16/02/2019

La continuité écologique "apaisée" est-elle un enfumage? Les fédérations de moulins et riverains doivent exiger un texte clair

Après de nombreuses critiques parlementaires, des audits administratifs défavorables, des contentieux judiciaires multiples, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a été contrainte de réviser la mise en oeuvre de la continuité écologique des rivières. Rappelons que l'Etat et les agences de l'eau ont engagé depuis 2010 une politique non concertée et aberrante de destruction préférentielle des barrages, moulins, étangs, lacs, plans d'eau, entraînant de vives protestations dans tous les territoires. Notre association a reçu information des dernières évolutions du plan de continuité "apaisée" qui a été adopté par le gouvernement en 2018. Sa circulaire d'application est inacceptable en l'état. Nous appelons donc les fédérations de moulins et riverains, qui participent à la concertation au comité national de l'eau, à faire évoluer drastiquement ce texte, ou à quitter les négociations s'il s'agit seulement de donner une caution à une politique décriée. Dans tous les cas, la base n'acceptera pas la poursuite des pratiques de l'administration ni un pseudo-apaisement qui n'apporterait aucune solution durable aux problèmes de fond.


Sur le terrain, malgré l'adoption du Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique par le ministère de l'écologie en 2018, rien ne change dans nos bassins versants. Les destructions et les pressions administratives continuent. Les agences de l'eau persistent à adopter dans leurs programmes d'intervention et dans leurs projets de SDAGE 2022 des financements de destruction préférentielle d'ouvrages. L'agence française pour la biodiversité (AFB ex Onema) et ses antennes régionales persistent à ignorer la biodiversité des milieux anthropisés et à concentrer leur attention sur quelques espèces de poissons au détriment du reste de la faune et de la flore aquatiques. Les porteurs de projets hydro-électriques de relance des moulins sont découragés par des demandes disproportionnées des services instructeurs de l'Etat et des coûts économiques inabordables, qui ralentissent ou stoppent la progression de la transition énergétique sur son volet hydraulique.

Nous avons eu accès à un document de projet du ministère, débattu au comité national de l'eau, relatif à la mise en oeuvre de ce plan de continuité "apaisée" par la direction de l'eau et de la biodiversité. Nous ne le publions pas car c'est un document interne de travail. Mais nous tirons publiquement la sonnette d'alarme : ce projet est inacceptable pour notre association, comme il se sera pour de nombreuses autres et pour les collectifs riverains en lutte pour préserver des sites d'intérêt.

Dans les points à réviser impérativement :


De notre point de vue, les fédérations de moulins (FFAM, FDMF) et de riverains (ARF) participant au comité national de l'eau ne peuvent accepter les solutions proposées en l'état. Dans l'hypothèse où elles le feraient, les associations de terrain et les nombreux collectifs riverains continueraient de toute façon de plus belle leurs luttes contre les arbitraires administratifs.

Depuis 10 ans, nous avons perdu confiance dans l'objectivité et la sincérité de l'Etat et de nombreux gestionnaires publics sur la question des rivières en lien à leurs ouvrages hydrauliques. Pour rétablir cette confiance, il ne nous faut pas des textes complexes, sans hiérarchie des enjeux, des textes remplis de flous qui seront sources de nouveaux contentieux, mais une évolution claire et transparente des choix publics sur les rivières.

Le paradigme de la généralisation de rivières renaturées selon un état de référence pré-anthropique, qui s'était imposé au tournant des années 2000, est d'ores et déjà un échec. Cela pas seulement à cause de son indifférence aux usages sociaux, économiques et patrimoniaux des rivières et plans d'eau, mais aussi en raison d'une mauvaise construction intellectuelle, issue d'une écologie déjà datée des années 1950-70, ignorante de nombreuses publications depuis les années 2000 sur les limites de restauration de rivière et sur le caractère hybride des bassins versants comme des milieux aquatiques. Cela ne signifie pas qu'il faut abandonner toute ambition écologique, bien au contraire, mais les termes de cette écologie doivent être reprécisés à la lumière des connaissances et des expériences.

A cela s'ajoute qu'à budget très contraint, l'Etat français ne peut pas poursuivre des objectifs contradictoires, la lutte accélérée contre le changement climatique (demandant d'équiper les ouvrages hydrauliques) et la recréation partout de rivières "sauvages" (demandant de supprimer les ouvrages ou d'empêcher leur équipement).

Nous appelons donc les riverains et propriétaires à une vigilance active, en amplifiant la lutte contre les nombreux projets absurdes de destruction qui perdurent hélas dans le pays. Et nous appelons les fédérations de moulins et riverains à porter la voix de ces luttes locales au comité national de l'eau, afin que chacun prenne ses responsabilités pour l'avenir.

14/02/2019

Inquiétudes autour de l'étang du Pont de Kerlouan

Les riverains de l'étang du Pont de Kerlouan, dans la communauté de communes de Lesneven (Finistère) sont inquiets à propos de l'avenir du site. Comme dans bien d'autres lieux en France, la mise en conformité à la continuité écologique est problématique et la solution provisoire demandée par la DDT-M (ouverture en permanence des vannes) nuit aux fonctions écologiques, paysagères et épuratoires du site, de même qu'elle interdit toute reprise de l'activité du moulin en tête d'étang. Nous reproduisons ici la lettre ouverte de ses riverains, qui souhaitent une gestion de l'étang adaptée à l'ensemble de ses enjeux. La position de l'administration du Finistère sera un bon test de la continuité écologique "apaisée" promise par le ministère de l'écologie, mais toujours pas entrée dans les faits. Les territoires demandent davantage de concertation sur l'avenir de leur cadre de vie, et cette attente est particulièrement forte pour la gestion des rivières et étangs.


Lettre
Nous sommes un collectif de riverains qui était préoccupé en premier lieu par l’aspect paysager de ce site méconnu et remarquable. Nous nous sommes également fortement intéressés à  l’écologie liée à ce site constitué d’un étang naturel, dortoir et refuges d’oiseaux (principalement des anatidés), hébergement de mollusques filtrants (anodontes) et de poissons, et à la flore remarquable et méconnue. Cet étang est précédé par une zone humide.

En queue de cet étang naturel, traversé par la rivière Quillimadec, s’était développée une activité de meunerie maintenant éteinte. 

Les vannages de cette activité de meunerie  ont peu à peu contribué à l’envasement de ce petit lac, aidé par le déboisement et la suppression de talus sur l’amont.

D’autre part un curage violent de la rivière en amont (il y a une trentaine d’années) avait déjà entrainé un afflux de boue à l’entrée de l’étang. Les travaux ayant du s’interrompre car le chenillard de curage s’était envasé dans ces boues brassées.

Toutefois, l’activité du moulin réussissait  à garder cet étang en eau et à en maintenir son pouvoir filtrant reconnu et non négligeable.

L’arrêt de cette activité meunière et un vannage aléatoire n’ont fait qu’accélérer l’envasement.

La succession du meunier a vendu l’étang en 2015 à la communauté de communes de Lesneven et le moulin a été vendu à un opérateur économique qui devait y moudre de la farine biologique. Hélas cet opérateur a été touché par une liquidation judiciaire avant que de commencer son exploitation. Le moulin est toutefois dans les actifs  du failli et le non paiement de la vente dans la masse des créanciers de cette liquidation.

Aujourd’hui, le propriétaire actuel du moulin, en liquidation judiciaire, est mis en demeure par arrêté préfectoral de produire une analyse sur la création d’une passe à poissons pour maintenir la continuité écologique.

A titre conservatoire et le temps donné à cette analyse, les vannes sont maintenues en position ouverte. Ainsi plus 13 hectares d’étang sont à l’air libre et sont menacés à très court terme de se végétaliser, ne laissant passer que la rivière.

Cet arrêté est d’autant plus affligeant qu’il existe un exutoire naturel à ce moulin par lequel la continuité écologique se fait naturellement quand l’étang est en eau. Cet exutoire est l’ancien lit de la rivière Quillimadec.  Le meunier avait quant à lui aménagé la queue de l’étang pour faciliter son activité et même installer une turbine de production électrique. Pour ce faire il avait quasiment by-passé la sortie naturelle.



Notre collectif est persuadé qu’il y a des solutions intelligentes pour garder l’étang en eau et maintenir la continuité écologique sans qu’il y ait un curage d’ampleur mais un rétablissement du site naturel d’origine. Ce site est fréquenté par nombres de randonneurs, de photographes animaliers, d’amoureux de la nature sauvage.

Il devrait même être possible de rétablir une production électrique en sortie de ce petit lac alimenté par 25 kilomètres de rivière et 250 kilomètres de ruisseaux et ainsi « effacer positivement» l’activité de meunerie.

L’autre sujet corollaire à cet étang est la considération de son pouvoir filtrant, Ô combien nécessaire dans le cadre des rejets des eaux du Quillimadec dans son estuaire de la baie de Guissény. La coïncidence de l’interdiction de baignade sur deux plages de cette baie avec l’arrêt d’exploitation du moulin est troublante.

Que penser alors du nouvel « affluent » que va constituer le rejet de la nouvelle station d’épuration de Kerlouan-Guissény en amont de l’étang du Pont ? Notamment quand celui ci aura rapidement disparu ne laissant subsister que le chenal du Quillimadec ? 

