01/08/2019

L'écologie aquatique face aux nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (Mooij et al 2019)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs ayant développé un modèle du lac Victoria revient dans une publication récente sur la nécessité d'acter la réalité des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par l'humain au fil de l'histoire, mais aussi de prendre en compte les effets de l'Anthropocène sur les dynamiques accélérées du vivant. C'est une tendance de fond en écologie scientifique, s'opposant à certaines visions du 20e siècle qui voyaient la nature comme une référence stable dans le temps et un phénomène susceptible de revenir facilement à son état antérieur après perturbation.  Cette idée est dépassée mais elle irrigue encore des textes de programmation publique, comme la directive cadre européenne sur l'eau. Nous avons besoin d'une révision des concepts et des pratiques en écologie de l'eau.

Les modèles mathématiques sont désormais des outils essentiels pour construire nos connaissances sur les relations complexes de causalité entre activités humaines et impacts environnementaux, afin de les traduire en hypothèses et scénarios de développement durable. Les modèles climatiques en sont un exemple connu. On voit aussi émerger des modèles hydro-écologiques. Wolf M Mooij et ses collègues ont développé à partir de l'étude du lac Victoria le modèle PCLake, d'abord pertinent pour des lacs peu profonds, puis généralisé aux lacs profonds, et en cours d'extension sur des zones humides.

Les auteurs exposent "trois défis majeurs" pour améliorer l'applicabilité de tels modèles d'écosystème aquatique (des modèles écologiques en général) au développement durable en période de changement environnemental mondial :
"Le premier défi découle de la notion selon laquelle si le changement de société entraîne un changement environnemental, il conduira finalement à des réponses adaptatives chez les organismes et les espèces par le biais d'une dynamique éco-évolutive. Deuxièmement, étant donné que chaque espèce résout le 'puzzle adaptatif' d’une manière unique ou peut s’éteindre, cela entraînera de nouvelles interactions entre espèces et une nouvelle dynamique écosystémique. Troisièmement, non seulement les écosystèmes mais aussi les sociétés montrent des réponses non linéaires et parfois hystérétiques au stress, conduisant à une dynamique socio-écologique compliquée. Ces défis sont logiquement organisés selon un axe de complexité qui va des individus aux sociétés entières."
Ce schéma montre que les espèces répondent à des changement selon deux régimes, l'un comportemental (au cours de la vie de l'individu et de la population locale), l'autre évolutif (par micro-évolution faisant bifurquer la trajectoire de l'espèce).


Les auteurs remarquent : "Les systèmes biologiques ont deux mécanismes fondamentalement différents pour s'adapter aux conditions environnementales changeantes: par l'adaptation écologique ou évolutive. Au sein du domaine écologique, les organismes peuvent réagir à des conditions locales changeantes, par le biais de leur comportement et de leur plasticité phénotypique, à des échelles de temps différentes, ou en évitant ces conditions changeantes par le mouvement ou la migration. Les communautés d'espèces peuvent réagir aux conditions locales changeantes en procédant au tri des espèces ou en évitant ces conditions en modifiant leur aire de répartition. Aucune de ces réponses ne nécessite d'évoluer en modifiant la constitution génétique d'organismes ou d'espèces, mais la plupart de ces réponses créent de nouveaux régimes de sélection et peuvent donc conduire à une microévolution. Cette microévolution peut alors à son tour invoquer de nouvelles réponses écologiques conduisant à une dynamique éco-évolutive."

Autre enjeu de l'Anthropocène : les interactions rapidement changeantes entre espèces.


Les chercheurs commentent : "Les interactions entre les espèces dans les réseaux trophiques ont évolué dans des conditions relativement stables de l’Holocène, et se modifieront radicalement en raison des changements rapides de l’environnement mondial dans l’Anthropocène. Par exemple, les espèces envahissent (1), remplacent potentiellement d’autres espèces (2), disparaissent (3), ont des réponses phénotypiques différentielles menant à une inadéquation trophique (4), ou s’adaptent en exploitant une nouvelle ressource (5), toutes conduisant à nouvelle dynamique des écosystèmes."

Un point soulevé par les scientifiques retient notre attention : la dynamique des nouveaux écosystèmes et le changement de paradigme dans la recherche en écologie.

Wolf M Mooij et ses collègues soulignent ainsi : "Reconnaître l'émergence de nouveaux écosystèmes stimulera une nouvelle approche de la gestion et de la modélisation des écosystèmes. Jusqu'à récemment, la restauration écologique était la vision dominante selon laquelle nous devions essayer de préserver autant que possible la biodiversité et les zones naturelles de la Terre qui se sont développées pendant le climat relativement stable de l'Holocène et qui étaient toujours en place au début de la grande accélération. Dans ce paradigme, il semblait logique de centrer nos modèles d'écosystème et de paysage sur la nature telle qu'elle était jadis. Une compréhension complète des changements en cours dans l'Anthropocène a donné lieu à une vision radicalement différente de la restauration écologique et à l'émergence du concept de nouveaux écosystèmes. Les nouveaux écosystèmes font partie de l’environnement et de la niche humains, y compris les zones urbaines, suburbaines et rurales, mais se déploient également là où la plupart des espèces endémiques se sont éteintes, qu’elles soient ou non dues aux invasions d’exotiques. En l’absence d’analogues naturels, les modèles pourraient servir de réalité virtuelle pour estimer ce qui serait possible au sein de nouveaux écosystèmes."

Discussion
Les politiques européennes de l'eau, rassemblées dans la directive cadre européenne 2000, ont introduit voici 20 ans la notion d'un "état de référence" d'une rivière ou d'un lac : ce à quoi devrait ressembler la biologie, la physique, la chimie de la masse d'eau. Cette démarche s'inscrit dans la nécessité pour toute technocratie voulant poser une norme d'avoir une métrique de mesure de la normalité et de l'écart à la normalité. Mais on peut bien sûr se demander s'il existe la moindre "normalité" dans l'évolution du vivant et si le rôle d'une autorité bureaucratique est de statuer sur cette normalité.

Au-delà de sa dimension politique, cette idée de l'état de référence d'un milieu est surtout issue d'une recherche en écologie du 20e siècle qui a été largement dépassée au cours des 3 dernières décennies (lire par exemple Bouleau et ont 2014, 2015; Alexandre et al 2017; Lévêque 2017; Backstrom et al 2018 ; Evans et Davies 2018). Ainsi :
  • l'influence humaine sur le vivant est bien plus ancienne qu'on le croyait, elle est observable dès le néolithique et des milieux perçus comme "vierges", "sauvages", "naturels" ne le sont pas en réalité. Avec des changements globaux comme la modification du régime thermique et hydrologique (changement climatique) ou l'introduction continue de nouvelles espèces sur tous les continents (globalisation), il est manifeste que le cadre ancien de représentation est inadapté à nos réflexions;
  • le vivant est aussi plus dynamique qu'on ne le pensait, il ne tend pas spontanément vers un état d'équilibre stable (le "climax" comme on l'appelait) mais il s'ajuste plutôt en permanence à des changements locaux ou globaux (la vie n'est pas "à l'équilibre" au sens où les milieux que nous voyons sous nos yeux, et qui paraissent parfois stables, répondent en réalité à divers changements déjà impulsés, dont la période d'action va du jour au siècle voire au millénaire);
  • la dynamique du vivant est non-linéaire et non-réversible, l'imaginaire physique du pendule qui revient à son état initial lorsqu'on cesse une action (imaginaire irriguant le modèle "pression-impact-réponse") n'est pas adapté à la réalité biologique et écologique (à la fois parce qu'il y a un très grand nombre de paramètres en interaction dans un écosystème, faisant émerger des réponses chaotiques, et parce que les propriétés biologiques sont capables de mutations, comme si le pendule ne se contentait pas de répondre à une poussée mais changeait sa forme et sa masse selon les poussées).
Les limites de "l'état de référence" et de la "restauration" d'écosystèmes dans un état antérieur sont probablement celles qui s'opposeront aussi en partie à l'objectif de Wolf M Mooij et de ses collègues d'obtenir des modélisations vraiment opérationnelles. On peut certes mieux décrire la complexité, mais de là à la dompter dans un modèle pour affirmer au décideur qu'un état futur d'un écosystème est prédictible, il y a un pas qui éveille notre scepticisme. Nous sommes plus vraisemblablement condamnés à prendre des décisions en situation structurelle d'incertitude sur leurs conséquences dès qu'on s'éloigne un peu dans le temps. Ce qui devrait nous pousser à débattre du régime de ces décisions en écologie, et à y ré-affirmer le rôle premier de la société.

