Créées par la loi sur l'eau de 1964, les agences de l'eau gèrent les grands bassins hydrographiques du pays, Loire, Seine, Rhône, etc. Le fonctionnement de ces agences est très critiquable, car elles reflètent la gouvernance de l'époque de leur naissance, à savoir un mélange assez opaque de technocratie et de corporatisme. Les services représentant l'Etat sont à la manoeuvre dans la construction des textes. Les membres du comité de bassin sont définis par le gouvernement et nommés par le préfet. La société est très mal représentée — au demeurant, bien peu de Français seraient capables d'expliquer ce qu'est une agence de l'eau ou un SDAGE. Les débats sont confidentiels, les lobbies tentent de faire évoluer les textes administratifs à l'avantage de leur idéologie ou de leur intérêt. Loin du principe de subsidiarité où chaque rivière décide de son avenir par échange des acteurs locaux en fonction des enjeux locaux, les agences de l'eau participe à la gouvernance verticale et autoritaire d'un modèle de plus en plus plus technocratique, fermé et éloigné du citoyen.
A défaut d'autre chose et dans l'attente d'un toilettage démocratique de cette institution vieillie, le comité de bassin des agences de l'eau est le seul endroit où la société peut espérer une représentation. L'enjeu n'est pas mince : les agences de l'eau ont un budget annuel total de l'ordre de 2 milliards € et leur planification, appelée SDAGE, a la forme d'un arrêté opposable, donc d'une contrainte sur les tiers.
Un décret paru au journal officiel du 18 août 2020, entrant en vigueur le 1er janvier 2021, modifie les articles D. 213-17, D. 213-19 et D. 213-20 du code de l’environnement relatifs aux comités de bassins. Cette évolution tient compte des ajustements apportés par l’article 34 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages à la composition des comités de bassin de métropole.
Cet article 34 de la loi biodiversité de 2016 prévoyait que les comités de bassin incluent dans un de leurs collèges des "représentants des usagers non économiques de l'eau, des milieux aquatiques, des milieux marins et de la biodiversité". Cette notion large d'usager non économique permet diverses possibilités au gouvernement. De toute évidence, les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs, les lavoirs, les douves et plein d'autres usages locaux de l'eau entrent dans cette catégorie.
Concernant la représentation de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau, voici les membres selon le nouveau décret :
« Art. D. 213-19-2.-I.-Dans chaque comité de bassin, le collège prévu au 2° de l'article L. 213-8 comprend au moins un représentant :« 1° Des associations agréées de protection de la nature, dont une ayant compétence dans le domaine du littoral ou des milieux marins lorsque le bassin a une façade littorale, proposé par les instances représentatives de ces associations présentes sur le bassin ;« 2° Des conservatoires régionaux d'espaces naturels mentionnés à l'article L. 414-11 présents sur le bassin, proposé par la Fédération des conservatoires d'espaces naturels ;« 3° Des associations actives en matière d'activités nautiques, proposé par la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie ;« 4° Des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique, proposé par la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique ;« 5° Des instances cynégétiques, proposé par la Fédération nationale des chasseurs ;« 6° Des associations agréées de défense des consommateurs, proposé par les instances représentatives des associations de consommateurs présentes sur le bassin. »
« Art. D. 213-19-3.-Dans chaque comité de bassin, le collège prévu au 2° bis de l'article L. 213-8 comprend au moins un représentant :« 1° De l'agriculture, sur proposition de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture ;« 2° De l'agriculture biologique, sur proposition de la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France ;« 3° De la sylviculture, sur proposition du Centre national de la propriété forestière ;« 4° De la pêche professionnelle en eau douce, sur proposition du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce, lorsque l'activité est présente sur le bassin ;« 5° De l'aquaculture, sur proposition de la Fédération française d'aquaculture en lien avec le Comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture, lorsque l'activité est présente sur le bassin ;« 6° De la pêche maritime, sur proposition du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins lorsque le bassin a une façade maritime ;« 7° De la conchyliculture, sur proposition du Comité national de la conchyliculture, lorsque le bassin comporte une façade maritime ;« 8° Du tourisme, sur proposition des instances représentatives de cette activité dans le bassin ;« 9° De l'industrie, sur proposition d'un collège regroupant sur le bassin les présidents des chambres de commerce et d'industrie régionales, les présidents des représentations régionales du Mouvement des entreprises de France et le président de la coopération agricole. Dans les bassins comportant une façade maritime, est proposé au moins un représentant d'une industrie compétente dans le domaine du tourisme littoral et d'une industrie portuaire en relation avec le milieu marin ;« 10° De distributeurs d'eau, sur proposition de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau ;« 11° De producteurs d'électricité et des producteurs d'hydroélectricité, sur proposition de l'Union française de l'électricité. Sur le bassin Rhône-Méditerranée, un représentant supplémentaire est proposé par la Compagnie nationale du Rhône ;« 12° Des sociétés d'aménagement régional, sur proposition du collège des présidents des sociétés d'aménagement régional pour les bassins Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée. »Les moulins, les étangs privés et familiaux, les riverains, les associations de protection du patrimoine culturel, paysager et historique lié à l'eau sont à nouveaux exclus de ces comités de bassin. Quant à l'hydro-électricité, elle est surtout représentée par des gros producteurs qui sont à 100 lieux des problématiques rencontrées par des milliers de petits sites en injection ou en autoconsommation.
Les bureaucrates publics de l'eau pensent-ils que les citoyens concernés vont accorder la moindre légitimité à des décisions (les SDAGE) dont ils sont purement et simplement exclus? A part dans la Chine populaire et dans quelques régimes peu enviés au plan des libertés démocratiques, où voit-on des pouvoirs qui s'arrogent le droit de normer des activités sans que les premiers concernés aient toute capacité à participer à la construction de la norme dès le départ, et non à en subir une pseudo "concertation" quand tout est déjà décidé sans eux? Ces hauts fonctionnaires sont-ils conscients que leurs faits et gestes sont désormais largement connus et diffusés, donc qu'ils préparent des lendemains difficiles à leurs agents de terrain quand ils vont se présenter sur les sites pressentis pour l'action publique?
Les technocraties aquatiques confirment qu'elles entendent continuer la politique active de pression en vue de détruire le maximum de sites en rivière, comme le montre déjà la scandaleuse proposition de reconduite de la prime à la casse des agences de l'eau pour le SDAGE 2022-2027.
Un moulin détruit, un étang détruit, un canal détruit ne reviendront pas. Ni leurs paysages, ni leurs usages, ni leurs milieux, ni leurs resources en eau. C'est maintenant qu'il faut défendre ce patrimoine menacé et bloquer leur destruction, pas quand une administration à la dérive aura joué la montre pour mettre devant le fait accompli.
Nous appelons les acteurs concernés à prendre leur responsabilité, en particulier ceux dont le nom a été utilisé pour cautionner le soi-disant apaisement au comité national de l'eau. Ce n'est pas grave et c'est même normal d'avoir testé une concertation, on ne peut que féliciter ceux qui ont essayé. Mais ce serait grave de ne pas conclure quand le test échoue de manière si évidente et que le ministère de l'écologie vous méprise publiquement de manière si arrogante.
Il ne faut plus dépenser d'énergie inutile à discuter avec une haute administration qui ne souhaite pas réviser ses dogmes, mais plutôt dénoncer ses turpitudes dans les médias, informer les parlementaires du mépris et du contournement des lois qu'ils votent, engager des recours en justice sur un maximum de sites menacés, dénoncer auprès de l'opinion les casseurs qui dilapident l'argent public et les lobbies qui les applaudissent. C'est la responsabilité historique des défenseurs d'un patrimoine en train de disparaître ouvrage par ouvrage, mais aussi de tous ceux qui ne veulent pas voir dans leur pays le triomphe d'une écologie punitive et sectaire, pour reprendre les termes d'un Premier Ministre fort peu cohérent avec lui-même.
Source : Décret n° 2020-1062 du 17 août 2020 relatif aux comités de bassin
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