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02/03/2018

Le droit de pêche est mal respecté en cours d'eau non domaniaux

Un sondage mené par notre association suggère que la gestion des droits de pêche en cours d'eau non domaniaux est problématique, avec les 3/4 des répondants n'ayant aucun accord tacite ou explicite de concession de leur droit de pêche à une association. Certaines fédérations et associations de pêche affirment pourtant dans leur communication que la rivière entière est ouverte à leurs adhérents, ce qui est faux. Hydrauxois va donc demander aux instances halieutiques et aux services administratifs de faire mieux appliquer les dispositions du code de l'environnement. Et travailler à ce qu'un respect mutuel des différents usages de la rivière s'instaure.


Nous avons récemment rappelé ce que dit la loi française sur le droit de pêche. En rivière non domaniale, ce droit appartient à chaque riverain (L435-4 CE), les associations agréées ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent (L434-3 CE), le droit de pêche peut être exercé gratuitement en cas d'intervention d'entretien sur une propriété répondant aux conditions du L435-5 CE, dans les précisions apportées par le Conseil d'Etat (n°320852, 23 décembre 2010).

Dans le même temps, notre association a lancé un sondage prospectif sur ses adhérents et sympathisants en cours d'eau non domaniaux. Nous avons obtenu 175 réponses, ce qui donne un premier aperçu.



En fréquence, 76,6 % des répondants ont parfois ou souvent des pêcheurs sur leurs rives.



En terme de concession du droit de pêche, 23,4% seulement ont un accord tacite ou explicite avec l'association de pêche.

Il y a donc un problème, puisqu'une association ne peut proposer à ses adhérents de pêcher en rivière non domaniale que si elle détient un droit de pêche sur les propriétés riveraines.

Parmi les autres résultats :
  • 55% des répondants se disent plutôt ou beaucoup gênés par la présence de pêcheurs,
  • 60% des personnes gênées souhaitent être aidées pour faire respecter le droit,
  • 49,6% des personnes non gênées aimeraient que le droit de pêche soit malgré tout formalisé.
Notre association va donc entreprendre sur l'Yonne et la Côte d'Or un certain nombre de démarches pour que cette question des droits de pêche soit mieux gérée par les instances halieutiques, et mieux contrôlée par l'administration.

Chaque propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial est libre d'attribuer le droit de pêche à sa convenance (sauf cas particulier de financement public de travaux d'entretien). En tant qu'association, nous sommes favorables aux usages multiples de la rivière, et si la pratique de pêche ne produit pas des problèmes d'intimité, nous incitons plutôt à la tolérer afin que chacun profite de la rivière selon ses centres d'intérêt.

Toutefois, il faut encore que les pêcheurs développent des bonnes pratiques environnementales (qui ne consistent pas toujours à optimiser les sites pour tel ou tel poisson) et surtout qu'ils se montrent  eux-mêmes tolérants vis-à-vis des autres usages de la rivière. En particulier sur la question aujourd'hui problématique des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, forges, etc.). Une mise au point sera donc proposée à chaque AAPPMA pour clarifier les choses et déterminer si une co-existence intelligente des usages de l'eau est envisageable.

Illustration en haut : exemple de très mauvaises pratiques. La propriété privée concernée n'a signé aucun bail concédant le droit de pêche. La pêche au niveau des pertuis de vanne comme en exutoire de passes à poissons est formellement interdite. Il appartient aux fédérations et associations agréées, ainsi qu'aux administrations en charge de l'eau, de faire respecter tout le code de l'environnement, et pas seulement certaines dispositions à la mode...

05/02/2018

Droit de pêche, propriété et riveraineté: un point sur les lois et règlements

En cours d'eau domanial et non domanial, la pêche de loisir en eau douce ne répond pas aux mêmes règles d'exercice. Nous proposons ici une première présentation synthétique des textes régissant le droit de pêche. Tout pêcheur doit avoir un permis de pêche, quelque soit la rivière et le régime de propriété. En cours d'eau domanial, l'Etat ou la collectivité détient le droit de pêche (sauf dans les cas de droit fondé en titre), le riverain doit respecter une servitude de passage pour les pêcheurs. En cours d'eau non domanial, les riverains sont les propriétaires du droit de pêche (découlant de la propriété des berges et du lit). Les associations de pêche ne peuvent alors proposer à leurs adhérents que les linéaires où elles détiennent des droits de pêche (soit par propriété des fonds, soit par accord avec leurs propriétaires). Voici les principaux textes de loi, leurs liens vers les codes et quelques commentaires.


Article L435-1 code de l'environnement
I. - Le droit de pêche appartient à l'Etat et est exercé à son profit :
1° Dans le domaine public de l'Etat défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, sous réserve des cas dans lesquels le droit de pêche appartient à un particulier en vertu d'un droit fondé sur titre ;
2° Dans les parties non salées des cours d'eau et canaux non domaniaux affluant à la mer, qui se trouvaient comprises dans les limites de l'inscription maritime antérieurement aux 8 novembre et 28 décembre 1926. Ces parties sont déterminées par décret.
II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'exploitation par adjudication, amodiation amiable ou licence, du droit de pêche de l'Etat, et les modalités de gestion des ressources piscicoles du domaine et des cours d'eau et canaux mentionnés aux 1° et 2° du I. Il fixe, en particulier, la liste des fonctionnaires, des agents et des membres de leur famille qui ne peuvent prendre part directement ou indirectement à la location de ce droit de pêche.
Article L435-3-1 code de l'environnement
Dans le domaine public fluvial d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales, le droit de pêche appartient à cette collectivité territoriale ou à ce groupement.
Article L2131-2 code général de la propriété des personnes publiques 
Tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d'un droit réel, riverain d'un cours d'eau ou d'un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l'usage du gestionnaire de ce cours d'eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons.
Sauf exception, l'accès aux rives et la pêche sont libres (moyennant le paiement d'une carte annuelle) sur les cours d'eau domaniaux, qui sont généralement les canaux publics et les anciennes rivières dites navigables et flottables, propriété de l'Etat ou des collectivités. Le droit fondé en titre sur rivière domaniale (ouvrage devant exister avant 1566) fait exception en ce que le droit de pêche reste attaché à la propriété privée. En cours d'eau ou plan d'eau domanial, le riverain a une servitude de passage pour les pêcheurs (voir les détails de cet article L2131-2 CPPP ci-dessus pour la mise en oeuvre). 

Article L435-4 code de l'environnement 
Dans les cours d'eau et canaux non domaniaux, les propriétaires riverains ont, chacun de leur côté, le droit de pêche jusqu'au milieu du cours d'eau ou du canal, sous réserve de droits contraires établis par possession ou titres.
Dans les plans d'eau non domaniaux, le droit de pêche appartient au propriétaire du fonds.
Dans les plans d'eau et cours d'eau non domaniaux (ni navigables ni flottables), le droit de pêche est lié à la propriété privée riveraine. Par défaut, il est interdit à toute autre personne que le propriétaire de pêcher depuis la berge. L'accès en bateau est autorisé (l'eau est bien commun) à condition de ne pas débarquer sur la rive ou le lit (de même pour la pêche depuis un pont sur une route publique). Pour rappel un bief est un canal privé, non assimilable à un cours d'eau selon la loi (lit "non naturel" à l'origine).

Article L434-3 code de l'environnement
Les associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique contribuent à la surveillance de la pêche, exploitent les droits de pêche qu'elles détiennent, participent à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques et effectuent des opérations de gestion piscicole.
Les AAPPMA (associations agréées de pêche) ne peuvent exploiter que les droits de pêche qu'elles détiennent, ce qui suppose en cours d'eau non domaniaux la capacité à démontrer des accords en ce sens avec les propriétaires des berges sur tout le linéaire du domaine réputé pêchable par ces associations.

Article L435-5 code de l'environnement
Lorsque l'entretien d'un cours d'eau non domanial est financé majoritairement par des fonds publics, le droit de pêche du propriétaire riverain est exercé, hors les cours attenantes aux habitations et les jardins, gratuitement, pour une durée de cinq ans, par l'association de pêche et de protection du milieu aquatique agréée pour cette section de cours d'eau ou, à défaut, par la fédération départementale ou interdépartementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique.
Pendant la période d'exercice gratuit du droit de pêche, le propriétaire conserve le droit d'exercer la pêche pour lui-même, son conjoint, ses ascendants et ses descendants.
Cet article prévoit une exception à l'attribution du droit de pêche au seul propriétaire riverain dans un cours d'eau non domanial : le propriétaire ayant bénéficié d'un financement public majoritaire de travaux, et pour l'entretien du cours d'eau, doit concéder le droit de pêche à l'association agréée. Cette concession est limitée sur une période de 5 ans après les travaux. Le conseil d'Etat (n° 320852 , 23 décembre 2010) a précisé que cette disposition s'applique si toutes les conditions requises par les articles R. 435-34 CE et suivant pour la définition et l'évaluation des travaux sont remplies.

