareils dans lesquels on péchait, en une seule nuit, plus de cent kilogrammes de poisson.
On devrait prendre, dans le plus court délai possible, les mesures les plus énergiques pour faire disparaître ces appareils et en empêcher le rétablissement."
On peut observer que les auteurs déplorent surtout la construction des ouvrages nouveaux – les meuniers sont plutôt cités pour leur braconnage. Ce point n'est pas très étonnant et se trouve conforme aux observations que l'on a pu faire plus tard sur la disparition des grands migrateurs. Dans le cas du bassin de Loire notamment, très étudié, on a montré que le saumon disparaît des têtes de bassin à l'occasion de la construction de grands barrages de navigation ou de rehausse d'ouvrages en place, davantage que du fait de l'hydraulique d'Ancien Régime (voir cet article détaillé).

Un "schéma idéal": supprimer des ouvrages, repeupler des rivières
Enfin, les auteurs du Rapport de 1856 en viennent à émettre le schéma idéal de repeuplement des rivières françaises.
"Dans l'état actuel des cours d'eau de la France, ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait : 1° De supprimer les barrages partout où leur établissement n'est pas indispensable pour le service des usines ou pour celui de la navigation et du flottage; 2° Dans tous les cas, de modifier l'organisation de ces barrages de manière à permettre la remonte des poissons migrateurs et la libre circulation des poissons de toutes catégories; 3° D'encourager et de favoriser l'exploitation et le développement des réservoirs ou viviers à poissons marins, et la culture des huîtres et des moules; 4° De compléter l'organisation d'un bon service de surveillance, de manière à protéger efficacement la reproduction naturelle et la conservation du poisson, et de faire poursuivre d'office, par le ministère public, les délits de pêche.
Ces mesures seraient suffisantes pour faire rendre aux cours d'eau, d'ici à peu d'années, une grande partie de ce qu'ils produisaient autrefois et de ce qu'ils pourraient encore produire en bons poissons comestibles, et pour développer sur une très-grande échelle la production du saumon.
Elles sont, d'ailleurs, les plus simples, les plus économiques et les plus pratiques.
Accessoirement ou simultanément : on organiserait, dans les affluents et les ruisseaux, des frayères artificielles.
On procéderait, dans des cours d'eau secondaires et dans quelques sources convenablement disposées, à la production de l'alevin des meilleures espèces de poissons par la méthode des fécondations artificielles."
Avec le recul, il est évidemment saisissant de constater que les hauts fonctionnaires français du Ministère de l'Ecologie déploient aujourd'hui un "schéma idéal" toujours très proche de ces idées formulées voici 160 ans! En particulier, on observe l'idée de faire circuler toutes les catégories de poissons et (dans la logique utilitariste) de supprimer les ouvrages en fonction de leur utilité économique. En revanche, l'objectif de la Société d'acclimatation est toujours la productivité davantage que la naturalité, donc la création de frayères artificielles et l'empoissonnement apparaissent comme des mesures légitimes.

Pour conclure : quelques observations sur la loi de 1865 et son échec

  • La pêche est, dès la naissance des mesures législatives modernes sur la circulation des poissons, le premier objectif des politiques. Ce trait sera constant jusqu'à nos jours, même si les évolutions les plus récentes (LEMA 2006) ont été plus discrètes sur la réalité de cet objectif. Au XIXe siècle, il s'agit encore d'une pêche d'alimentation, avec une grande majorité de la population en zone rurale et dans les faubourgs industriels au long des fleuves.
  • Les éléments essentiels du dispositif actuel sont déjà présents voici un siècle et demi : distinction entre des mesures de protection et de restauration (qui donnera plus tard des rivières réservées et classées), compréhension des mécanismes de la migration et de l'accessibilité aux frayères, insistance sur les salmonidés en raison de l'intérêt particulier des pêcheurs et consommateurs pour leur chair appréciée.
  • La première loi de 1865 reçoit sa circulaire d'application dès le 12 août 1865 mais elle ne connaîtra ses premiers décrets d'application qu'à compter de 1904. Ce sera un échec, avec une mise en oeuvre rapidement limitée (voir cet article). La reprise de la gestion des rivières par les Ponts et Chaussées (à compter de 1862) favorise la culture de l'ingénieur sur celle du naturaliste ou du pêcheur. La difficulté est au demeurant constatée par la Société d'acclimatation malgré ses efforts (rapport Raveret-Wattel sur les échelles à saumons in Bulletin SNAF 1884). La construction de barrages de plus en plus élevés dans la période 1865-1945 rendra caduc l'espoir de limiter l'effet des ouvrages hydrauliques sur beaucoup d'axes grands migrateurs. Par ailleurs, l'importance économique et alimentaire de la pêche en eaux douces pèse de moins en moins. L'ancienne pêche vivrière se transforme peu à peu en pêche de loisir. Comme nous le verrons dans un prochain article sur la loi de 1984, la pression exercée par cette activité pêche sera de nouveau à l'origine des exigences législatives de continuité.