Pour notre réflexion nous sommes mis en contact avec divers organismes et associations ( Eau et Rivières, Moulins et Rivières, Bretagne Vivante, Natura 2000, OCE,…)

Nous posons les questions suivantes :

  • Qu’est ce qui a motivé l’achat de l’étang par par la Communauté de Communes?
  • Pourquoi un achat « partiel » c.a.d sans le moulin et son bief?
  • Pourquoi avoir choisi rejet  de la station d’épuration  dans le Quillimadec au lieu de l’Alanan comme précédemment?
  • Pourquoi avoir choisi le rejet de la station d’épuration en amont de l’étang du pont?
  • Quid de la continuité écologique ( poissons migrateurs et oiseaux migrateurs, dortoirs...)?
  • Quid des capacités d’auto épuration si l’étang est totalement envasé ne laissant que la rivière ( nitrates, phosphore,  bactériologique)?
  • Les études déjà menées ont-elles été effectuées en connaissance de cause et en tenant compte des potentiels? 
  • Et enfin  : quelles sont les hypothèses d’avenir ?



Illustrations : en haut, l'étang vidé, avec sauvetage de chevreuil prisonnier des vases ; au milieu, l'étang en eau, un réservoir reconnu pour les oiseaux aquatiques ; en bas, le moulin de l'étang du Pont (Ouest-France, DR).

12/02/2019

Faut-il reconstruire des barrages mimant ceux des castors ? (Lautz et al 2019)

Les Etats-Unis avaient été pionniers de la politique de destruction des grands barrages dans le dernier tiers du XXe siècle. Une nouvelle pratique s'y répand aujourd'hui : la multiplication de petits seuils artificiels mimant les effets des barrages de castor, là où les grands rongeurs semi-aquatiques ont été décimés. Car ces ralentissements de l'eau ont des effets recherchés, comme la lutte contre l'incision, le débordement en lit majeur, la diversification des habitats ou encore la recharge de la nappe phréatique au long de l'année. Des chercheurs appellent toutefois à mesurer les impacts avant de généraliser, d'autres techniques de restauration de rivières ayant révélé des échecs ces dernières décennies. Le débat sur l'intérêt des petits ouvrages est néanmoins relancé, car divers effets positifs des barrages de castors existent aussi bien pour des seuils et chaussées en rivière issus de l'histoire humaine, que certains réputent pourtant en France dénués de tout intérêt écologique...



Les castors sont des ingénieurs de l'écosystème. Lorsqu'ils construisent leurs barrages pour retenir l'eau, on observe des effets à l'échelle du bassin sur l'hydrologie, la dynamique des sédiments, la composition et la diversité des communautés animales aussi bien que végétales.

Comme l'observent Laura Lautz et ses collègues, "il n’est peut-être pas surprenant que des ingénieurs travaillant à la restauration de cours d’eau imitent maintenant les activités des castors, dans l’espoir de produire des effets similaires sur l’écosystème."

Les "barrages de type castor" (Beaver Dam Analogues, BDA) sont ainsi des "barrages construits par l'humain, conçus pour imiter les barrages de castors naturels dans le but de ralentir le débit de l'eau, d'augmenter les dépôts de sédiments et d'améliorer les habitats des rivières et des berges (Pilliod et al 2018)."

Des milliers de ces "BDA" ont déjà été déployés dans les montagnes de l'Ouest des États-Unis et leur popularité ne cesse de croître là-bas.

Pour les chercheurs, "le BDA en tant qu'outil de restauration de cours d'eau représente un changement de paradigme, passant de méthodes de conception statiques à long terme, telles que la conception de canaux naturels (NCD), à des approches de conception dynamiques à court terme."

Les BDA, conçus pour être provisoires, ne sont toutefois pas des analogues exacts des barrages construits par les castors. Ils sont souvent implantés pour en mimer les effets là où les castors ont disparu, où le lit s'est incisé et la nappe abaissée.

"Les BDA ne créent pas de conditions géomorphorlogiques statiques et sont conçus pour durer quelques années. Les BDA ont pour but de modifier les schémas d'érosion et les niveaux des cours d'eau et des nappes phréatiques, permettant ainsi au canal d'évoluer vers des formes de canaux plus naturelles (par exemple, des prairies et des chenaux de rivière tressés) (Pollock et al 2014). Les BDA ne sont pas non plus explicitement équivalents aux barrages de castor naturels, mis à part leur forme physique. En effet, ils sont généralement installés pour restaurer une étendue dégradée en raison de l'extinction locale du castor dans le paysage. La perte de castors entraîne généralement une érosion du chenal (en raison de la vitesse élevée de celui-ci), une diminution de la disponibilité de l'eau en fin d'été (en raison de la nappe phréatique abaissée) et une productivité réduite de la végétation riveraine (en raison de l'humidité limitée du sol; Bouwes et al 2016). Au moment de l'installation des BDA, les canaux sont souvent tellement incisés que les castors ne sont pas censés le réoccuper sans BDA, même s'ils sont introduits pour le repeuplement."

Les chercheurs appellent toutefois les gestionnaires à modérer les ardeurs : il est désormais reconnu que des erreurs ont été faites en restauration écologique de rivières "naturelles" ces dernières décennies, avec des choix précipités sans retours d'expérience très solides :

"Dans de nombreux cas, des études montrent que les rivières impactées passent à un nouvel état après restauration, mais qu'elles ne se dirigent pas nécessairement vers un statut de référence (par exemple, Daniluk, Lautz, Gordon et Endreny 2013). En outre, le simple concept de rivière de référence peut ne pas constituer une conceptualisation réaliste dans les régions fortement touchées par l'agriculture et l'urbanisation (McMillan et Vidon 2014). Malheureusement, beaucoup de ces résultats ont été publiés après que la conception de flot naturel soit devenu synonyme de restauration de cours d'eau. Même s'il existe des cas où les approches de restauration des cours d'eau ont porté leurs fruits, la popularité et l'utilisation systématique de ces travaux dans de nombreuses régions se poursuivent malgré le manque de preuves de leur efficacité."

Sans nier l'intérêt potentiel de cette technique, Laura Lautz et ses collègues suggèrent donc une certaine prudence et une analyse plus systématique des effets des recréations de petits barrages de type castor.

Discussion
La disparition de castors suite à leur chasse excessive par les humains a entraîné des effets bien documentés par la recherche scientifique : érosion, incision, moindre disponibilité d'eau à l'étiage, baisse de la productivité biologique en berge.

A l'heure où l'administration française s'est mis en tête de supprimer le maximum d'ouvrages hydrauliques, mêmes modestes, pour restaurer des cours d'eau rapides comme paradigme de la "nature retrouvée" (et pour la satisfaction de certains usagers pêcheurs de salmonidés), il est intéressant de voir que les idées évoluent en hydro-écologie. Peut-être faudrait-il éviter de se précipiter avec des politiques à coûts élevés et retours d'expérience encore peu rigoureux, comme Laura Lautz et ses collègues le demandent outre-Atlantique? La restauration de cours d'eau est loin d'être une science exacte, et les modes du moment peuvent révéler des effets pervers inattendus. On aimerait que les gestionnaires publics aient cette prudence à l'esprit avant de perturber des systèmes d'hydraulique ancienne présent depuis des siècles, formant parfois des écosystèmes originaux, et qu'il sera bien difficile de reconstruire si le bilan de leur disparition se révèle moins bon que prévu.

Quant au retour du castor européen dans les rivières, déjà bien entamé en France, il est évidement le bienvenu. Ce retour ne manquera pas de montrer que les discontinuités hydrologiques et morphologiques sont aussi nombreuses là où des hydrosystèmes reprennent leurs propres dynamiques.

Référence : Lautz L et al (2019), Restoring stream ecosystem function with beaver dam analogues: Let's not make the same mistake twice, Hydrological Processes, 33, 1, 174-177

Illustration : un barrage artificiel de type castor, sur le ruisseau de Red Canyon, dans le Wyoming. Extrait de Lautz et al 2019, art cit, tous droits réservés.

09/02/2019

Le déclin mondial des insectes et ses causes majeures (Sánchez-Bayoa et Wyckhuys 2019)

Dans une méta-analyse de la littérature mondiale, deux chercheurs soulignent que 40% des espèces d'insectes dans le monde subissent des pressions et pourraient être conduites vers l'extinction au cours de ce siècle. Ces pressions existent notamment sur quatre taxons aquatiques majeurs (odonates, plécoptères, trichoptères et éphéméroptères). Dans leur passage en revue des causes concernant les milieux aquatiques, les chercheurs soulignent les changements d'usage des sols (agriculture urbanisation) et les pollutions. Ils appellent à limiter prioritairement ces facteurs de dégradation, en particulier tous les ruissellements de produits toxiques finissant dans les cours d'eau ainsi que la conservation ou restauration de zones humides, le maintien de milieux en eaux en permanence face aux menaces de sécheresse et d'excès de prélèvements. 


La biodiversité des insectes est menacée dans le monde entier. Deux chercheurs présentent dns la revue Biological Conservation  un examen complet de 73 rapports historiques sur le déclin des insectes et évaluent systématiquement les facteurs sous-jacents.