Article L435-6 code de l'environnement 
L'exercice du droit de pêche emporte bénéfice du droit de passage qui doit s'exercer, autant que possible, en suivant la rive du cours d'eau et à moindre dommage. Les modalités d'exercice de ce droit de passage peuvent faire l'objet d'une convention avec le propriétaire riverain.
Article L435-7 code de l'environnement 
Lorsqu'une association ou une fédération définie à l'article L. 434-3 exerce gratuitement un droit de pêche, elle est tenue de réparer les dommages subis par le propriétaire riverain ou ses ayants droit à l'occasion de l'exercice de ce droit.
Lorsqu'un droit de pêche a été concédé par le propriétaire, les usagers sont tenus de respecter les lieux et de réparer des dommages. 

Article R436-71 code de l'environnement
Toute pêche est interdite à partir des barrages et des écluses ainsi que sur une distance de 50 mètres en aval de l'extrémité de ceux-ci, à l'exception de la pêche à l'aide d'une ligne.
En outre, la pêche aux engins et aux filets est interdite sur une distance de 200 mètres en aval de l'extrémité de tout barrage et de toute écluse.
Seule la pêche à la ligne est autorisée à proximité des ouvrages hydrauliques de type barrage ou écluse.

Article Article R436-70 code de l'environnement
Toute pêche est interdite :
1° Dans les dispositifs assurant la circulation des poissons dans les ouvrages construits dans le lit des cours d'eau ;
2° Dans les pertuis, vannages et dans les passages d'eau à l'intérieur des bâtiments.
La pêche est totalement interdite dans les passes à poissons et rivières de contournement, ou depuis les pertuis et vannages des ouvrages en rivière.

Illustration : photo par Janter, CC BY-SA 3.0.

29/01/2018

Dégradation volontaire de la digue de l'étang de Bussières

L'association Hydrauxois a constaté la destruction partielle et volontaire de la digue de l'étang de Bussières, étang d'Ancien régime sous la maîtrise d'ouvrage de la fédération de pêche de l'Yonne, situé dans une ZNIEFF où les étangs et queues marécageuses sont expressément désignés comme habitats d'intérêt. Aucune information n'est disponible sur site et aucune précaution de chantier (accès, information) n'est respectée. Aucune étude d'impact n'a été publiée. La préfecture a été contactée afin de connaître la justification réglementaire de cette dégradation : les pièces avancées par la DDT 89 jusqu'à présent faisaient état d'une déclaration de "vidange", non d'une modification complète et définitive du site, de son profil d'écoulement et de peuplement, des conditions de stabilité de la route longeant l'étang. L'action de la fédération de pêche revient pour le moment à faire disparaître 5 hectares de zones humides sans aucune autorisation ni étude d'impact. Une situation proprement aberrante, à l'heure où la moindre action en rivière et berge fait l'objet d'exigences très scrupuleuses de l'administration. Le dossier est en cours d'étude par l'avocat de l'association, qui déterminera les opportunités de plaintes devant les instances pénales et administratives.

29/12/2017

Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)

Des chercheurs français ont étudié la structure génétique des goujons et des vairons du Célé et du Viaur, deux rivières du Sud-Ouest de la France. Ils concluent que les facteurs naturels (topologie du réseau hydrographique) restent déterminants pour expliquer les variations observées. Au sein des impacts humains, les ouvrages hydrauliques pourtant anciens et nombreux ne montrent pas d'influence cohérente, ce qui interdit toute généralisation à leur sujet. Amusante découverte : les empoissonnements pour la pêche ont une influence génétique plus notable que les ouvrages. Séparer en France les questions halieutiques et écologiques devient un enjeu de plus en plus manifeste, car la pêche est avant tout un usage des milieux ayant des impacts, et ses instances n'ont plus la capacité de développer des méthodes conformes à l'évolution rapide des connaissances en écologie des milieux aquatiques.



La diversité génétique des poissons est connue pour être affectée par de nombreux facteurs, le premier d'entre eux étant naturel : l'organisation en réseau des écoulements hydrographiques, pouvant isoler des branches de ce réseau en pools reproductifs autonomes, du moins à moindre fréquence d'échanges, ainsi que faire varier les structures génétiques de l'amont et de l'aval. Des facteurs anthropiques peuvent également influer sur cette diversité. Parvenir à pondérer ces facteurs naturels et humains permet une meilleure compréhension de l'évolution des lignées locales de poissons, le cas échéant une meilleure anticipation de leur capacité future d'adaptation (par exemple au changement climatique).

Jérôme G. Prunier et ses collègues (Station d’écologie théorique et expérimentale UMR 5371, Institut méditerranéen de biodiversité  et d’écologie marine et continentale UMR 7263, Laboratoire évolution et diversité  biologique UMR 5174) ont étudié les rivières Célé et Viaur dans le bassin Adour-Garonne. Les superficies de bassin versant (1350 et 1530 km2) et les linéaires (136 et 168 km) de ces cours d'eau sont comparables, mais la topologie du réseau hydrographique, la fragmentation par les ouvrages humains et le usages des sols diffèrent, ce qui permet des comparaisons.

Les chercheurs ont étudié deux poissons largement distribués dans le Sud-Ouest : le goujon du Languedoc (Gobio occitaniae) et le vairon (Phoxinus phoxinus). Plus d'une vingtaine de sites (22 et 25) ont été choisis sur chaque rivière, à des emplacements permettant de caractériser par ailleurs des variables d'intérêt de l'environnement. Des marqueurs microsatellites (11 pour le goujon et 16 pour le vairon) ont été isolés pour quantifier trois indices de diversité génétique : la richesse allélique, la richesse allélique privée et l'unicité génétique.

Les prédicteurs environnementaux de la diversité génétique retenus dans cette étude ont été formés de 18 variables répartis en 4 familles : caractéristiques naturelles de la rivière, fragmentation humaine du lit mineur, usage des sols en proximité du lit et probabilité locale d'influence des empoissonnements pour la pêche.

Les principaux résultats sont les suivants :

  • les caractéristiques naturelles du réseau hydrographique (notamment la place dans le gradient amont-aval) sont le premier prédicteur de la diversité génétique des poissons, avec un poids 1,82 fois supérieur à l'ensemble des facteurs anthropiques,
  • parmi les facteurs anthropiques, seul l'empoissonnement de pêche a une influence forte et consistante, notamment sur les goujons,
  • la distance de circulation (home range) entre deux obstacles a montré des influences sur la richesse allélique des goujons dans le Viaur et dans une moindre mesure des vairons dans le Celé,
  • le taux d'urbanisation à 2 km de la station influence l'unicité génétique.


Les auteurs soulignent que "les influences locales de la dégradation et de la fragmentation sont spécifiques à chaque rivière et à chaque espèce, variant parfois même au sein du même lit mineur, ce qui interdit toute généralisation".

Et ils concluent : "la structure naturelle des réseaux et l'empoissonnement de pêche influencent fortement les caractéristiques spatiales de la diversité génétique selon une direction prévisible, alors que l'influence des autres activités humaines peut être plus difficile à prédire selon les espèces et les contextes".

Discussion
Cette étude sur la génétique des poissons des rivières du Sud-Ouest rejoint dans ses conclusions de nombreuses autres montrant que les variations observées dans les cours d'eau restent difficiles à prévoir : les modèles n'expliquent qu'une part de la variance, et la diversité des résultats indique la forte influence des contextes et de l'histoire de vie propre à chaque hydrosystème. Cela doit inciter le gestionnaire public à se défaire de l'idée que des règles simples et uniformes pourraient s'appliquer dans tous les cas de figure. On ne fera de la bonne écologie qu'avec une étude rigoureuse de chaque rivière en son bassin versant, ce qui prend certes du temps (et coûte de l'argent) mais qui évite d'engager des programmes inadaptés aux enjeux locaux et peu susceptibles d'obtenir des résultats significatifs.