Illustrations
Echelle à saumon sur la Vienne à Chatellerault. Photographe : Duclos, J. 1873, Ecole nationale des ponts et chaussées. Source.
Plan d'échelle à poisson in Millet C (1888), Les merveilles des fleuves et des ruisseaux (3e édition illustrée de 66 vignettes sur bois par A. Mesnel). Source.

A lire également
Genèse de la continuité des rivières en France (2) : la loi de 1984

23/07/2017

Circulaire d'application du délai de 5 ans en rivières de liste 2 : désaccord persistant avec l'administration

Le délai supplémentaire de 5 ans pour mettre aux normes les ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 au titre de la continuité écologique vient de recevoir une circulaire d'application. L'administration y reconnaît un "climat difficile" et le besoin de "souplesse", "pragmatisme" et "proportion". Mais la direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère reste sur des positions tout à fait inacceptables, notamment l'obligation pour chaque particulier de faire lui-même un diagnostic écologique, un avant-projet et des plans détaillés de solutions. Cette seule contrainte représente déjà 10 à 30 k€ de frais selon les sites, bien au-delà des capacités des particuliers. Sur certaines rivières, la phase diagnostique a été proposée gratuitement à échelle de tronçon cohérent, en conformité avec l'article L 214-17 CE faisant obligation à l'autorité administrative de proposer des règles de gestion et équipement. Les propriétaires sur les autres cours d'eau n'ont pas à engager des sommes exorbitantes pour des études de site unique n'ayant pas de sens au regard des enjeux de la continuité.



Une circulaire d'application non parue au Journal Officiel, sous la forme d'une "Note technique du 06 juin 2017" NOR : TREL1714096N, précise la position du Ministère de la Transition écologique et solidaire sur la mise en oeuvre du délai supplémentaire de 5  ans pour la mise en oeuvre de la continuité écologique dans les rivières classées au titre de l'article L 214-17-1 CE (liste 2).

Le premier alinéa du III de l’article L 214-17 code de l’environnement a été complété à l'occasion du vote de la loi Biodiversité par une phrase ainsi rédigée :

"Lorsque les travaux permettant l’accomplissement des obligations résultant du 2° du I n’ont pu être réalisés dans ce délai, mais que le dossier relatif aux propositions d’aménagement ou de changement de modalités de gestion de l’ouvrage a été déposé auprès des services chargés de la police de l’eau, le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant de l’ouvrage dispose d’un délai supplémentaire de cinq ans pour les réaliser."

Cette note reflète donc les instructions reçues par les services de la DDT(-M) en charge de l'application. Il s'agit en particulier d'interpréter la phrase : "le dossier relatif aux propositions d’aménagement ou de changement de modalités de gestion de l’ouvrage a été déposé auprès des services chargés de la police de l’eau"

Il y a deux hypothèses : le propriétaire seul fait une proposition, un portage d'études globales est mené par un syndicat de rivière (ou parc ou autres établissement public ayant une compétence eau).

Dans le cas du propriétaire seul, la circulaire énonce : "Dans le cas d’une restauration au niveau d’un ouvrage portée par le propriétaire, il y a lieu de considérer que le dépôt auprès de l’autorité administrative, de l’étude de diagnostic de l’impact et d’analyse des différents scénarios de réponse, au stade d’avant-projet sommaire avec le choix du scénario, permette de bénéficier du délai supplémentaire." 

Dans le cas du portage global, la circulaire précise : "Il convient donc de considérer que l’information officielle du service instructeur quant au choix du scénario global permet de bénéficier, pour la mise en œuvre des travaux de ce scénario, du délai supplémentaire à la condition que cette information soit accompagnée :
- de l’accord des propriétaires sur le scénario choisi pour leur ouvrage (en cas de désaccord, le propriétaire ne pourra pas bénéficier du délai supplémentaire accordé à la démarche publique et devra proposer lui-même une solution pour son ouvrage) ;
- d’une proposition d’échéancier pour les étapes ultérieures de mise en conformité ouvrage par ouvrage."