Voici le résumé de leur étude :

"Nos travaux révèlent des taux de déclin spectaculaires qui pouraient entraîner l'extinction de 40% des espèces d'insectes dans le monde au cours des prochaines décennies. Dans les écosystèmes terrestres, les lépidoptères, les hyménoptères et les coléoptères semblent être les taxons les plus touchés, alors que quatre taxons aquatiques majeurs (odonate, plécoptère, trichoptère et éphéméroptère) ont déjà perdu une proportion considérable d’espèces. Les groupes d'insectes touchés comprennent non seulement les spécialistes occupant des niches écologiques particulières, mais également de nombreuses espèces communes et généralistes. Parallèlement, l’abondance d’un petit nombre d’espèces augmente; ce sont toutes des espèces adaptables et généralistes qui occupent les niches laissées vacantes par celles en déclin. Parmi les insectes aquatiques, les généralistes de l’habitat et de l’alimentation, ainsi que les espèces tolérantes aux polluants, remplacent les pertes importantes de biodiversité subies dans les eaux en milieu agricole et urbain. 

Les principaux facteurs de déclin des espèces semblent être par ordre d'importance: i) la perte d'habitat et la conversion en agriculture intensive et en urbanisation; ii) la pollution, principalement par les pesticides de synthèse et les engrais; iii) les facteurs biologiques, y compris les agents pathogènes et les espèces introduites; et iv) le changement climatique. Ce dernier facteur est particulièrement important dans les régions tropicales, mais ne concerne qu'une minorité d’espèces dans les climats plus froids et les montagnes des zones tempérées. Il est urgent de repenser les pratiques agricoles actuelles, en particulier une réduction importante de l'utilisation des pesticides et son remplacement par des pratiques plus durables et écologiques, afin de ralentir ou d'inverser les tendances actuelles, de permettre la reconstitution des populations d'insectes en déclin et de préserver les services écosystémiques vitaux qu'elles fournissent. En outre, des technologies de dépollution efficaces devraient être appliquées pour dépolluer les eaux en milieu agricole et urbain."



Concernant plus particulièrement les espèces aquatiques (ci-dessus, niveau de menace dans le monde des quatre taxons les plus étudiés), les auteurs observent les points suivants.

Pertes d'habitat en zones agricoles, gains dans certains systèmes artificiels - "L'intensification agricole implique également la canalisation des cours d'eau, l'assèchement des zones humides, la modification des plaines inondables et l'enlèvement du couvert végétal couvert, entraînant une perte subséquente de sol et d'éléments nutritifs, le tout entraînant l'homogénéisation des microhabitats des cours d'eau et l'altération des communautés d'insectes aquatiques (Houghton et Holzenthal 2010). Ces activités augmentent l'eutrophisation, l'envasement et la sédimentation dans les masses d'eau, réduisant ainsi la richesse des broyeurs et des prédateurs tout en favorisant les espèces filtrantes (Burdon et al 2013; Niyogi et al 2007; Olson et al 2016). Les diverses communautés de plantes aquatiques constituent un élément important de l'habitat dans les systèmes lentiques tels que les rizières, permettant l'herbivorie, la ponte et l'émergence de nombreux insectes et offrant un refuge aux nymphes d'odonates (Nakanishi et al 2014). En général, la perte d'écoulements permanents dans les cours d'eau entraîne une diminution de la biodiversité (King et al 2016), alors que les masses d'eau irriguées et artificielles dans les zones urbanisées peuvent avoir favorisé certaines espèces (Kalkman et al 2005, 2010)."

Polllutions - "Les insecticides pyréthroïdes, néonicotinoïdes et fipronil ont un impact dévastateur sur les insectes aquatiques et les crustacés en raison de leur toxicité aiguë et chronique élevée (Beketov et Liess 2008; Kasai et al 2016; Mian et Mulla 1992; Roessink et al 1992, 2013), réduisant ainsi de manière significative leur abondance dans les masses d'eau (van Dijk et al 2013). Les résidus persistants de fipronil dans les sédiments inhibent l'émergence de libellules (Jinguji et al 2013; Ueda et Jinguji 2013) et le développement de chironomidés et d'autres larves d'insectes, avec des effets en cascade négatifs sur la survie des poissons (Weston et al 2003, 2015). Les insecticides systémiques nuisent à la viabilité à long terme des larves de broyeurs qui décomposent la litière de feuilles et d’autres matières organiques (Kreutzweiser et al 2008), sapent la base du réseau alimentaire des insectes (Sánchez-Bayo et al 2016a) et nuisent ainsi aux ressources naturelles. mécanismes de contrôle biologique, par exemple dans les écosystèmes de rizières (Settle et al 1996)."

Conclusion : "Pour les insectes aquatiques, la réhabilitation des marais et l'amélioration de la qualité de l'eau sont indispensables au rétablissement de la biodiversité (van Strien et al 2016). Cela peut nécessiter la mise en œuvre de technologies de rémédiation efficaces pour nettoyer les eaux polluées existantes (Arzate et al 2017; Pascal-Lorber et Laurent 2011). Cependant, la priorité devrait être donnée à la réduction de la contamination par ruissellement et lessivage de produits chimiques toxiques, en particulier de pesticides. Seules de telles conditions peuvent permettre la recolonisation par une multitude d'espèces distinctes qui soutiennent des services écosystémiques essentiels tels que la décomposition de la litière et le recyclage des éléments nutritifs, fournissent de la nourriture aux poissons et autres animaux aquatiques et qui sont des prédateurs efficaces des ravageurs des cultures, des mauvaises herbes aquatiques et moustiques nuisibles."

Discussion
Cette méta-analyse confirme ce qui avait déjà été observé par les premiers travaux d'hydro-écologie des années 1960-1970, par exemple ceux de Verneaux en France. La pollution des cours d'eau est le premier facteur expliquant le déclin des insectes, et après eux de la chaîne trophique qui en dépend.

Référence : Sánchez-Bayoa F, Wyckhuys KAG (2019), Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers, Biological Conservation, 232, 8–27

Illustration (haut) : couple d'agrion au bord d'un bief en Morvan.

04/02/2019

Grand débat : écrivons les doléances des rivières et de leurs patrimoines !

Pollution, destruction d'ouvrages et plans d'eau, gestion de crues et étiages, prise en compte de la biodiversité, participation des riverains et écoute de leurs attentes... Dans le cadre du Grand Débat national, exprimez-vous sur la politique actuelle des rivières et des ouvrages hydrauliques. Un formulaire en ligne est proposé par les associations de moulins, étangs, riverains, défense des patrimoines des rivières et des droits des riverains. Les résultats feront l'objet d'une synthèse qui sera disponible en téléchargement pour l'adresser aux élus locaux, et par ailleurs envoyée au gouvernement et à ses administrations.



30/01/2019

La place de l'hydro-électricité dans la nouvelle stratégie énergie-climat de la France (PPE 2019)

Le ministère de l'écologie vient de publier sur son site les textes définitifs de la programmation pluri-annuelle de l'énergie. Ce document pose les objectifs de l'Etat sur 5 et 10 ans (2023 et 2028), ainsi que la doctrine publique en matière de soutien à l'énergie. Nous publions et commentons ici les extraits relatifs à l'hydro-électricité. Plusieurs motifs de satisfaction : le développement hydro-électrique est reconnu comme d'intérêt pour la transition, l'équipement de sites déjà en place est considéré comme de moindre impact, la petite hydro-électricité sera intégrée dans les appels  d'offres. A noter un point important pour les associations de moulins : tous les documents de programmation publique devront intégrer ces orientations (notamment les schémas régionaux, dont certains ignorent aujourd'hui l'hydro-électricité, et les planifications relatives aux cours d'eau). Il faudra donc être vigilant lors des discussions et consultations publiques sur ces textes d'orientation dans chaque territoire. Une autre condition est requise pour que cette programmation réussisse : changer la culture administrative de la haute fonction publique qui, depuis 15 ans, n'a trop souvent soutenu que les grands projets industriels au détriment des centaines de petites initiatives favorables à la transition bas-carbone, mais assommées de complexités parfois inutiles et disproportionnées. 

La PPE rappelle le rôle essentiel de l'hydro-électricité :
La filière hydroélectrique est essentielle pour la transition du système électrique : 
- il s’ agit d’ une filière renouvelable prédictible et pilotable ; 
- sa flexibilité (installations de lacs et d’ éclusée) permet d’ assurer de manière réactive l’ équilibre offre-demande lors des périodes de tension sur le système électrique, à la place de moyens thermiques coûteux et fortement émetteurs de gaz à effet de serre ; 
- le stockage hydraulique permet en outre de placer la production pour suivre la consommation sur des périodes longues (hebdomadaires voire saisonnières) 
Il arrive régulièrement que l'hydroélectricité représente plus de 20% de la puissance électrique sur le réseau pendant les périodes de pointe. Par ailleurs, grâce à sa flexibilité, cette filière représente environ 50% du mécanisme d'ajustement, qui est un dispositif permettant à RTE d'assurer à tout moment l'égalité entre la production et la consommation d'électricité.