Le constat de l'influence des alevinages et empoissonnements comme cause anthropique la plus claire de certains changements génétiques locaux ne vient pas commune une surprise : cela fait plusieurs siècles que les populations pisciaires sont changées par des activités halieutiques, sans considération particulière pour les souches concernées dans le cas des alevinages et déversements (sauf à date assez récente, et surtout pour les salmonidés focalisant l'attention pour leur intérêt de pêche). On peut en tirer certaines conclusions institutionnelles. D'une part, il est regrettable que la pêche de loisir en France soit quasiment le seul usage de l'eau à ne pas faire l'objet d'un programme systématique d'évaluation de son impact biologique et écologique. D'autre part, il est anormal que cet usage de l'eau jouisse encore d'une préséance particulière en gestion écologique des milieux aquatiques. Cet héritage du XXe siècle n'a plus lieu d'être aujourd'hui car les approches et méthodes sectorielles développées par les pêcheurs ne sont plus tellement en phase avec l'évolution globale des connaissances sur l'écologie des milieux aquatiques.

Référence : Prunier JG et al (2018), The relative contribution of river network structure and anthropogenic stressors to spatial patterns of genetic diversity in two freshwater fishes: A multiple-stressors approach, Freshwater Biology, 1, 6-21

A lire sur le même thème
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015)
Salzach: quand la pêche modifie les peuplements piscicoles (Haidvogl et al 2015)
Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015)

05/12/2017

Comment une fédération de pêche vide un étang et perturbe ses annexes humides sur simple courrier...

Les pêcheurs se prétendent les "protecteurs des milieux aquatiques", mais détruire des étangs et zones humides associées sans précaution particulière ni diagnostic préalable ne semble pas les gêner outre mesure. Un simple courrier recto-verso : voilà ce qui a suffi à la fédération de pêche de l'Yonne pour obtenir le droit de vidanger l'étang de Bussières et de détériorer sa vanne. Alors que cette fédération a exprimé clairement le souhait de détruire définitivement l'étang dans la foulée de sa vidange, la DDT 89 n'a demandé aucun dossier d'autorisation ni aucune étude des milieux humides impactés, pourtant riches en biodiversité. Mais ce n'est pas une fois les milieux en place perturbés dans leurs fonctionnalités et leur intégrité que l'on pourra faire une analyse sérieuse de leur valeur écologique, afin de juger s'il est opportun ou non de détruire l'étang, ses habitats, ses espèces ! Au regard de ces éléments, Hydrauxois demande la requalification des travaux et la restauration des zones humides tant que l'étude d'impact environnemental de ce chantier n'est pas présentée. L'association étudie par ailleurs l'opportunité d'une plainte. Quant aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques qui sont assommés de formalités dès qu'ils envisagent le moindre chantier, ils apprécieront comment le lobby de la pêche obtient l'autorisation de changer totalement 5 hectares de milieux aquatiques et humides dans un délai d'une semaine seulement, sur la foi d'un courrier sommaire de deux pages. Croit-on sérieusement que de telles pratiques crédibilisent les politiques publiques de l'eau?



L'administration en charge de l'eau (DDT 89) nous a transmis les pièces demandées après le constat de vidange de l'étang de Bussières et de destruction de la vanne réalisé par l'association sur les lieux.

La fédération de pêche et l'administration de l'eau ont prétendu éviter toute autorisation pour vidanger l'étang en arguant qu'il s'agissait d'une mesure de gestion de pisciculture (plans d’eau déclarés relevant de l’article L. 431-7 du code de l’environnement). La preuve que l'étang est déclaré comme pisciculture n'était toutefois pas jointe au dossier.

Mais en tout état de cause, l'interprétation est ici plus que douteuse. Car ces mesures spéciales du code de l'environnement relatives à la "Pêche en eau douce et gestion des ressources piscicoles" s'appliquent précisément à la "gestion" des piscicultures, qu'elles ont pour but de simplifier en permettant la vidange sur simple déclaration.

Or, dans son courrier de déclaration à l'administration, la fédération de pêche 89 a précisé que l'objectif de son chantier est la destruction définitive du site :
"nous souhaitons réaliser une vidange complète de cet étang en préalable à son effacement prévu en 2017-2018. (...) Il n'est pas prévu de remettre en eau cet étang avant sa destruction qui interviendra en 2017-2018 conformément à notre engagement"
Cette vidange ne peut donc plus être assimilée à une gestion de pisciculture : au contraire, elle est présentée explicitement par le pétitionnaire comme la première phase d'un chantier de destruction. Il est incompréhensible que l'administration, informée de cette finalité, n'ait pas recalé la demande de la fédération de pêche en lui demandant de produire un dossier complet "loi sur l'eau" et en exigent de conserver les habitats en l'état tant que l'étude d'impact n'est pas produite.

Donc pour le moment, au regard des pièces dont nous disposons,
  • l'administration a permis la destruction d'une zone humide (et modification de 500 m de linéaire de rivière) sans aucune étude d'impact ni autorisation préalable,
  • la fédération de pêche 89 n'a nullement jugé utile d'étudier les milieux qu'elle veut détruire, se contentant d'un courrier recto verso,
  • l'AFB ex Onema ne semble pas avoir été sollicitée alors que son rôle est d'évaluer et protéger la biodiversité,
  • les citoyens n'ont évidemment reçu aucune information de ces arrangements entre administratifs et pêcheurs, voyant l'étang se vider sans aucun débat, aucune enquête publique, aucun affichage.

Un laxisme intolérable vis-à-vis des dérives du lobby pêche
Ce laxisme est intolérable, à l'heure où l'administration en charge de l'eau exerce des contrôles croissants pour des actions nettement moins impactantes sur la biodiversité aquatique.

Ce laxisme révèle aussi le problème manifeste que constitue la confusion persistante entre la gestion halieutique des rivières et la prise en compte de l'ensemble de leurs enjeux écologiques : les pêcheurs sont d'abord des usagers poursuivant des fins propres, ils n'ont pas à jouir comme c'est le cas aujourd'hui d'avantages excessivement dérogatoires au droit de l'eau et de l'environnement. L'étang de Bussières illustre leurs mauvaises pratiques.

Le cas n'est pas isolé puisque la même fédération de pêche de l'Yonne n'a pas mis à jour son plan de gestion piscicole depuis les années 1990. La préfecture, en nous communiquant ce plan en mars 2017, avait reconnu que les données dataient de 25 ans et que ses orientations "nécessiteraient pour la plupart d'être entièrement revues". Il serait peut-être utile que M. le préfet de l'Yonne exige de la fédération de pêche qu'elle gère déjà correctement sa propre activité perturbatrice des milieux, au lieu de l'autoriser à détruire des zones humides sans avancer le moindre diagnostic préalable de biodiversité.

L'association Hydrauxois va demander au préfet de requalifier les travaux de Bussières, de remettre les milieux en état à titre conservatoire et d'exiger un dossier "IOTA" loi sur l'eau conforme à la loi. Les pièces du dossier ont par ailleurs été transmises à notre avocat, qui étudie l'opportunité de déposer une plainte pour destruction non autorisée de zone humide.

21/11/2017

Au temps où les rivières étaient poissonneuses

Un lecteur nous adresse cet extrait de l'ouvrage de Paul Delsalle, maître de conférences en histoire moderne et archivistique aux universités de Mulhouse et Besançon, consacré à la vie des paysans de Haute Saône au XVIe et XVIIe siècles. Le travail sur les archives révèle la richesse des rivières en poissons, convoitée les jours maigres, à une époque où moulins et étangs s'étaient déjà installés sur de nombreux bassins versants. On observe que les poissons d'eaux lentes s'y mêlent déjà aux poissons d'eaux vives.


Les jours maigres étant nombreux, nous ne pouvons pas négliger la consommation de poissons. Heureusement, les rivières étaient alors très poissonneuses, selon de nombreux témoignages contemporains. S'y ajoutaient les étangs et les viviers. Les paysans disposaient encore assez souvent du droit de pêche. C'est ainsi que les habitants de Breurey-lès-Faverney et ceux de Mersuay s'accordaient en 1572 au sujet de la pêche dans la Lanterne. Les fermiers de la grange de Miéüllers à Cendrecourt pouvaient pratiquer "la pêche à la trouble [=au filet] à pied dans la rivière de Saône". Dans l'Ognon, on pêchait assez librement des perches, des carpes, des brochets, des brèmes, des barbeaux, des lamproies et des anguilles. Les étangs fournissaient des carpes, des "carpailles", des brochets, des tanches et bien d'autres poissons. Dans la Saône, on capturait des brochets, des lottes, des truites, des ombres, des carpes, des perches, des anguilles, des tanches, des "menuses" (poissons de petite taille, menu fretin), mais encore "des poissons blancs de toute espèce", des écrevisses et des grenouilles. Dans les différentes rivières ou ruisseaux de la région, on pouvait se procurer aussi des poissons aux noms plus ou moins indigènes : rousses, bouilles, rougeuil (rouget?), abletz (ablettes), daressons, seffes, greffons ou gouvion, (gouions), verons (vairons), bavoux, mostelles (motelles ou moutelles, lottes de rivière, minuscules poissons à chair grasse), filleittes, barbeletz (barbeaux?), lamproies de rivière dites aussi sept-oeils, et bien d'autres. Les garçons et les filles chargés de surveiller le bétail passaient leur temps à pourchasser les grenouilles, les moules de rivière, les escargots, et toutes les autres bestioles comestibles afin de remplir leur panier pour améliorer l'ordinaire.

