12/07/2016

Lettre à Ségolène Royal sur ses instructions que l'on ignore et sur les moulins que l'on détruit

Face à la poursuite des effacements systématiques d'ouvrages hydrauliques en Côte d'Or et dans l'Yonne, l'association Hydrauxois demande à la Ministre de l'Environnement de faire respecter l'instruction aux préfets de décembre 2015 sur le gel des destructions de moulins, dans l'attente des recommandations du CGEDD. Nous remercions par avance nos lecteurs icaunais et cote-doriens d'informer leurs élus parlementaires de cette question et de leur demander de saisir à leur tour la Ministre (lettre complète téléchargeable à ce lien). 



Madame la Ministre,

La mise en œuvre de la continuité écologique des cours d’eau, plus particulièrement le choix administratif de privilégier la destruction des ouvrages réputés « sans usage », soulève une vive indignation et une opposition croissante au bord des rivières.

Pour cette raison, le 9 décembre 2015, vous avez écrit aux préfets de France pour leur demander de mettre transitoirement un terme aux effacements problématiques de moulins ou autres ouvrages particuliers, en même temps que vous avez sollicité une nouvelle mission du CGEDD (la troisième sur ce dossier) en vue de comprendre la nature des blocages. Nous avons salué ce geste et nous vous en remercions par la présente. Nous avons d’ailleurs rencontré les inspecteurs chargés de cette mission, dans un esprit très attentif aux problèmes associés à la mise en œuvre de la continuité écologique.

Hélas, force est de constater que votre volonté d’apaiser la situation en écartant temporairement les solutions destructrices n’est pas toujours respectée.

Nous en voulons pour preuve les cinq projets d’effacement (huit ouvrages au total) exposés en annexe de ce courrier, pour lesquels notre association en lien avec plusieurs consoeurs et des collectifs de riverains a été amenée à donner un avis négatif en enquête publique.

La diversité des rivières (Seine, Ource, Armançon, Cousin) et des maîtres d’ouvrage par délégation (Sicec, Sirtava-SMBVA, Parc naturel régional du Morvan) concernés rappelle hélas combien la destruction du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique des rivières tend à devenir une option routinière pour le gestionnaire.

Nous ne pouvons nous y résoudre.

Il s’agit d’abord de préserver un certain cadre de vie et un certain héritage culturel auxquels les riverains sont légitimement attachés. Quand les deux-tiers des habitants d’un village signent une pétition pour demander la conservation du plan d’eau du moulin et la recherche d’une solution non-destructrice dont chacun sait qu’elle existe, est-ce normal de voir le syndicat de rivière, l’Agence de l’eau et l’ensemble des services instructeurs persister dans la solution définie à l’avance (et totalement financée sur fonds publics) de la casse pure et simple du patrimoine hydraulique concerné?

Il s’agit aussi de s’opposer à une gabegie d’argent public : chaque effacement coûte ici de l’ordre d’une centaine de milliers d’euros, pour de très petits ouvrages, dans des zones rurales où de telles sommes ne sont pas anodines. Cette dépense heurte les citoyens dans une période difficile pour tout le monde, de surcroît dans un domaine (la gestion et la qualité des rivières) où de nombreux besoins ne sont pas aujourd’hui satisfaits – qu’il s’agisse de la lutte contre les pollutions diffuses agricoles, industrielles et domestiques, de la mise aux normes des assainissements face aux micropolluants émergents, de l’adaptation au changement climatique ou encore de la prévention des inondations, dont l’actualité récente a rappelé toute l’urgence.

Une représentation fausse voudrait que les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, les riverains et les usagers s’opposent à la version destructrice de la continuité écologique au nom d’un conservatisme (voire d’un passéisme) et d’une méconnaissance de l’écologie des milieux aquatiques. Il n’en est rien, et les cas que nous vous soumettons le démontrent. Car la critique que nous portons aux effacements d’ouvrages est aussi, en bonne part, une critique écologique.

Qu’observons-nous en effet dans les cinq chantiers d’effacement concernés par cette lettre?