Enfin, la circulaire reconnaît à plusieurs reprises les difficultés : "Il est demandé aux services de mettre en œuvre ces modalités avec souplesse. Cette note devra être appliquée avec pragmatisme et proportion tout en maintenant l’objectif de la politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Des compléments pourront être demandés par les services dans l'hypothèse où un dossier incomplet serait déposé. (…) Compte tenu du climat difficile autour de la mise en œuvre des obligations de restauration de la continuité écologique des cours d’eau et de la nécessité d’améliorer la concertation autour des interventions à réaliser, le dépassement de l’échéance des 5 ans initiaux est l’occasion de mettre en place une nouvelle façon de travailler avec les différents acteurs concernés et de réfléchir à ce que l’on peut appeler un nouvel «agenda programmé»."

Nous sommes en désaccord avec cette circulaire 
Notre association est en désaccord avec l'interprétation de l'article L 214-17 CE que le Ministère de la Transition écologique veut imposer.

Délai toujours irréaliste, 85% des ouvrages orphelins de solutions - Comme l'a montré le rapport du CGEDD, il y a plus de 20.000 ouvrages classés en liste en 2 en France et plus de 80% sont toujours orphelins de solutions à l'échéance du premier classement de 5 ans. Les services instructeurs et les Agences de l'eau ne traitent que quelques centaines de cas par ans, et au rythme observé, il faudra 51 ans pour trouver des solutions sur l'ensemble des ouvrages classés. La réforme est donc totalement irréaliste, l'administration n'est pas en position légitime pour exiger que tous les propriétaires déposent des dossiers à échéance de 5 ans alors même que ses services ne sont manifestement pas en mesure de les traiter.

L'administration doit définir des règles d'équipement, entretien, gestion - L'article L 214-17 CE définit ainsi la liste 2 : "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant." Il apparaît donc explicitement qu'il revient à l'autorité administrative de définir des règles de gestion, entretien, équipement – et déjà de les motiver. Cela fait sens : l'enjeu piscicole et sédimentaire se définit à échelle du tronçon voire d'un bassin entier (pas seulement au niveau d'un site), et le choix ultérieur de solutions pour chaque site demande une expertise dont ne disposent pas les propriétaires. Le cas échéant, c'est aux MISEN en accord avec les gestionnaires de rivières (EPTB, Epage) de proposer des études globales sur les tronçons. Cela n'a pas été fait sur la plupart des ouvrages, notre association comme nombre de ses consoeurs en ont averti les préfets.

Sommes exorbitantes (jusqu'à 30 k€) pour le seul diagnostic et avant-projet - Un bureau d'études travaillant pour le diagnostic, les avant-projets et les plans détaillés en vue de la mise en conformité à la continuité écologique demande des sommes allant de 10 à 30 k€ selon la complexité du chantier. Cette dépense est exorbitante pour le particulier. Elle est diversement subventionnée par les Agences de l'eau (première inégalité des citoyens devant les charges publiques) et certains propriétaires ont bénéficié d'études gratuites payées par un gestionnaire en concertation avec l'administration (deuxième inégalité des citoyens devant les charges publiques). Nous refusons donc que la charge du diagnostic hydro-écologique revienne aux particuliers et non aux administrations en charge de l'eau.

Conclusion : unité des propriétaires, riverains et associations face aux diktats
Pour l'ensemble de ces raisons, la circulaire d'application publiée le 6 juin 2017 est incorrecte dans l'interprétation des obligations de l'administration, décalée par rapport à l'énorme retard pris dans la réforme de continuité écologique, inadaptée au petits ouvrages n'ayant aucun moyen de faire face à des demandes complexes et coûteuses.

On peut consulter des modèles de courrier à l'administration à envoyer avant l'échéance du premier délai de 5 ans, sachant que chaque propriétaire doit les adapter à son cas particulier. Nos adhérents peuvent nous consulter au cas par cas et une réunion sera organisée à l'automne pour définir à la fois la position collective et les cas particuliers sur les rivières de nos bassins en Yonne, Côte d'Or et départements limitrophes.

Pour conclure, nous appelons l'ensemble des associations de moulins et riverains à maintenir la même position face à l'administration, à informer leurs députés nouvellement élus de la situation, à saisir l'ensemble des parties prenantes (administration, élus locaux et nationaux, ministère, média) sur les cas manifestes d'excès de pouvoir et de demandes délirantes. La manière dont les moulins, étangs et usines à eau sont traités depuis 5 ans est inacceptable. La continuité écologique progressera quand l'administration cessera de tenir un discours favorable à la destruction des ouvrages hydrauliques et proposera un financement à 100% de la préparation et exécution des chantiers, dans les seuls cas où ils répondent à un gain écologique manifeste.