Source : Delsalle Paul (2016), Des paysans au temps de la poule au pot, sur les plateaux de la haute Saône vers 1580-1635, éditions Franche-Bourgogne, 371 p.-XII p. de pl.

A lire aussi sur le thème de l'histoire des rivières et de leurs peuplements
Salzach: quand la pêche modifie les peuplements piscicoles (Haidvogl et al 2015)
L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)
Les moulins auraient-ils fait disparaître 90% des saumons du Paléo-Rhin? (Lenders et al 2016)
Histoire des rivières: quand l'urgence était de démanteler les barrages… des pêcheurs

31/07/2017

Genèse de la continuité des rivières en France (2) : la loi de 1984

Proposée par un gouvernement en quête de soutiens associatifs, la loi pêche de 1984 institue le principe de rivières classées par décret imposant la libre circulation du poisson migrateur. A la différence de la loi de 1865, il y a un délai maximal de 5 ans pour la mise en conformité, avec une obligation de résultats. Cette nouvelle loi halieutique aura peu de décrets de mise en oeuvre, et ces décrets seront peu appliqués sur les rivières concernées. L'échec de 1865 n'avait pas été retenu, et la loi de 1984 aggrave les circonstances en prévoyant qu'aucune indemnité ne serait versée au propriétaire pour les travaux (coûteux) d'adaptation des ouvrages au franchissement de certains poissons. Si la pêche est toujours la motivation de la continuité des rivières en 1984, les arguments ont évolué. Cette pêche n'est plus alimentaire comme elle l'était au XIXe siècle, elle est devenue un loisir plutôt prisé par des urbains. Fonctionnarisée par Pétain en 1941, la pêche est aussi plus influente dans l'appareil d'Etat. Une partie de ses pratiquants (pêche des salmonidés à la mouche) tient un discours offensif de protection de la nature et de retour aux rivières sauvages. Des rapports étroits se nouent avec certains mouvements environnementalistes comme avec une classe émergente d'ingénieurs et chercheurs engagés à la frontière de l'écologie scientifique et de l'écologie militante. Dans le domaine de la continuité, nous héritons aujourd'hui de certaines ambiguïtés cristallisées dès les années 1970, et matérialisées dans cette loi de 1984.



Cent vingt ans après la loi de 1865, la question du franchissement des poissons migrateurs refait surface dans le droit français. De nouveau, c'est une loi halieutique qui en offre l'occasion : la loi n°84-512 du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles.

L'article 2 de cette loi dispose :
"La préservation des milieux aquatiques et la protection du patrimoine piscicole est d’intérêt général. La protection du patrimoine piscicole implique une gestion équilibrée des ressources piscicoles dont la pêche, activité à caractère social et économique constitue le principal élément."
Ce texte du législateur de l'époque est étonnant. Que les milieux aquatiques et le patrimoine piscicole relèvent de l'intérêt général se conçoit. Mais que "la pêche" soit définie comme la principale activité en charge du patrimoine piscicole vient comme une surprise : confier à une activité de loisir fondée sur la prédation la garde d'un patrimoine naturel d'intérêt général, surtout dans ces années 1980 où l'écologie a déjà émergé comme un thème à part entière des politiques publiques, n'a rien d'évident.

L'article 4 de la loi pêche de 1984 codifie l'article 411 du Code rural, qui énonce :
"Dans les cours d'eau ou parties de cours d'eau et canaux dont la liste est fixée par décret, après avis des conseils généraux rendus dans un délai de six mois, tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. L'exploitant de l'ouvrage est tenu d'assurer le fonctionnement et l'entretien de ces dispositifs.
Les ouvrages existants doivent être mis en conformité, sans indemnité, avec les dispositions du présent article dans un délai de cinq ans à compter de la publication d'une liste d'espèces migratrices par bassin ou sous-bassin fixée par le ministre chargé de la pêche en eau douce et, le cas échéant, par le ministre chargé de la mer."

Cet article deviendra suite aux changements de codification le L 232-6 du Code rural, puis le L 432-6 du Code de l'environnement. Le dispositif de décret après avis des conseils généraux (départementaux) est repris de la loi de 1865. En revanche, deux innovations apparaissent :
  • la création d'un délai de 5 ans pour satisfaire l'obligation,
  • l'absence d'indemnité du propriétaire.
Les débats parlementaires montrent que cette question de l'absence d'indemnité est soulevée, mais Huguette Bouchardeau (alors secrétaire d'Etat à l'environnement) juge qu'un ouvrage est assimilable à une pollution que le propriétaire doit corriger sans aide publique. Même à l'époque cet argument est curieux, car les agences financières de bassin (qui deviendront agences de l'eau en 1992) aident couramment des installations classées pour des mises aux normes. Il est également proposé par l'opposition de rallonger le délai (jusqu'à 7 ans), ce qui n'est pas retenu par le gouvernement ni la majorité parlementaire.

La loi modifie aussi le régime du débit réservé (débit devant rester dans le tronçon du lit mineur court-circuité par un barrage) en le portant à 10% du module pour les installations nouvelles, 5% pour les cours d'eau à débit supérieur à 80 m3/s, 2,5% dans les autres cas (article 410 de l'ancien Code rural).

Enfin, la loi reprend le principe déjà posé dans la loi du 16 octobre 1919 ("rivières réserves") de l'existence de cours d'eau ou sections de cours d'eau, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, sur lesquels aucune autorisation ou concession nouvelle ne peut être donnée pour l'installation d'ouvrages hydroélectriques.

Le contexte halieutique: évolution institutionnelle et sociologique de la pêche
Au plan institutionnel, la pêche en France a été organisée par le régime de Vichy dans les lois du 12 juillet 1941 et du 24 septembre 1943. Dans un choix dérogatoire à la loi sur la libre association de 1901, et conformément à l'idéologie corporatiste et autoritaire du régime (voir rapport sénatorial n°327, 2003 sur le CSP), Vichy a organisé la gestion des rivières et du patrimoine piscicole sur la base d'associations de pêcheurs agréées par l'Etat. L'Union nationale de la pêche en France (UNPF) coordonne l'ensemble, le Comité central des fédérations départementales de pêche et de pisciculture est chargé de la collecte et de l'utilisation du produit de la taxe piscicole. En 1948, le Conseil supérieur de la pêche (CSP) a remplacé ce Comité central (le CSP deviendra Onema en 2006, puis Agence française pour la biodiversité en 2017). C'est notamment au sein du CSP que va s'élaborer dans les décennies suivantes une doctrine hydrobiologique très centrée sur les milieux lotiques des têtes de bassin et sur la question des migrateurs.

Outre ces évolutions institutionnelles qui ont fait de la pêche une institution en partie fonctionnarisée, contrôlée par l'Etat, soumise à la taxe dans le domaine fluvial public comme dans les rivières non-domaniales, les pêcheurs ont connu une évolution sociologique notable.

Lors du vote de la loi de 1865, la pêche en eaux douces relevait encore de la question alimentaire. S'il subsiste hier comme aujourd'hui des pêcheurs professionnels (surtout en lacs, estuaires, certaines parties du domaine fluvial) et des pisciculture à vocation alimentaire, le régime dominant de la pêche en eaux douces change à partir du XIXe siècle: elle devient un sport et un loisir. A partir du XIXe siècle, en partie sous l'influence du monde anglo-saxon, il émerge une mode urbaine de sensibilité à la nature à travers certaines pratiques associant le loisir et la conservation. Des clubs de pêche, dont le Fishing Club qui obtient dès 1909 des condamnations pour pollution de cours d'eau (voir Picon 1991), se développent.

De manière dominante, la pêche devient un loisir d'urbains (contrairement à la chasse restée plus rurale), avec deux mondes assez différents : une pêche populaire (ouvriers, petits employés, retraités) dans les fleuves et grandes rivières (pêche au coup, parfois au lancer) ; une pêche plus élitiste en direction de poissons spécialisés (carpistes et surtout pêcheurs à la mouche cherchant des salmonidés). La pêche à la mouche, minoritaire dans les enquêtes sur les pratiques, se construit par un discours de distinction sociale et environnementale (éthique du rapport à la nature, mépris des "viandards"). Comme dans le monde anglo-saxon qui en forme la matrice, les "mouchistes" avancent aussi des revendications écologistes fortes, en particulier sur la question des migrations (voir des éléments dans la thèse de Frédéric Roux, Roux 2007 ; Barthélémy 2006).