  • Les indices poissons rivières des tronçons (bio-indicateurs DCE de qualité piscicole) sont déjà bons voire excellents, alors que les ouvrages fragmentent le lit depuis plusieurs siècles,
  • ces ouvrages sont tous de tailles très modestes et partiellement franchissables aux migrateurs (ici truites, anguilles) objets du classement L 214-17 CE des rivières,
  • les gestionnaires ignorent les travaux scientifiques d’histoire environnementale attestant la présence abondante des espèces d’intérêt à l’époque des moulins ou la stabilité séculaire des peuplements piscicoles,
  • le risque de pollution chimique des sédiments remobilisés est négligé dans quatre des cinq chantiers,
  • les biefs et retenues sont réputés des habitats « dégradés » sans même procéder à une analyse in situ de la biodiversité et à un examen de leur rôle refuge lors des étiages sévères ou lors des crues (ce qui a par exemple été attesté pour des espèces d’intérêt patrimonial comme les moules d’eaux douces),
  • le rôle favorable des zones d’eaux lentes pour l’épuration des nutriments et des pesticides est ignoré, et son effet est donc non mesuré sur les sites,
  • le rôle de barrière qu’ont parfois les seuils pour de petites espèces invasives est également laissé de côté,
  • la possibilité de produire de nouveau une énergie hydro-électrique à excellent bilan carbone est écartée, alors que le changement climatique est désigné comme la menace de premier ordre pour les milieux et les sociétés, sa prévention étant en conséquence notre premier devoir collectif.

L’effacement des seuils ne relève pas seulement d’une « écologie punitive » (ici même « destructive ») que vous avez jadis condamnée — à juste titre car jamais les citoyens ne s’intéresseront réellement et durablement à leur environnement sous l’effet de la menace réglementaire ou du chantage financier à quoi se résume pour le moment la mise en œuvre de la continuité écologique. Cet effacement des seuils relève plus gravement d’une écologie non fondée sur la preuve et la donnée, une écologie arbitraire où l’on met en œuvre machinalement des solutions toutes faites, le rapport du bureau d’études offrant le service minimum pour légitimer une programmation de toute façon décidée à l’avance.

Car quelle est donc cette « écologie » qui ne prend pas soin de déjà mesurer avec précision l’état biologique, chimique et physique de chaque rivière (comme nous y oblige pourtant la DCE depuis 16 ans), de définir de vraies priorités grâce à des modèles scientifiquement éprouvés, d’étudier longuement les écosystèmes qu’elle prétend améliorer, d’écouter ce qu’attendent les riverains en terme de services rendus par ces écosystèmes, de pratiquer la concertation avec tous les acteurs associatifs (et non une sélection parcimonieuse d’entre eux), de concilier les motifs d’intérêt général propres à une gestion équilibrée de l’eau, ce qui inclut le patrimoine, le paysage, l’énergie bas carbone qui pourrait être remobilisée sur chaque site?

Madame la Ministre,

Comme plus de 300 associations de terrain ayant déjà signé l’appel à moratoire sur les destructions d’ouvrage dans le cadre de la continuité écologique, nous passons chaque année des milliers d’heures bénévoles à étudier, protéger, valoriser, faire connaître et ré-équiper l’exceptionnel patrimoine hydraulique de nos territoires. Certains seuils et petits barrages sont effectivement « sans usage » aujourd’hui… mais le temps de vie de ce patrimoine se compte en siècles, et nous pourrions vous donner des dizaines d’exemples d’ouvrages qui ont finalement été restaurés avec soin, et parfois équipés pour produire une énergie locale et propre. De même, certains seuils et barrages ne sont pas correctement gérés : nous sommes les premiers à rappeler à nos adhérents leurs devoirs vis-à-vis de la rivière et des tiers, à participer à des médiations quand il y a des problèmes ainsi qu’à les informer des nouvelles approches en gestion des milieux aquatiques.

Au classement des rivières de 2012 et 2013, lors des premières tentatives pour convaincre certains maîtres d’ouvrage de la soi-disant urgence d’effacer leurs ouvrages hydrauliques, nous avions d’abord cru à un malentendu dû à quelques excès locaux d’interprétation. Après tout, ni la loi sur l’eau de 2006 ni la loi « Grenelle » de 2009 créant les trames bleues n’ont jamais cité dans leurs textes cette option d’effacement des seuils et barrages, appelant au contraire à les gérer, aménager, équiper ou entretenir.

Depuis 3 ans, force a été de constater que la volonté prioritaire de détruire répond, non pas à quelques excès locaux de zèle, mais bien à une programmation systématique par la direction de l’eau et de la biodiversité de votre Ministère comme par certaines Agences de l’eau. Sur les rivières concernées par les effacements nous menant à vous saisir, et alors même que de nombreuses solutions sont supposées être envisageables, il nous est au demeurant impossible de vous citer pour cet été 2016 un seul chantier de passe à poissons ou un seul protocole de gestion des vannes : n’est-ce pas le témoignage d’un déséquilibre manifeste dans la mise en œuvre du classement des rivières, en faveur des solutions radicales et irrémédiables de disparition des ouvrages et de tout leur hydrosystème associé?