Objectifs
L’objectif est d’augmenter le parc de l’ordre de 200 MW d'ici 2023 et de 900 à 1200 MW d'ici 2028, qui devrait permettre une production supplémentaire de l’ordre de 3 à 4 TWh dont environ 60% par l'optimisation d'aménagements existants.
Commentaire : nous devons trouver en dix ans 300 à 600 MW d'équipements nouveaux non liés à l'optimisation de sites producteurs déjà existants. Si la moitié de cet objectif est lié à la petite hydroélectricité d'ouvrage anciens (de loin les sites les plus nombreux, cf Punys et al 2019), cela représente quelques milliers de sites entre 10 et 100 kW à équiper. Cet objectif (quelques dizaines de sites par département en 10 ans) est largement tenable (et même dépassable) à condition d'avoir un soutien clair des pouvoirs publics, et non comme aujourd'hui une tendance à ralentir le volet hydraulique de la transition énergétique.

Mesures complémentaires en hydro-électricité
• Optimiser la production et la flexibilité du parc hydroélectrique, notamment au-travers de suréquipements et de l’installation de centrales hydroélectriques sur des barrages existants non-équipés 
• Mettre en place un dispositif de soutien à la rénovation des centrales autorisées entre 1MW et 4-5MW ; 
• Lancer l'octroi de nouvelles concessions sur quelques sites dont le potentiel aura été identifié ; 
• Lancer des appels d’offres pour la petite hydroélectricité
Commentaire : nous observons avec satisfaction que l'équipement de barrages existants est désormais considéré comme une stratégie opportune et que la petite hydro-électricité fera partie des appels d'offres. Toutefois, concernant cette petite hydro-électricité, l'urgence est à la simplification des relances : interlocuteur unique, procédure plus rapide en gestion des dossiers par les DDT-M, priorisation claire et réaliste en continuité écologique, baisse des coûts d'équipements environnementaux, davantage de transparence sur les coûts d'équipement hydromécaniques et électrotechniques.

Coûts unitaires
L’hydroélectricité est une énergie renouvelable compétitive en raison d’une durée de vie des installations importante sous réserve d’investissements réguliers. Les coûts de construction sont élevés (génie civil, équipement, raccordement au réseau), pour des coûts d’exploitation et de maintenance relativement faibles. Les coûts liés aux aménagements à visée environnementale sont de plus en plus significatifs.(...) 
Les coûts unitaires moyens observés sont compris : 
- entre 30 et 50 €/MWh pour de grandes installations au fil de l'eau ; 
- entre 70 et 90 €/MWh pour les installations de forte puissance et exploitant des hautes chutes ; 
- entre 70 et 160 €/MWh pour les installations de plus faible puissance.
Commentaire : les coûts unitaires n'ont pas de raison d'être élevés dans les sites existants (moulins, forges, barrages à autres usages) si leur génie civil est correct. Une grande partie de ces coûts vient aujourd'hui de demandes réglementaires disproportionnées aux impacts (exemple récent, cas fréquent) ainsi que de dispositifs de continuité écologique parfois surdimensionnés.

Réglementation environnementale
Afin de préserver la qualité des milieux aquatiques et de garantir les autres usages de l’eau, la réglementation environnementale applicable aux ouvrages hydroélectriques a été sensiblement renforcée : maintien d’un débit minimum dans le cours d’eau, aménagements de rétablissement de la continuité écologique, dispositifs pour limiter la mortalité piscicole, etc.
A l’instar des ouvrages existants, les projets hydroélectriques soulèvent des problématiques environnementales très différentes suivant la taille du projet et selon le lieu d’implantation. Pour un projet de faible ampleur visant l’équipement d’un barrage existant, l’impact du projet pourra se limiter à la problématique de dévalaison des poissons en lien avec l’installation d’une turbine et à la modification du régime hydrologique en cas de tronçon court-circuité. Pour un projet hydroélectrique sur site vierge, des impacts supplémentaires sont à considérer comme ceux liés à l’ennoiement (hydromorphologie, qualité de l’eau), ou encore ceux touchant à la continuité écologique pour la montaison ou le transit des sédiments. Sur les projets d’envergure comportant des barrages réservoirs, la gestion, lors de la conception du projet, des impacts du fonctionnement par éclusée est déterminante. Enfin, quelle que soit la taille du projet, les effets cumulés sont à évaluer lorsque des ouvrages équipent déjà le cours d’eau concerné, notamment en termes de continuité écologique ou lorsqu’un ennoiement est envisagé.
Compte tenu de leur coût plus élevé et de leur bénéfice moins important pour le système électrique au regard de leur impact environnemental, le développement de nouveaux projets de faible puissance doit être évité sur les sites présentant une sensibilité environnementale particulière. En revanche, les suréquipements ou les nouveaux aménagements permettant d'améliorer la flexibilité du parc doivent être priorisés.
Commentaire : il est reconnu que des projets de faible ampleur sur un barrage existant représentent un impact modéré, et que la dévalaison en est l'enjeu premier. Concernant la "sensibilité environnementale particulière", celle-ci est tout à fait compréhensible pour des raisons de protection de la biodiversité endémique, mais elle doit être précisée. On a vu et vécu trop de dérives où la simple présence de truites communes dans une rivière est considérée comme un enjeu majeur, cela davantage sur pression d'une fédération de pêche que sur une base d'écologie scientifique... Les impacts négatifs de l'hydro-électricité peuvent être raisonnablement maitrisés aujourd'hui, en particulier la petite hydro-électricité à ouvrages modestes, et ils sont rarement le premier facteur de dégradation des bassins.

Opposabilité 
Les stratégies et les documents de planification qui comportent des orientations sur l’énergie doivent être compatibles avec les orientations formulées dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Commentaire : il conviendra de vérifier dans chaque région que les schémas régionaux traitant du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'équilibre des territoires (SRADDET) incluent correctement les disposition de la PPE, notamment l'hydro-électricité. De même, les agences de l'eau devront intégrer ce volet de la PPE dans leur choix de financement sur les ouvrages hydrauliques en place.

Source : MTES (2019), Stratégie française pour l'énergie et le climat. Programmation pluri-annuelle 2019-2023, 2024-2028, 368 p.

28/01/2019

Les riverains en lutte pour sauver le canal d'Elne

Alors que Nicolas Hulot avait promis une continuité écologique "apaisée" pour calmer la colère croissante des riverains face aux destructions de moulins, forges, barrages et autres éléments hérités de la longue histoire des vallées, rien ne change en France : partout on persiste à détruire le patrimoine hydraulique, partout on assèche les biefs, les canaux, les étangs et les lacs, sans égard pour la biodiversité en place ni pour les avis des citoyens. Mais partout aussi émergent désormais des collectifs en lutte contre les diktats de l'Etat et de son administration trahissant l'esprit des lois. Les riverains du canal d'Elne ont rejoint ce mouvement, face aux menaces qui pèsent sur un site aux atouts remarquables. Voici leur appel, que l'on peut signer en ligne par solidarité.  Face à tout abus persistant, alors que le pays entier ne supporte plus l'absence de démocratie dans la conduite des politiques publiques et les erreurs de priorité en écologie, le mot d'ordre doit être clair : mobilisation des citoyens, contentieux devant les tribunaux, manifestations de terrain.




Sauvons le Canal d'Elne : un canal millénaire, un atout pour l’agriculture, l’écologie et le patrimoine ! 

Ce canal sur le Tech est aujourd’hui fortement menacé par une mauvaise interprétation de la loi qui conduira à la destruction du seuil permettant son alimentation à partir de la rivière et, par là-même, à faire disparaître à terme le canal.

Le Canal d’Elne est un atout indispensable pour lutter contre les effets du réchauffement climatique ; il doit absolument pouvoir continuer à couler librement.

Aux agriculteurs, propriétaires et riverains, défenseurs de la nature, amoureux d’un patrimoine millénaire et simples promeneurs attachés à un paysage traditionnel.

Dans la vallée du Tech, en l’absence de retenue d’eau, le seul moyen de retenir la circulation de l'eau douce vers la mer est le remarquable et ancestral maillage de nos canaux d'arrosage, dont celui d’Elne, le plus ancien sur le Tech, et de leurs ruisseaux adjacents.

Les fonctions du Canal d’Elne sont multiples :
  • Il permet depuis des siècles d’alimenter les nappes phréatiques et il est aujourd’hui un moyen efficace et indispensable pour lutter contre les effets du réchauffement climatique.
  • Il préserve une ressource en eau pour une agriculture responsable du présent et du futur de plus en plus menacée. Il pourrait être raccordé au réseau souterrain de l’ASA de Villeneuve.
  • En cas de fortes précipitations, il permet d'évacuer les trop-pleins des eaux de pluie en régulant les eaux d’inondation par son réseau.
  • Il conserve la biodiversité de la flore et de la faune des rives et berges humides installées depuis un millénaire tout au long d’un corridor de 17 km pouvant être aménagé facilement en voie bleue ou voie verte dans un paysage agréable.
  • Il maintient la permanence d’une zone humide à l’échelle du delta du Tech (le canal alimente en partie l’étang de Canet et la lagune de Saint Cyprien).
  • Il préserve les échanges verticaux et latéraux de la zone humide avec les nappes aquifères sous-jacentes.
  • Le patrimoine culturel et historique du Canal d’Elne se compose de sept moulins médiévaux et de divers ouvrages d’art constituant un argument touristique concrétisé aujourd’hui par deux gites.
  • Plusieurs moulins ont conservé une partie de leur chute d’eau et leurs vannes qui, restaurées, pourraient générer une production énergétique intéressante. Le seuil en lui-même présente un potentiel important de 216 kW soit un productible de 1 015 000 kW/h par an (DREAL 2011).