Illustration : un bief sur la Seine cote-dorienne. Par défaut, les ouvrages hydrauliques les plus modestes doivent être considérés comme ne constituant pas des obstacles permanents à la continuité écologique, car contrairement aux grands barrages qui entravent également le lit majeur, les seuils et chaussées sont noyés et contournés en crue. Pour les moulins dotés d'organes mobiles au niveau du lit mineur, des solutions simples comme l'ouverture des vannes un jour par semaine, ou encore de manière continue pour une durée déterminée en période migratoire des espèces d'intérêt, auraient dû être privilégiées dès le début de la réforme. Ajoutons qu'aucune opération d'effacement d'un ouvrage n'est tolérable sans une estimation globale de biodiversité et d'impact écologique au droit du site modifié, car le gain pour quelques espèces de poissons (demandé souvent par des pêcheurs de salmonidés) peut très bien se traduire par un bilan négatif faune-flore-fonge selon l'évolution des niveaux d'eau dans la rivière et ses annexes hydrauliques.

A lire également
Continuité écologique : rien n'est réglé, ce que nous attendons du nouveau gouvernement
La réforme de continuité écologique doit se poursuivre car les dispositions actuelles sont toujours dénuées de réalisme. Nous attendons en particulier la suppression du délai en liste 2 (aménagement au fil des propositions solvables), le principe de non-discrimination des solutions de continuité (fin de la prime dogmatique à l'effacement des agences de l'eau, des SDAGE et des SAGE), l'obligation pour l'administration ou à défaut le gestionnaire de procéder à une analyse coût-bénéfice des options de continuité sur chaque masse d'eau classée L2, l'intégration de l'ensemble de la biodiversité (dont oiseaux, amphibiens, végétation riveraine, etc.) dans l'évaluation des options.

20/07/2017

La restauration écologique de rivière sacrifie-t-elle le facteur humain en zone rurale? (Zingraff-Hamed et al 2017)

Une équipe de chercheurs a étudié 110 projets de restauration de rivière menés entre 1980 et 2015 en France, dont le coût médian approche les 200.000 euros. Leur but était d'en faire une typologie selon les motivations, mais aussi de mener une comparaison des actions menées en zone urbaine et en zone rurale. On peut observer dans leurs résultats que le facteur humain dans la motivation (améliorer la qualité de vie des habitants) est totalement absent des projets ruraux, alors qu'il est présent dans le tiers des  projets urbains. Tout pour les poissons, les insectes et les sédiments, rien pour les riverains? C'est l'impression qu'ont beaucoup d'habitants des zones rurales pour la question de la réhabilitation physique des cours d'eau, notamment dans le cadre de la continuité écologique qui accapare une bonne part des fonds publics en hydromorphologie depuis 5 ans. Autres observations notables : les projets français sont centrés sur l'habitat aquatique par rapport à la zone riveraine qui intéresse davantage les gestionnaires en Europe ou dans le monde ; la restauration des peuplements de poissons domine les autres motivations, même ceux de la directive cadre européenne sur l'eau.

La "restauration de rivière", parfois appelée réhabilitation ou renaturation, recouvre des chantiers qui visent à améliorer la qualité de l'eau et des milieux, souvent par l'intervention sur les propriétés physiques de l'écoulement, de l'érosion ou de la sédimentation (hydromorphologie). Des actions nombreuses sont concernées. Comme le remarque Aude Zingraff-Hamed et ses trois collègues (UMR CNRS 7324 CITERES, Université François Rabelais, Université de Munich), "l'utilisation d'un seul terme pour une telle variété d'activités de restauration peut amener des incompréhensions, des biais de comparaison entre projets, et elle peut compromettre la fécondation réciproque des projets".

Les chercheurs ont donc essayé de clarifier les typologies de ces chantiers, à la fois selon leurs motivations et selon les zones concernées. Ils ont analysé 110 projets de restauration de rivières réalisés entre 1980 et 2015, dont 78 provenant de la base de l'Onema et les autres de leurs propres travaux de recherche. Chaque projet a été classé comme urbain ou rural (URR, RRR) selon la densité de population, la zone urbaine étant définie à partir de 300 habitants/km2 ou une population de plus de 5000 habitants sur la commune concernée.

Ces 110 projets de restauration concernent 465 kilomètres linéaires de rivières. Le coût médian est de 198.700 € par projet.

La plupart des projets de restauration ont plusieurs objectifs. Une analyse factorielle multiple hiérarchique a permis de dégager cinq types de chantier : Fish (migration de poissons), Blue (restauration d'habitats), WFD (mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau), Flood protection (gestion des crues et inondations), Human (qualité de vie des citoyens).