Une loi du premier septennat Mitterrand, pour séduire un milieu pêcheur pourtant déclinant
La loi pêche de 1984 survient alors que le milieu des pêcheurs voit régulièrement fondre ses effectifs: 9 millions acquittant la taxe rivières ou eaux closes en 1967, 7 millions en 1973, 6 millions en 1981, 4 millions en 1982 (chiffres in Barthélémy 2003, p.163). Elle se comprend dans un contexte politique particulier où le premier gouvernement de la présidence Mitterrand cherche un second souffle, y compris vers des milieux qui ne lui sont pas forcément favorables.

Gabrielle Bouleau et Carole Barthélémy observent : "Arrivée au pouvoir en 1981, la Gauche promeut les loisirs et les mouvements associatifs. Or les écologistes ont obtenu avant l’arrivée de la Gauche un certain nombre de lois pour la protection des milieux naturels. 'La France rurale s'est couverte d'espaces protégés ou identifiés comme à protéger' (Jollivet 1997). En revanche, les congrès des fédérations de pêche sont une litanie de projets de loi jamais aboutis qui ne demandent qu’à être écoutés. Souvent présentée comme une loi réclamée par les pêcheurs, la loi de 1984 est une loi autant écologique que piscicole. Rédigée par des experts hydrobiologistes, elle fait beaucoup pour la préservation des milieux en général. Mais elle impose l’obligation de gestion et le transfert du droit de pêche aux fédérations pour les riverains bénéficiaires de subvention. Ceci renforce le pouvoir des fédérations sur les lieux de pêche notamment en milieu rural, au détriment des propriétaires riverains. Cette mesure souvent revendiquée par les fédérations dans leurs congrès n’avait jamais été acceptée par les gouvernements précédents." (Bouleau et Barthélémy 2007)

Les deux chercheuses observent, à travers le Bulletin officiel d’information du Conseil supérieur de la pêche, les positions défendues par les fédérations lors de leur congrès annuel. De nombreuses propositions de loi demandant une réglementation plus sévère, des moyens accrus et une captation du droit de pêche des riverains au profit des fédérations sont avancées, mais refusées par l’administration. La loi de 1984 est l'occasion de proposer des avancées en ce sens.

Une loi qui s'inscrit dans la montée de l'écologisme militant et l'opposition à l'aménagement fluvial
Autre public visé : les mouvements écologistes militants, qui sont proches comme nous l'avons vu de certains milieux pêcheurs de salmonidés (TOS - Truite Ombre Saumon par exemple) et qui cristallisent une "classe moyenne intellectualisée" (Bouleau 2007) avec des convergences entre les administrations en charge de l'environnement, certains chercheurs engagés, les associations environnementalistes et les instances de la pêche. (La thèse citée de Gabrielle Bouleau contient un très intéressant travail d'analyse et d'interprétation de cette émergence dont on observe aujourd'hui tous les effets.)

La loi de protection de nature de 1976 avait imposé le principe des études d'impact, ce qui a fortement cristallisé le mouvement associatif de l'écologie, permis sa professionnalisation à travers des bureaux d'études spécialisés sur ces questions. Dans les années 1970 et au début des années 1980, les revendications sur la qualité de l’eau de la Loire et en Bretagne sont portées par des associations (SOS Loire Vivante, TOS) mobilisées contre les pollutions mais aussi contre des projets de barrage. L'opposition au projet de Serre de la Fare (1980-1994) et la mise en place des premiers comités des gestions des migrateurs sur les grands bassins (Plan saumon 1976-1980, Plan national Poissons migrateurs 1981-1990) apportent un début de reconnaissance institutionnelle. Sur la bassin du Rhône, des milieux universitaires (PIREN Rhône 1979) et des mouvements associatifs (FRAPNA) influencent de plus en plus la politique de l'agence de bassin, et s'opposent là aussi à des projets de la Compagnie nationale du Rhône (projet d'aménagement de la confluence de l'Ain et du Rhône). Le pouvoir politique est conscient de cette opposition croissante.

Pour conclure: quelques observations sur la loi de 1984 et son échec

  • Le retour de la question des poissons migrateurs dans les années 1970-1980 se fait donc sous des auspices différentes de celles de la loi de 1865: la pêche en est toujours le motif, mais cette pêche s'est d'une part institutionnalisée et fonctionnarisée à partir de 1941, d'autre part rapprochée de la mouvance militante de l'écologie, en particulier pour certaines pêches minoritaires mais engagées. 
  • Selon le rapport du Sénat de 2003, treize décrets ont été promulgués entre 1904 et 2002 en application de la loi de 1865 puis de celle de 1984 qui lui a succédé. Mais les nouveaux classements ne seront guère plus efficaces que les anciens, et les milieux pêcheurs se plaindront vite du laxisme de l'Etat dans la mise en oeuvre de l'obligation de circulation piscicole.
  • Le fait que la loi de 1984 exclut les indemnités (contrairement à celle de 1865 comme à celle de 2006) explique sans doute les hésitations de l'administration. Les aménagements de franchissement piscicole coûtent cher, ils ont une efficacité limitée pour les barrages de dimension moyenne à grande, les ouvrages sont nombreux sur chaque rivière et donc les coûts imposés considérables.
  • Cet échec s'explique aussi par le changement de statut de l'hydraulique. Si les barrages hydro-électriques relèvent toujours de l'exploitation industrielle et commerciale, avec un volant de l'ordre de 1500 à 3000 exploitants entre les années 1980 et aujourd'hui, les anciens moulins sont beaucoup plus nombreux. Or, beaucoup de ces moulins ont perdu au fil du XXe siècle leur vocation énergétique première, en raison de leur faible puissance, des évolutions de la meunerie industrielle, du choix électronucléaire lors du choc pétrolier (des éléments chez Lespez et al 2016). Mais à partir des années 1970 et 1980, les moulins ont été réinvestis par leurs nouveaux propriétaires d'une dimension patrimoniale et paysagère : ce nouveau public de particuliers est très démuni quand on lui oppose des lois conçues au départ pour régler les externalités négatives d'une industrie, avec des dépenses induites qui dépassent parfois la valeur d'achat du bien. 
  • Dernière remarque : la loi de 2006, modifiant de nouveau ce régime du classement des rivières, s'inspire très directement de la loi de 1984, qui était elle-même une réécriture de la loi de 1865. L'apport de l'expression "continuité" en 2006, justifié par une mention de ce terme dans l'annexe V de la directive cadre européenne sur l'eau de 2000, est finalement un plaquage tardif d'une notion ayant un sens précis en écologie des milieux aquatiques sur des dispositions légales et réglementaires dont l'économie relève en fait de l'halieutisme (voir cet article sur la continuité en littérature scientifique et en choix politiques français). Cette confusion joue un rôle important dans les étrangetés de la continuité "à la française", issue pour une bonne part de jeux d'influence au sein de l'administration de l'Etat, soumise à des rationalisations a posteriori qui peinent à justifier certains choix de faible enjeu écologique. 

Références citées
Barthélémy C (2003), Des rapports sociaux à la frontière des savoirs : les pratiques populaires de pêche amateur au défi de la gestion environnementale du Rhône, thèse Aix-Maseille 1, université de Provence
Barthélémy C (2006), Du «mangeur» d’aloses au carpiste sportif : esquisse d’une histoire de la pêche amateur en France?, Courrier de l’environnement de l’INRA, 53, 121-127
Bouleau G (2007), La gestion française des rivières et ses indicateurs à l'épreuve de la directive cadre, thèse sciences de l’homme et société, AgroParisTech.
Bouleau G, Barthélémy C (2007), Les demandes sociales de restauration des rivières et leurs traductions scientifiques et politiques, Techniques Sciences Méthodes, 68-76.
Lespez L et al (2016), L’évaluation par les services écosystémiques des rivières ordinaires est-elle durable?, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Hors-série 25, DOI: 10.4000/vertigo.17443 h
Picon B (1991), Chasse, pêche, cueillette : un même objet support d'attitudes et de pratiques sociales différenciées, Sociétés contemporaines, 8, 1 87-100
Roux F (2007), Des "pêcheurs sans panier". Contribution à une sociologie des nouveaux usages culturels de la nature, thèse  Université de Nantes.