Les manifestations publiques organisées par le Collectif de défense ont rappelé ces atouts. Or le Canal d’Elne et son maillage sont désormais menacés. Pourquoi ?

L’administration en charge de l’eau a engagé en 2009 un plan d’action pour la restauration de la «continuité écologique» des cours d’eau, et procédé en 2012-2013 au classement, à cette fin, de nombreuses rivières. La «continuité écologique» veut dire en réalité, sous un vocable flatteur et consensuel, l’éradication de tous les obstacles sur les rivières, dont de nombreux moulins ont déjà fait les frais en France ainsi que des ouvrages d’art comme les seuils ou rescloses permettant d’alimenter les canaux. Au vu d’une affirmation très douteuse concernant la présence de deux nouveaux poissons migrateurs, le cours inférieur du Tech, dans un premier temps épargné, a été reclassé dans la catégorie des rivières devant aménager la «continuité écologique», et accessoirement, celle de «continuité sédimentaire».

Ce classement menace directement le seuil (resclosa) qui permet depuis un millénaire à l’eau du Tech d’alimenter le canal d’Elne par gravité, c’est-à-dire sans aucun besoin d’énergie.

Le système actuel de circulation de l’eau du Canal emprunte des anciens bras d’inondation du Tech ; son alimentation et son cours se réalisent par simple gravité. La menace administrative s’exprime par différentes solutions successivement envisagées et abandonnées, traduisant ainsi la perplexité des acteurs. L’arasement total de la resclosa, un temps préconisé, a été remplacé par un projet d’abaissement du seuil, ce qui ne change rien pour ce qui concerne l’alimentation du canal puisque la hauteur du seuil actuel permet tout juste à l’eau d’entrer dans la prise du canal. A cet aménagement menaçant l’alimentation gravitaire, a succédé un projet d’alimentation intermittent par des pompes électriques énergivores par nature et dont le prix d’achat et le coût de maintenance ne sont pas évalué.

Nous sommes favorables, bien sûr, à l’amélioration des conditions de vie des poissons migrateurs, même si leur présence est ici hypothétique. Mais, pour une gestion équilibrée, cette politique doit respecter les autres dimensions de la biodiversité. C'est ce principe que la loi impose, mais que l'administration méconnait. L’écologie ne se réduit pas à une sanctuarisation des milieux ou à un retour hypothétiquement originel. Les aménagements «doux» de continuité (vannes, passes à poissons, rivières de contournement) constituent autant de pistes qui n’ont pas été envisagées.

Les atouts du Canal d’Elne ont été souvent ignorés et minimisés par les administrations en charge de l’eau dont la priorité va au respect mécanique et à l’application dogmatique d’une consigne qui est inadaptée aux conditions environnementales de la zone humide du Canal d’Elne et du delta du Tech.

Aussi par cette pétition :

  • Nous nous opposons à la destruction même partielle du seuil permettant l’alimentation du Canal d’Elne, comme nous refusons tout ouvrage hydraulique qui menacerait la permanence de cette alimentation.
  • Nous nous opposons à la perte du droit millénaire Fondé en Titre qui rendrait la mesure définitive et à tout jamais irréversible.
  • Nous déplorons la manière dont les diverses collectivités et organismes instruisent la continuité écologique du cours inférieur du Tech et, en particulier les refus d'associer le Collectif de défense aux travaux menés par les administrations ainsi que l'absence de réponses aux demandes légitimes d'éclaircissement formulées par l'association.
  • Nous refusons l’application « à l’aveugle » d’une continuité écologique agressive et destructrice qui n’est plus acceptable et n'est plus acceptée, comme l’ont déjà reconnu les rapports parlementaires et les audits administratifs en d’autres régions de France.
  • Devant la méconnaissance des atouts du canal, nous contesterons, si nécessaire en justice, les décisions qui seront prises si elles devaient persister dans le sens actuel d’une volonté systématique de destruction des ouvrages.

Pour signer ce texte

25/01/2019

Première évaluation européenne du potentiel énergétique des moulins à eau et autres ouvrages anciens (Punys et al 2019)

Le projet européen RESTOR Hydro (2012-2015) a effectué un premier recensement des sites anciens sur les rivières européennes, comme les moulins à eau, dans le but de relancer leur production énergétique. Des chercheurs publient les résultats. Environ 65000 sites de production potentielle sont déjà identifiés. Avec 24748 ouvrages soit près de 40% du total, la France est le pays le mieux doté en nombre total d'ouvrages anciens, quoique d'autres (Slovénie, Belgique, Luxembourg) ont une densité en rivière supérieure. Une fois retiré les sites difficiles à modifier en raison de protection environnementale ou patrimoniale, le potentiel de production pourrait être de 6,8 TWh. C'est une première base de réflexion que nos décideurs doivent saisir. En commençant par cesser la destruction de ce patrimoine exceptionnel au nom de la continuité écologique, alors que l'Europe doit atteindre le zéro émission carbone dès 2050, selon les accords de Paris et les préconisations du GIEC. Restaurons et équipons donc ces ouvrages encore en place, dont certains ont apporté de l'énergie à nos territoires pendant près d'un millénaire. 

L'Europe et d'autres parties du monde cherchent des moyens de développer davantage l'hydroélectricité, de la rendre plus durable. Le projet RESTOR Hydro, cofinancé par le programme Énergie intelligente pour l'Europe de l'Union européenne (2012-2015), est l'une des tentatives les plus récentes. Comme le rappellent Petras Punys et ses quatre collègues, RESTOR Hydro "visait à accroître la production d'énergie renouvelable à partir de mini- et micro-centrales hydroélectriques, en identifiant et en restaurant les sites historiques, les anciennes usines hydroélectriques, les sites de barrages et autres structures en rivière".

L'un des principaux résultats de ce projet a été une carte en ligne accessible au public, visant à cartographier les emplacements et les principales caractéristiques des mini- ou micro- sites hydroélectriques historiques, sans exclure les plus grands (1-10 MW). Quelque 65 000 points de données ou sites hydroélectriques potentiels sont présentés sur cette carte en ligne. Les sites individuels avec informations concises sur l'emplacement, le type de structure (moulin à eau, seuil, déversoir), la disponibilité de l'électricité, la sensibilité environnementale et la valeur historique sont affichés à l'échelle du pays. Cependant, aucune estimation de la production potentielle d’hydroélectricité n’est fournie.


Carte des sites recensés en Europe et de leur usage historique extrait de Punys et al 2019, art cit.


Les petites rivières ont joué un rôle essentiel dans l’économie européenne en fournissant ses besoins en énergie à partir du Moyen Âge, et il existe aujourd'hui encore de nombreux moulins à eau et seuils emblématiques, ou leurs vestiges.

Les chercheurs observent ainsi : "Dans l’UE, un potentiel de production hydroélectrique économiquement viable et écologiquement durable est présent dans des milliers de moulins à roues, moulins foulons, scieries, et autres sites historiques, principalement des systèmes à basse chute. Une estimation préliminaire suppose que plus de 350 000 micro ou mini-sites hydrauliques auraient pu exister en Europe à un moment ou à un autre. En raison des changements dans les modes d'utilisation, du réajustement des cours d'eau, de la préservation environnementale nécessaire, tous ces sites historiques ne devraient pas être récupérables aujourd'hui. De nombreux bâtiments et infrastructures historiques se situent dans des «zones de beauté naturelle exceptionnelle» ou autres zones sensibles du point de vue de l’environnement. Obtenir les autorisations nécessaires pour entreprendre des travaux de construction civile dans de tels endroits ne serait probablement pas permis par une législation restrictive."

Le rythme de développement des petites centrales hydroélectriques de l'UE a été relativement décourageant au cours de la dernière décennie, et même les plans nationaux sur les énergies renouvelables publiés ne prévoyaient pas d'objectif considérable pour le secteur. Selon les chercheurs, "cela est dû non seulement à des questions économiques et sociales, mais aussi à des exigences environnementales. Au cours des dix dernières années, le potentiel des nouvelles petites centrales hydro-électriques  a été considérablement affecté, la tendance à la baisse découlant de la législation environnementale qui protège des zones désignées, telles que Natura 2000, les zones affectées par la directive-cadre sur l'eau (DCE), etc."


Carte des sites recensés en Europe selon leur condition de restauration, extrait de Punys et al 2019, art cit.


