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06/06/2018

L'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé 45,6 millions € pour détruire lacs et barrages de la Sélune

Notre association a finalement obtenu la communication des décisions de financement de l'agence de l'eau Seine-Normandie relatives aux barrages de la Sélune. Il en ressort qu'entre 2012 et 2018, l'agence de l'eau a engagé plus de 45 M€ d'argent public pour effacer les ouvrages hydrauliques. Cette somme finance un projet consistant à détruire contre l'avis des 20.000 riverains deux barrages en état de produire de l'hydro-électricité, qui servent également de réserve d'eau potable, de lieux de loisir et de ralentisseurs de crue, tout en évitant l'arrivée d'eaux polluées dans la baie du mont Saint-Michel. Cette gabegie incroyable et ce mépris des habitants sont un cadeau fastueux au lobby des pêcheurs de saumon et à quelques intégristes minoritaires des rivières sauvages, dont l'objectif affiché depuis 30 ans est de détruire le maximum de barrages en France. En plein transition énergétique bas-carbone et alors que l'action publique manque de moyens, Nicolas Hulot laisse faire voire encourage cette absurdité. Le gouvernement a-t-il toute sa lucidité sur ce dossier? Pourquoi tient-il un double discours sur la nécessité d'abandonner les grands projets qui divisent à Notre-Dame-des-Landes mais pas sur la Sélune, renouant avec la duplicité usuelle des dirigeants dont les citoyens sont si las? Le président mesure-t-il l'image donnée, quand il avait promis aux Français un usage juste, intelligent et modéré de la dépense publique? Quand on rogne sur les investissements d'accessibilité des personnes handicapées mais qu'on dépense ainsi à vannes ouvertes sur l'accessibilité des saumons?  Il est temps de stopper cette folie héritée des dérives antérieures de la continuité écologique, folie qui est combattue sur le terrain comme devant les tribunaux.


Pour l'ouvrage de Vézins (Etat maître d'ouvrage), le 16 janvier 2012, l'agence de l'eau Seine-Normandie a signé une convention d'étude préalable à l'effacement (sous forme d'un fond de concours) et une première convention d'aide financière.

Le versement de 1 million € (M€) a eu lieu en deux fois en juin et octobre 2012.

Le 11 février 2014, un second fond de cours a été décidé par l'agence de l'eau pour la poursuite des travaux préalables à l'effacement, suivi le 3 mars 2014 par une autre convention d'aide financière.

Les sommes versées ont cette fois atteint 25 M€ (en juillet 2014 et en juillet 2016).

Pour l'ouvrage de La Roche-qui-Boit (EDF maître d'ouvrage), la commission des aides a donné un avis favorables pour 4 subventions de 38148 €, 94850 €, 19964 €, 392080 €, correspondant à des travaux de préparation du démantèlement du barrage et de l'usine.

Cela représente 545.042 € (0,5 M€).

Enfin en février 2018, l'agence de l'eau Seine-Normandie a décidé de verser :
- un troisième fond de concours à l'Etat pour un montant de 13,5 M€,
- une subvention à EDF de 5,553 M€.

On atteint donc déjà au total la somme exorbitante de 45,598 millions € dépensés pour détruire les barrages et les lacs de la Sélune.

Ces sommes ne prévoient aucune compensation ni aucun projet de substitution dans la vallée défigurée — l'Etat laisse aujourd'hui entendre que ce sera à charge des collectivités locales, qui sont désargentées et n'ont nulle somme importante à investir dans le cloaque que laisseraient les travaux.

La bureaucratie de l'eau dilapide ainsi l'argent public pour effacer des barrages qui
  • produisent une énergie bas carbone,
  • ralentissent les inondations de la vallée aval,
  • forment la principale réserve d'eau potable locale,
  • nourrissent les activités socio-économiques autour des lacs,
  • protègent la baie du Mont-Michel des pollutions.
Mais pourquoi, diront ceux qui découvrent le dossier ?

Cette dépense a pour objectif principal la présence de 1300 saumons supplémentaires alors même que cette espèce circule déjà dans tous les fleuves de la baie du Mont Saint-Michel, dont la Sélune aval. Cette quantité (hypothétique) de salmonidés est remarquablement faible par rapport au coût et aux standards de projets de cette ampleur dans le monde, où ce sont plutôt des centaines de milliers de migrateurs qui sont le cas échéant concernés. L'enjeu écologique est ici assez secondaire, d'autant que la zone amont des barrages est dégradée, sans budget disponible pour la restaurer à ce jour. De plus un repreneur industriel a proposé dans son projet de tester sur 30 ans un transport des saumons vers l'amont, comme cela se pratique en France et dans certains fleuves à saumon dans le monde (voir par exemple Kareiva 2017 sur la Snake River, où le déclin du migrateur a été conjuré). Enfin, un nombre croissant de chercheurs appellent à la prudence sur la gestion des barrages en situation de changement climatique (voir Beatty et al 2017).

Ce grand projet inutile et imposé est principalement un cadeau fait au lobby des pêcheurs et à quelques intégristes des rivières sauvages, cadeau se payant par le sacrifice du cadre de vie de 20 000 riverains ayant dit leur opposition à la casse lors d'une consultation.

En septembre 2018 se tiendra la fête annuelle des barrages. Nous appelons tous ceux qui le peuvent à converger vers la Sélune pour dire leur opposition à cette folie sur le terrain, comme cela est déjà engagé devant les tribunaux.

Image : une rupture de digue lors de la vidange de 2017, DR.

21/05/2018

Encore un "nouveau" Poutès : l'Etat très compréhensif sur les barrages EDF

La Dreal Auvergne-Rhône-Alpes vient de mettre en consultation du public un arrêté préfectoral concernant le barrage de Poutès-Monistrol, sur l'Allier. L'exploitant EDF, qui avait obtenu une nouvelle concession en 2015, a souhaité lui apporter un avenant avec des conditions plus avantageuses d'exploitation. Les pouvoirs publics se montrent intraitables sur le soi-disant impact de moulins pluricentenaires, n'ayant pas empêché les saumons d'être observés en têtes de bassin jusqu'au XIXe et parfois XXe siècle, mais ils font preuve d'une étonnante compréhension quand le propriétaire est un industriel à capitaux publics. Il est vrai que le maintien de Poutès avait été négocié en 2009-2010 en échange du sacrifice des barrages de la Sélune. Car cela se passe comme ça, au pays des bureaucraties opaques…



Le barrage de Poutès  fait partie de l’aménagement hydroélectrique de Monistrol-d’Allier, en Haute-Loire. Il est géré par EDF. Un réseau de trois barrages et retenues est relié à l’usine de Monistrol-d’Allier, exploitant l’eau captée sur l’Ance du Sud (barrages de Saint-Préjet et Pouzas) et sur l’Allier (barrage de Poutès). La hauteur de chute entre la prise d'eau de Poutès et l'usine est de 64 m. Sa production représente l’équivalent de la consommation domestique d’environ 36 000 personnes.

Le barrage de Poutès a une hauteur de 17 m et il est difficilement franchissable par les poissons, malgré des aménagements (ascenseur, passe). Le saumon sauvage de l'Allier a donc un accès limité aux meilleures zones de frayères, qui sont situées vers les sources, en amont du barrage. Sa retenue occasionne des retards en dévalaison, outre la mortalité en turbine.

Depuis près de 30 ans, des pêcheurs et des écologistes contestent l'existence du barrage de Poutès, demandant sa destruction. Ils n'ont pas obtenu gain de cause : lors des négociations ayant présidé au Plan de restauration de la continuité écologique de 2009 et à la Convention d'engagement pour le développement d'une hydroélectricité durable de 2010, il a été décidé de sacrifier les barrages de la Sélune et de conserver ceux de l'Allier.

Concernant Poutès-Monistrol, un accord avait été trouvé dans les années 2010 pour un "nouveau Poutès". Ce projet, matérialisé par l'arrêté préfectoral  du 22 juillet 2015, a d'abord vu l'exécution des travaux repoussée car EDF arguait d'une baisse de ses revenus, elle-même consécutive à une baisse du prix de l'électricité sur le marché européen. Finalement, EDF a demandé un avenant - objet de la consultation publique - pour ce qui est appelé le "Nouveau Poutès Optimisé". En substance :

  • la hauteur du barrage devait être réduite à 3,9 m, elle est remontée à 7 m, 
  • le débit turbiné devait être réduit à 20 m3/s, il est remonté à 28 m3/s, réduisant d'autant le débit du tronçon court-circuité,
  • le dispositif ascenseur et passe est maintenu, et optimisé,
  • le passage libre en dévalaison (sans turbinage) sera garanti 91 jours, sur des périodes non spécifiées pour le moment,
  • des grilles fines passent de 20 à 12 mm.

A l'appui de ses propositions, EDF souligne que le régime temporaire d'exploitation depuis 2016 a permis de faire des études de comportement du saumon. Le fait de surélever le barrage de 3 m par rapport à la concession de 2015 ne change guère la longueur de la retenue (350 à 400 m). L'amélioration pilote de la dévalaison a permis de réduire le temps de passage des juvéniles dévalants de 20 jours à 3,6 heures.

En revanche, la rehausse du barrage devrait diminuer le gain prévu en montaison, puisque les saumons remontants retrouveront un dispositif plus complexe qu'une simple passe à poissons.

La plupart des élus locaux sont favorables au maintien des barrages. Le monde des pêcheurs de saumon et des écologistes est divisé. Certains refusent toujours l'existence du barrage ou souhaitent le voir réduit à une hauteur minimale. Ils critiquent par ailleurs l'idée d'une compensation par le Conservatoire national du saumon sauvage de Chanteuges, considérant que le remplacement du saumon sauvage par du saumon d'élevage dégrade la souche de l'axe Loire-Allier et ne peut apporter de solutions durables. D'autres acceptent le maintien du barrage et, s'ils préfèreraient en soi une rivière sans ouvrages ou autres impacts, considèrent que la salmoniculture apporte au moins un soutien de peuplement sur un axe où le risque de disparition reste élevé. Les considérations économiques et touristiques ne sont pas éloignées des esprits: la pêche au saumon est actuellement interdite en Loire-Allier, mais une hausse démographique liée à l'élevage permettrait de la rouvrir sur certains tronçons. Certaines instances de pêche soutenues par des élus locaux ont déjà avancé des propositions en ce sens.