Répartition des motivations principales des 110 projets analysés. Art. cit., droit de courte citation.

Parmi leurs résultats sur la comparaison des projets urbains et ruraux :
  • les projets urbains combinent plus souvent des buts à la fois écologiques et sociaux que les ruraux (60,5% versus 24,6%),
  • les projets ruraux dominent dans la motivation poisson (53% versus 14%),
  • le facteur humain comme motivation principale est absent des projets ruraux (0% versus 32% pour les villes),
  • le facteur protection des crues et inondations suit la même répartition (0% versus 14%).
Par ailleurs, dans la comparaison des projets français avec les projets internationaux (base National River Restoration Science Synthesis aux Etats-Unis, EU REFORM et RiverWiki en Europe), les chercheurs observent que:
  • la France se distingue par l'insistance sur les habitats aquatiques par rapport à la qualité de l'eau ou la zone riveraine (berge, ripisylve, lit majeur),
  • la bonne qualité des eaux au sens de la DCE est parmi les motifs les moins fréquemment invoqués.
Discussion
"Les résultats montre que la restauration de rivières urbaines représente une tendance vers la restauration socio-écologique. Elle donne donc un exemple de la "culture rivière" (Wantzen et al. 2016), c'est-à-dire harmoniser le besoin de rétablir la biodiversité et les services écosystémiques avec les intérêts des populations humaines locales, et créer des sites pour vivre dans et apprendre avec la nature", commentent les scientifiques. On ne peut en dire autant des projets ruraux.

Notre action associative, essentiellement conduite en zone rurale, a permis d'observer la déconnexion manifeste entre les enjeux écologiques et les enjeux sociaux, en particulier dans le domaine de la restauration de continuité écologique qui préempte une large part des financements publics en morphologie depuis 2012. Les services instructeurs de l'Etat (Agences de l'eau, DDT-M, Agence française pour la biodiversité ex-Onema, Dreal de bassin) tiennent des discours presqu'entièrement centrés sur les questions écologiques, considérant comme négligeables d'autres aspects de la gestion de l'eau, en particulier les attentes des riverains relatives au patrimoine, au paysage, au loisir, à la permanence de plans d'eau en été, au maintien des berges. Dans les zones rurales, les syndicats ou parcs assurant la gestion (EPTB, Epage), qui devraient être au plus proche des populations, sont prisonniers d'une absence de fonds propres conséquents (faible population, faibles moyens) et donc d'une forte dépendance aux agences de l'eau, qui tiennent un discours vertical, relativement uniforme et déconnecté des enjeux locaux.

Référence : Zingraff-Hamed A et al (2017), Urban and rural river restoration in France: a typology, Restoration Ecology, epub, DOI: 10.1111/rec.12526

A lire également
Les analyses coût-bénéfice sont défavorables à la directive-cadre européenne sur l'eau (Feuillette et al 2016)
Ce travail, mené par des économiste des agences de l'eau et publié l'an dernier, montrait déjà que les analyses coûts-bénéfices des mesures demandées par la directive cadre européenne sur l'eau sont systématiquement défavorables en zone rurale, alors que le rapport s'inverse en zone urbaine.

50 ans de restauration de rivières par les Agences de l'eau (Morandi et al 2016)
Ce travail montre le passage chez les agences de l'eau du paradigme de la restauration hydraulique et paysagère, anthropocentrée et partant des besoins humains, à celui de la restauration écologique, biocentrée et visant un certain état des milieux aquatiques. Un excès est-il en train d'en chasser un autre? On peut douter de l'avenir de politiques publiques incapables de concilier des améliorations écologiques et des attentes sociologiques ou économiques.

16/07/2017

Plus de 100 moulins déjà détruits en Normandie: la dérive intégriste de l'administration, des syndicats et des pêcheurs est inacceptable!

Alors que les casseurs d'ouvrages hydrauliques continuent leurs méfaits en toute indifférence aux protestations des parlementaires et aux révisions des lois, les collectifs riverains et propriétaires se mobilisent. Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de 5 associations (Association de valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie VPH Normandie – Association de sauvegarde des moulins hauts-normands SM 27-76)- Association pour la sauvegarde de la Dives - Association des moulins et riverains du Perche ornais AMRPO - Association des amis des moulins 61) et de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Le document complet avec ses annexes est téléchargeable à ce lien. Nous conseillons aux associations locales de publier des communiqués similaires et de les adresser aux députés élus en juin dernier, ainsi qu'aux sénateurs. Mais également d'engager des contentieux et des occupations de site sur les projets de destruction les plus problématiques. La casse des moulins, étangs et usines hydrauliques doit cesser, comme l'ont déjà demandé à de nombreuses reprises les élus de la République.