Référence : Mooij WM et al (2019), Modeling water quality in the Anthropocene: directions for the next-generation aquatic ecosystem models, Current Opinion in Environmental Sustainability, 36, 85–95

29/07/2019

Députés et sénateurs engagent la France à développer la petite hydro-électricité

Malgré l'opposition du gouvernement, le sénat et l'assemblée nationale ont appelé la politique énergétique et climatique de la France à "encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Ce choix des élus est une avancée pour la transition bas carbone, avec des dizaines de milliers de sites déjà en place qui sont susceptibles d'être relancés, pourvu qu'ils rencontrent désormais le soutien et non le frein de l'administration en charge de l'eau. Le parlement acte par ce texte les avis exprimés par la commission nationale du débat public lors de la discussion de la programmation énergétique avec les citoyens en 2018, la décision récente de 2019 du conseil d'Etat soulignant que la petite hydro-électricité est d'intérêt général aussi bien les directives de l'Union européenne appelant à développer cette hydro-électricité, y compris des puissances modestes en autoconsommation. Ce choix peut être lu comme un désaveu manifeste (venant après plusieurs autres) de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité en long, alors que de nombreuses solutions permettent de faire circuler des poissons migrateurs sans altérer le patrimoine hydraulique français. La politique de l'eau ne peut plus se permettre d'opposer stérilement l'énergie, la biodiversité, la patrimoine, mais doit les concilier.  


La "petite loi" énergie et climat avait pour but de traduire dans le droit la programmation pluri-annuelle de l'énergie de la France, et ses objectifs visant à la neutralité carbone en 2050. Le respect des accords de Paris demande une baisse des émissions carbone de la France dès 2020, cela de manière soutenue et continue pendant 30 ans. Toutes les ressources en énergie du territoire vont devoir être mobilisées pour relever collectivement ce défi.

Dans l'ultime session d'examen et discussion par la commission mixte paritaire de l'assemblée nationale et du sénat, dont les travaux se sont achevés la semaine dernière, un texte de consensus a été adopté par les deux chambres.

Au terme de ce texte, l'article L 100-4 du code de l’énergie sera modifié de la sorte :
"Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique nationale a pour objectifs (...) 4° D’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité".

La loi sera définitivement votée à la rentrée de septembre, en conformité obligatoire au texte venant d'être adopté en commission mixte paritaire.

C'est un progrès important, puisque l'ensemble des arrêtés de programmations politico-administratives relatives à l'eau et à l'énergie (SDAGE, SAGE, SRADDET, PCET, etc..) devra désormais prendre en compte cette orientation.

Nous remercions vivement les nombreux parlementaires qui ont réclamé et soutenu cette évolution. Nous déplorons que François de Rugy (devant l'Assemblée nationale) et Emmanuelle Wargon (devant le Sénat) aient pris des positions négatives sur cette nécessité de soutenir l'énergie hydraulique, et en particulier la petite hydro-électricité. Il est dommage que le pouvoir exécutif, à nouveau mal conseillé par sa haute administration de l'eau, persiste dans des schémas qui ne sont plus pertinents face à l'évolution des enjeux écologiques et énergétiques.

Ce choix de soutenir l'hydro-électricité est un choix de bon sens :
  • il existe 25 000 sites que l'on peut relancer en France
  • l'hydraulique a le meilleur bilan carbone quand elle se produit à partir de sites déjà en place (avec un minimum de génie civil), 
  • la relance des sites existants (chaussées de moulins et forges, petits barrages, digues, écluses...) ne crée pas de nouveaux impacts sur la rivière, sa morphologie, ses habitats en place, 
  • l'énergie hydraulique jouit d'une bonne insertion paysagère et d'un soutien social, en particulier dans les communes rurales où les moulins sont nombreux.
Le vote de la commission mixte paritaire est un désaveu supplémentaire de l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui se trouve régulièrement contestée, amendée ou contredite par les parlementaires depuis 5 ans, et cela de manière transpartisane à chaque fois. C'est également un désaveu des arbitrages défavorables de l'administration lors des relances de moulins, forges ou autres sites anciens, qui ont été condamnés par le conseil d'Etat en 2019 dans l'arrêt moulin du Boeuf, mais qui sont aussi condamnés à terme par la directive européenne sur l'énergie de décembre 2018, appelant tous les Etats-membres à accélérer et simplifier l'hydro-électricité, y compris en autoconsommation (donc en petites puissances).

Notre pays ne veut pas voir disparaître ses ouvrages hydrauliques, mais les ré-engager dans une trajectoire énergétique et écologique : ce message doit être entendu.

La prime actuelle à la destruction des ouvrages hydrauliques susceptibles de produire de l'énergie est désormais anachronique : la direction de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'écologie, les services instructeurs de l'Etat, les agences de l'eau, les syndicats et parcs en charge de la GEMAPI ont vocation à intégrer rapidement cette approche et à cesser d'accorder des avantages ou des priorités à des solutions visant à démolir les chaussées et barrages. Cette orientation conflictuelle était non seulement contraire au déploiement rapide de la production bas-carbone sur toutes les rivières françaises, mais elle était aussi contestée pour ses nombreux impacts négatifs sur le patrimoine, le paysage, l'agrément, la disponibilité de l'eau, la régulation des crues et étiages, la préservation des milieux aquatiques et humides installés autour des sites anciens.

Les associations et syndicats devront s'assurer après l'adoption définitive de la loi à la rentrée que ces nouvelles directions énergétiques nationales sont suivies d'effet dans la politique de l'eau, en signalant à leurs préfets comme à leurs parlementaires les éventuels freins à la relance de la petite hydro-électricité.

Illustration : le moulin de Lugy, Hauts-de-France, DR

26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)

25/07/2019

La notion de zone humide change dans le droit: il sera plus facile de protéger les plans d'eau et biefs

Le conseil d'Etat avait estimé en 2017 que deux critères cumulatifs (présence d'eau et de plantes d'eau) définissent la zone humide. La loi vient de changer et d'en faire des critères alternatifs (soit de l'eau, soit des plantes d'eau). Nous rappelons que les biefs, canaux, plans d'eau, étangs, lacs sont des zones humides au sens de la loi, à ce titre protégées par elle : leur assèchement sans compensation par chantier de destruction d'un ouvrage hydraulique répartiteur peut (et doit) être attaqué en justice. 