Pour conclure, nous observons le déséquilibre habituel des instructions de l'Etat. Les mêmes pouvoirs publics qui ont engagé le programme inouï et absurde de destruction des moulins et étangs d'Ancien Régime sur les rivières françaises se montrent bien plus compréhensifs dans la gestion de la plupart des grands barrages, qui ont pourtant un impact nettement plus conséquent et qui ont toujours été au coeur de la littérature scientifique sur la continuité écologique. On ne connaît pas beaucoup de propriétaires privés de site modeste qui pourraient, comme EDF, renégocier avec le préfet les conditions d'existence et d'exploitation de leur ouvrage hydraulique. Dans le même temps, après la première annonce surprise de C. Jouanno en 2009, le gouvernement accorde à la contestation écolo-halieutique et par simple communiqué de N. Hulot la victime expiatoire  de la vallée de la Sélune, deux barrages dont la destruction est envisagée aujourd'hui, au grand dam des 20000 riverains sacrifiés. Mais comme l'avaient observé les biologistes Peter Kareiva et Valerie Carranza, la gouvernance par les symboles n'est pas vraiment ce dont a besoin l'écologie de la conservation. La gouvernance par des arbitrages opaques, arbitraires et contradictoires non plus.

A lire sur le même thème
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Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017)
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)

05/05/2018

Contentieux, manifestation : la bataille de la Sélune est engagée

Le scandaleux projet de destruction des barrages et lacs de la Sélune suscite une opposition croissante. Le préfet de la Manche alterne des propos lénifiants et autoritaires, admettant désormais que le projet "remet en cause un mode de vie", ce qui ne calme nullement la population sacrifiée au saumon. Pendant ce temps-là, le ministre de l'écologie pratique la concertation par communiqués et tweets depuis ses bureaux parisiens, confirmant et amplifiant le mépris des riverains à l'oeuvre dans ce projet depuis ses origines. Un élu local vient de déposer un premier contentieux pendant que l'association des amis des barrages lance une série de manifestations. Nous combattrons les arrêtés de destruction devant les cours de justice, et demanderons la pause des travaux le temps que les juges disent le droit. Donc le gouvernement ferait mieux d'abattre ses cartes au lieu de multiplier des diversions inutiles. 



Le 3 mai 2018, une convention de "suivi scientifique de la renaturation de la vallée de la Sélune" a été signée à Isigny-le-Buat (Manche) entre l'Etat et divers partenaires choisis. Le procédé est quelque peu étrange puisque la seule communication de l'Etat sur ce dossier de "renaturation" est un communiqué lapidaire et méprisant du ministre de la Transition écologique et solaire, ayant suscité la colère des associations, élus et riverains. Nicolas Hulot semble devenu expert de la communication par déclarations et tweets depuis son ministère (ce qui ne va pas vraiment arranger l'image d'un gouvernement perçu comme trop technocrate, trop coupé des citoyens, et en particulier en conflit avec la ruralité...)

Revenons au réel : l'Etat peut toujours multiplier des effets de communication et essayer de faire croire que son projet jouit d'un large soutien au-delà du lobby des pêcheurs de saumon et de quelques alliés de ce lobby, mais on n'efface pas deux barrages sans produire des arrêtés en ce sens. Ces arrêtés seront attaqués en justice, donc le gouvernement serait avisé de procéder dans le bon ordre et de déclarer son projet.

Au cours de la signature de cette convention à Isigny-le-Buat, le préfet de la Manche a admis : "Pour quelqu'un qui a toujours vécu avec ces paysages, c'est assez difficile et je le comprends. Quand vous avez vécu 40 ans avec un barrage, un plan d'eau élargi, forcément, ce type de projet remet en cause un mode de vie et une façon de regarder et d'aborder la rivière. Tout cela est perturbant. Ce qui explique certaines réactions un peu hostiles. Les hommes font aussi partie de ce paysage (activités humaines, agricoles, économiques, etc.). C'est souvent l'inconnu qui fait peur."

En effet, ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée. Mais ce n'est pas "la peur" qui les anime. La destruction des barrages et lacs de la Sélune est critiquée pour des raisons bien précises :
  • ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore,
  • ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
  • ce projet met en danger l'aval et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
  • ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
  • ce projet a des bénéfices très modestes pour le saumon (1300 géniteurs au maximum) et disproportionnés à ses coûts par rapport aux standards internationaux en restauration de continuité migrateurs sur des grands barrages,
  • ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.

Les conséquences ne se font pas attendre.

Bernard Pinel, ex-conseiller général et maire honoraire d'Isigny-le-Buat, a déposé un recours, le 6 avril 2018 au tribunal administratif de Caen (Calvados), contre la décision d'arasement des barrages du sud-Manche.

Par ailleurs, les Amis des barrages (ADB) se mobilisent, le 5 mai 2018 à Ducey. Pour John Kaniowski, président des ADB, "il s'agit de marquer le début d'une série d'actions ponctuelles et brèves visant à montrer notre opposition à la destruction immédiate des barrages de Vezins et la Roche-qui-Boit".

L'association Hydrauxois participera aux contentieux contre les futurs arrêtés de destruction des barrages et lacs de la Sélune dans le cadre du collectif national de défense de la vallée, qui a déjà écrit à Edouard Philippe en mars dernier. Nous appelons toutes nos consoeurs à exprimer leur solidarité avec les riverains de la Sélune, et à participer en septembre prochain à la fête annuelle des barrages pour organiser la résistance aux projets inutiles et imposés de l'Etat.

Illustration: Barrage de Vezins, Christophe Jacquet, CC BY-SA 1.0

07/04/2018

Au préfet de la Manche: désolé d'être "inutiles" et "irréalistes", mais nous refusons la casse de la Sélune

Le préfet de la Manche qualifie d'"inutiles" et "irréalistes" les oppositions à la destruction des barrages et lacs de la Sélune, affirmant que la décision de l'Etat est "définitive" et "irréversible". Pendant ce temps-là, le ministre semble enfermé dans ses bureaux parisiens, avec une inquiétante tendance à l'écologie hors-sol refusant de débattre avec les riverains et usagers. L'Etat-propriétaire adopte la position qu'il veut: encore faut-il qu'il la précise dans un arrêté. Si cette position est la destruction des barrages et des lacs, elle fera l'objet de contentieux judiciaires et, espérons-le, d'une forte opposition parlementaire. Rappelons qu'au prix une dépense estimée à 50 millions € minimum, on détruit deux lacs, un outil de régulation des crues, un outil de production d'énergie propre et bas carbone pour le retour hypothétique de 1300 saumons seulement, un enjeu écologique faible qui pourrait être obtenu par d'autres moyens sur une nouvelle concession de 30 ans. Cela correspond-il aux orientations politiques du gouvernement français sur la rigueur de la dépense publique, l'urgence de la lutte contre le changement climatique, la diversité des écosystèmes, l'écoute des citoyens trop souvent désemparés face à des choix aberrants?


Le préfet de la Manche, Jean-Marc Sabathé, a publié un communiqué le 5 avril 2018 sur la destruction des lacs et barrages de la Sélune. Ce communiqué est introuvable en ligne à l'heure où nous écrivons.

D'après les extraits rapportés par la presse ayant eu le privilège de recevoir l'information officielle de l'Etat français, "la décision de renaturer la vallée de la Sélune après arasement des barrages de Vezins et de la Rochequiboit, est définitive et irréversible (..) Aucun autre projet alternatif ne verra donc le jour. Ni celui porté en son temps par la société Valorem, ni celui de l’association Écologie Normandie qui viserait à construire une usine de production d’hydrogène par électrolyse en lieu et place de l’usine d’EDF de production électrique, qui sera d’ailleurs mise à l’arrêt dans quelques semaines. À la fin de la concession d’EDF, l’État, propriétaire des barrages de Vezins, a clairement décidé de ne pas remettre l’ouvrage en concession et de procéder à son arasement".

Le préfet de la Manche ajoute :

"Il est aujourd’hui inutile de s’accrocher à des projets irréalistes et qui de toute façon ne seront pas mis en oeuvre par l’État propriétaire. Les polémiques sont inutiles et sèment la division. Il convient maintenant d’aller de l’avant, avec un état d’esprit positif, dans la sérénité et le rassemblement de la population autour d’un très beau projet environnemental, innovant et porteur de nouvelles activités de pleine nature pour la vallée de la Sélune".

Le projet de Valorem (que nous avons diffusé en ligne) n'avait rien d'irréaliste à l'heure où de nombreux projets d'énergie renouvelable sont soutenus sur tous les territoires et où des barrages bien moins importants que ceux de la Sélune sont remis en exploitation. L'Etat a fait un choix purement politique, pour satisfaire certains acteurs et lobbies, avec une tentative de rationalisation a posteriori.

L'Etat choisit l'avenir du site dans le cadre de sa propriété de l'ouvrage, mais cette décision doit faire l'objet d'un arrêté préfectoral. Elle a un impact sur les milieux, les tiers, les risques, ce qui ouvre droit à sa contestation devant la justice. Cet arrêté, les élus et associations de la Sélune, comme plusieurs associations nationales dont Hydrauxois, l'attendent. Le préfet de la Manche et le ministère de l'écologie dont il se fait le porte-parole savent très bien que le projet de destruction des barrages se heurtent à une opposition massive, qui aura des conséquences judiciaires. Plus de 100 élus de la Manche ont déjà rappelé à Nicolas Hulot leur attachement au site.

Cette opposition, ainsi que le coût exorbitant de l'opération, avait conduit Ségolène Royal à geler l'hypothèse de la destruction et à chercher d'autres solutions. Nicolas Hulot a annoncé par simple communiqué en novembre 2017 le changement de doctrine de l'Etat. Cette manière de faire est évidemment une provocation de la part d'un ministre que l'on ne voit jamais sur le terrain et qui semble pour le moment prendre ses décisions dans le vase clos des concertations limitées à des technocraties et des ONG parisiennes. Ainsi, 50 élus et associations ont saisi Edouard Philippe pour l'alerter sur ce dossier qui semble géré avec légèreté voire mépris de la part de son ministre d'Etat en charge de la transition écologique et solidaire.

Comme des universitaires l'ont déjà fait observer, le déficit démocratique de ce projet et sa contestation sont des constantes depuis l'origine : le comportement du ministre et du préfet, consistant soit à ignorer purement et simplement les riverains, soit à qualifier de "polémique" leur légitime contestation rendent évidemment impossible une issue apaisée.

Nous disons donc à M. le préfet de la Manche : ce sont les tentatives de diversion ou d'intimidation de l'Etat qui sont inutiles et qui alimentent la division présente depuis 10 ans. Cette division est née d'un projet aberrant, imposé et décrié. Assumez désormais vos positions, publiez votre arrêté et retrouvons-nous devant le juge. Car les citoyens ont peut-être des visions irréalistes et inutiles, mais la République leur donne le droit de saisir la justice et d'interpeller les élus du parlement pour les défendre face aux menées du gouvernement et de son administration.