Ces dernières années en Normandie, et spécialement dans le département du Calvados, plus de 100 retenues de moulins ont été détruites. Des dizaines d’autres moulins sont contraints de maintenir leurs vannes ouvertes, vidant les plans d’eau traditionnels, asséchant les cours d’eau et empêchant la production d’énergie.

Le coût de destruction de ce patrimoine séculaire s’élève déjà à plus de 13 millions d’euros à fin 2015 en Basse-Normandie (chiffres communiqués par l’Agence de l’eau).

Parmi ces dizaines de moulins détruits, certains produisaient de l’énergie, autrement appelés «microcentrales hydroélectriques». Cinq d’entre elles ont déjà été détruites, 6 autres doivent l’être dans les mois à venir (cf Annexe 1). Trois ont été rachetées par les Fédérations de Pêche du Calvados et de la Manche avec des fonds provenant intégralement de l’Agence de l’eau. L’Agence de l’eau est ainsi devenue, via les Fédérations de Pêche, le premier acheteur de microcentrales hydroélectriques de la région normande aux fins... de les détruire. Les fonds qu’elle engage dans ces opérations proviennent d’une taxe prélevée sur chacune de nos factures de consommation d’eau.


Destruction d'un ouvrage de la Sienne.

Ces rachats et destructions de microcentrales hydroélectriques normandes coûteront in fine près de 10 millions d’euros supplémentaires. Elles produisaient l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 4 000 à 5 000 foyers en énergie verte et renouvelable. Ces opérations sont menées alors même qu’a été votée au mois d’août 2015 la loi de transition énergétique qui promeut le développement de la petite hydroélectricité en France...

Cette politique de destruction est aujourd’hui totalement assumée et encouragée par les pouvoirs publics locaux dont principalement la direction territoriale de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, l’ONEMA* (intégrée dorénavant à l’AFB*), les Fédérations de Pèches départementales avec le soutien des services de la Préfecture du Calvados notamment.

Cette chasse aux sorcières « anti-moulins » est justifiée par une volonté de restaurer le « libre-écoulement des eaux » afin notamment de favoriser la remontée des poissons migrateurs. Pourtant l’article L214-17 du Code de l’Environnement qui encadre les obligations de continuité écologique ne prévoit pas la destruction des retenues de moulins traditionnels comme moyen d’assurer la circulation des poissons migrateurs mais bien «leur équipement ».

Devant l’émoi que suscite cette débauche d’argent public visant à détruire un patrimoine séculaire et une production d’énergie renouvelable traditionnelle, une table ronde a récemment été organisée à l’Assemblée Nationale le 23 novembre 2016 dernier en présence de nombreux députés. A cette occasion, les 5 scientifiques français auditionnés ont mis en exergue l’absence complète d’études sérieuses permettant de justifier ces destructions et les dangers qu’elles représentent pour l’écologie de nos rivières. Ils ont courageusement dénoncé une mainmise de certains lobbies écologistes jusqu’au-boutistes.


Destruction d'un ouvrage de la Rouvre.

Voilà des années que nos différentes associations ont dénoncé cette politique et exigé sans succès de recevoir les études qui démontreraient les effets positifs de ces destructions. Surtout, nous avons fait connaitre à ces institutions les données historiques, techniques et scientifiques indiscutables prouvant les multiples effets bénéfiques de la présence des retenues des moulins sur nos rivières au delà même de leur aspect patrimonial. Et notamment que les retenues formées par les moulins :
- améliorent la qualité des eaux en les épurant notamment en nitrates et phosphores,
- préservent la ressource en eau,
- atténuent les phénomènes de crue et d’érosion des terres,
- participent à la préservation et au développement des milieux aquatiques,
- favorisent les usages dont le tourisme, le canotage, la pêche et le développement de la production d’énergie verte et renouvelable.

Cette politique, soi-disant « écologiste », menée au prix d‘un gaspillage d’argent public exorbitant issu de nos taxes, se révèle ainsi dramatiquement « anti-écologique » pour nos rivières et alors que chacun sait que le problème réside dans la pollution excessive de nos eaux et non dans la présence multiséculaire des moulins (7 à 9 siècles d’ancienneté pour l’immense majorité des moulins normands).