A lire également
Genèse de la continuité des rivières en France (1) : la loi de 1865

Illustration : maquette du barrage de Génissiat sur le Rhône (CNR), Bibliothèque municipale de Lyon / P0546 S 2236, source. Les grands projets d'aménagements fluviaux, soutenus par l'Etat, furent de plus en plus contestés à partir des années 1970.

27/07/2017

Genèse de la continuité des rivières en France (1) : la loi de 1865

Le 31 mai 1865, la France se dote de sa première loi moderne visant à équiper les barrages d'échelles à poissons. L'objectif à l'époque? Conjurer le dépeuplement des eaux et alimenter le pays, en particulier de la chair appréciée des truites et des saumons. L'enjeu est d'abord un enjeu de pêche, et ce trait sera constant dans la continuité "à la française". On voit néanmoins émerger dès cette époque des réflexions sur l'habitat et la migration qui jettent les bases des représentations actuelles. La Société d'acclimatation joue un rôle d'influence dans la genèse de cette mesure centrée sur la productivité alimentaire des rivières. La loi de 1865 sera dans l'ensemble un échec: destinée aux ouvrages de navigation et aux nouvelles usines à eau (davantage qu'aux moulins et étangs d'Ancien Régime), elle sera vite dépassée par le déploiement de la moyenne et grande hydraulique qui décolle au cours du XIXe siècle, et qui bloquera définitivement au XXe siècle l'accès de nombreuses têtes de bassin pour les grands migrateurs.


Après quelques ordonnance sous l'Ancien Régime, la loi du 31 mai 1865 relative à la pêche est la première à envisager de manière systématique la question de la circulation des poissons migrateurs. Voici ses articles 1 et 3.
Art. 1er. — Des décrets rendus en Conseil d'Etat, après avis des conseils généraux de département, détermineront :1° Les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d'eau réservées pour la reproduction, et dans lesquelles la pêche des diverses espèces de poissons sera absolument interdite pendant l'année entière; 2° Les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d'eau dans les barrages desquels il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle, destine à assurer la libre circulation du poisson.Dans les parties de cours d'eau désignées par cet article, toute pêche est interdite, même celle à la ligne flottante tenue à la main, même celle de l'écrevisse.Pendant les périodes d'interdiction de la pêche, il est défendu de laisser vaguer les oies, les canards et autres animaux aquatiques susceptibles de détruire le frai du poisson, sur les canaux et cours d'eau, dans l'étendue des réserves affectées à la reproduction. (Art 5 du décret du 2 avril 1830.)
(...) 
Art. 3. — Les indemnités auxquelles auront droit les propriétaires riverains qui seraient privés du droit de pêche, par application de l'article précédent, seront réglées par le Conseil de préfecture, après expertise, conformément à la loi du 16 septembre 1807.Les indemnités auxquelles pourra donner lieu l'établissement d'échelles dans les barrages existants seront réglées dans les mêmes formes.
Cette première loi prévoyait donc une mesure au cas par cas, avec sollicitation préalable des départements et validation par l'Etat. Elle prévoyait également une indemnisation selon expertise, point non négligeable car cette question des indemnités relatives à un motif d'intérêt général ayant un coût pour le particulier ou l'exploitant apparaît vite comme un enjeu.

On ne peut comprendre cette loi sans examiner ses conditions d'élaboration. Comme l'a montré la recherche de Rémi Luglia, les fonctionnaires du Second Empire ont travaillé étroitement avec la Société d'acclimatation (voir Luglia 2012, Luglia 2013 in Mouhot et Mathis 2013,  Luglia 2014).

La Société d'acclimatation de France, lieu d'échange entre ingénieurs, naturalistes et fonctionnaires
Fondée en 1854 par  Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, la Société zoologique (plus tard "impériale, puis "nationale")  d'acclimatation de France est l'ancêtre de la Société nationale de protection de la nature. Au XIXe siècle toutefois, les préoccupations ne relèvent pas de ce que l'on nomme aujourd'hui l'écologie de la conservation. L'article 2 des statuts de la Société précise en effet qu'elle concourt "1° À l'introduction, à l'acclimatation et à la domestication des espèces d'animaux utiles ou d'ornement ; 2° Au perfectionnement et à la multiplication des races nouvellement introduites ou domestiques".

La Société d'acclimatation répond donc à des objectifs en vogue au XIXe siècle : importer des espèces venues des colonies ou des voyages d'exploration, maximiser la richesse nationale, en particulier alimentaire. Dans le domaine des rivières, elle travaille énormément sur la question de la pisciculture, reproduction, fécondation et diffusion artificielles d'espèces dans les milieux (poissons surtout, aussi des crustacés). L'invention de la salmoniculture par Remy et Géhin dans les années 1850 allait donner naissance à une longue trajectoire d'empoissonnement des rivières françaises, illustrée par la création de la pisciculture d'Huningue (voir Vivier 1956). Néanmoins, la Société d'acclimatation est aussi le lieu de rencontre des naturalistes, qui n'ont pas une approche exclusivement utilitariste.

La loi de 1865 doit beaucoup aux échanges entre la section "poissons" de la SNAF et les hauts fonctionnaires de l'Empire. Le "dépeuplement des rivières" est un lieu commun du XIXe siècle (voir cet article), leur repeuplement un objectif d'intérêt public. La première accusée est la pêche qui se développe de manière anarchique, perfectionne ses instruments et exerce une pression excessive sur la ressource. La loi de 1865 est d'abord une "loi sur la pêche", comme le fut déjà celle de 1829.

Mais au cours du XIXe siècle, d'autres facteurs sont apparus : le développement de l'hydraulique, avec la diffusion des ouvrages de grande taille pour la navigation, l'irrigation, l'approvisionnement en eau potable et l'énergie, la croissance des villes et des industries avec leurs pollutions souvent jetées dans la rivière, la généralisation des curages, dragages, extractions de graviers et galets des lits mineur et majeur.

Rapporteur Dalmas : la loi de 1865 comme une mesure saumon et truite en vue de l'alimentation
Le bulletin de la Société d'acclimatation (1865, 428 et suivantes) reproduit en 1865 la présentation qui fut faite aux législateurs (rapport M. de Dalmas), qui est intitulée "projet de loi relatif à la pêche du saumon et de la truite" :
"Le projet de loi qui vous est présenté consacre de nouveaux moyens de développer la production du poisson. Il a pour objet d'accroître, dans une grande proportion, les richesses alimentaires du pays ; nous espérons que l'administration comprendra Ja portée sociale d'une semblable entreprise et que, dans l'avenir, sa sollicitude saura protéger les cours d'eau contre la dévastation qui en a amené le dépeuplement.
Bien que vivant dans le même milieu, les poissons ne sont pas tous soumis à des conditions identiques d'existence ; leurs moeurs sont déterminées par des caractères physiologiques particuliers. D'une manière générale, ils peuvent être divisés en deux grandes classes : les espèces sédentaires et les espèces voyageuses. Les premières comprennent les poissons qui vivent dans l'espace restreint d'une partie du cours d'eau où ils sont nés; quant aux secondes, à chaque saison nouvelle elles accomplissent de lointains voyages. Soumises à la loi de reproduction, avec leur instinct pour guide, elles vont à la recherche des lieux où elles doivent rencontrer les conditions nécessaires à la fécondation de leur progéniture.
Ces espèces comprennent le Saumon, la Truite, l'Anguille et l'Alose, qui passent alternativement de l'eau douce dans l'eau salée, afin d'accomplir les différentes évolutions de leur existence.
Ce qui précède suffit à faire comprendre que la police des eaux doit consister principalement, soit à préserver de toute dévastation les frayères pendant l'époque de la ponte et jusqu'à réclusion, soit à permettre les migrations périodiques qui s'accomplissent à la descente comme à la remonte des cours d'eau. Parmi les espèces voyageuses dont nous venons de parler, le Saumon, la Truite et l'Anguille ont une valeur propre dont l'importance est considérable pour l'alimentation, et plusieurs dispositions du projet de loi que nous vous proposons d'adopter sont arrêtées en vue de favoriser leur reproduction."
 Le corps législatif se voit donc proposer avant tout une croissance des "richesses alimentaires" du pays, avec le ciblage sur quatre espèces (saumons, truites, anguilles, aloses) dont la "valeur propre" est d'être appréciée par leur consommateur. La truite ici concernée est la truite de mer, puisque le rapporteur évoque les espèces qui passent de l'eau douce à l'eau salée dans leur cycle de vie. La truite commune de rivière n'est donc pas un enjeu.