27/03/2018

Lettre à Edouard Philippe sur les barrages et lacs de la Sélune

Après l'interpellation de Nicolas Hulot par 100 élus locaux, Hydrauxois, les Amis des barrages ainsi que 50 élus et associations ont choisi de saisir le Premier Ministre sur la destruction des barrages et lacs de la Sélune. Les signataires appellent à un ré-examen du dossier dont le caractère conflictuel et contesté rend impossible un choix serein pour l'avenir de la vallée.  La disparition des barrages et lacs présenterait une somme considérable d'inconvénients pour des bénéfices très faibles. Ce n'est pas ce que nous attendons d'un gouvernement élu sur la promesse d'un usage responsable de l'argent public et d'une écoute des citoyens exaspérés par les décisions hors-sol des politiques. 


Monsieur le Premier Ministre,

Dans votre déclaration du 17 janvier 2018 justifiant l'abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, vous avez affirmé :
"les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet (…) un tel projet d'aménagement, qui structure un territoire pour un siècle, ne peut se faire dans un contexte d'opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population. Les grands projets qui ont réussi dans les années récentes (…) se sont tous réalisés (…) parce qu'ils étaient largement portés et acceptés par la population".
Ces paroles de sagesse nous amènent à vous demander l’arrêt du programme de destruction des barrages et lac de la Sélune.

Dans un communiqué en date du 14 novembre 2017 ayant surpris tous les acteurs, le ministère de la Transition écologique et solidaire a annoncé l'engagement du chantier de destruction des barrages de la Sélune. L'effacement du barrage de Vezins était censé commencer dès le printemps 2018, suivi par celui du barrage de la Roche-Qui-Boit. Cette destruction avait déjà été annoncée en 2009 par Mme Chantal Jouanno, puis suspendue par Mme Ségolène Royal en 2014, en raison de la forte opposition locale, du désaccord sur le diagnostic, des informations essentielles manquant lors de l’enquête publique et du coût excessif du chantier.

La destruction de deux barrages et lacs de cette dimension est une opération reconnue comme exceptionnelle et sans précédent en Europe. Nous nous étonnons qu’elle soit de nouveau annoncée par simple communiqué et sans aucune poursuite de la concertation engagée.

Au plan économique et humain, les riverains de la vallée ont déjà dit leur opposition massive à la disparition des lacs et des activités qui leur sont associées (98,89 % d’opposition chez les 19 276 riverains ayant voté à la consultation de 2015), sans que leur voix soit entendue. Les travaux les plus récents des chercheurs en sciences humaines et sociales ont montré que le projet n’a jamais été consensuel depuis sa première annonce, déjà contestée, en 2010. Et que la concertation a été défaillante, sans réel projet de territoire co-construit avec les habitants (voir Germaine et Lespez 2017).

Pour ces habitants, la suppression des barrages et des lacs représente une perte d’activité des installations et activités touristiques en lien direct avec la retenue (gîtes, base nautique, etc.), une perte de retombées socio-économiques pour les collectivités locales, un risque de ne jamais retrouver des activités durables vu le caractère très encaissé de la vallée et des fréquentes inondations rendant difficile l'aménagement des berges.

Cette problématique de la Sélune s’inscrit dans la forte opposition citoyenne à la destruction d’ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique, qui a été constatée par le rapport de décembre 2016 du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Les rapporteurs Alain Brandeis et Dominique Michel y soulignent notamment : «Il paraît en effet aujourd'hui souhaitable de rechercher − et possible d'obtenir ‒ un meilleur équilibre entre les trois objectifs de continuité écologique, de valorisation du patrimoine lié à l'eau et de développement des énergies renouvelables.»

Au plan hydrique et sécuritaire, les lacs (surtout Vezins) représentent la seule réserve d’eau du Sud-Manche, région qui est presque totalement dépourvue de nappes phréatiques. Au regard du changement climatique en cours, de la fréquence des sécheresses et étiages sévères, la remise en cause de cette fonction de réservoir ignore le principe de précaution. Les communes situées à l’aval des barrages soulignent pour leur part leur rôle de limitation des crues modestes à temps de retour fréquent et de retardateur pour les autres, le temps de remplissage des barrages depuis leur cote d’hiver jusqu’à leur cote normale, permettant ainsi de diffuser les alertes et limiter les risques. Les inondations récentes les ont conduites à saisir M. le Préfet de la Manche de la nécessité d’abandonner le projet de destruction.

Au plan énergétique, les deux barrages sont des outils de production hydro-électrique très bas-carbone, et leur destruction en pleine transition énergétique est incompréhensible, d'autant que la France peine à réaliser ses objectifs de baisse des émissions et de sortie progressive du nucléaire. Les barrages en activité représentaient 18 % du parc des énergies renouvelables de la Manche : détruire ce patrimoine industriel utile et en place contredit toutes les déclarations de la France sur la priorité de la lutte contre le changement climatique. La configuration exceptionnelle de deux lacs qui se suivent peut constituer un outil de stockage et de régulation stratégique pour accompagner les productions d’énergies intermittentes. Un industriel a déjà déposé un projet de reprise et de gestion pour une nouvelle concession de 30 ans : il nous paraît indispensable d’approfondir cette option, en concertation avec l’ensemble des collectivités locales concernées.

Au plan écologique, le retour potentiel maximal de saumons sur la Sélune amont a été estimé par les chercheurs à 1300 individus (Forget et al 2014) pour cela le coût minimum de la destruction serait de 57 millions €. Pour autant il existe d’autres solutions, déjà utilisées en France et ailleurs, pour assurer le franchissement d’un grand barrage par des migrateurs. En supposant que le bénéfice saumon de la destruction soit réel, il est relativement négligeable sur la Sélune par rapport aux opérations nord-américaines du même type et de même coût, qui ouvrent la voie à des dizaines ou des centaines de milliers de migrateurs. À échelle de temps de l’écologie (de la décennie au millénaire), la durabilité des retours des saumons sur le bassin atlantique est d’ailleurs incertaine en situation de réchauffement climatique et de modification des routes migratoires. Enfin, les saumons ne résument pas tout le vivant : le bilan global de biodiversité du chantier pourrait être mauvais, car les lacs et zones humides annexes hébergent de nombreuses espèces d’intérêt, dont certaines protégées, et ils remplissent des services écosystémiques d’épuration et de régulation bénéficiant à l’aval et à la baie du Mont-Saint-Michel.

Au plan juridique et politique, un arrêté autorisant la destruction se traduirait par le dépôt immédiat de recours en annulation par les riverains, les professionnels et les associations en subissant le préjudice ou en pointant les manquements au droit, engageant un long cycle de contestation judiciaire et de radicalisation des oppositions que nul ne souhaite.

Pour ces raisons, et bien d’autres qu’il serait trop long de détailler dans ce courrier, nous sollicitons de votre sagesse la mise en place:
• d’un moratoire sur le projet de destruction des barrages de la Sélune,
• d’un groupe de travail pour évaluer les alternatives.

23/03/2018

Barrages de la Sélune: les mauvais comptes de Sébastien Lecornu, qui cache aux citoyens la facture de 53 millions €

Interrogé par le sénateur Jean Bizet, le secrétaire d'Etat à l'écologie Sébastien Lecornu affirme que le projet énergétique de poursuite des activités hydro-électriques des barrages de la Sélune a été écarté par le gouvernement en raison du "coût de soutien public". C'est une provocation puisque le coût minimum du projet de destruction des barrages et des lacs a été estimé par le CGEDD à 53 millions €, pour le bénéfice de saumons déjà présents par ailleurs dans les fleuves de la baie du mont Saint-Michel. Si le gouvernement met en avant le coût public, alors il doit stopper cette destruction absurde. Ce que nous lui demandons.


Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, était interrogé par le sénateur de la Manche Jean Bizet sur l'avenir des barrages de la Sélune.

Le sénateur estime que "sur le plan local, des informations sont régulièrement répandues sur l’existence de projets alternatifs proposés tant par la société Valorem que par l’association Ecologie Normande portant le projet H2 Sélune. Ces démarches troublent nos concitoyens et participent à autant de désinformation au travers de propositions économiques totalement irréalistes" et demande son avis à S. Lecornu.

Le secrétaire d'Etat répond :

"Les ouvrages ne présentent pas de perspectives sérieuses de reprise d’activité de production d’électricité dans des conditions économiquement rentables (…) Le projet Valorem n’a, ainsi, pas été retenu car le coût de soutien public qu’il nécessitait était trop important au regard de l’enjeu énergétique."

S. Lecornu pointe donc le coût public. Qu'en est-il ?

Le groupe Valorem a remis en mars 2016 au ministère de l'écologie une proposition de reprise des barrages de la Sélune, dont on peut consulter la synthèse à ce lien.

Ce rapport reprend notamment les chiffres qui ont été avancés depuis 5 ans sur ce dossier, en particulier les coûts du démantèlement tels qu'ils figurent dans le rapport de 2015 du CGEDD, voir à ce lien.



Le chiffre de 16,6 M€ correspond aux dépenses engagées par l'Etat (maître d'ouvrage) dans le cadre actuel de l'arrêté de vidange et d'auscultation des ouvrages.

On constate que le coût total de la destruction des barrages et des investissements subséquents a été estimé à 53,6 M€.

Donc, l'Etat français choisit de faire payer aux contribuables un surcoût de  35 M€ en vue de détruire des barrages et des lacs qui, rappelons-le :

  • produisent une énergie bas carbone,
  • ralentissent les inondations de la vallée aval,
  • forment la principale réserve d'eau potable locale,
  • nourrissent les activités socio-économiques autour des lacs,
  • protègent la baie du Mont-Michel des pollutions,
  • sont défendus par leurs 20 000 riverains opposés à la casse.

L'objectif de cette dépense est le retour estimé d'environ 1300 saumons supplémentaires, sachant que le poisson est déjà présent sur la Sélune aval ainsi que dans les autres fleuves de la baie du mont Saint-Michel. Sachant aussi qu'il fait l'objet de prédation autorisée pour le loisir pêche, dont le lobby est notamment à l'origine de ce projet de destruction des barrages et des lacs.

Conclusion : le gouvernement valide une gabegie d'argent public au détriment de la solution d'intérêt général, qui est le maintien des barrages. Et il le fait en cachant aux citoyens les enjeux réels derrière le projet.

A lire pour comprendre
Barrages et lacs de la Sélune : stop à la destruction !