Cette rigole de déversoir de moulin est une zone humide au sens de la loi. La présence temporaire ou permanente d'eau y dépend de l'ouvrage répartiteur sur la rivière (qui alimente le bief, le bief alimentant lui-même la rigole par son déversoir).  

Jadis abondantes, un grand nombre de zones humides naturelles ont disparu sous l'effet des usages urbains, agricoles et industriels des sols. Il en va aussi de même pour certaines zones humides artificielles, comme les innombrables étangs piscicoles ou retenues et canaux d'irrigation qui agrémentaient chaque vallée même modeste sous l'Ancien Régime. Le rapport Bernard de 1996 avait estimé que les 2/3 des zones humides ont disparu entre la fin du 19e et la fin du 20e siècle, surtout après 1945 du fait de la mécanisation (jusqu'à 100 000 hectares de drainage par an dans les années 1980, encore aujourd'hui l'équivalent d'un département artificialisé tous les 10 ans). Les choses ont changé avec leur protection à compter des années 1990.

En droit français, la notion de zone humide est définie dans l'article L 211-1 du code de l'environnement, qui avait été précisée par un arrêté du 24 juin 2008.

Dans une décision récente (22 février 2017, n°386325), le Conseil d’État avait exigé que deux critères cumulatifs (et non alternatifs) soient retenus :
  • terrain habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire;
  • végétation dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année.
Le gouvernement avait acté cette évolution par une note technique du 26 juin 2017.

Votée ce mois de juillet 2019, la loi portant création de l'office français de la biodiversité a, dans l'un de ses amendements, fait évoluer l'article L 211-1 du code de l'environnement. Elle est revenue à la définition alternative de la zone humide :
  • soit la présence d'eau permanente ou temporaire,
  • soit des espèces de plantes hygrophiles.
Nous rappelons à toutes les associations ainsi qu'à tous les propriétaires d'étang et de moulin que cette protection des zones humides s'applique à tous les éléments en eau de leurs biens qui risqueraient d'être asséché de manière permanente et de changer de nature (devenir un milieu sec) du fait d'un chantier de destruction d'ouvrage.

Un syndicat, un parc, une fédération de pêche qui proposerait des mesures de continuité en long menant à réduire la superficie de zones humides, sans proposer dès la phase chantier des mesures de compensation au moins équivalente à la surface des pertes induites, pourra donc être attaqué en justice au motif de non respect du 1-1° de l'article 211-1 du code de l'environnement.

Les grands textes internationaux comme la recherche scientifique en écologie reconnaissent volontiers que des zones humides peuvent être d'origine artificielle et correspondre à des aménagements humains. La rapport Bernard 1994 le disait déjà de manière claire : "les zones humides qui demeurent aujourd'hui en France ne sont pas, pour la plupart, des espaces "naturels" au sens strict du terme: elles sont le fruit des transformations faites par l'homme au cours des siècles dans des buts précis" (p. 55).  Mais l'administration française de l'écologie a parfois des problèmes avec cette évidence, ne montrant trop souvent d'intérêt que pour les écoulements supposés "naturels", poussant parfois à la destruction de milieux anthropiques d'intérêt au principal prétexte qu'ils contreviennent à une "naturalité" assez théorique (quand ce n'est pas une "continuité" devenue dogmatique).

Pour pallier ces interprétations douteuses de la réalité, mettant en danger des zones humides qu'il convient de préserver et non d'assécher, il serait donc utile que les parlementaires réfléchissent à une nouvelle évolution de la loi, en précisant explicitement dans le L211-1 du code de l'environnement que le caractère de zone humide s'apprécie de manière indépendante de l'origine naturelle ou artificielle du site. Mais quoi qu'il en soit, le texte de loi en sa rédaction actuelle permet déjà de protéger toutes les sites en eau de manière permanente ou temporaire, avec ou sans végétation hygrophile.

A lire en complément :
Biefs, canaux et étangs sont des zones humides au sens de Ramsar 
La définition juridique des zones humides 
Les milieux humides et aquatiques sont fragiles… alors cessons de les détruire et de les assécher! 
Les amphibiens et leur protection en France, un enjeu pour les moulins, étangs et plans d'eau 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

23/07/2019

Les solutions fondées sur la nature ont de l'avenir, mais ne seront pas la négation des solutions héritées de l'histoire

On parle de plus en plus des "solutions fondées sur la nature" dans le domaine de la gestion de l'eau. Il s'agit par exemple d'ouvrir des lits majeurs d'inondation pour prévenir les crues ou de restaurer des zones humides pour stocker l'eau. Nous soutenons ces initiatives, qui actent des limites de l'artificialisation excessive des bassins versants au 20e siècle. Mais avec plusieurs réserves de précaution. D'abord, il s'agit d'expérimentation : toute "solution" promue sur argent public doit répondre devant les citoyens de ses résultats et de ses coûts, la "nature" n'étant pas ici un argument suffisant si le service attendu pour la société n'est pas aussi au rendez-vous. Ensuite, la puissance publique française ayant tendance à convertir les approches empiriques en doctrine rigide, on se gardera de toute généralisation avant les retours d'expériences menés avec rigueur et transparence, dans une expertise ouverte aux observations citoyennes. Enfin, certains adeptes des solutions fondées sur la nature se montrent parfois des partisans aveugles de la destruction des solutions fondées sur l'histoire qui ont largement fait leur preuve, en particulier les retenues et diversions d'eau attachées aux ouvrages hydrauliques en place. Face aux risques de crue comme de sécheresse, nous n'avons surtout pas besoin de détruire les héritages du passé qui restent utiles et permettent des gestions de l'eau sur les bassins versants. Par ailleurs, la création de retenues peut aussi rester nécessaire sur certains territoires. Ici comme ailleurs, l'écologie devra être pragmatique, intelligente et inclusive. 


Crue en lit majeur de l'Armançon au niveau de Senailly (21)

Les solutions fondées sur la nature désignent la capacité à utiliser l'environnement naturel et ses écosystèmes pour offrir des services de gestion des risques et de production d'agrément. Les exemples en sont nombreux, comme favoriser la végétation en ville afin de rafraîchir l'atmosphère, créer des dunes pour contenir l'avancée de la mer sur le littoral, planter des forêts pour stocker le carbone en excès ou encore recréer des haies pour éviter l'érosion des sols agricoles.

Dans le domaine de l'eau, plusieurs de ces solutions fondées sur la nature sont promues, par exemple restaurer des zones humides qui servent à stocker et épurer l'eau, outre leur valeur de biodiversité ; permettre des inondations du lit majeur des rivières afin de dissiper des crues et de limiter leur effet à l'aval ; planter des ripisylves pour atténuer l'effet du réchauffement sur la température de l'eau ; végétaliser les bassins versants pour réduire le ruissellement superficiel et l'érosion, etc. (voir Rey et al 2018 ; voir les deux rapports parlementaires en référence en bas de l'article).

Ce concept de solutions fondées sur la nature n'est pas directement scientifique pour le moment. Il a émergé du monde des ONG, sous l’impulsion de l’UICN, lors de la conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements cli­matiques qui s'était tenue en 2009, à Copenhague (voir UICN 2018). L'Union européenne a lancé plusieurs programmes (BiodivERsA 2014, ThinkNature 2018 dans le cadre de la programmation scientifique de l'Union Horizon 2020) pour travailler sur ces solutions fondées la nature, évaluer leurs domaines, leur faisabilité et leur efficacité.