Quelques résultats de ce travail :

  • La plus forte densité de sites hydroélectriques (nombre de sites par 1000 km2) a été identifiée en Slovénie (99,4), en Belgique (83,5), au Luxembourg (44,1) et en France (39,1).
  • La France, qui totalise 24 748 centrales hydroélectriques potentielles, est clairement en tête des pays de l'UE et représente 38,1% du total.
  • En Europe, le plus grand nombre de sites hydroélectriques dans les pays étudiés se situe en dessous de 40 kW ou groupe de capacité potentielle P1 (59 280 soit 91,33% du total des sites). Viennent ensuite le groupe de capacité P2 (entre 41 et 300 kW) avec 4951 sites soit 7,63% du total, et P3 (entre 301 kW et 1 MW) avec 549 sites soit 0,85% du total. Très peu de sites (seulement 124) ont été identifiés comme étant compris entre 1 et 10 MW, le groupe de capacité potentielle P4 (0,19% du total des sites).
  • Au total, 11 703 sites hydroélectriques sont situés en zones Natura 2000. Les plus grands nombres de moulins à eau Natura 2000 se trouvent en France (857), en Grèce (656), en Allemagne (612) et en Italie (515). Les plus grands nombres de seuils dans les zones Natura 2000 ont été trouvés en Pologne (1356), en France (732) et en Slovénie (380); et pour les sites de nature inconnue en France (3216), en Pologne (741) et en Slovénie (269).
  • Environ 6,8 TWh d’électricité (valeur estimée avec diverses incertitudes) pourraient être produits sur les sites historiques en situation la plus favorables. Cela représente en moyenne 16,5% du potentiel de petite hydroélectricité restant dans les pays de l’UE étudiés (part très variable, de 2 à 78% selon les pays).

Les chercheurs concluent : "Une façon d'améliorer cette évaluation consisterait à incorporer tous les attributs spatiaux des sites potentiels (hydrologie, topographie, etc.) à un algorithme mathématique permettant d'évaluer avec précision les caractéristiques de l'hydroélectricité des sites individuels. Une bonne expérience d’une telle méthodologie existe aux États-Unis."

Discussion
Restaurer et équiper les ouvrages en place pour éviter d'en construire de nouveaux en grand nombre et d'artificialiser des rivières intactes : voilà qui pourrait être une stratégie de bon sens en énergie et écologie.

Comme l'observent les chercheurs, "le potentiel hydroélectrique de l'UE économiquement réalisable et compatible avec l'environnement est presque épuisé (principalement dans les anciens pays de l’UE), et les nouvelles fragmentations des fleuves ne sont pas encouragées. Les documents de politique environnementale recommandent de commencer par moderniser les centrales hydroélectriques existantes avant de procéder à de nouveaux développements ou d'utiliser les structures existantes dans les cours d'eau – barrages, seuils, etc. Ainsi, on suppose que le développement de certains barrages non électriques à des fins énergétiques est réalisable avec un coût d'installation réduit, un coût unitaire moyen d'énergie moins élevé, moins d'obstacles au développement, moins de risques technologiques et commerciaux et dans un délai plus court que le développement induit par la construction de nouveaux barrages."

Et ils ajoutent : "Mais en réalité, ce patrimoine hydroélectrique industriel est souvent négligé dans les projets de restauration des rivières."

Nous ne pouvons hélas que confirmer leur constat pour le cas de la France : les diagnostics hydro-électriques de chaque bassin, qui devaient être obligatoires dans les SDAGE et les SAGE, ont été au mieux fait rapidement dans les années 2010, en excluant souvent les sites de moins de 100 kW (les plus nombreux) au niveau des SDAGE, et généralement sans aucun intérêt de suivi par les gestionnaires. Et pour cause : le ministère de l'écologie et les représentants de l'Etat dans la plupart des agences de l'eau ont décidé d'engager tout le soutien public à la destruction de ce patrimoine ancien au nom de la continuité écologique. Ce choix est vivement contesté, et les audits administratifs montrent que la réforme a été mal menée.

Le travail de Petras Punys et de ses collègues suggère que le choix de la destruction est une erreur du point de vue de la mobilisation des ressources bas carbone. A l'heure où la France a décidé de relancer l'hydro-électricité dans sa programmation pluri-annuelle de l'énergie, les arbitrages de l'Etat doivent changer. L'amélioration écologique de la gestion des ouvrages est compatible avec leur relance énergétique, cela sans ajouter de nouvelles pressions morphologiques aux rivières.

Référence : Punys P et al (2019), An assessment of micro-hydropower potential at historic watermill, weir, and non-powered dam sites in selected EU countries, Renewable Energy, 133, 1108-1123

23/01/2019

Les riverains demandent à la justice d'annuler le projet de destruction des barrages de la Sélune

Trois recours en justice ont été déposés contre les arrêtés de destruction des barrages hydro-électriques et des lacs de la Sélune. Le combat judiciaire s'ouvre donc tandis que la mobilisation des riverains continue sur le terrain. Sur ce fleuve normand, ce sont 20 000 citoyens qui ont refusé la disparition de leur cadre de vie imposée par le ministère de l'écologie. Casser sur argent public des outils de production bas-carbone et de retenue d'eau en pleine transition est incompréhensible. La préservation des saumons peut être assurée par d'autres moyens que ce choix disproportionné de la destruction – d'autant que les cadeaux de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumons font douter de la sincérité écologique de ce projet. Quoiqu'il en soit, le contentieux judiciaire est désormais ouvert : nous attendons du gouvernement qu'en plein débat national sur la nécessité de mieux écouter les attentes des Français, il respecte le temps de la justice et entende toutes les parties prenantes.


Les avocats des riverains de la Sélune et de l'association les Amis du barrage ont déposé  auprès du Tribunal administratif de Caen trois recours contre la destruction des ouvrages hydrauliques annoncée par Nicolas Hulot en 2018.

Les trois procédures concernent :

  • un référé-suspension visant à obtenir la suspension des opérations de démantèlement du barrage de Vezins qui devraient intervenir dès le mois d’avril,
  • un recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de Vezins,
  • un autre recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de la Roche-qui-Boit.

La bataille judiciaire est donc engagée, en même temps que la bataille de terrain puisqu'une manifestation unitaire gilets jaunes - riverains avait eu lieu voici quelques semaines. Les syndicats EDF ont déjà déploré la casse de ces outils de production à l'heure où l'on proclame l'urgence climatique.

Notre association avait écrit au ministère de l'écologie, qui n'a jamais daigné répondre aux arguments avancés, ni faire la politesse d'un semblant de concertation. Le niveau de mépris de la haute fonction publique française pour les règles élémentaires du débat démocratique est devenu assez effarant...

Le projet de destruction des barrages de la Sélune est avant tout un cadeau de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumon, alors que le gain pour cette espèce (1300 saumons remontants, moins que le nombre d'animaux tués pour la seule pêche de loisir en France) est négligeable par rapport aux coûts engagés et que le saumon est déjà présent dans les autres bassins versants des rivières de la région, ainsi qu'à l'aval des barrages sur la Sélune.

Les motifs de refuser la destruction des sites sont nombreux :
  • ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée, une protestation qui prend un sens nouveau à l'heure où la crise des gilets jaunes a révélé l'exaspération des Français face aux mesures autoritaires et punitives imposées depuis Paris,
  • ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore, cela alors que deux millions de Français ont demandé à l'Etat d'engager la lutte pour le climat et que le débat public sur la programmation énergétique nationale a conclu à la nécessité de développer l'hydro-électricité,
  • ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
  • ce projet met en danger l'aval du fleuve et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
  • ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
  • ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.
Ajoutons que le SADGE Seine-Normandie a été annulé en décembre 2018 par la justice alors que les dépenses de financement de l'agence de l'eau - principal bailleur public - pour détruire les ouvrages de la Sélune ont été votées au nom de ce texte, désormais caduc et non opposable.

Nous demandons donc au gouvernement français de revenir sur ce projet dépassé, conflictuel et contraire à l'intérêt général des citoyens. Le débarrage des rivières doit se faire quand les ouvrages sont en fin de vie et présentent des risques de sécurité. Mais l'expertise n'a rien indiqué de tel sur la Sélune.

Illustration : manifestations contre la casse des barrages et des lacs en décembre 2018, Ouest France, droits réservés.

21/01/2019

Plan saumon 2019-2014 : donnez votre avis

Pour répondre aux recommandations émises par l’organisation de conservation du saumon de l’Atlantique nord (OCSAN), la France a élaboré un plan de gestion du saumon atlantique, mis en œuvre pour les périodes 2008-2012 et 2013-2018. Lors de la session annuelle de l’OCSAN en juillet 2018, il a été demandé de renforcer les plans selon de nouvelles recommandations pour la période 2019-2024. Le nouveau plan français de gestion du saumon 2019-2024 est soumis à la consultation publique. Nous incitons nos lecteurs, et en particulier les associations en rivières salmonicoles, à y déposer leurs avis. Notre association observe pour sa part divers biais et carences dans l'action de l'Etat français. 



A la lecture des réponses françaises aux demandes de l'OCSAN, nous observons les points suivants.

- Les association de riverains, de moulins, de protection du patrimoine ne sont pas couramment invitées dans les instances de gestion du saumon en France (Cogepomi-Plagepomi) ni consultées dans la phase d'élaboration des plans par bassins versants.
Notre demande : une consultation en mode ouvert de tous les documents dans la phase d'élaboration des plans, une intégration des associations en lien à la rivière et aux ouvrages. 