09/03/2018

Les Amis de la Sélune, faux-nez du lobby des pêcheurs de saumon

Le collectif des Amis de la Sélune milite pour la destruction des lacs et barrages de la vallée. L'examen de ses adhérents affichés montre qu'il s'agit dans 76% des cas d'associations et fédérations de pêche. Bien loin de s'engager de manière désintéressée pour l'écologie des rivières, il s'agit en fait de gagner des linéaires pour un loisir fondé sur la prédation. On se demande pourquoi certaines associations de protection de la nature se compromettent avec ce lobbying — le même qui essaie en ce moment de faire lever l'interdiction de pêche au saumon sur l'axe Loire-Allier et de poursuivre à grands frais l'alevinage par des souches dégénérées d'élevage. Loin d'être favorable à leur pratique, déjà largement ouverte sur des linéaires bretons et normands, la posture extrémiste de ces casseurs-pêcheurs risque surtout de se retourner contre eux et d'envenimer les rapports avec les riverains propriétaires des berges. Car finalement, pourquoi faudrait-il tolérer ces usagers intolérants et militants de la destruction du patrimoine?



La destruction des barrages de la Sélune n'a jamais été portée avec conviction par le territoire de Sud Manche, ses élus et ses habitants. Depuis le départ, c'est la pression de certains usagers - en particulier, les pêcheurs de saumon en tirant un profit pour leur loisir - qui s'est exercée au sein de la commission locale de l'eau du SAGE et des diverses instances de bassin où ces permanents des structures pêche ont la garantie d'une représentation, contrairement aux riverains. Cette pression a rencontré un écho favorable au sein des bureaucraties publiques de l'eau : Agence de l'eau Seine-Normandie, DDT-M, Dreal, Agence française pour la biodiversité (ancien Onema et Conseil supérieur de la pêche, qui appuie surtout l'halieutisme). Dans les années 2000, le ministère de l'écologie (tutelle de ces services) était à la recherche de quelques sites spectaculaires pour accompagner l'annonce du plan de restauration de la continuité écologique de 2009. Les tractations avec la direction EDF ont conduit à sacrifier les barrages de la Sélune (pas de renouvellement de concession) en échange de reports d'intervention sur le barrage de Poutès dans l'Allier.

Au long de ce processus, un collectif "les Amis de la Sélune" a essayé d'entretenir l'illusion d'une forte demande locale de changement de la vallée par destruction des barrages.

Ce collectif est en réalité porté par quelques associations écologistes nationales ou internationales, ayant une faible base militante, mais surtout par beaucoup de structures de pêche de loisir (ou professionnelle). La plupart de ces organisations reçoivent des subventions publiques et ne sont pas indépendantes du ministère dont elles appuient les décisions : ce chassé-croisé des associations et bureaucraties est évidemment une caricature de dialogue environnemental et de consultation de la société civile. L'examen de l'enquête publique a montré que nombre de soutiens apportés à la destruction étaient extérieurs à la vallée de la Sélune, à la Manche et même à la France (participation organisée de pêcheurs de saumon des quatre coins de la planète). Quand une consultation locale a été organisée en 2015, 99% des 20 000 riverains ayant voté ont refusé la destruction : la soi-disant demande sociale a fait pschitt, la vallée veut garder ses lacs.

Le dernier communiqué de ce collectif des Amis de la Sélune comporte cette précision:
Le collectif « Les Amis de la Sélune » rassemble un grand nombre d’organisations issues de la société civile, en France et à l'étranger, dont :
ANPER TOS - Association Bretonne pour la Pêche à la Mouche - Association Internationale de Défense du Saumon Atlantique – Club des Saumoniers - Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce - Eau et Rivières de Bretagne - European Rivers Network - Fédération de la Manche pour la Pêche et 24 AAPPMA - Federation of Irish Salmon and Sea Trout Anglers - Fédération Française des Moniteurs Guides de Pêche - Fédération Nationale pour la Pêche en France - Fondation GoodPlanet - Fonds Humus pour la biodiversité - L'Hydroscope - Ligue pour la Protection des Oiseaux - Manche Nature - Mayenne Nature Environnement - North Atlantic Salmon Fund - SOS Loire Vivante - Sustainable Eel Group – AAPPMA de l'Elorn (Finistère) - AAPPMA de Pont-Croix (Finistère) - AAPPMA de Pontrieux - la Roche Derrien (Côtes-d’Armor) - Association Régionale des Fédérations de Normandie pour la Pêche et la Protection du milieu aquatique – Association Régionale des Fédérations de Bretagne pour la Pêche et la Protection du milieu aquatique - Vét'Eau Pêche
Or, on voit que 36 associations sur 47 (76,5%) sont en réalité des structures de pêche.

Le message est clair : quelques associations écologistes ont ici servi de paravents à des usagers de la rivière qui ont avant tout pour désir d'étendre une activité de loisir et de prédation, pourquoi pas de développer un business de tourisme international haut-carbone pour que les pêcheurs du monde entier viennent s'amasser sur les rives et traquer une espèce que l'on dit vouloir protéger. (Mais là-dessus il y a loin des promesses aux réalités, comme l'a montré l'exagération des mirifiques perspectives de tourisme halieutique sur la Touques.)

Cette place de premier plan des pêcheurs dans la pression en vue de détruire les ouvrages de la Sélune a été observée dans des travaux de recherche universitaire (voir Lespez et Germaine 2017).

Est-ce un bon calcul? Si les barrages de la Sélune venaient à être détruits - ce qui reste à voir, attendu qu'un front contentieux s'ouvrira contre les décisions préfectorales en ce sens et que la vallée y est fortement opposée -, les pêcheurs de saumon n'y auraient pas forcément la vie tranquille qu'ils espèrent.

D'une part, les propriétaires privés riverains seraient amenés à une réflexion sur la concession du droit de pêche au lobby ayant milité pour détruire leur cadre de vie et les barrages auxquels ils sont attachés (ainsi qu'à une valorisation éventuelle de leur droit de pêche autrement que par concession gratuite à ces AAPPMA et fédérations extrémistes). D'autre part et surtout, une requête en interdiction totale de la pêche du saumon serait déposée - notre association vérifiera dès publication d'un arrêté d'effacement l'engagement du gouvernement sur ce point. Car il ne faut pas prendre les citoyens pour des idiots : on ne va pas dépenser des dizaines de millions € d'argent public et détruire le cadre de vie de dizaines de milliers de riverains pour la protection d'une espèce que l'on dit menacée, puis permettre dans la foulée à quelques milliers de prédateurs de venir la stresser pour leur bon plaisir, nuisant à la recomposition du stock comme à la qualité de l'étude scientifique. Une destruction devrait donc être synonyme d'une interdiction de pêche, et de contentieux si l'Etat s'y refusait.

Les pêcheurs de salmonidés disposent déjà d'importants linéaires pour leur loisir, sur la baie du Mont Saint-Michel (Sienne, Sée, Couesnon, Sélune aval) et la Manche (Saire, Vire) mais aussi sur de nombreux côtiers normands ou bretons. Leur militantisme en faveur de la destruction des barrages de la Sélune contre l'avis des habitants de la vallée relève d'une posture extrémiste et intolérante. Les riverains souhaitant protéger les lacs et barrages n'ont aucune raison de subir sur leurs berges des gens qui propagent ces attitudes de destruction et de division. C'est en manifestant leur refus qu'ils amèneront les pêcheurs à réfléchir et à mieux respecter les autres usages. Et ce qui vaut pour la Sélune doit valoir pour toutes les rivières où des AAPPMA militent aujourd'hui en faveur de la destruction irrémédiable du patrimoine hydraulique.

A lire sur la Sélune
Le déni démocratique
Bassin pollué et dégradé, risques sur la baie du Mont-Saint-Michel
Le gain réel pour les saumons
Le bilan coût-bénéfice déplorable de la destruction des barrages
Pollution génétique des saumons de la Sélune par les empoissonnements
Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

04/03/2018

100 élus de la Manche demandent à Nicolas Hulot de stopper la casse des barrages de la Sélune

En novembre 2017, le ministère de la Transition écologique et solidaire a relancé de manière non concertée le projet contesté de destruction des lacs et barrages de la Sélune, prétendant notamment avoir reçu les élus locaux qui en auraient fait la demande. Près de 100 élus du Sud Manche contestent aujourd'hui cette version des faits, en rappelant l'attachement du territoire aux lacs et aux barrages de la Sélune, ainsi que leur souhait de trouver des solutions non destructrices pour l'avenir du site.



Lettre ouverte des élus du sud de la Manche 
(téléchargeable ici)

Monsieur le Ministre,

Nous avons été très choqués par votre communiqué du 14 novembre concernant le barrage de Vezins: on vous aurait fait croire que tous les élus locaux seraient d’accord avec sa suppression. C’est notoirement faux, pour la très grande majorité d’entre eux, et cette fable risque de porter un grave préjudice au territoire! Il faut que vous sachiez qu’il y a un vrai débat, mais que les habitants du territoire sont très majoritairement en faveur du maintien du lac.

La voie adoptée par Ségolène Royal pour tenter d’organiser une prise de décision sereine a été de commencer par faire appliquer le décret du 11 décembre 2007 qui impose que les barrages fassent périodiquement l’objet d’un « carénage » avec vidange complète – la vidange étant ici conduite par précaution sur un calendrier très étalé. Ce schéma n’a pas été contesté dès lors qu’il subordonnait la suite du débat à l’application des règles concernant la sûreté des grands barrages : à défaut de cette motivation, la vidange du lac aurait certainement fait l’objet de mouvements très négatifs. Si ce décret est bien ce qui s’applique, quelles dispositions pensez-vous prendre pour que les actions classiques de contrôles et réparations qui constituent l’examen de sûreté aboutissent rapidement et dans des conditions de professionnalisme et d’indépendance qui puissent donner confiance tant aux partisans de la suppression qu’à ceux du maintien ?

Si ce carénage confirme le bon état de la structure et permet le rétablissement des 200 hectares du lac, des propositions vous seront présentées pour la continuité écologique, une vraie prévention (protection des biens et des personnes : zones industrielles et d’habitations) des inondations et la gestion de la réserve d’eau mais aussi, si vous approuvez le principe d’une remise en concession, pour l’énergie, directement, via une STEP ou la production d’hydrogène et pour le maintien et le développement de l’emploi dans ce territoire. 

Si en revanche l’ouvrage apparaissait présenter des dégradations sérieuses qui ne seraient pas réparables dans le cadre d’un carénage normal, vous seriez mieux en mesure d’expliquer une décision de suppression même si elle poserait de sérieuses difficultés pour le territoire.