Les solutions fondées sur la nature ont eu rapidement du succès au ministère de l'écologie et dans les organismes administratifs qui en dépendent, comme l'office français de la biodiversité (exemple AFB 2017) ou les agences de l'eau (exemple AERMC 2018). Le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (2018) et le nouveau Plan biodiversité (2018) promeuvent l’utilisation de ces solutions.

C'est à ce point que nous exprimons quelques inquiétudes : l'expérience des dernières décennies montre que le fonctionnement excessivement bureaucratique et centralisé de la France peut facilement conduire à des déboires. Ce qui fut vrai à l'époque des 30 glorieuses dans le sens d'une artificialisation outrancière (soutenue alors par les pouvoirs publics au nom de "la science") pourrait très bien devenir vrai demain sous la forme d'une naturalisation outrancière (toujours soutenue au nom de "la science"). Cette crainte n'est pas théorique : nous en avons de bien tristes exemples depuis quelques années dans la politique aberrante de destructions des moulins et étangs d'Ancien Régime au nom d'une soi-disant modernité écologique. De telles pratiques autoritaires, sous-informées et conflictuelles n'ont pas d'avenir et doivent plutôt servir de contre-exemples sur ce qu'il ne faut pas faire.

On prendra garde ici à un certain "scientisme" écologique qui, ignorant les vertus de l'empirisme et l'examen des solutions concrètes déjà déployées dans le passé, prétendrait ré-inventer l'aménagement du territoire sans esprit critique et sans garde-fou sur la qualité de ses réalisations. Nous devons certes innover, et il est certain que la politique brutale de "correction" des  aléas de la nature au fil du dernier siècle a entraîné des détériorations d'écosystèmes, parfois des effets pervers multipliant les coûts de gestion et les externalités négatives. Les milieux ont besoin d'être protégés, respectés, parfois restaurés. En sens inverse, gardons-nous de l'amnésie ou de la naïveté car la nature laissée à elle-même produisait parfois des désagréments, et ne suffit pas à elle seule à satisfaire les attentes de la société. A cela s'ajoute que les experts eux-mêmes, quand on prend le temps de lire attentivement leurs travaux, admettent la grande incertitude des connaissances (voir le travail Inra-Irstea 2016 sur l'effet des retenues, par exemple) et donc l'inanité qu'il y aurait à propager des propos définitifs sur les avantages ou les inconvénients de chaque option. L'humilité et l'honnêteté intellectuelles sont de mise pour construire les politiques publiques, le premier enseignement de la science étant la complexité du réel et la difficulté à anticiper les conséquences à long terme de nos actions.

Les solutions fondées sur la nature visent avant tout à être des "solutions". A ce titre, elles doivent donner lieu à des expérimentations suivies d'évaluations.

L'évaluation du rapport coût-efficacité : les solutions fondées sur la nature occupent un certain espace et demandent des chantiers d'aménagement, parfois de suivi dans le temps et de ré-intervention pour corriger des erreurs ou des dégradations de fonctionnalité. Cela a des coûts qu'il convient d'estimer et de mettre en regard de leur efficacité à atteindre l'objectif assigné. Par exemple, il s'agira de définir le volume d'eau réellement retenu par une zone humide lors d'une crue (toute personne vivant au bord de la rivière constate que dans les périodes de crues par accumulation, les sols sont vite gorgés d'eau, donc la capacité de rétention des lits majeurs est saturé, ce qui demande évaluation précise en gestion des risques).

Le respect de la concertation sociale : la simple invocation de la nature ne suffit nullement à créer du consensus, car les solutions fondées sur elle ont aussi des coûts, des contraintes, des impacts sur les riverains. Il peut être difficile de faire accepter des inondations de terrains, même si elles ne sont pas permanentes comme dans le cas d'un barrage (voir par exemple le suivi instructif de chantier relaté et analysé dans Riegel 2018).

Le pragmatisme sans dogme : on observe avec perplexité que certains défenseurs des solutions fondées sur la nature peuvent aussi se faire les idéologues du refus de toute autre solution (par exemple France Nature Environnement). Or, au regard des prévisions de changement climatique, notamment dans le Sud et l'Est de la France déjà soumis au stress hydrique chronique, les stratégies d'adaptation doivent rester ouvertes et ne pas sacrifier des territoires au nom de positions intransigeantes. Une écologie trop dogmatique produit des résistances évitables et nourrit finalement des retards sur des solutions consensuelles et faciles à implanter.

La conservation des (bonnes) solutions fondées sur l'histoire : les solutions fondées sur la nature sont des pistes prometteuses qui méritent l'exploration et l'expérimentation. Mais elles ne doivent pas conduire à la négation des solutions héritées de l'histoire qui ont déjà fait amplement leur preuve en matière de prévention des inondations et de gestion des sécheresses. C'est notamment le cas de tous les ouvrages de retenues présents en France, que l'on se gardera de détruire alors que le changement hydroclimatique ouvre une période d'incertitude forte sur l'avenir de l'eau, avec nécessité de préserver les outils de gestion adaptative des rivières et des bassins versants (voir Beatty et al 2017, Clifford et Hefferman 2018Tonkin et al 2019). Il est de ce point de vue navrant de lire que certains valorisent des fonctionnalités des zones humides naturelles (retenir plus longtemps l'eau, charger des nappes, écrêter des crues, épurer des intrants) tout en dévalorisant par pur dogmatisme des fonctionnalités parfaitement identiques dans des hydrosystèmes artificiels créés par nos ancêtres.

Prétendre tout casser ici et tout reconstruire ailleurs, ce serait encore une politique de l'hubris qui oublie le besoin de sobriété et d'économie des moyens propre à la transition écologique.

A lire aussi 2 rapports parlementaires récents
Rapport d'information sur la ressource en eau, Adrien Morenas et Loïc Prud’homme
Terres d'eau terres d'avenir. Sur les zones humides, Frédérique Tuffnell et Jérôme Bignon


Sur la rivière Armançon, le barrage de Pont-et-Massène a une capacité de stockage de 6 millions de m3 d'eau, permettant de gérer les crues et les étiages. 

22/07/2019

La Romanée réduite à des flaques d'eau au droit de l'ancien étang de Bussières

En cet étiage 2019, la Romanée au droit de l'ancien étang de Bussières (89) n'est plus qu'une suite de flaques d'eau chaude qui s'évaporent, dans un lit mineur incisé. Les anciennes zones humides s'assèchent peu à peu. En comparaison et à ce même étiage, un étang à 2 km de Bussières conserve plusieurs hectares d'eau pour le vivant. L'achat et la casse de l'étang de Bussières ont été payés sur argent public (agence de l'eau Seine-Normandie) versé à la fédération de pêche de l'Yonne au motif de favoriser les truites (on n'en voit plus guère sur les cailloux) et les zones humides (elles régressent ici à vue d'oeil). Nous avions demandé à l'agence française pour la biodiversité (AFB-OFB) un inventaire faune-flore des marges et de la queue de l'étang, situé en ZNIEFF de type 2 avec les plans d'eau comme milieu d'intérêt: aucune suite. La digue a été détruite sur simple déclaration sans enquête publique, sans étude d'impact, sans même un affichage local malgré les subventions publiques, et sans garantie évidemment d'étendre des zones humides, ce qui motivait ces subventions. Le cas est en contentieux à la cour d'appel de Lyon. Il faut arrêter ces gabegies contraires à l'intérêt général et détruisant les atouts écologiques des écosystèmes anthropisés.