Le premier rapport de 1856: la Société d'acclimatation envisage la protection des espèces migratrices
Cette loi est l'aboutissement d'un premier rapport formalisé 9 ans plus tôt par la Société d'acclimatation: le Rapport sur les mesures a prendre pour assurer le repeuplement des cours d'eau de la France de 1856, par Charles Millet, inspecteur des Forêts et membre de la Société (avec MM. de Montgaudry, A. Perier, C. Wallut, C. Millet, étant le rapporteur). Ce rapport énonce ainsi:
"Plusieurs de nos confrères, et particulièrement M. Monier de la Sizeranne, en rappelant à l'attention de la Société d'acclimatation l'importance de la pisciculture pour le repeuplement des cours d'eau de la France, ont exprimé le vœu que des études fussent faites et que des instructions spéciales fussent préparées par la Société, dans le but de propager les bonnes pratiques de pisciculture et d'apporter un remède aux diverses causes qui concourent au dépeuplement des eaux.
Ces importantes questions ont déjà fixé l'attention de la Société ; son Bulletin présente un grand nombre de notices ou mémoires relatifs à la pisciculture : le n° 4 du tome II (avril 1855) renferme des instructions détaillées et pratiques sur la récolte, la fécondation et le transport des œufs de poissons; et le numéro de février 1855 contient un mémoire sur l'hygiène et l'alimentation des jeunes poissons, etc., etc.
Toutefois, dans ces divers mémoires et instructions, on ne s'est occupé jusqu'à ce jour que des moyens de féconder des œufs et de créer de jeunes poissons ; on n'a ainsi envisagé la question qu'à un point de vue très—restreint, car, en pisciculture notamment, il ne suffit pas de créer, il faut surtout savoir conserver.
En effet, les sacrifices de temps et d'argent que l'on pourrait faire pour avoir des poissons à l'état d'alevin ou de fretin, et les meilleurs résultats que l'on pourrait obtenir dans cette voie deviendraient en général inutiles ou tomberaient en pure perte, si le repeuplement naturel ou artificiel des eaux et si la conservation du poisson n'étaient pas protégés d'une manière très-efficace. Il y a donc lieu de rechercher les meilleurs moyens de protection et de conservation, et de les étudier dans leur application réellement pratique."
Le point notable est ici que les auteurs envisagent clairement une stratégie de protection et conservation des espèces, en complément de l'option du repeuplement par le progrès des techniques de pisciculture.



La libre circulation des poissons, un enjeu face aux nouveaux ouvrages
Le rapport en vient à envisager le cas des barrages et autres ouvrages hydrauliques.
"Sur un grand nombre de cours d'eau, on construit soit des usines, soit des barrages, écluses, etc., qui ne permettent pas au poisson de circuler librement et surtout d'aller frayer dans des endroits convenables. Il en résulte nécessairement que la reproduction de plusieurs espèces devient impossible, ou du moins insignifiante, et que, par suite, le dépeuplement des eaux s'opère très-rapidement.
Sans porter aucune entrave au service régulier des usines, de la navigation et du flottage, on peut facilement concilier les exigences de ce service avec celles de la reproduction naturelle du poisson.
Il suffirait, en effet, d'établir sur les points où la libre circulation et surtout la remonte du poisson sont devenues impossibles, soit des passages libres toujours faciles à franchir par la truite et par les migrateurs, tels que saumon, alose, lamproie, etc., soit des plans inclinés avec barrages discontinus qui feraient l'office de déversoirs, ou qui serviraient à l'écoulement des eaux surabondantes, soit enfin des écluses que l'on tiendrait ouvertes à l'époque de la remonte ou de la descente.
L'organisation de ces passages naturels ou artificiels devrait être rendue obligatoire : 1° pour l'avenir, à l'égard des constructions, barrages, écluses, etc., qui seraient établis sur les cours d'eau, et qui, par leur situation, pourraient empêcher ou entraver la libre circulation, et notamment la remonte et la descente du poisson; 2° dès à présent, à l'égard des établissements de cette nature qui existent sur les cours d'eau dont l'entretien est à la charge de l'État, Enfin, dans un grand nombre de localités, les usiniers, et notamment les meuniers, ont établi et entretiennent soigneusement des appareils de pêche (les anguillières, par exemple ), qui sont très-destructeurs. Nous avons vu, en différentes occasions, des appareils dans lesquels on péchait, en une seule nuit, plus de cent kilogrammes de poisson.
On devrait prendre, dans le plus court délai possible, les mesures les plus énergiques pour faire disparaître ces appareils et en empêcher le rétablissement."
On peut observer que les auteurs déplorent surtout la construction des ouvrages nouveaux – les meuniers sont plutôt cités pour leur braconnage. Ce point n'est pas très étonnant et se trouve conforme aux observations que l'on a pu faire plus tard sur la disparition des grands migrateurs. Dans le cas du bassin de Loire notamment, très étudié, on a montré que le saumon disparaît des têtes de bassin à l'occasion de la construction de grands barrages de navigation ou de rehausse d'ouvrages en place, davantage que du fait de l'hydraulique d'Ancien Régime (voir cet article détaillé).

Un "schéma idéal": supprimer des ouvrages, repeupler des rivières
Enfin, les auteurs du Rapport de 1856 en viennent à émettre le schéma idéal de repeuplement des rivières françaises.
"Dans l'état actuel des cours d'eau de la France, ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait : 1° De supprimer les barrages partout où leur établissement n'est pas indispensable pour le service des usines ou pour celui de la navigation et du flottage; 2° Dans tous les cas, de modifier l'organisation de ces barrages de manière à permettre la remonte des poissons migrateurs et la libre circulation des poissons de toutes catégories; 3° D'encourager et de favoriser l'exploitation et le développement des réservoirs ou viviers à poissons marins, et la culture des huîtres et des moules; 4° De compléter l'organisation d'un bon service de surveillance, de manière à protéger efficacement la reproduction naturelle et la conservation du poisson, et de faire poursuivre d'office, par le ministère public, les délits de pêche.
Ces mesures seraient suffisantes pour faire rendre aux cours d'eau, d'ici à peu d'années, une grande partie de ce qu'ils produisaient autrefois et de ce qu'ils pourraient encore produire en bons poissons comestibles, et pour développer sur une très-grande échelle la production du saumon.
Elles sont, d'ailleurs, les plus simples, les plus économiques et les plus pratiques.
Accessoirement ou simultanément : on organiserait, dans les affluents et les ruisseaux, des frayères artificielles.
On procéderait, dans des cours d'eau secondaires et dans quelques sources convenablement disposées, à la production de l'alevin des meilleures espèces de poissons par la méthode des fécondations artificielles."
Avec le recul, il est évidemment saisissant de constater que les hauts fonctionnaires français du Ministère de l'Ecologie déploient aujourd'hui un "schéma idéal" toujours très proche de ces idées formulées voici 160 ans! En particulier, on observe l'idée de faire circuler toutes les catégories de poissons et (dans la logique utilitariste) de supprimer les ouvrages en fonction de leur utilité économique. En revanche, l'objectif de la Société d'acclimatation est toujours la productivité davantage que la naturalité, donc la création de frayères artificielles et l'empoissonnement apparaissent comme des mesures légitimes.

Pour conclure : quelques observations sur la loi de 1865 et son échec

  • La pêche est, dès la naissance des mesures législatives modernes sur la circulation des poissons, le premier objectif des politiques. Ce trait sera constant jusqu'à nos jours, même si les évolutions les plus récentes (LEMA 2006) ont été plus discrètes sur la réalité de cet objectif. Au XIXe siècle, il s'agit encore d'une pêche d'alimentation, avec une grande majorité de la population en zone rurale et dans les faubourgs industriels au long des fleuves.
  • Les éléments essentiels du dispositif actuel sont déjà présents voici un siècle et demi : distinction entre des mesures de protection et de restauration (qui donnera plus tard des rivières réservées et classées), compréhension des mécanismes de la migration et de l'accessibilité aux frayères, insistance sur les salmonidés en raison de l'intérêt particulier des pêcheurs et consommateurs pour leur chair appréciée.
  • La première loi de 1865 reçoit sa circulaire d'application dès le 12 août 1865 mais elle ne connaîtra ses premiers décrets d'application qu'à compter de 1904. Ce sera un échec, avec une mise en oeuvre rapidement limitée (voir cet article). La reprise de la gestion des rivières par les Ponts et Chaussées (à compter de 1862) favorise la culture de l'ingénieur sur celle du naturaliste ou du pêcheur. La difficulté est au demeurant constatée par la Société d'acclimatation malgré ses efforts (rapport Raveret-Wattel sur les échelles à saumons in Bulletin SNAF 1884). La construction de barrages de plus en plus élevés dans la période 1865-1945 rendra caduc l'espoir de limiter l'effet des ouvrages hydrauliques sur beaucoup d'axes grands migrateurs. Par ailleurs, l'importance économique et alimentaire de la pêche en eaux douces pèse de moins en moins. L'ancienne pêche vivrière se transforme peu à peu en pêche de loisir. Comme nous le verrons dans un prochain article sur la loi de 1984, la pression exercée par cette activité pêche sera de nouveau à l'origine des exigences législatives de continuité.