Illustration : Le lac de retenue du barrage de Vezins. Par Ikmo-ned — Travail personnel, CC BY-SA 3.0.

26/01/2018

Après Notre-Dame-des-Landes, Edouard Philippe doit stopper le projet contesté de destruction des barrages et lacs de la Sélune

Edouard Philippe a déclaré à tous les Français qu'un projet d'aménagement ne pouvait se poursuivre s'il est contesté et divise la population concernée. Le gouvernement doit être cohérent et demander au ministre de l'écologie Nicolas Hulot de stopper immédiatement son projet annoncé de destruction de deux barrages et lacs de la Sélune, projet contre lequel les 20 000 riverains se sont exprimés massivement en consultation locale. Ce chantier a un rapport coût-bénéfice déplorable (50 millions € minimum pour 1300 saumons maximum), il détruit des outils de production bas carbone pour la transition énergétique, il anéantit les activités et le cadre de vie de la population locale, il met en danger les zones aval et la baie du Mont-Saint-Michel. L'enquête publique a été réalisée alors que l'on ne disposait pas de tous les éléments d'information. Ségolène Royal avait eu la sagesse de stopper le projet au regard de son coût et de la forte opposition locale. Il existe aujourd'hui un plan alternatif déjà communiqué au ministère de l'écologie, sans que Nicolas Hulot daigne recevoir son porteur. Les riverains et le collectif national de défense des lacs et barrages de la Sélune s'opposeront à cette caricature de concertation et de démocratie.


Dans sa déclaration du 17 janvier 2018 justifiant l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, Edouard Philippe a affirmé :
"les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet (…) un tel projet d'aménagement, qui structure un territoire pour un siècle, ne peut se faire dans un contexte d'opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population. Les grands projets qui ont réussi dans les années récentes (…) se sont tous réalisés (…) parce qu'ils étaient largement portés et acceptés par la population".
Cette déclaration vaut condamnation du projet de destruction des barrages de la Sélune, annoncé de manière brutale et non concertée par Nicolas Hulot le 14 novembre 2017.

Ce projet consiste à détruire deux barrages et leurs lacs sur le fleuve normand de la Sélune, cela afin d'augmenter de 1300 individus la population locale de saumon. Les barrages sont en état de fonctionnement et capables de produire de l'énergie. C'est la plus grande destruction de barrage en Europe, et non un chantier mineur.

Les barrages de la Sélune appartiennent à l'Etat après la fin de la concession EDF, donc le choix revient entièrement à la puissance publique en fonction de l'intérêt général.

La consultation locale de 2016, contrôlée par huissier, a recueilli 19 276 participations avec 98,89% de voix contre la suppression des barrages. La vallée refuse massivement le choix de destruction.

La recherche en sciences sociales a montré que ce projet a été construit de manière très critiquable, avec une faible implication des acteurs locaux et une forte contestation dès la première annonce de destruction en 2010 (voir Germaine et Lespez 2017).

Les 200 hectares de lacs et zones humides en marge des plans d'eau risquent de disparaître, avec la biodiversité lacustre qu'ils hébergent.

Une alternative à la destruction est possible : reprise de la production hydro-électrique, transfert des saumons de l'aval à l'amont comme EDF le fait déjà sur plusieurs sites en France.

Le coût minimum de la destruction a été estimé à plus de 50 millions €, le coût réel global n'est pas sérieusement déterminé à ce jour.

Nous sommes donc dans une situation tout à fait comparable à Notre-Dame-des-Landes :
  • ce projet est conflictuel et rejeté par la population,
  • ce projet a un coût public important et évitable,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement,
  • ce projet a des bénéfices modestes et disproportionnés à ses coûts,
  • ce projet a une alternative viable.
L'Etat doit stopper immédiatement le projet de destruction des barrages de la Sélune, poursuivre l'inspection technique engagée en 2016 et relancer la production sur le site si l'inspection confirme que les barrages ne présentent pas de problème de sécurité.

Toute position contraire serait perçue comme un double langage du gouvernement et un mépris des citoyens avec des arbitrages à géométrie variable. Il produirait donc une farouche résistance, devant les tribunaux comme sur le terrain.

Edouard Philippe a dit qu'il ne voulait plus créer en France les conditions d'un nouveau Notre-Dame-des-Landes : sur la Sélune, ce souhait passe par l'abandon du projet contesté de destruction des barrages et des lacs.

17/12/2017

Premières mobilisations sur la Sélune contre le choix scandaleux de détruire les barrages de la vallée

Riverains et élus locaux de la Sélune ont organisé une première manifestation, pour exprimer leur opposition à la destruction des barrages annoncée de manière brutale et précipitée par Nicolas Hulot. La résistance à la défiguration de la vallée et à la casse des outils de production hydro-électrique s'organise. Elle va monter en puissance ces prochains mois. Hydrauxois y participe et appelle toutes ses associations partenaires à faire de la Sélune le symbole de la résistance populaire aux dérives dogmatiques et dépassées de la politique française des rivières. 

Ils étaient 400 selon la police, 1200 selon les organisateurs pour une première manifestation des riverains s'opposant à la destruction des barrages de la Sélune.

"Nous manifestons pour que l'arrêté préfectoral du 3 mars 2016 soit respecté et contre la décision arbitraire, précipitée du nouveau ministre de l'environnement", a expliqué John Kaniowsky, président de l'association des Amis des barrages (en photo, © Ouest-France). Les élus locaux ont rappelé que cette décision de Nicolas Hulot avait été prise sans aucune consultation des collectivités. Il faut y ajouter que le projet industriel du repreneur potentiel (Valorem) n'a pas été étudié sérieusement par la nouvelle équipe entourant N. Hulot au ministère de la Transition écologique et solidaire.

L'association les Amis du barrage prépare une grande fête de printemps, qui exprimera la mobilisation populaire, locale et nationale pour défendre une vallée menacée par des choix parisiens et opaques, où l'écologie est manifestement un prétexte. Hydrauxois s'y associera. Les associations travaillent également sur le volet juridique, visant d'abord à faire respecter l'arrêté en vigueur de vidange et inspection du site, ensuite et si besoin à requérir l'annulation d'un arrêté de destruction.

Le choix de Chantal Jouanno de détruire les ouvrages de la Sélune en 2009 avait déjà été arbitraire et brutal. La décision de Nicolas Hulot de reprendre ce chantier, annoncée par simple communiqué en pleine COP 23, le fut tout autant.

Rappelons que le projet de Nicolas Hulot sur la Sélune
  • détruit en pleine transition des barrages hydro-électriques capables de produire une énergie bas carbone et locale,
  • anéantit le cadre de vie et d'activités de 30 000 riverains,
  • aggrave le risque de pollution de la baie du Mont-Michel,
  • fait disparaître deux lacs, leurs annexes,leur biodiversité,
  • apporte un gain dérisoire de saumons adultes remontants (1300), gain qui pourrait être obtenu autrement,
  • représente une gabegie d'argent public (minimum 50 millions €) quand le gouvernement exige la rigueur partout et que la transition écologique manque de moyens,
  • a été essentiellement défendu par le lobby de la pêche de loisir du saumon, dont on peut douter qu'il représente l'intérêt général de la vallée comme du pays,
  • a été mené avec un mépris constant de la concertation et de la participation des citoyens, ce qu'ont souligné des travaux de sciences humaines et sociales y voyant un contre-modèle de démocratie environnementale. 

Cette décision de détruire les barrages de la Sélune est une erreur, comme le sont les centaines d'effacements d'ouvrages hydrauliques en France au nom d'une vision dogmatique et dépassée de la continuité écologique. Nous appelons à la mobilisation de tous pour faire cesser cette folie dans les meilleurs délais.

A lire également
Barrages et lacs de la Sélune : pourquoi nous refusons la destruction

29/11/2017

Faut-il détruire les lacs et barrages de la Sélune pour un retour hypothétique de 1314 saumons?

Dès le début des années 2000, le retour du saumon  été présenté comme l'enjeu écologique majeur du projet de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Après 18 mois d'attente, nous avons finalement reçu le travail de 2014 formant à ce jour la seule base scientifique d'estimation de ce retour. Au regard du modèle employé, sur lequel nous faisons ici de premières remarques critiques, on estime que la destruction du site pourrait augmenter de 1314 le nombre de saumons adultes remontant. A titre de comparaison, c'est 2 à 3 fois moins que le nombre de saumons tués par les pêcheurs d'eau douce chaque année en France. Cela pour un coût définitif de travaux sur l'ensemble du bassin qui devrait s'établir quelque part entre 50 et 150 millions €, alors que le saumon est déjà présent dans les autres rivières de la baie du mont Saint-Michel et leurs affluents, comme à l'aval de la Sélune. L'Etat doit clarifier et justifier ses objectifs car ces informations suggèrent que nous sommes devant une dépense totalement disproportionnée au regard des enjeux saumon sur le bassin atlantique et, sur un autre plan, des nuisances sociales induites par ce projet. 

Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
"Les travaux de démantèlement de deux barrages sur la Sélune constituent un cas d’étude unique en regard de l’ampleur des ouvrages hydrauliques concernés (16 et 36 m), au linéaire de rivière actuellement ennoyé (20 km) et au verrou qu’ils représentent pour la circulation des poissons sur le réseau hydrographique. La Sélune (91 km, 1040 km ) est un des quatre cours d’eau de la Baie du Mont Saint-Michel avec la Sée (estuaire commun), le Couesnon et la Sienne. La Sélune est fréquentée par la communauté de poissons diadromes (saumon, truite de mer, anguille, lamproies et aloses) sur un linéaire réduit de son cours principal (14 km) en raison de la présence de ces deux grands barrages depuis 1919. "
Au passage, il est dit que les saumons de la baie du Mont Saint-Michel forment une seule unité : "des études récentes ont montré que les populations de saumon des quatre rivières de la Baie du Mont Saint-Michel appartiennent au même groupe génétique (Perrier et al., 2011) impliquant un certain taux de dispersion et donc d’échanges entre rivières (Perrier et al., 2012)."