A la suite de la table ronde et des propos des 5 scientifiques auditionnés, nos parlementaires ont réagi face à la dérive administrative constatée, et ont sanctionné l’article L214-17 en votant l’article L214-18-1 qui dégage partiellement les moulins «équipés pour produire de l’électricité» ou qui le seront, des obligations de «continuité écologique». Nous saluons notamment les parlementaires de notre région dont : M. Poniatowski, M. Lenoir, M. Huet, M. Revet, M. Bas, M. Loncle, M. Le Maire qui y ont activement participé avec d’autres.

Les pouvoirs publics locaux n’ont malheureusement pas pour autant renoncé à cette politique. De très nombreux moulins et microcentrales sont en ce moment même voués à la destruction.


Barrage de moulin et barrage de castor. Un impact fonctionnellement équivalent lorsque le seuil est modeste et comporte des voies de passage. Mais les barrages de castor sont protégés par la loi, tandis que l'administration française, les gestionnaires de rivière et le lobby de la pêche s'acharnent à détruire les chaussées de moulin. 

Afin de permettre aux médias, aux élus, aux riverains, et plus largement aux citoyens de se faire leur propre opinion à ce sujet, ce communiqué comporte 9 annexes justifiant nos propos notamment sur le rôle bénéfique incontestable des retenues de moulins dans le cadre de la gestion de nos eaux et des milieux aquatiques (cf Annexe 6, annexe 7 et annexe 8) et l’inanité complète de cette politique.

Nos 6 associations demandent, au vu de ces données qui déterminent que la destruction des retenues de moulins est parfaitement contraire aux principaux enjeux légaux établis ainsi qu’à l’intérêt général que :
- les projets de destruction de moulins en cours soient suspendus
- les projets de destruction de 6 nouvelles microcentrales hydroélectriques soient abandonnés et
que ces installations soient remises en service pour produire de l’énergie verte et renouvelable
conformément à la loi de transition énergétique d’août 2105
- des études d’incidence complètes sur les principaux enjeux légaux établis soient
systématiquement menées avant d’autoriser la destruction d’une retenue de moulin, ce qui n’est pas le cas à ce jour.

Nous souhaitons qu’un débat régional puisse se tenir à ce sujet avec ceux qui encouragent ces destructions, afin que nos élus et nos concitoyens intéressés par cette question puissent se faire leur avis et nous l’espérons trancher en faveur de la conservation des moulins normands plutôt qu’à la poursuite de leur destruction.

A lire également sur la Normandie
Touques: comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique 
Un cas d’école dans le Calvados: l'effacement des ouvrages du moulin de Crocy
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Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production? 
Barrages de la Sélune : dossier complet sur un symbole de l'échec de la continuité écologique

15/07/2017

Faible effet des barrages par rapport à la pollution sur les rivières centre-européennes (Lemm et Feld 2017)

Les rivières subissent des stress multiples qui affectent la qualité de leurs eaux et leurs milieux. Mais ce constat ne suffit plus : les chercheurs visent à comprendre en détail le poids relatif et l'effet conjugué des impacts, notamment pour orienter les choix prioritaires des politiques publiques. Deux chercheurs allemands, analysant les invertébrés de rivières de plaine d'Europe centrale (Allemagne, Pologne, Pays-Bas), montrent que les premiers facteurs de dégradation sont les accumulations de sédiments fins et la diffusion des polluants, avec comme principaux prédicteurs les usages agricoles et urbains des sols. Les barrages n'ont qu'un poids mineur. En France, ni les agences de l'eau, ni l'Agence pour la biodiversité ni les gestionnaires ne recourent à ce type de modélisation des bassins versants. L'argent public est dépensé dans le plus grand désordre et dans une méconnaissance de la dynamique réelle des milieux, parfois au bénéfice disproportionné de modes lancées par des lobbies (comme la continuité écologique). 

Jan U. Lemm et Christian K. Feld (université de Duisbourg et Essen) ont exploité 125 jeux de données (2002-2002) assez complets pour disposer d'informations sur l'usage des sols, l'hydromophologie, la physico-chimie, la qualité sédimentaire et des co-variables naturelles, cela sur des rivières de plaine à fond sableux de Pologne, d'Allemagne et des Pays-Bas. Parmi les variables biologiques, les macro-invertébrés ont été retenus comme indicateurs de qualité de l'eau (échantillonnage sur sites à raison de 20 unités représentatives de micro-habitats ; analyse des cycles reproductifs, stages aquatiques, résistance des oeufs, divers traits de vie).

Sur cette base, les chercheurs ont procédé à une analyse statistique (composantes principales) pour définir les stresseurs significatifs parmi les 16 mesures d'impact disponibles. Une analyse de graphe a également été réalisée (voir ci-dessous) ainsi qu'une modélisation à régression linéaire généralisée pour analyser la réponse de 14 traits biologiques aux stresseurs.