Participez à notre enquête sur les retenues, plans d'eau, canaux, biefs mis à sec au nom de la continuité écologique. Partout où des effacements d'ouvrages ont éliminé des canaux, baissé la nappe et asséché des zones humides, fait chuter la lame d'eau de retenue au point de menacer la vie aquatique locale, le documenter et nous le rapporter (photos, vidéos des zones à secs et des effets sur le vivant) si possible avec éléments de comparaison par rapport à l'état antérieur. Un dossier en préparation sera envoyé à tous les parlementaires pour que cesse la mise à sec de la France par destruction des moulins, étangs, barrages et autres retenues.

21/07/2019

Excédés par le dogme de la continuité, les Amis de la Sèvre nantaise remettent symboliquement la vanne disparue

La destruction des ouvrages ou la dépose forcée des vannes au nom de la continuité écologique a pour effet de mettre à sec les canaux latéraux, d'éliminer les retenues, d'abaisser les lames d'eau. C'est une absurdité en période de changement climatique où il faut conserver le maximum d'outils locaux de gestion des niveaux, essayer de retenir l'eau toute l'année mais aussi étendre – certainement pas diminuer – la surface offerte au vivant aquatique au fil des saisons. Les Amis de la Sèvre nantaise ont mené une action symbolique en remettant pendant quelques instants une vanne sur un ouvrage condamné à la disparition. Nous les en félicitons et nous appelons les riverains à se mobiliser ainsi partout en défense des biens communs menacés. L'administration d'Etat, les agences de l'eau, les syndicats et parcs en charge de la gestion de rivière doivent stopper les destructions du patrimoine hydraulique et repenser la continuité écologique autrement que sous l'angle dogmatique et simpliste de la "renaturation". 



Communication des Amis de la Sèvre Nantaise :

Les Amis de la Sèvre Nantaise et affluents ont organisé un rassemblement pour sensibiliser le public au fait que nos gestionnaires de rivières veulent les détruire, sous le prétexte de l'interprétation française d'une loi européenne sur la "continuité écologique".

TV Sèvre et Maine (télé par internet), Ouest France, L'Hebdo de Sèvre & Maine, ces trois médias ainsi qu'une trentaine de pêcheurs, riverains, et curieux étaient présents, nous avons démontré que le manque d'eau par l'ouverture des vannes, bientôt la destruction des chaussées, ne pouvait être que défavorable pour l'environnement et à la rivière.

Nous demandons expressément à ceux qui gèrent notre patrimoine de respecter les conclusions suivantes.

Le 19 juillet 2019 par cette action symbolique de remise en place de vannes sur la chaussée du Pé de Vignard à Le Pallet (44330) nous demandons officiellement à Monsieur Xavier Rineau 1er adjoint de la commune, ainsi qu’à l’administration qui gère notre Sèvre Nantaise et ses affluents (l’EPTB) :

1) De remettre en place les vannes sur les deux chaussées de la Sèvre, pour le maintien du niveau de l’eau en haut surtout en période d’été.

2) De ne pas détruire, ni araser, même partiellement nos deux chaussées, comme il est prévu à court terme.

3) D’entretenir ces chaussées et leurs moulins, et d’améliorer en installant des micros centrales électriques.

4) D’entretenir les abords, les rives, les lits des rivières ce qui devrait être la fonction primordiale des personnes qui gèrent notre patrimoine.

Les Amis de la Sèvre nantaise et affluents



Pour aller plus loin
Participez à notre enquête sur les retenues, plans d'eau, canaux, biefs mis à sec au nom de la continuité écologique. Partout où des effacements d'ouvrages ont éliminé des canaux, baissé la nappe et asséché des zones humides, fait chuter la lame d'eau de retenue au point de menacer la vie aquatique locale, le documenter et nous le rapporter (photos, vidéos des zones à secs et des effets sur le vivant) si possible avec éléments de comparaison par rapport à l'état antérieur. Un dossier en préparation sera envoyé à tous les parlementaires pour que cesse la mise à sec de la France par destruction des moulins, étangs, barrages et autres retenues.

20/07/2019

Malgré des milliards d'euros dépensés chaque année, pas d'amélioration dans la liste rouge des poissons menacés en France

Neuf ans après un premier état des lieux, la mise à jour de la Liste rouge des espèces menacées montre une situation toujours préoccupante pour les poissons d’eau douce dans l’Hexagone: sur les 80 espèces du territoire, 15 y apparaissent comme menacées de disparition si les tendances continuent. Le bilan s’aggrave même : 39 % des espèces sont désormais "menacées" ou "quasi menacées" contre 30 % en 2010. Ces observations posent question, à l'heure où la France dépense chaque année plus de 2 milliards € d'argent public pour l'amélioration de l'eau et des milieux. La situation des poissons migrateurs s'est aggravée pour certains d'entre eux, malgré les sommes considérables mobilisées pour la continuité en long. Ce qui devrait conduire à un audit des politiques publiques de l'eau: en écologie comme ailleurs, il convient de comprendre les conditions d'efficacité des dépenses, de réalisme des objectifs et de ciblage des actions. Outre la liste rouge UICN, l'état écologique et chimique au sens de la directive européenne DCE 2000 reste lui aussi dégradé dans plus de la moitié des masses d'eau. 

Précision liminaire : nous avons demandé aux services de l'UICN et du MNHN l'accès à des données de synthèse par espèces et bassins, mais celles-ci ne sont pas disponibles. Nous le regrettons, il est souhaitable que de telles données d'écologie soient plus facilement accessibles et consultables par les citoyens.

Le tableau ci-dessous montre les espèces considérées comme les plus vulnérables (catégorie VU vulnérable, EN en danger, CR en danger critique). On observe que les tendances sont stables ou à la baisse, notamment pour les poissons migrateurs.

(cliquer pour agrandir)

Ce second tableau précise les tendances significatives 2010-2019 en amélioration (un cas) ou en dégradation (3 cas) :

(cliquer pour agrandir)

On observe 2 migrateurs amphihalins dans les dégradations (grande alose, lamproie marine).

Au cours des quinze dernières années, les agences de l'eau ont dépensé de l'ordre de 2 milliards € par an. Environ 10 à 20% de ces dépenses (selon les bassins et les années) sont dédiées à la morphologie des cours d'eau et bassin, notamment la restauration d'habitats. L'insistance sur la morphologie s'est développée à partir du début des années 2000, après adoption de la directive cadre européenne sur l'eau. Le Plan d'action pour la restauration de continuité écologique (PARCE 2009) et le classement des rivières au titre de la continuité écologique (2011-2012) ont notamment entraîné une redirection importante des moyens financiers vers la question de la continuité en long, avec de nombreuses destructions d'ouvrages ou constructions de dispositif de franchissement.

L'hypothèse selon laquelle une perte d'habitats est la meilleure explication de déclin d'une espèce doit conduire à observer la hausse de la population de cette espèce quand l'habitat est restauré ou rendu accessible.