Les auteurs rappellent aussi que la destruction d'un barrage n'est pas seulement à analyser comme une restauration, mais aussi comme une perturbation des écosystèmes, cycles biogéochimiques et écoulements en place :
"l’enlèvement des barrages est un outil potentiel fort pour la restauration écologique des cours d’eau, permettant un retour à une hétérogénéité des habitats et à la libre circulation des flux hydro-sédimentaires et des espèces migratrices. Les conséquences globales d’une telle opération sur le milieu peuvent cependant être difficiles à prévoir et à généraliser, qu’elles soient bénéfiques ou non souhaitables (modification des communautés en place, augmentation de la vulnérabilité d’espèces en danger) d’un point de vue écologique. Ainsi, lors de l’arasement du barrage de Fulton sur la rivière Yahara (Wisconsin, USA), des graminées de prairies humides ont remplacé les espèces de roseaux et de carex (American Society of Civil Engineers, 1997), entraînant le déclin des populations de canards et de rats musqués inféodées à ces espèces végétales. L’enlèvement de barrages constitue donc, au même titre que leur installation, une perturbation écologique importante" (nous soulignons).
La décision publique implique donc d'avoir une estimation des coût et des bénéfices écologiques. Leur travail propose d'évaluer le bénéfice pour l'espèce-repère du projet qu'est le saumon.

Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.

Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.

Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.

Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.


Estimation des UPSAT, des smolts et des adultes in Forget et al 2014, art cit, cliquer pour agrandir.

La Sélune aujourd'hui compte 907 UPSAT, il est estimé que ce chiffre montera à 3422 UPSAT après effacement (873 sur le retenues, 1642 sur le bassin amont). On observe au passage que le gain sur les lacs est assez faible (moins d'habitat que dans la partie aval actuellement libre) par rapport aux gains dans les affluents et les zones plus amont du lit principal.

La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).

Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.

Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."

Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.

Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
  • c'est un raisonnement déterministe assez simple (un type d'habitat donnera un volume de production) et dépendant des coefficients que l'on choisit pour le nourrir,
  • il ignore la dynamique du bassin versant en dehors du facteur barrages (en particulier les effets du changement climatique sur la température et le débit, la dégradation sédimentaire et pollution chimique des eaux et des sols du bassin versant, l'évolution des peuplements autres que le saumon y compris les prédateurs de leurs oeufs et juvéniles, etc.),
  • la dynamique du cycle global du saumon n'est pas couplée à ce modèle, en particulier l'évolution de sa phase maritime et les interrogations que l'on a aujourd'hui sur son avenir en Atlantique Nord. 
Pour l'instant, nous constatons que la meilleure estimation pour le gain en saumon adulte remontant serait de 1314 poissons. Cela sans compter les autres espèces amphihalines, mais c'est le saumon qui a été mis en avant pour justifier les travaux (cf Germaine et Lespez 2017).

Selon d'où les acteurs du dossier parlent, ce gain pourra être jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.

Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
  • une estimation consolidée des retours d'adultes avec leur fourchette d'incertitude,
  • une comparaison du gain salmonicole avec les chantiers de même type dans le monde (incluant la dépense économique par unité de saumon remontant),
  • une comparaison des gains de l'effacement avec les gains que procurerait une solution de type prélèvement aval et lâcher amont (hypothèse maintien du barrage), puisque les UPSAT à l'amont des zones ennoyées sont plus importantes que celles des zones ennoyées,
  • une garantie raisonnable que le saumon atlantique fréquentera toujours son aire méridionale en situation de changement climatique.
Sur un autre plan, nous demanderons à l'Etat d'engager une réflexion sur l'interdiction de la pêche au saumon atlantique sur l'ensemble des bassins français, comme cela se fait déjà en Loire-Allier. La Fédération du saumon atlantique, alarmée par la baisse des retours sur l'Atlantique Ouest (Groendland, Etats-Unis, Canada), a appelé cet été 2017 à un débat urgent sur la nécessité de réguler davantage ou interdire le prélèvement de pêche de loisir et vivrière, au regard notamment des problèmes du saumon dans sa phase océanique. Ce questionnement doit aussi concerner la France. Continuer à prélever pour un simple loisir une espèce menacée (en particulier dans sa zone méridionale, où elle risque de disparaître en premier au cours de ce siècle) et une espèce faisant l'objet de lourds investissements publics ne paraît pas une position très justifiable, tant pour l'écologie du saumon que pour l'équité des efforts demandés aux usagers des rivières.

Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.

27/11/2017

L'introuvable étude sur le potentiel saumon de la Sélune

Depuis un an et demi, l'association Hydrauxois tente sans succès d'obtenir l'étude scientifique ayant estimé le potentiel de retour du saumon sur la Sélune, citée dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE sur lequel s'appuie le ministère de la Transition écologique et solidaire. Pourquoi cette entrave dans l'accès aux informations, alors que le retour du saumon est censé être le premier intérêt de la destruction des barrages et que le débat démocratique a été confisqué depuis 2005 sur ce dossier? Au regard de l'échec relatif des travaux de restauration sur les autres fleuves à saumons de la baie du Mont Saint-Michel et du coût majeur du chantier de la Sélune, quels sont exactement les bénéfices écologiques attendus?

[edit 29-11_2017 : suite à la parution de cet article, nous avons enfin reçu l'étude... 18 mois après la première demande! Nous la rendons accessible à tous à ce lien]

Le 7 avril 2016, dans le cadre de la rédaction de ses premiers articles sur le dossier de la Sélune, l'association Hydrauxois a écrit le message suivant au laboratoire ayant étudié le potentiel salmonicole de la rivière.
"Votre laboratoire a publié en 2014 une étude sur le potentiel salmonicole de la Sélune, mais, sauf erreur, cette étude est impossible à télécharger sur le site INRA et n'a pas été versée sur les portails eaufrance.fr. 
Référence :FORGET, G. NEVOUX, M. RICHARD, A. MARCHAND, F. BAGLINIERE, J.-L., 2014. Estimation des capacités de production en saumon du Bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de La Roche-Qui-Boit. Projet Sélune - Pôle Gest-Aqua 
Serait-il possible d'en avoir copie ou lien d'accès ?"
Notre interlocuteur nous explique que la publication est en diffusion restreinte, que ses données ne sont pas complètement validées et qu'une publication scientifique dans une revue internationale indexée est attendue pour les prochains mois.

Nous prenons acte. Le temps passe, aucune publication ne paraît, et Nicolas Hulot annonce brutalement la prochaine destruction des barrages de la Sélune. Nous relançons donc les auteurs pour avoir des nouvelles : il nous est répondu que la publication est non disponible et ne le sera pas dans un proche avenir.

Nous demandons donc de nouveau à recevoir l'étude de 2014, qui est après tout la seule citée dans les documents publics. Sans succès à ce jour.



Pourquoi cette étude est-elle importante ? 

D'une part, dans le rapport d'expertise CGEDD-CGE 2015 sollicité par le ministère de l'écologie, ce travail de 2014 est la seule référence citée en appui de l'intérêt salmonicole des effacements, (p. 92). Il est étonnant que l'Etat s'appuie sur des données non disponibles au public.

D'autre part, et nous y reviendrons de manière plus détaillée, le public ignore qu'il y a en réalité 4 rivières à saumon se jetant dans la baie du Mont-Michel: la Sienne (92,6 km), la Sée (78,1 km), le Couesnon (97,8 km) et la Sélune (84,7 km). Non seulement la Sélune n'est pas le fleuve le plus long, mais d'autres rivières ont fait l'objet de tentatives de restauration pour le saumon qui ont donné des résultats mitigés, malgré des alevinages massifs des pêcheurs. Il est donc important de comprendre les raisons pour lesquelles la Sélune aurait un intérêt particulier et un potentiel important.

Enfin, ces études sont réalisées sur fonds publics et tout citoyen devrait y avoir accès, même si les résultats sont provisoires.

Il apparaît donc urgent que l'on dispose de toutes les pièces pour juger de l'intérêt du projet. Nous constatons pour le moment que les établissements de recherche et les services publics ne permettent pas l'accès à l'information, ce qui déroge aux conditions démocratiques normales du débat sur l'environnement.

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15/11/2017

Barrages et lacs de la Sélune : stop à la destruction !

Stupeur. Colère. En pleine COP 23, alors qu'il vient de renoncer à la réduction du parc électronucléaire telle qu'elle fut votée par la loi de transition énergétique de 2016 et que la France est en retard sur ses objectifs climatiques, Nicolas Hulot annonce par communiqué la destruction des deux barrages hydro-électriques de la Sélune. Une incohérence complète. Mais aussi un mépris total pour les dizaines de milliers de riverains des lacs ayant exprimé leur opposition à la disparition de leur cadre de vie. Le motif de cette destruction est le retour hypothétique des saumons dans une rivière par ailleurs reconnue comme polluée, et dégradée morphologiquement dès l’amont sur les zones de frai. D’autres options pour le saumon sont possibles. L'association Hydrauxois encourage les habitants de la vallée à protéger les ouvrages de la destruction par tous les moyens démocratiques à leur disposition. Elle appelle tous les amoureux des patrimoines hydrauliques de France et d’ailleurs à manifester leur solidarité financière et militante pour le combat qui s’annonce. Nous participerons au contentieux contre les décisions de l'Etat et à la mobilisation citoyenne pour défendre les sites menacés.



Dans un communiqué en date du 14 novembre 2017, le ministère de la Transition écologique et solidaire vient d'annoncer l'engagement du chantier de destruction des barrages de la Sélune. L'effacement du barrage de Vezins est censé commencer dès le printemps 2018, suivi par celui du barrage de la Roche-Qui-Boit.

La décision de Nicolas Hulot est inacceptable pour les raisons suivantes :

  • elle a été prise de manière brutale, sans concertation avec les acteurs, poursuivant la déplorable habitude d’une soi-disant « écologie » autoritaire et punitive imposée depuis Paris,
  • les habitants riverains de la vallée ont dit leur opposition massive à la disparition des lacs et des activités qui leur sont associées, sans que leur voix soit entendue,
  • les deux barrages représentent des outils de production hydro-électrique très bas-carbone, et leur destruction en pleine COP23 est une véritable provocation, d'autant que la France s'avoue incapable de tenir son programme de sortie progressive du nucléaire comme de déploiement des éoliennes très contestées en ruralité,
  • le retour des saumons sur la Sélune a été d'abord porté comme une exigence du lobby de la pêche de loisir, ce qui ne correspond en rien à un intérêt général mais illustre l’écoute anormalement attentive d’intérêts particuliers par les ministères successifs de l’écologie,
  • à échelle de temps de l’écologie (de la décennie au millénaire), la durabilité des retours des saumons sur le bassin atlantique est incertaine en situation de réchauffement climatique et de modification des routes migratoires,
  • pour un coût considérable de plus de 50 millions €, quelques milliers de saumons retournants sont attendus, soit un bénéfice négligeable par rapport aux opérations nord-américaines du même type qui ouvrent la voie à des dizaines ou des centaines de milliers de migrateurs,
  • il existe des méthodes non destructrices pour déjà tester la capacité des saumons à coloniser l'amont, comme celles utilisées par EDF sur plusieurs rivières françaises,
  • le bilan global de biodiversité du chantier serait mauvais, car les lacs hébergent de nombreuses espèces d’intérêt, dont certaines protégées, et ils remplissent des services écosystémiques bénéficiant à l’aval et à la baie du Mont-Saint-Michel.