Quelles sont les principales conclusions des chercheurs ?

  • Le premier axe de l'analyse en composante principale montre l'influence de l'agriculture (axe 1, 31% de variance expliquée) et de la morphologie (axe 2, 18% de variance).
  • L'analyse de graphe montre que quatre stresseurs principaux sont co-occurrents : taux de champs cultivés, de superficie urbaine, de sédiments fins et d'orthophosphate.
  • Le modèle linéaire montre que 20% des pressions ne sont pas additives (elles sont soit synergistiques, ie se renforçant, soit antagonistes, ie s'annulant). Les interactions additives concernent au premier chef les zones urbaines et les sédiments fins ainsi que les zones agricoles et les orthophosphates. Pour les non additives, c'est l'association des zones agricoles et des sédiments fins qui ressort le plus clairement.


Analyse en graphe. Les points ou noeuds représentent les impact (plus le noeud est de taille importante, plus l'effet est marqué), les liens entre les points représentent la force de l'association statistique. On observe notamment le rôle plutôt mineur des barrages("dams"). Extrait de Lemm et Feld 2017, art cit, droit de courte citation.

Discussion
Il manque de nombreux stresseurs dans l'analyse de Jan U. Lemm et Christian K. Feld, en particulier les pollutions autres que les nutriments (reprotoxiques, neurotoxiques, génotoxiques, perturbateurs endocriniens, etc.), dont la charge est souvent forte dans les plaines alluviales et dont certains chercheurs pensent que l'effet est aujourd'hui sous-estimé (voir par exemple Stehle et Schulz 2015). Il y a donc quelques raisons d'estimer que la variance de la qualité des milieux, en particulier des invertébrés, est davantage liée à des facteurs chimiques ici écartés faute de données.

Les chercheurs concluent : "Notre approche est utile pour visualiser une structure de stresseurs co-occurrents et les pressions au sein, par exemple, d'un bassin versant spécifique et pour quantifier les interactions possibles entre ces impacts humains. Elle peut aussi aider à avoir une idée des impacts humains qui sont d'importance mineure".

Hélas, aucune approche de ce type n'est développée en France. Plusieurs centaines de millions d'euros d'argent public sont dépensés chaque année par les Agences de l'eau dans des programmes qui ne sont pas fondés sur des modèles scientifiques de discrimination et pondération des impacts, mais sur des approches très sommaires ne possédant quasiment aucun pouvoir descriptif, explicatif et prédictif. Quant à l'Agence française pour la biodiversité (que l'Onema a intégré depuis le 1er janvier 2017), elle ne témoigne d'aucune rigueur dans les prescriptions de terrain visant à faire entrer la politique des rivière dans un âge scientifique, en procédant à des modélisations hydro-écologiques avancées qui permettrait d'avoir une vue globale du bassin au lieu de multiplier des actions sur site, selon des méthodes parfois datées et discutables d'écologie de la conservation. La France prétend ainsi faire de l'écologie sans procéder par la base de toute action sérieuse en ce domaine, à savoir l'acquisition, la bancarisation et l'interprétation de données de bonne qualité sur les milieux que l'on veut restaurer ou conserver.

Enfin, on observe que l'analyse multi-impacts de Lemm et Feld ne fait pas particulièrement ressortir les barrages comme un impact majeur sur la qualité des rivières de plaines telle que mesurée par les invertébrés : les ouvrages hydrauliques ne concernent ici qu'une partie des 18% de variance du second axe de l'ACP. Cette conclusion rejoint celles d'autres travaux ayant procédé, non pas à des analyses de sites sur des variations locales des espèces, mais à des analyses d'hydro-écologie quantitative sur des bassins ou des groupes de bassins (lire par exemple nos recensions de Wang et al 2011Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015, Radinger et Volter 2015Cooper et al 2016). Cela implique que l'on doit développer une politique des ouvrages hydrauliques plus différenciée, au lieu de l'actuel discours simpliste ou dogmatique selon lequel tout ouvrage en rivière serait un problème grave pour les milieux. On voit également que le mot d'ordre des gestionnaires français de la "circulation des sédiments" n'a pas d'intérêt particulier dans les bassins qui sont soumis au problème d'érosion des sols agricoles et de dépôts de sédiments fins qui vont de toute façon affecter les substrats. Le choix de restauration de la continuité en long a une bonne probabilité d'aggraver le problème de cette gestion sédimentaire au niveau des plaines alluviales et des estuaires.

Référence : Lemm JA, Feld CK (2017), Identification and interaction of multiple stressors in central European lowland rivers, Science of the Total Environment 603–604, 148–154