Pour l'instant, l'effort réalisé par les agences de l'eau sur le volet morphologique et notamment la continuité en long ne se traduit pas par de tels résultats, alors que le temps de génération des poissons (annuel ou quelques années pour les migrateurs) aurait pu permettre des évolutions déjà observables sur deux décennies de restauration physique. Plusieurs hypothèses :
  • les données IUCN et MNHN ne sont pas complètes,
  • les choix des agences de l'eau ne sont pas efficaces,
  • le temps de réponse des populations est long, 
  • la restauration / dépollution locale est sans effet majeur tant que le bassin reste dégradé de la source à l'estuaire.
On ne peut pas trancher entre ces hypothèses, notamment par manque de données (parfois par manque de convergence des modèles traitant les données). La recherche scientifique en écologie a déjà de nombreuses fois alerté sur le fait que les restaurations des milieux ont des résultats ambivalents, et qu'elles produisent rarement un retour à l'état antérieur (voir cette synthèse ; voir les références en fin d'article).

Parmi les facteurs autres que la morphologie / l'habitat pouvant expliquer les variations de poissons, on connaît notamment :
  • les pollutions eaux et sédiments, dont eutrophisation,
  • les toxiques (repro-, géno-, neuro-) affectant les organismes,
  • l'excès de prélèvement de l'eau,
  • la surpêche et le braconnage,
  • le changement climatique (températures extrêmes, assecs, crues),
  • le cycle océanique des espèces migratrices (en partie lié au climat),
  • l'apparition d'espèces invasives et/ou concurrentes,
  • le développement d'espèces protégées mais prédatrices (loutre, cormoran etc.),
  • les variations stochastiques (aléatoires).
Hélas, comme nous l'avions fait observer, il existe pour le moment assez peu de données d'entrée sur les variations historiques de long terme (fourchette de variabilité naturelle et forcée des populations de poisson) comme sur le suivi de l'intégralité des impacts (permettant de hiérarchiser ces impacts, éventuellement de confirmer ou infirmer certaines hypothèses).

Aussi devrait-on se garder – comme le font parfois l'IUCN, MHNN et l'AFB dans leur communiqué – d'avancer telle ou telle causalité. En particulier, alors que l'on dépense des centaines de millions € par an pour détruire des ouvrages, construire des passes à poissons, récréer des habitats et frayères sans résultat significatif observable (du point de vue des mesures de la Liste rouge), une certaine prudence s'impose sur des assertions trop généralistes.

Source : UICN-MHN-AFB (2019), La Liste rouge des espèces menacées en France. Poissons d’eau douce de France métropolitaine (pdf)

A lire en complément

Poissons des rivières : les mauvais diagnostics produisent des mauvais remèdes 
L'alose, l'Onema-AFB et le bassin Dordogne-Garonne
Loire-Allier: retour du saumon sauvage et échec des politiques de renaturation

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19/07/2019

Pendant que nous subissons le changement climatique, le gouvernement entrave encore la relance des moulins à eau et flatte les abus de pouvoir

Dans le cadre de l'examen de la loi "énergie et climat", plusieurs sénateurs (dont Mmes Loisier et Sollogoub en Bourgogne) avaient déposé des amendements pour promouvoir l'autoconsommation et la petite production hydro-électrique. Emmanuelle Wargon les a refusés au nom du gouvernement, tout comme François de Rugy un mois plus tôt avait tenté (sans succès cette fois) d'empêcher à l'Assemblée nationale un amendement posant la nécessité de soutenir la production hydro-électrique dans tous les territoires. Aux origines de ce blocage incompréhensible en période de transition énergétique: encore et toujours le dogme de la continuité écologique. Nous publions ici l'échange entre le sénateur Olivier Cigolotti (Haute-Loire) et la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon. Il en ressort que la secrétaire d'Etat à l'écologie se permet d'ignorer le droit européen, le droit français et la jurisprudence du conseil d'Etat en prétendant que l'administration pourrait le cas échéant dissuader des relances selon le productible du site concerné. Quand le sommet de l'Etat affiche ainsi l'exemple d'un abus de pouvoir, le dérèglement de son autorité est une conséquence prévisible. 

La continuité écologique désignait au départ la nécessité d'aménager et gérer quelques ouvrages sur des rivières à poissons migrateurs. Devenue sur-dimensionnée, elle est en train de pourrir en profondeur la politique des rivières, car un quarteron de hauts fonctionnaires et de lobbies souhaite en réalité détruire purement et simplement les ouvrages au nom d'un idéal de retour à la rivière sauvage : il est impossible pour eux d'accepter le moindre usage de sites qu'ils veulent voir disparaître. Tant que cette volonté maladive de destruction - jamais vue dans aucune autre gestion de milieu naturel hors celle de la rivière - et cette négation de la gestion équilibrée de l'eau ne sera pas clairement condamnée par le gouvernement, aucun des représentants du ministère de l'écologie n'aura la paix, ni à son sommet, ni sur le terrain. Les associations et les collectifs vont maintenir la pression judiciaire, politique et médiatique sur le sujet, d'autant plus fortement que la promesse trahie d'une "continuité apaisée" s'accompagne en réalité d'une poursuite des provocations et des effacements de site.



Extrait de la séance du 16 juillet 2019

"M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 861, adressée à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Olivier Cigolotti. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur la relance énergétique de la petite hydroélectricité. Celle-ci peut produire, notamment à travers les petits ouvrages anciens, l'équivalent de la consommation électrique, hors chauffage, de près de 1 million de foyers.

Pourtant, en France, certains choix de continuité écologique ont conduit à privilégier la destruction de sites de petite hydroélectricité et de barrages, au lieu de les équiper de passes à poissons, quand cela est nécessaire. A contrario, la Commission européenne a souligné, dès 2012, que ces aménagements devaient être des choix de première intention.

La recherche en écologie a montré que les retenues, les plans d'eau, les canaux et les zones humides, qui font partie des annexes hydrauliques, notamment de nombreux moulins, ont des effets positifs sur la biodiversité, s'agissant des végétaux, des insectes et des oiseaux, ainsi que de certaines variétés piscicoles.

Le choix français actuel paraît donc une option profondément contestable, sur le plan tant écologique qu'énergétique ; il témoigne, encore une fois, d'une surtransposition excessive des règles européennes.

De plus, équiper les sites de petite hydroélectricité, au-delà de la production d'une énergie propre, non carbonée et locale, permet un investissement dans plusieurs filières d'emplois non délocalisables, telles que les bureaux d'études, les installateurs-réparateurs et les turbiniers. Cette activité bénéficie notamment aux territoires ruraux, où les moulins sont les plus nombreux, à l'instar de mon département, la Haute-Loire.

Les chercheurs estiment que, aujourd'hui, environ 25 000 moulins à eau pourraient être relancés sur le territoire français, qui a le plus gros potentiel de l'Union européenne. Face aux contentieux soulevés par les choix français et au blocage de nombreux projets, une nouvelle politique publique s'impose.

Madame la secrétaire d'État, quelles avancées législatives et réglementaires le Gouvernement envisage-t-il pour mettre en œuvre le potentiel de la petite hydroélectricité en facilitant les procédures administratives ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Cigolotti, François de Rugy, qui ne peut être présent au Sénat ce matin, m'a chargée de vous répondre.