- L'Etat ne produit pas de synthèse des résultats des précédents plans pour évaluer leur efficacité : sommes investies, évolutions démographiques des reproducteurs remontants, courbes de tendances par bassin, test de puissance sur la significativité des résultats par rapport à la variabilité internannuelle connue, etc.
Notre demande : un bilan complet de la politique saumon en France permettant aux citoyens de juger sur des faits et des chiffres précis.

- L'Etat ne produit aucune synthèse claire et chiffrée des objectifs du nouveau plan 2019-2024, notamment aucun objectif qui permettrait de faire le bilan de son efficacité à terme.
Notre demande : un engagement sur des résultats vérifiables dans le plan 2019-2024.

- Le contrôle de la pression de pêche manque de transparence et de cohérence, alors que le problème est connu depuis longtemps et que les structures de pêche bénéficient de soutiens publics. Ainsi, les totaux autorisés de capture (TAC) ne sont pas généralisés et/ou n’ont pas toujours les mêmes méthodologies, certains bassins sont en interdiction complète de pêche (axe Loire-Allier) d’autres non (malgré des fortes demandes du gestionnaire public aux autres usagers de l’eau pour une espèce menacée dont la pêche de loisir devient alors peu audible…), les non-déclarations de capture sont mal connues et les pressions de contrôle faibles, les effets génétiques des empoissonnements de soutien par pisciculture sont peu étudiés, les pressions en mers et estuaires sont difficilement évaluées, etc.  Il est souhaité que l’Etat français repense ces questions à nouveaux frais et que l’usage pêche fasse l’objet d’investigations scientifiques plus sérieuses, énormément ayant déjà été fait sur l’étude des autres usages. De nombreux travaux scientifiques justifient l'intérêt d'une telle enquête.
Notre demande : une analyse scientifique indépendante de la pression de pêche de loisir et de pêche commerciale en estuaire, ainsi que des empoissonnements par saumons d'élevage.

- La question de la protection et la restauration de l’habitat du saumon est entièrement centrée sur la continuité en long. C'est un biais actuel des politiques publiques de rivière en France, avec parfois une dépense indue sur des ouvrages anciens dont il a été montré qu'ils sont franchissables par des saumons. En se concentrant à l'excès sur la continuité - dont il ne fait aucun doute qu'elle est par ailleurs un point d'importance pour les migrateurs -, l'Etat ignore ou minimise les problèmes de pollution et de qualité physico-chimique de l’eau, l'évolution des apports sédimentaires (matières fines), les pathologies, le changement climatique, la prédation et les espèces invasives (silures par exemple). L'action engagée ne permet pas d'évaluer correctement le poids relatif des discontinuités par rapport à d'autres causes.
Notre demande : une analyse comparative France entière des populations de saumons entre rivière non restaurée, rivière partiellement restaurée et rivière totalement restaurée en continuité, avec descripteurs des autres impacts de bassin versant.

- La phase océanique du saumon est mal évaluée (taux de survie, évolution des ressources alimentaires en zones de grossissement, routes migratoires etc.), de même que l’évolution génétique et phénotypique des populations (tendance à la baisse de taille assez documentée, mais mal expliquée).
Notre demande : une synthèse sur les causes océaniques de variation des populations de saumon.

Conclusion
Il se pose in fine la question de «l’état de référence» pour la politique du saumon : que veut-on au juste? Les données d’histoire et archéologie environnementales montrent sans ambiguïté que le saumon était jadis répandu jusqu’en tête de nombreux bassins versants de la France métropolitaine. Il y a eu régression sur plusieurs siècles, pour de multiples causes (obstacles à la migration de plus en plus hauts, mais aussi pêches, pollutions, changements hydroclimatiques, évolutions sédimentaires liées aux usages des sols, espèces concurrentes introduites, prélèvements quantitatifs sur les débits, etc.). Certaines de ces causes correspondent aussi à l’évolution démographique, économique, technologique des sociétés modernes, et revenir au niveau de pression de la sortie du Moyen Âge (voire avant) n’est guère envisageable. Il serait donc utile d’avoir une stratégie permettant
  • d’évaluer le coût-bénéfice des mesures déjà prises ; 
  • de prioriser les choix plutôt que de disperser des financements sur un peu tous les bassins  ; 
  • d’observer, selon le niveau de pression actuel (descripteurs de qualité DCE + base usages des sols) le taux de migration-reproduction des saumons (analyse multivariée sur toutes les rivières salmonicoles),  de définir des baselines réalistes, d’estimer la robustesse de certains modèles déterministes habitat-démographie qui irriguent encore la décision, mais dont la puissance de prédictivité ne nous paraît pas assez contrôlée  ; 
  • d'évaluer l'effet des différentes stratégies de franchissement d'obstacles aux migrations (suppression, passes, rivières de contournement, ouvertures de vannes)
  • éventuellement de définir des rivières pilotes à fort investissement pour évaluer un potentiel de conquête, ses coûts et ses effets socio-économiques : 
  • de démocratiser la gouvernance de ces questions, car les choix publics en écologie sont aussi des choix sociaux excédant le cercle des experts (ou d’usagers ayant intérêt particulier à agir sur le saumon). 

Illustration : juvéniles de saumon, appelés tacons (Peter Steenstra, Green Lake National Fish Hatchery, United States Fish and Wildlife Service, domaine public). 

18/01/2019

Les ombres et les truites franchissent les ouvrages anciens des moulins à eau (Ovidio et al 2007)

Un suivi radiotélémétrique de 79 truites et ombres sur des affluents de la Meuse montre que les poissons parviennent à franchir ou à contourner les seuils de moulins anciens lors de leur période migratoire. Dans certains cas, les poissons ont franchi l'obstacle sans emprunter la passe à poissons. Ce résultat contredit l'idée que les salmonidés holobiotiques d'eau douce trouveraient toujours dans l'hydraulique ancienne des obstacles insurmontables à leur cycle de vie. Le travail de ces chercheurs français et belges doit être versé dans le débat actuel sur la priorisation des ouvrages hydrauliques au titre de la continuité écologique. Il devrait conduire à exempter tous les ouvrages présentant des chutes modestes, contournables voire noyées en hautes eaux. Arrêtons le maximalisme qui coûte cher, produit du conflit, ne répond à aucune urgence pour le vivant. L'avenir est dans une bonne gestion des ouvrages anciens selon les caractéristiques de biodiversité de leurs habitats et les besoins migratoires d'espèces piscicoles présentes, mais pas dans la casse indistincte de tout élément du patrimoine hydraulique ni dans l'obligation systématique de passes au rapport coût-bénéfice parfois douteux.


Photos extraites d'Ovidio et al 2007, art cit. Les ouvrages étudiés (seuils, chaussées) sont caractéristiques des moulins anciens. Les flèches rouges indiquent les voies de passage privilégiées.

L'étude de M. Ovidio et ses collègues (Université de Liège, Cemgraf devenu Irstea) avait été menée dans les rivières Aisne, Néblon et Lhomme, trois sous-affluents de salmonidés du bassin de la Meuse traversant le sud de la Belgique.

Entre 1996 et 2004, des truites fario adultes Salmo trutta (n=40) et des ombres communs Thymallus thymallus (n=39) ont été suivis par radio dans ces trois rivières afin d'évaluer leurs capacités pour contourner ou franchir divers seuils. Au cours de leurs migrations vers l'amont, les individus ont rencontré différents types d'obstacles physiques et en ont franchi avec succès, dans des conditions environnementales variables. Les ouvrages franchis par les poissons ont été caractérisés sur la base d'un protocole de description topographique et comparés aux données de suivi.



Trois types d'ouvrage : une chute verticale ou quasi verticale, une chute à parement inclinée avec radier plus ou moins long, un mixte des deux. Les données d'intérêt sont notamment la hauteur totale, l'existence d'une fosse d'appel plus ou moins profonde à l'aval de la chute, la hauteur de la ligne d'eau sur les parements inclinés.  Planche extraite d'Ovidio et al 2007, art cit. Cliquer pour agrandir.

Les obstacles identifiés comme des chutes avaient une élévation de la crête de 0,39 à 1,89 m et un bassin d'appel aval allant de 0,07 à 0,77 m. La longueur des obstacles variait de 0,54 à 8 m, avec des pentes comprises entre 4% et 74%.

La tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les caractéristiques physiques de ces ouvrages.



Dans l'Aisne, 100% des poissons (truites et ombres) ont pu contourner les obstacles lors de la migration en amont. Les poissons réussissaient généralement à franchir les obstacles entre deux sites à 24 heures d'intervalle, sauf à deux occasions où il a fallu 2 et 3 jours. Bien qu'un ouvrage soit équipé d'une passe à poissons haute performance, certains individus ont contourné l'obstacle sans utiliser la passe. Sur le Néblon, un obstacle a été franchi en 3 jours, deux individus ne l'ont pas passé. Un ombre a facilement franchi un obstacle à deux reprises. Un autre a été contourné par une truite, mais un ombre situé en aval pendant la migration n'a pas réussi à le négocier. Dans la Lhomme, une truite a négocié un obstacle en 2 jours. Les temps sont donc variables.