On trouvera ci-après un rappel sommaire des coûts et nuisances associés à la destruction des ouvrages, y compris au plan environnemental.

La réponse à cette nouvelle dérive autoritaire du ministère de la Transition écologique et solidaire doit être claire : les barrages et lacs de la Sélune sont devenus une zone à défendre.

M. Nicolas Hulot ayant soutenu les riverains en lutte à Sivens ou à Notre-Dame-des-landes, il comprendra sans peine la mobilisation résolue dont sa décision va faire l’objet, sur le terrain, dans les médias et devant les tribunaux.

Nous appelons l'ensemble des citoyens à soutenir les actions qui seront menées par les habitants de la vallée, et dont nous vous tiendrons informé.

En concertation avec les acteurs locaux, l'association Hydrauxois travaille dès à présent à la préparation d'un recours en justice contre cette décision inacceptable.



Effacement des ouvrages de la Sélune, 
un bilan coût-bénéfice très mauvais

Les avantages de l'effacement des ouvrages de la Sélune sur le retour de 3000 à 5000 saumons doivent être mis en balance avec ses effets négatifs, qui sont bien plus nombreux. En voici une liste probablement non exhaustive (la plupart sont dans l'étude Artelia 2014).

Economie
  • coût considérable pour la dépense publique (minimum 50 M€)
  • perte d’activité des installations touristiques en lien direct avec la retenue (village de gîtes du Bel Orient, base de Mazure, parc de l'Ange Michel, etc.)
  • perte de retombées socio-économiques pour les collectivités locales destinataires de la taxe foncière et professionnelle liée aux barrages
  • risque de ne jamais retrouver des activités durables vu le caractère encaissé de la vallée (au droit des retenues) et des fréquentes inondations rendant difficile l'aménagement des berges
  • risque de coûts supplémentaires et conséquents si le saumon trouve des eaux trop polluées et trop fragmentées, des habitats trop dégradés pour coloniser efficacement la tête de basin et le chevelu amont

Energie et climat
  • perte d'une production d'énergie hydroélectrique en place (18% du parc des énergies renouvelables de la Manche), qui a le meilleur bilan carbone en zone tempérée (25 GWh/an, émission de 7 g éqCO2/kWh en comparaison des 45 g éqCO2/kWh de l’électricité produite en France)
  • émissions de gaz à effet de serre (GES) supplémentaires en contradiction avec la lutte contre le réchauffement climatique (émission lors de la phase travaux, perte de la fonction puits carbone de la retenue, perte du productible énergétique bas-carbone et fin prématurée du cycle de vie de l'équipement, coût carbone de la reconstruction d'un productible équivalent, à durée de vie moindre que des barrages)

Sécurité, services et régulation
  • fin de l'écrêtement des crues les plus fréquentes et de la prévention des inondations aval (ralentissement de la cinétique des crues)
  • reprise d'érosion régressive, fragilisation des berges, risque de glissements de terrain en amont du barrage lors de la phase de vidange et au-delà (disparition des pontons, cabanons et autres bâtis d'aménagement)
  • disparition de la réserve d'eau et de son captage (43 communes)
  • risque sur l'approvisionnement durable en eau (hydrogéologie du socle ne permettant pas de grands aquifères, pollution de l'alternative Beuvron, changement climatique et baisse tendancielle des débits)

Environnement
  • destruction d'une zone humide à intérêt majeur de préservation et régulation de la ressource en eau, en situation de changement climatique et hydrologique
  • perte de la fonction d'épuration chimique de l'eau polluée par les activités amont
  • risque de pollution des eaux et berges à l'aval, risque de "marée verte" sur la petite baie du Mont Saint-Michel
  • risque de propagation d’espèces invasives et pathogènes associés
  • réduction de zones favorables aux espèces des milieux lentiques (brème, brochet, gardon, carpe, perche, sandre, tanche)
  • disparition de la réserve d’habitats que peut constituer la retenue en période de très basses eaux dans le cas d'un cours d’eau soumis à des étiages sévères
  • destruction de l’alimentation des zones humides dans les zones déprimées en fond des vallons
  • mortalité d’une partie de la ripisylve de la retenue du barrage dont les racines seront exondées
  • destruction des conditions favorables au développement du phytoplancton et de certaines macrophytes, disparition des vasières et des espèces inféodées à ce milieu (limoselle aquatique, scirpe à inflorescence ovoïde, léersie faux-riz) 
  • perte d'habitat et nourrisserie pour l'avifaune, dont certaines espèces protégées (hirondelle de fenêtre, bergeronnette des ruisseaux, chevalier guignette, grèbe huppé, héron cendré, grand cormoran, bouscarle de Cetti, martin pêcheur d’Europe, troglodyte mignon, bondrée apivore, pic épeichette)
  • perte d'habitat pour les amphibiens et urodèles (grenouille agile, crapaud commun, salamandre tachetée, triton palmé), risque de disparition de certains insectes protégés (gomphe semblable)
  • menace sur les colonies de chiroptères (petit rhinolophe, murin à oreilles échancrées, murin de Daubenton) 
  • risques environnementaux et sanitaires liés aux processus d’érosion et de lixiviation en cas d’une contamination des sédiments exondés
  • bénéfice saumon très faible (5000 individus mxi, à comparer au retour de 500.000 migrateurs espéré sur l’opération similaire de l’Elwha aux Etats-Unis)
  • poursuite d'une vision déjà datée et contestée de la "renaturation" par retour à une référence naturelle, alors que les rivières sont des phénomènes hybrides à co-évolution biologique et sociale, avec des biodiversités acquises dans les zones artificialisées offrant des habitats d'intérêt faunistiques ou floristiques 

Société, mode de vie et gouvernance
  • modification non désirée et non concertée du cadre de vie des riverains
  • disparition d'un des seuls plans d'eau de pêche aux carnassiers et blancs de la région (usage majoritaire des 1600 adhérents des associations de pêche locale)
  • disparition des activités festives et sportives liées aux retenues
  • perte du patrimoine industriel local lié à l'existence des barrages
  • opposition quasi unanime de la population de la vallée à la fin imposée des ouvrages, image négative de la "continuité écologique" comme mesure antidémocratique et peu rationnelle

02/11/2017

L'échec de la destruction des barrages de la Sélune et ses enseignements (Germaine et Lespez 2017)

L'effacement des barrages de la Sélune, décidé par l'Etat français en 2009, devait être le plus ambitieux projet européen de démantèlement de grands ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique. A ce jour, c'est un échec puisque l'Etat a reculé face à la vigoureuse opposition des habitants de la vallée, pour une cause devenue un symbole national des pro- comme des anti-barrages. Deux chercheurs français reviennent sur les étapes de ce projet et analysent les raisons de son échec actuel. Ils soulignent que l'excès de technocratie et de distance dans la décision, le retrait de porteurs politiques convaincus de l'intérêt pour la population, l'indifférence à la dimension sociale des ouvrages hydrauliques et des retenues, l'absence de forum où les citoyens peuvent réellement exprimer leur avis et co-construire une vision, l'ancienneté des artificialisations de rivières en Europe occidentale expliquent la difficulté de ce type de restauration. Un diagnostic confirmant celui que porte notre association sur l'ensemble de la continuité écologique "à la française". Quand les décideurs vont-ils entendre le message et repenser la base démocratique de cette question des ouvrages hydrauliques? 


Marie-Anne Germaine (U. Paris Nanterre, Laboratoire LAVUE UMR 7218 CNRS) et Laurent Lespez (U. Paris Est Créteil, LGP UMR 8591 CNRS) ont déjà publié plusieurs travaux sur les rivières de l'Ouest de la France. Les deux chercheurs ont suivi depuis près de dix ans les acteurs et les débats de l'effacement de deux barrages normands, et ils livrent dans la dernière livraison de Water Alternatives une analyse de l'ensemble du processus.

La Sélune est un fleuve côtier d'une centaine de km, se jetant dans la baie du Mont Saint-Michel. Son bassin versant de 1083 km2 est rural (60 hab/km2). Le débit moyen à l'exutoire est modeste, 11m3/s. Le paysage de ce bassin versant est assez commun dans l'Ouest de la France, si ce n'est la présence de deux grands barrages construits dans les années 1920 sous la direction de A. Caquot : Vézins (propriété de l'Etat), haut de 36 m, et la Roche-Qui-Boit (propriété d'EDF), haut de 16 m. Ces barrages produisent de l'énergie.

En 1993, une vidange à fin de curage s'est mal déroulée et a ouvert une querelle entre les communes de Saint James à l'amont et Ducey à l'aval. Une large quantité de sédiments (200 000 tonnes) a été envoyée à l'aval, ouvrant un questionnement politique sur les pratiques de gestion. Des bloom algaux (cyanobactéries) et des eaux parfois impropres à la consommation dans les retenues des barrages ont renforcé ce débat.

La création d'une association du bassin de la Sélune (1996), puis le lancement d'un schéma d'aménagement et de gestion de eaux (SAGE, 1997) ont conduit à s'interroger sur l'avenir des barrages. Dès cette époque, notent les cherheurs, "parmi les représentants de l'Etat, l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) étaient les acteurs les plus ambitieux pour la protection de l'environnement aquatique".

En 2005, la commission locale de l'eau du SAGE a pris la décision d'un démantèlement des barrages, mais le fort absentéisme et la complexité procédurale à respecter ont jeté une suspicion sur la légitimité de ce vote. Au niveau national, le Grenelle de l'environnement (2007), produisant notamment les Trames vertes et bleues (2009), a retenu la continuité écologique parmi les thèmes consensuels entre le gouvernement de l'époque et les ONG.

Sur place, une association nommée les Amis de la Sélune a été organisée pour la promotion de la destruction des barrages et le retour à un profil naturel d'écoulement favorable aux saumons. M.A. Germaine et L. Lespez soulignent toutefois la dimension nationale voire internationale davantage que locale de cette mobilisation : SOS Loire Vivante, France Nature Environnement (FNE), Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO), European River Network, Sustainable Eel Group, North Atlantic Salmon Foundation, World Wide Fund (WWF) se sont associés pour lancer le mouvement.