La petite hydroélectricité contribue à l'atteinte des objectifs énergétiques nationaux et au développement économique des territoires. Elle est soutenue via un arrêté tarifaire, ainsi que des appels d'offres périodiques lancés par le ministère de la transition écologique et solidaire. Dans ce cadre, le ministère a annoncé, le 26 juin dernier, la désignation de treize projets lauréats dans le domaine de la petite hydroélectricité.

Il faut toutefois souligner que, compte tenu de la taille et de la puissance de ces installations, elles ne pourront jouer qu'un rôle limité dans l'atteinte des objectifs nationaux. Or la multiplication de ces installations sur les cours d'eau peut avoir, par effet de cumul, des incidences importantes.

M. Laurent Duplomb. Ah ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. En effet, les seuils fragmentent les cours d'eau, empêchant plus ou moins fortement le déplacement des espèces nécessaire à l'accomplissement de leur cycle de vie. Ils peuvent en outre ralentir les eaux, qui se réchauffent alors plus vite l'été, perdent de l'oxygène et créent des habitats de milieux stagnants favorisant des espèces incompatibles avec le bon état des cours d'eau.

Le développement de la petite hydroélectricité doit donc se faire de façon compatible avec le bon état des cours d'eau, qui est également un objectif de politique publique, au service du développement de la biodiversité.

M. Laurent Duplomb. Comment faisait-on avant ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. Afin de limiter les impacts environnementaux, la priorité est donc donnée à l'équipement des seuils existants encore non équipés en hydroélectricité ou à l'amélioration d'installations hydroélectriques existantes.

Le développement de la petite hydroélectricité devra être sélectif et faire l'objet d'une réflexion à l'échelle du cours d'eau sur la proportionnalité des impacts par rapport à la production électrique générée.

C'est pourquoi les nouveaux projets font l'objet d'une instruction et de prescriptions adaptées au titre de la police de l'eau. Par ailleurs, certains cours d'eau font l'objet d'une protection toute particulière en raison de leur sensibilité ou de leur importance environnementale.

M. Laurent Duplomb. Dogmatique !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. De nombreux échanges ont lieu actuellement entre les directions du ministère et les acteurs de la filière afin d'orienter ces derniers vers les projets les plus vertueux, tout en limitant les contraintes administratives qui peuvent peser sur les exploitants, et faciliter la réalisation des projets.

En particulier, un groupe de travail sur la continuité écologique piloté par mon administration et sous l'égide du Comité national de l'eau a élaboré un plan d'action qui s'est traduit notamment par la publication d'une note technique destinée aux services instructeurs visant à prioriser la restauration de la continuité écologique et à mieux prendre en compte l'ensemble des enjeux, en particulier énergétiques.

C'est donc dans la conciliation de ces deux objectifs de politique publique qu'aura lieu le développement de la petite hydroélectricité."

La secrétaire d'Etat donne le mauvais exemple de l'abus de pouvoir
Emmanuelle Wargon affirme qu'il faut analyser les impacts au regard de la production électrique générée, impliquant que son administration pourrait juger de la recevabilité d'un projet en vertu de sa puissance.

Cete position est :
  • contraire au droit européen (directive 2018/2001 sur l'énergie renouvelable) qui intime aux Etats-membres d'encourager l'autoconsommation, y compris en hydro-électricité, 
  • contraire au droit français (aucune loi énergétique ne stipule une condition de puissance dans la lutte contre le réchauffement ; les ouvrages autorisés et disposant d'un droit d'eau ont tous la possibilité de produire de l'énergie sans considération de hauteur, débit, puissance), 
  • contraire surtout à la jurisprudence récente et commentée du conseil d'Etat (CE 2019 arrêt n° 414211 "moulin du Boeuf", ayant précisé clairement que la puissance d’un site n’est pas un argument opposable dans son instruction administrative de relance).
La continuité écologique devient un dogme politique qui permet aux plus hauts représentants de l'Etat de brimer la relance des énergies bas-carbone, de proférer des approximations juridiques devant la représentation nationale, d'encourager leur propre administration à l'abus de pouvoir.

Quant à la désignation des seuils comme posant tous les problèmes du monde, elle est devenue une caricature. On parle le plus souvent de moulins et d'étangs qui sont présents depuis des siècles, bien avant que les prélèvements, pollutions et artificialisations à haute dose des 30 glorieuses - ainsi que la construction de certains grands barrages - ne commencent à entraîner des déclins de certaines populations aquatiques et des perturbations dans le cycle de l'eau.

Ce gouvernement comme les précédents est incapable d'empêcher la moitié des rivières françaises d'être chimiquement polluées et non-éligibles au bon état au sens de la directive européenne sur l'eau, exposant la France au risque de lourdes amendes dans quelques années. Il est incapable de limiter les émissions carbone et donc le réchauffement progressif des eaux dont il dit se plaindre du fait des ouvrages, préférant casser des moulins mais aussi des grands barrages producteurs comme sur la Sélune. Il accorde ses préférences à quelques lobbies élitistes et minoritaires de pêcheurs de salmonidés en rivières sauvages (bien loin de représenter tous les pêcheurs), ignorant la réalité et la complexité de la biodiversité (ne se limitant pas aux espèces d'eau vives ni même aux espèces endémiques désormais), méprisant toutes les dimensions attachées aux ouvrages (énergie, paysage, patrimoine, culture, usages riverains).

Qui avait parlé de "continuité apaisée"?

15/07/2019

Enquête sur les assecs induits par les destructions d'ouvrages (moulins, étangs, canaux): nous avons besoin de votre participation!

Alors que le gouvernement vient de demander un inventaire des zones humides de France et de faire du maintien de la ressource en eau une priorité nationale, les chantiers de destruction de moulins, étangs, canaux conduisent à des pertes de milieux aquatiques et humides ains qu'à des régressions du vivant. Mais cette réalité, physiquement évidente vu l'effet d'une destruction, est niée par les gestionnaires ayant conduit ces chantiers et par certains experts administratifs ayant prétendu à leur nécessité comme à leurs bénéfices. A l'occasion de l'étiage, nous demandons à nos lecteurs et aux associations correspondantes d'aller documenter sur leur région ces assecs induits par des choix de continuité en long, afin de nourrir un dossier qui sera transmis d'ici la fin de l'année aux élus et décideurs. Aucun chantier de continuité induisant des pertes de surface en eau et des pertes de milieux aquatiques ou humides ne doit plus être engagé en France tant que ce sujet n'est pas étudié sérieusement et contrôlé par les autorités (défaillantes) en charge de l'eau et de la biodiversité.



La destruction des digues d'étangs et des seuils de moulin a de nombreux effets secondaires sur l'eau et sur les milieux annexes des ouvrages : disparition des retenues, abaissement local de la nappe, assec estival ou permanent des biefs et des milieux humides attenant à ces biefs.

Ce schéma en expose le principe :


(cliquer pour agrandir ; vous pouvez télécharger et utiliser l'image librement pour votre communication locale)

Effacer des ouvrages revient à supprimer des milieux aquatiques et humides, alors même qu'en situation de changement climatique, la capacité à retenir l'eau partout sur les bassins versants est définie comme stratégique pour chaque territoire. Au demeurant, la plupart des arrêtés sécheresse des préfets demandent de maintenir fermées les vannes des moulins, étangs, usines, afin de préserver localement la lame d'eau.