Nous avons signalé aux services de Mme la Préfète de Côte d’Or et de M. le Préfet de l’Yonne, en copie de cette lettre, que nous nous opposerons aux destructions programmées sur nos rivières, par voie contentieuse si cela devenait nécessaire. Nous espérons bien sûr ne pas en arriver là, car le conflit est synonyme d’échec. Chacun d’entre nous a un besoin précieux de temps et d’énergie pour accomplir des choses positives et constructives, en particulier pour améliorer nos cours d’eau, pour préserver leurs patrimoines naturels et culturels, pour développer leurs usages en bonne intelligence, pour léguer aux générations futures une rivière vivante et humaine à la fois.

Nous sollicitons donc de votre vigilance et de votre bienveillance le rappel de votre instruction du 9 décembre 2015 et le gel effectif des effacements d’ouvrages tant que la mission du CGEDD n’a pas produit des recommandations permettant de déployer des bonnes pratiques dans la gestion écologique des rivières.

Illustration : le seuil et le site du moulin de Perrigny-sur-Armançon, menacés de destruction imminente.

7 commentaires:

  1. Faut écrire au président...

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  2. Opposition croissante au bord des rivières... Y'avait foule à Autricourt, 4 habitants de Belan sur Ource là où le monument est voué à la destruction et tout ça malgré un racolage avec petits papier et phrases chocs dans les boites aux lettres. Bof...

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    1. Bah, une cinquantaine de personnes pour une réunion en semaine, en zone rurale et un soir de demi-finale de foot avec la France, ce n'est pas si mal. Et où sont-elles, les foules en faveur de la destruction? Car enfin, ces actions sont supposées augmenter les "services rendus par les écosystèmes", on devrait voir se lever une armée de pêcheurs, promeneurs, consommateurs, agriculteurs, etc. absolument ravis des effets positifs de la "rivière renaturée" aux frais des citoyens. Mais bon, c'est vrai que certains lobbies préfèrent nettement la discrétion des bureaux où l'on décide entre initiés au nom du "bien commun" ou de l'"intérêt général", sans s'enquiquiner à consulter les gens concernés.

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    2. Bonjour,
      Votre analyse de la situation est bonne. Je suis dans une région paisible où il n'existe pas "d'Hydrauxois" et les DIG aux coûts exorbitants et les destructions d'ouvrages pleuvent. L'objectif du "bon état 2015", malgré les millions d'euros jetés dans les rivières n'a pas été atteint. Si dans 15 ans, la qualité de l'eau ne s'est pas améliorée, les reconstructions des ouvrages détruits seront-elles légitimes puisque les destructions depuis la LEMA n'ont eu aucun effet bénéfique?
      quand aux "rivières libres" c'est quand même un défaut d'observation et de bon sens: sans soutien d'étiage, la largeur de la Loire serait réduite à un mètre, juste alimentée par les effluents domestiques comme en 1976.
      S'ils n'y avait pas de nombreux effets induits, on devrait leur dire:"chiche, on détruit tout"...
      Une poignée de "responsables"...mais nous sommes tous "coupables" de laisser faire.
      Personne ne pourra au moins vous reprocher la moindre culpabilité!
      cordialement

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    3. Bonjour,
      c'est assez insignifiant de tourner vos résultats en dérision sans contredire le fond. Il faudrait un peu plus de modestie à vos détracteurs gavés de subventions et leur rappeler que les formidables moyens financiers (et dépenses effectives) des agences de l'eau quand elles se lancent dans les "consultations démocratiques"...avec des scores bien inférieurs à 1%. Des résultats boostés par tous les moyens, jusqu'aux "repas offerts" pour attirer le chaland.
      Votre rapport coût-efficacité (un concept hors de portée?) est remarquable.
      Bien cordialement

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  3. Pas cinquante mais trente sauf si vous vous comptez. Quand au soulèvement comme vous l'avez dit une fois dans votre blog, en fait la majorité s'en contrefout. Et puis il y a vous qui défendez vos petits intérêts et d'autres qui défendent les quelques cours d'eau qui le méritent. Quand à consulter les gens concernés, dans le cas des ouvrages seuls les propriétaires le sont, alors si ils sont ok pour aménager point barre même si ça vous consterne.

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    1. Vous êtes meilleur(e) pour compter les participants à nos réunions que pour compter les espèces dans les biefs et retenues que vous effacez :-)

      Sur le reste, vos arguments sont toujours aussi pauvres et manichéens, les lecteurs jugeront. Que "seul le propriétaire" soit concerné par un effacement d'ouvrage est une ineptie déjà répétée dix fois, tout changement des écoulements (à la hausse ou à la baisse) doit respecter les droits des tiers (pas que le bon vouloir du propriétaire ni de son délégué), les équilibres des milieux et diverses normes santé / sécurité / environnement.

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