L'association les Amis des barrages rassemblait quant à elle depuis les années 1990 les habitants soucieux de développer des activités festives et culturelles autour des lacs. A compter du milieu des années 2000, cette association est devenue le fer de lance de l'opposition à la destruction du cadre de vie de la vallée, sensibilisant des élus locaux et nationaux à sa cause.

Le 13 novembre 2009, la secrétaire d'Etat à l'environnement a annoncé le non-renouvellement de la concession par l'Etat et le projet de démantèlement. Un comité de pilotage a été organisé sous l'autorité du préfet et des services déconcentrés (DDTM), mais sa légitimité a été contestée en raison de l'exclusion de certains élus locaux et de la difficulté à intégrer le public dans le processus d'élaboration du projet. Une première proposition de démantèlement et ré-aménagement, d'un coût de 20 millions €, a donné lieu à une enquête publique. Les avis favorables ont été de 53% sur les 4500 répondants, mais la plupart envoyés par e-mail, et par des personnes non résidentes au bord des lacs. En réponse, un vote local a été organisé par les Amis du barrage et les élus locaux en 2015, affirmant avoir recueilli 19276 suffrages et 98,89% d'avis négatifs pour la destruction.

Ce conflit a pris une dimension nationale lorsqu'un député est parvenu à intéresser la ministre de l'écologie en 2014 et 2015, alors que l'attention se portait sur la préparation de la COP21, donc sur les énergies renouvelables telles que les barrages menacés de destruction les incarnent. La ministre a fait des déclarations dubitatives sur le coût du projet (ré-évalué entre temps à 50 millions €) et a reçu favorablement l'idée d'une reprise énergétique par la société Valorem. Un décret paru le 3 mars 2016 a finalement demandé la vidange des lacs, mais sans stipuler l'engagement du processus de destruction.

Ayant rappelé ces faits de manière plus détaillée que nous ne le faisons ici, les deux chercheurs ajoutent quelques observations. Ils utilisent les approches sociologiques en acteur-réseau, incluant notamment des paramètres non humains autour desquels les citoyens agencent des visions d'un monde souhaitable.

Ambivalence des barrages et lacs… - Les barrages et lacs sont les "artefacts" au centre du débat. Pour leurs détracteurs, ils sont dénigrés comme des dénaturations de la vallée, des obstacles aux poissons migrateurs, des eaux stagnantes et polluées contraires à ce qu'est une rivière vivante, des remparts très inefficaces contre les crues, et des coûts de gestion avec des risques de pollutions sédimentaires aval. Pour leurs défenseurs, ils produisent une énergie "verte", sont le lieu de loisirs locaux, forment des étapes à proximité du Mont Saint-Michel (icône secondaire revendiquée par tous) et, à leur manière, abritent une biodiversité de poissons d'eaux calmes et autres espèces de lac. L'eau à leur aval est jugée plus propre que celles d'autres rivières voisines se jetant dans la baie, signe qu'ils auraient un intérêt de qualité de l'eau.

…et des saumons comme marqueurs de biodiversité - Le saumon est l'autre figure non-humaine qui polarise le débat. Aujourd'hui, 1825 de ces grands migrateurs se présentent dans les affluents de la baie du Mont Saint-Michel, dont 325 remontent jusqu'aux barrages de la Sélune. Le potentiel de la rivière restaurée pourrait être de 5000 saumons. L'Agence de l'eau a produit un film avec des représentants de la North Atlantic Salmon Conservation Organisation, suggérant que la Sélune pourrait devenir un "hot spot" international de la restauration écologique à travers l'espèce symbole qu'est le saumon. Mais ces points ont suscité des controverses, la focalisation sur le saumon ne faisant pas l'unanimité. Des élus locaux ont souligné qu'il fallait "partager la rivière" et non pas sacrifier l'homme au saumon. Certains habitants ont mis en avant que la remontée historique des saumons jusqu'aux sources de la Sélune était spéculative. D'autres riverains ont mis en opposition des hypothétiques touristes canadiens ou états-uniens venant pratiquer une pêche élitiste face aux usages locaux des lacs, et notamment la pêche elle aussi appréciée aux poissons blancs ayant les lacs pour biotopes.

Diversité spatio-temporelle des héritages revendiqués - Les acteurs en présence n'ont pas les mêmes temporalités de référence. Les défenseurs du barrage veulent protéger le paysage qu'ils ont connu pour la plupart toute leur vie, un espace artificiel dédié à des loisirs. Les défenseurs de la rivière se réfère à un écosystème idéal et atemporel, où le cours d'eau retrouve des fonctions (transport de sédiments, circulation d'espèces) sans référence particulière à l'histoire humaine. Les eaux stagnantes ou courantes s'opposent comme deux représentations de ce que doit être le site. La restauration d'un environnement naturel est implicitement présentée par l'aménageur public (agence de l'eau, Onema) comme une manière de "construire un futur qui a fait place nette du passé".

Atermoiement de la gouvernance locale - Un dernier trait de l'échec du projet de la Sélune est la faiblesse de la gouvernance, marquée par des interruptions, des incertitudes, des difficultés de dialogue. Entre 2004 et 2009, les acteurs locaux n'ont entrepris aucune action, ce qui a fait perdre sa légitimité à la décision de la CLE du SAGE. En 2009, la présentation du projet comme une ambition nationale, et même internationale, a achevé de délégitimer les représentants publics au niveau local, favorisant la radicalisation d'une partie de la population riveraine contre des décisions venues "de l'extérieur". L'Etat devenu maître d'ouvrage du démantèlement a lui-même envoyé des signaux incertains, ne donnant aucun calendrier clair au cours des étapes de la construction du projet. "L'échec du projet n'était pas simplement dû au manque d'arguments convaincants mais plutôt à l'incapacité de contrôler l'agenda du projet et à produire des leaders et des porte-paroles efficaces. Même dans un pays traditionnellement centralisé comme la France, un cadre légal robuste est une condition nécessaire, mais pas suffisante du succès".

Au final, concluent les chercheurs, "les obstacles au cours de processus de consultation ont été décrits dans de nombreux travaux. Il apparaît que, dans les projets de ce type, la dimension sociale est souvent insuffisamment pris en compte, ou même ignorée (…) de ce point de vue, et en dépit de ses ambitions déclarées, le projet peut difficilement être vu comme exemplaire". Le cas de la Sélune montre ce que les sciences humaines ont observé aussi bien en Scandinavie qu'aux Etats-Unis, à savoir que les destructions de barrage soulèvent de protestations récurrentes sous l'angle du paysage, de la culture, des loisirs, de ce qu'est ou doit être un milieu perçu comme naturel malgré son aménagement.

Autre remarque des chercheurs : la difficulté à légitimer un discours sur la naturalité de la rivière. "Nous savons aujourd'hui que, au cours du dernier millénaire et au-delà, les rivières d'Europe occidentale ont été transformées par l'activité humaine en objets hybrides faits d'éléments biophysiques et artificiels étroitement connectés".

Enfin, les chercheurs soulignent qu'en l'absence d'un forum permettant réellement aux gens de confronter des points de vue pour essayer de parvenir à un projet commun, les oppositions tendent à se radicaliser et tournent à l'affrontement, sans possibilité d'écouter le camp opposé. La connaissance locale comme la connaissance scientifique ne peuvent être méprisées dans ce processus: "le projet de la Sélune était probablement trop technique et trop technocratique, comme l'a montré l'importance de la place prise dans la campagne par l'Agence de l'eau, l'Onema et la DDTM".



Discussion
Nous avons peu de choses à ajouter à l'analyse de Marie-Anne Germaine et Laurent Lespez, le cas des barrages de la Sélune ayant été longuement détaillé dans une précédente série d'articles où certaines de nos observations étaient assez convergentes du constat des chercheurs (outre notre engagement sur cette question dont les universitaires sont exempts, bien sûr). A posteriori, nous y voyons une justification de notre scepticisme sur les dimensions les plus contestables de la réforme de continuité écologique, dont la Sélune est devenue un symbole.

Il nous semble ici intéressant que la communauté savante française, ou du moins une partie d'entre elle, insiste sur la nécessité de problématiser davantage la notion de naturalité et d'ouvrir le débat sur la construction sociale de l'idée de nature. La programmation publique en écologie de la restauration souffre d'un évident déséquilibre, avec une sur-représentation des approches hydrobiologiques et hydromorphologiques de la rivière vue comme un simple fait de nature où la présence humaine serait un accident historique et non un facteur constitutif. Cette mauvaise appréciation tant de l'historicité des rivières que des représentations symboliques de leurs riverains ne peut que provoquer des incompréhensions, en particulier quand les projets sont présentés par avance comme des obligations à l'issue non discutable.

En élément de contexte plus large, il est utile rappeler que la France est marquée depuis plusieurs années par des mobilisations d'inspiration écologiste visant à bloquer des projets d'aménagement (barrage d'irrigation de Sivens, aéroport de Notre-Dame-des-landes, ligne Lyon-Turin, enfouissement nucléaire de Bure, bassines d'irrigation de Charente, etc.). A ces occasions, l'Etat français a fait preuve d'écoute et accepté des reports de plusieurs années, voire dizaines d'années. Le cas de la Sélune (comme des effacements de sites plus modestes) est à front renversé : ce sont des mouvements écologistes qui font pression pour engager la destruction d'un paysage en place (et d'un outil de production d'énergie renouvelable) contre l'avis des populations locales, et avec le soutien de l'Etat. Mais il paraît compliqué pour ces acteurs d'exiger des solutions rapides et autoritaires sur le fleuve normand quand ils reconnaissent voire revendiquent ailleurs la nécessité de prendre du temps pour examiner toutes les objections et pour entendre l'avis des habitants impactés.

La multiplicité de ces conflits locaux souligne aussi la difficulté croissante de la gouvernance verticale et descendante de l'Etat centralisé à construire une acceptation sociale de ses programmations ayant des impacts sur les territoires locaux. Les acteurs intermédiaires – comités de bassin des SDAGE et commissions locales de l'eau des SAGE – ne sont pas ici des instances démocratiques assez vivantes, assez représentatives et assez proches de citoyens pour prétendre remplacer l'Etat central en corrigeant le défaut intrinsèque de concertation. Comment le destin de la rivière peut-il être approprié par ses riverains? La réponse à cette question est sans doute un préalable pour construire de manière moins conflictuelle des projets de territoire autour de ce que nous avons appelé des rivières durables.

Référence : Germaine MA, Lespez L (2017), The failure of the largest project to dismantle hydroelectric dams in Europe? (Sélune River, France, 2009-2017), Water Alternatives, 10, 3, 655-676

Illustrations : © les Amis des barrages, en bas la fête des 80 ans de Vézins.