Car la suite risque d'être difficile sur certains territoires :



Parce qu'une vision dogmatique refuse encore de reconnaître l'existence et la valeur de certains écosystèmes d'origine anthropique (moulins, étangs), ces réalités sont aujourd'hui niées, euphémisées ou mises de côté par l'Office français de la biodiversité (ex AFB, ex Onema), par les services techniques des agences de l'eau et par les gestionnaires publics (syndicats, EPCI-EPTB). Nous devons donc documenter nous-mêmes ces faits, afin de donner l'alerte et de demander aux décideurs l'arrêt d'une politique coûteuse et aberrante de destruction des milieux aquatiques anthropisés.

Nous demandons en conséquence à tous les volontaires de :

  • repérer dans votre secteur des chantiers de continuité ayant conduit à des destructions;
  • aller sur site en fin d'étiage (août-octobre) pour faire des vidéos et photos de l'état des milieux ayant perdu de l'eau (les retenues, les marges et queues d'étang, les biefs et déversoirs de moulins, les zones humides annexes qui étaient alimentées par des ouvrages, les prairies et ripisylves qui étaient nourries par nappe affleurante, etc.);
  • nous faire parvenir les documents avec indication rivière, lieu;
  • si possible, estimer la surface en eau qui a été perdue du fait du chantier;
  • si possible, joindre des photos ou vidéos des mêmes milieux en eau, pour comparaison.


Ce travail est d'autant plus nécessaire qu'à la clôture des assises de l'eau, le gouvernement vient de demander à l'OFB de procéder à un inventaire des zones humides en vue de programmer la protection de la ressource en eau en France. Ce travail n'aura aucune valeur scientifique et technique si l'OFB persiste à ignorer l'existence de centaines de milliers de retenues, canaux, zones humides latérales qui proviennent des écosystèmes d'origine humaine. Nous avons donc besoin de réaliser rapidement un dossier complet d'information afin de prévenir ce déni.

La recherche scientifique internationale en écologie reconnait aujourd'hui l'intérêt des milieux aquatiques anthropisés (Chester et Robson 2013, Beatty et al 2017Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018, Tonkin et al 2019),  et cette recherche insiste sur le fait qu'il n'y a pas de milieu "négligeable" quand on s'attache à maintenir la biodiversité locale (bêta et gamma notamment).

Nous ne pouvons donc pas continuer en France avec une expertise administrative qui est restée sur des concepts et des priorités datant des années 1980. En tant que citoyens et associations, nous ne pouvons pas non plus accepter la disparition de l'eau et de la vie dans ces milieux au nom des approches destructrices de la continuité écologique, alors que des solutions "douces" de continuité en long sont disponibles et évitent les conséquences négatives.

Nous vous demandons de participer à votre niveau à cette enquête et de nous faire parvenir votre documentation. Merci d'avance de votre mobilisation pour l'avenir de l'eau, du vivant et des ouvrages!

Illustrations : en haut, bief de l'Ource à sec ; en bas, sur l'Ource, réponse de la nappe et végétation de prairie aux vannages (photos et commentaires P. Potherat, droits réservés).

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12/07/2019

Racines de la crise démocratique des ouvrages en rivière: riverains, moulins, étangs sont exclus des instances de concertation

Dans les deux instances de concertation visant à construire la doctrine publique de l'eau - comité national de l'eau, comités de bassin des agences de l'eau - les moulins, les étangs, les riverains, les protecteurs du patrimoine culturel et du paysage ne sont pas représentés aujourd'hui. Quant aux hydro-électriciens, ce sont les grands industriels qui siègent, et non les milliers de petits producteurs. On prend donc des orientations sur les ouvrages hydrauliques sans même consulter les premiers concernés: déni de réalité et choix antidémocratique qui explique la conflictualité forte du sujet depuis 10 ans. Il faut inventer une politique de l'eau qui représente davantage les usagers et les riverains, de manière générale la société civile. 


Dans un pays centralisé et jacobin comme la France, les politiques publiques se décident au sommet et sont répercutées vers la base par échelons successifs. C'est un choix qui se révèle souvent problématique, car la complexité du terrain échappe au décideur central, qui part sur des mesures à mailles grossières et informations limitées, mais doit ensuite les réviser face aux réalités et aux imprévus.

Dans le cas de la politique de l'eau, des orientations sont choisies à Bruxelles (par exemple directive eau DCE 2000) et à Paris (par exemple loi sur l'eau 2006), elles sont exécutées (avec interprétation administrative au passage) par les ministères (décrets, arrêtés, circulaires), transmises aux agences de l'eau (SDAGE), puis arrivent finalement sur le terrain des rivières (SAGE, contrat rivière). Mais à ce stade ultime du terrain, il est souvent trop tard pour donner un avis car tout a été décidé, organisé, fléché aux niveaux supérieurs : la démocratie locale devient un leurre, une chambre d'enregistrement des choix structurants déjà faits ailleurs, avec des discussions de marge sur quelques libertés d'exécution.

Ce problème est aggravé par le fait que les instances supérieures de concertation visant à l'élaboration de choix publics ne sont pas représentatives ni inclusives.

Le comité national de l'eau, prévu à l'article L 213-1 du code de l'environnement, est censé donner son avis sur la politique de l'eau inter-bassins, les choix d'aménagement, les peuplements piscicoles.

A ce jour (décret de 2015), les fédérations de moulins, les syndicats d'étangs, les syndicats de petits producteurs et d'autoconsommateurs d'hydro-électricité ne sont pas représentés dans le comité national de l'eau.

Les riverains n'ont que 2 sièges, alloués à la Fédération nationale de la propriété privée rurale. A titre d'exemple, la pêche de loisir dispose de 8 sièges, les associations environnementalistes de 6 sièges.

L'hydro-électricité est représentée par EDF et ENGIE, dont on peut douter qu'ils aient les mêmes enjeux que des milliers de petits producteurs et d'autoconsommateurs, bien plus nombreux que les quelques centaines de grands barrages ayant des gestions et des enjeux particuliers.

Le comité de bassin des agences de l'eau, prévu à l'article L 231-8 du code de l'environnement, a pour fonction d'élaborer les schémas directeurs d'aménagement et gestion des eaux (SDAGE), qui prennent ensuite la forme d'arrêtés préfectoraux opposables.

Là encore, les moulins, les étangs, les petits producteurs et autoconsommateurs d'électricité (non les gros), les riverains non industriels, les protecteurs du patrimoine historique et culturel ne sont pas représentés dans ce comité.

De manière générale, alors que le collège de la société civile devrait être le plus nombreux, il ne représente qu'une minorité des sièges dans les instances de concertation et de construction des politiques.

La politique des ouvrages hydrauliques souffre de ce problème depuis plus de 20 ans : elle est décidée par un Etat jacobin qui n'estime pas nécessaire d'associer les premiers concernés aux décisions qui les engagent. Une telle situation est totalement inimaginable dans tous les autres domaines d'action publique : va-t-on prendre une mesure qui impacte des agriculteurs, des pêcheurs, des industriels, des consommateurs sans même entendre leur point de vue et sans négocier la faisabilité?

Nous appelons donc à changer la composition du comité national de l'eau et des comités de bassin en les ouvrant aux représentants des ouvrages hydrauliques, et plus largement en faisant monter la place de la société civile dans toutes les instances discutant et décidant des cadres de vie. Sans cette démocratisation, les politiques jacobines de l'Etat central risque de rencontrer des résistances croissantes, comme on l'observe déjà dans de très nombreux projets relatifs aux aménagements de territoire et à l'environnement.