Les auteurs concluent notamment :
"La plupart des poissons ont pu franchir tous les obstacles le long de leur route de migration dans les conditions existantes de température et de débit de l'eau. En raison de ce taux de réussite élevé, il n'a pas été possible de discriminer entre les individus qui ont réussi à négocier ou non les obstacles." 

Ils ajoutent :
"Il faut également veiller à ne pas prendre en compte tous les poissons qui n'ont pas tenté de négocier les obstacles avec succès, car l'aval d'un barrage peut être propice à la truite fario qui, par exemple, peut élaborer une stratégie de résidence permettant des taux de croissance très élevés tout en évitant les risques inhérents aux migrations à longue distance. La truite fario et l'ombre commun ont également fréquemment frayé dans des environnements de lits de gravier en aval d'obstacles (Ovidio et al., 2004). L'observation visuelle des poissons qui tentent de franchir des obstacles est une meilleure méthodologie pour distinguer les tentatives réussies et les tentatives infructueuses (Lauritzen et al. 2005)."
Discussion
Notre expérience associative en têtes de bassin bourguignonnes nous a souvent amenés à rencontrer des ouvrages hydrauliques comparables à ceux décrits dans ce travail de recherche, aussi bien en région cristalline (Morvan) que sédimentaire (Auxois, Châtillonnais). Il n'est pas rare sur ces petits cours d'eau que plus des trois-quarts des ouvrages datent de l'Ancien Régime, nombre d'entre eux étant restés dans leur configuration d'origine. La capacité des poissons à franchir ou non de tels ouvrages est un motif régulier de désaccord entre les riverains et les gestionnaires (syndicats, services instructeurs de l'Etat, agences de bassin).

La réforme de continuité écologique en France a été initialement portée sous un angle maximaliste. Tout une partie de l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, certaines agences de l'eau, l'AFB-Onema) voulait aller bien au-delà des prescriptions de la directive européenne sur l'eau de 2000 comme des lois de 2006 (continuité) et de 2009 (trame bleue), en s'intéressant non pas à des franchissements pour des espèces cibles présentant des déficits dans les rivières, voire protégées car menacées d'extinction (saumon, anguille), mais à une "renaturation" complète avec destruction préférentielle de l'ouvrage et de ses habitats. Cette radicalisation a suscité de vives protestations quand elle se traduisait par une pression univoque à la casse du patrimoine sans réflexion sur la hiérarchie des impacts et par un refus de financement public de solutions plus douces (ouverture de vannes, rivières de contournement, passes à poissons). Le blocage a conduit à plusieurs corrections de la loi visant à protéger les ouvrages, à des audits administratifs et à des évolutions ministérielles.

Face au trop grand nombre d'ouvrages classés au titre de la continuité (plus de 20000) et face au coût public-privé trop lourd des chantiers, nous sommes aujourd'hui revenus à une logique de priorisation: redéfinir les axes fluviaux, les tronçons, les ouvrages et les espèces qui sont réellement d'intérêt prioritaire en restauration de continuité. Ce travail de M. Ovidio et de ses collègues, comme le précédent déjà recensé (Philippart et Ovidio 2007), sera à verser au dossier de cette priorisation quand les services de l'Etat proposeront de débattre de leur grille d'analyse et préconisation. Nous sommes toujours en attente aujourd'hui du lancement de ces discussions ouvertes, dont la transparence méthodologique devra être irréprochable.

Référence : Ovidio M etal (2007), Field protocol for assessing small obstacles to migration of brown trout Salmo trutta, and European grayling Thymallus thymallus: a contribution to the management of free movement in rivers, Fisheries Management and Ecology, 14, 41–50

15/01/2019

Le SDAGE Seine-Normandie est annulé par le juge, ses projets de destruction doivent être contestés

Le tribunal administratif de Paris vient d'annuler le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie, car l'autorité environnementale l'ayant validé n'était pas indépendante de l'Etat. Le juge a posé que le préfet de bassin ne peut sursoir dans le temps à cette annulation, donc que son effet est immédiat. Tant que nous serons en situation de vide juridique, nous appelons les riverains à demander l'annulation de tout chantier contesté de destruction d'ouvrage hydraulique qui serait procéduralement financé en vertu de ce SDAGE, désormais non opposable. C'est par exemple le cas sur plusieurs chantiers scandaleux de casse d'ouvrages engagée par l'agence de l'eau Seine-Normandie : barrages et lacs de la Sélune, centrale hydro-électrique de Pont-Audemer, nombreux moulins, forges, étangs et autres éléments du patrimoine des rivières. L'agence de l'eau Seine-Normandie soutient la destruction d'ouvrages dans 75% de ses travaux, alors que ni la loi française ni les directives européennes ne prévoient cette issue dans le cadre de la continuité écologique.

Par jugement du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands pour la période 2016-2021.

Ce SDAGE est le document de programmation publique qui fixe les orientations de gestion de l'eau dans les grands bassins hydrographiques. Il conditionne notamment les aides publiques qui seront versées par l'agence de l'eau, selon le principe "l'eau paie l'eau" (les taxes sur l'eau sont collectées par l'agence et reversées dans la gestion publique).

Le recours contre le SDAGE a été porté par des chambres d’agriculture et fédérations du syndicat FNSEA. Il contestait 44 des 191 dispositions arrêtées par ce document de programmation, se plaignant notamment d'un excès de contraintes sur l'agriculture et d'une surtransposition du droit européen.

Ce n'est cependant pas sur des moyens de fond, mais sur un vice de procédure que les juges ont annulé le SDAGE. Le préfet ne peut pas à la fois rendre un avis sur le document – en tant qu'autorité environnementale - et l'approuver en tant que préfet coordonnateur de bassin. Le tribunal s'appuie pour cela sur une Directive européenne de juin 2001 sur les plans et programmes, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (20 octobre 2011, affaire C-474/10) et une décision (n° 360212) du Conseil d'Etat du 26 juin 2015.

"Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rendu le 12 décembre 2014 un avis sur le projet de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands, en qualité d’autorité environnementale. Par la suite, la même autorité, agissant en qualité de préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie, a, par l’arrêté attaqué du 1er décembre 2015, approuvé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands qui avait fait l’objet d’une telle évaluation environnementale, sur le fondement des dispositions du 4° du I de l’article R. 122-17 du code de l’environnement, issues de l’article 1er du décret du 2 mai 2012. Or, ces dispositions ont été annulées par le Conseil d’Etat au motif qu’elles confiaient au préfet de région à la fois la compétence pour élaborer et approuver le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la compétence consultative en matière environnementale, en méconnaissance des exigences découlant du paragraphe 3 de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001. En conséquence, l’arrêté attaqué, pris à l’issue d’une procédure entachée d’une irrégularité substantielle, est lui-même entaché d’illégalité."

Le jugement considère par ailleurs que l'Etat ne peut demander un report de l'effet de l'annulatin :

"le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, ne peut se prévaloir du vide juridique qui résulterait, selon lui, de l’annulation rétroactive du SDAGE 2016-2021 pour solliciter le report dans le temps des effets de son annulation"

Selon le journal Actu Environnement, deux pistes sont envisagées pour aboutir à un retour à une situation normale : "soit une accélération de l'élaboration du Sdage pour la période 2022-2027 ou une reprise de la procédure du Sdage incriminée avec un avis d'une autorité environnementale différentiée.L'issue devrait être connue le 7 février prochain. Les membres du comité de bassin ont prévu de débattre des modalités les plus appropriées."

Lutte contre la destruction d'ouvrages : demander l'annulation des projets financés en application du SDAGE annulé
Pour ce qui concerne la question des ouvrages hydrauliques, les associations, les propriétaires et les riverains peuvent faire jouer cette annulation du SDAGE Seine-Normandie  2016-2021 pour demander l'arrêt de tous les chantiers de destruction ayant reçu financement au titre de ce SDAGE et du programme d'intervention que ce SDAGE justifie.

Cela vaut pour les barrages de la Sélune, où l'AESN devait dépenser plus de 40 millions d'argent public pour détruire des ouvrages hydro-électriques en état de fonctionnement

Rappel : l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) se montre particulièrement sectaire sur la question des ouvrages hydrauliques, accordant des subventions préférentielles à la destruction. Les trois-quarts des chantiers financés par l'AESN sont actuellement des projets de casse pure et simple comme l'a révélé le rapport CGEDD 2016, alors que les lois françaises e 2006 et 2009 de continuité écologique n'ont jamais enjoint à la destruction.

Ayant maintes fois demandé une politique plus équilibrée et moins dogmatique sans jamais obtenir d'écoute, notre association et plusieurs consoeurs sont actuellement engagées dans une procédure pour faire annuler le programme d'intervention 2019-2024. L'annulation du SDAGE 2016-2021 devrait ajouter un nouveau moyen à notre requête.

Nous appelons donc les défenseurs des ouvrages à faire jouer ce nouveau moyen juridique de l'annulation du SDAGE dès cette année 2019, en particulier pour les projets de casse d'ouvrages anciens (moulins, étangs) et de barrages en activité (Sélune, Pont-Audemer) qui sont programmés. Nous formaliserons un recours-type en ce sens.