Illustrations
Echelle à saumon sur la Vienne à Chatellerault. Photographe : Duclos, J. 1873, Ecole nationale des ponts et chaussées. Source.
Plan d'échelle à poisson in Millet C (1888), Les merveilles des fleuves et des ruisseaux (3e édition illustrée de 66 vignettes sur bois par A. Mesnel). Source.

A lire également
Genèse de la continuité des rivières en France (2) : la loi de 1984

06/07/2017

Lobby de la pêche: décrypter ses désinformations et exiger son audit

La dernière allocution de Claude Roustan au congrès national de la Fédération nationale de la pêche en France (26 juin 2017) comporte à nouveau des propos agressifs, incomplets et inexacts sur la question de la continuité écologique et des moulins. Nous les relevons et y répondons ici, en même temps que nous appelons tous nos partenaires à demander désormais à leur élus et administrations un audit public de la pêche de loisir en France. Car cette activité est loin d'être toujours favorable à l'écologie des milieux aquatiques, et la façon dont elle oriente les choix de gestion est souvent problématique. Le rôle de premier plan des pêcheurs dans la réforme ingérable, conflictuelle et ratée de continuité écologique indique assez la prudence que l'on doit avoir avant de leur confier des responsabilités de premier plan dans les choix publics sur les rivières.



Voici d'abord les déclarations de M. Claude Roustan (président) lors de son discours adressé au dernier congrès de la fédération de pêche (FNPF).
Sur les moulinsLes moulins nous interpellent dans notre capacité à défendre deux intérêts tout aussi légitimes : le patrimoine naturel vivant, d’intérêt commun, et le patrimoine bâti dans certains cas. Patrimoine du souvenir nostalgique souvent.
Alors que la continuité écologique constituait l’alpha et l’oméga de l’atteinte du bon état, cette notion est devenue avec le mandat passé une exigence molle et sans ambition.
Je souhaite dire au nouveau ministre que sur la continuité écologique, nous souhaitons nous assigner, avec lui, un objectif ambitieux. Celui de mettre fin à la doctrine calamiteuse qui a prévalue pendant 5 ans au sein de ce ministère. Celle-ci a été énoncée alors que la transparence écologique était en voie de rétablissement sur les ouvrages de la Sélune dans la Manche.
A cette occasion, contre toute attente, la ministre a clairement posé les fondamentaux de cette doctrine en déclarant «On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons."
Je répète pour que nous l’entendions bien : « On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons. »
Avec cette phrase, la ministre stoppait le processus de renaturation des sites de Vezins la Roche Qui Boit. Certes. Surtout elle annonçait le sort funeste réservé à la continuité écologique en général. C’est le pire des signaux qu’elle pouvait envoyer en sa qualité de ministre de l’environnement.
Car ces propos sont une négation de nos missions, de notre militantisme, de nos actions, de nos connaissances. Ces propos ont libéré la parole. La parole de tous ceux qui doutent, nient, contredisent, critiquent la continuité. Surtout, la parole de ceux qui défendent leurs propres intérêts, contre l’intérêt de tous. Cette doctrine a privilégié l’intérêt particulier contre l’intérêt général, l’économie contre nos ressources naturelles, le court terme contre le long terme, les moulins contre la biodiversité, les ouvrages contre la nature.
C’est la négation d’un mécanisme que l’on pensait naturel. La biodiversité aquatique, comme toutes les autres, a besoin de se réfugier, de s’alimenter, se reproduire et donc de circuler. En particulier les migrateurs qui paient un lourd tribu au cloisonnement écologique.
De nombreux avantages ont été accordés aux moulins et aux ouvrages qui barrent la continuité, je veux en évoquer un seul : les moulins sont dorénavant légalement exonérés de respecter la loi naturelle de la continuité écologique.
Avec cet amendement, les parlementaires nous ont fait reculer de presque deux siècles. Imaginez- vous que notre réglementation en la matière efface tous les acquis depuis la loi de 1865 sur les échelles à poissons.
Voilà le message qu’il va nous falloir porter aux nouveaux élus.

Nous remarquons que Claude Roustan :
  • parle des moulins mais évoque le cas des barrages de la Sélune, qui sont des grands ouvrages hydro-électriques du XXe siècle sans rapport avec les moulins en terme d'impact. Il oublie bien sûr de préciser les nombreux problèmes liés à la destruction des ouvrages de la Sélune ayant entraîné l'arrêt de leur démantèlement (voir notre série d'articles);
  • reconnaît que la continuité écologique formait "l'alpha et l'omega" du discours sur le bon état des rivières, ce qui est la reconnaissance d'une absurdité de la politique publique soutenue par les fédérations de pêche, puisqu'aucune étude scientifique d'hydro-écologie quantitative n'a jamais désigné la fragmentation en long des rivières comme la cause première de dégradation biologique ou chimique de la qualité de l'eau (ce sont toujours les usages agricoles et urbains des sols de bassin versant qui sont les premiers prédicteurs de cette dégradation, voir cette synthèse et les recherches recensées dans la rubrique science);
  • gomme les évidences gênantes, comme le fait que les rares travaux ayant mené des quantifications précoces de diversité et abondance de poissons (par exemple ceux de Verneaux en Franche-Comté) suggèrent l'existence de rivières en état encore relativement correct dans les années 1960, alors que cet état s'est dégradé assez brutalement à compter de cette période, sans lien avec des moulins déjà présents depuis des siècles (ledit Verneaux insistait essentiellement sur l'impact majeur des pollutions);
  • donne une interprétation fantaisiste de l'article L 214-18-1 CE, qui ne porte exemption de continuité que pour une catégorie particulière de sites producteurs d'électricité (voir cet article, signalant au demeurant nos doutes sur la rationalité de ce choix du législateur);
  • parle de manière mystique de la "loi naturelle de la continuité écologique" alors que la recherche montre l'existence de toutes sortes de discontinuités naturelles (rapides, chutes, cascades, barrages de castors, etc.) et que la continuité est un concept passablement plus complexe;
  • rappelle que les réformes de continuité écologique datent de la loi sur les échelles à poissons de 1865, mais oublie de dire que cette loi a déjà eu une application problématique (voir le bilan qui en fut fait à la fin du XIXe siècle), comme les mesures ultérieures, et que cette difficulté bien connue souligne la grave irresponsabilité des administratifs et gestionnaires ayant classé 20.000 ouvrages à traiter en 5 ans;
  • se garde bien de détailler les conclusions très critiques du récent audit administratif de la continuité écologique par le CGEDD;
  • se réclame d'un "intérêt général" et de la "nature" en oubliant que les pêcheurs défendent les intérêts particuliers de leurs pratiques, y compris quand elles perturbent les milieux naturels, qu'en tout état de cause l'intérêt général résulte des fruits de la concertation entre l'ensemble des usagers et riverains, pas du monopole de certains d'entre eux au détriment des autres, et qu'il n'y a quasiment plus de rivières "naturelles" en Europe, les bassins versants étant en réalité des hybrides de la nature et de la société depuis des millénaires déjà.
Les ouvrages de l'hydraulique ancienne ont certainement des impacts sur les milieux, y compris des impacts retardés que la recherche en écologie a du mal à caractériser aujourd'hui. Et dans nombre de cas, des équipements ou des bonnes pratiques peuvent avoir des effets localement bénéfiques sur certaines espèces. Mais la manière dont les représentants officiels de la pêche ont engagé un lobbying de harcèlement et de destruction de ces ouvrages est inacceptable.

La pêche, une activité pas très écologique…
Le lobby de la pêche prospère trop souvent sur la reconnaissance d'utilité publique au service de ses intérêts et de sa vision singulière de la "protection des milieux aquatiques". Car sous le vernis "écologique" qu'il affiche si ostensiblement, tout n'est pas vert dans le loisir pêche :

  • encouragement à une activité consistant à stresser, blesser ou tuer des poissons pour le plaisir et non pour la subsistance, ce qui est à la base une manière curieuse d'exprimer sa sensibilité à l'écologie et à la préservation des espèces; 
  • déversements massifs de poissons d'élevage, y compris non natifs du bassin, qui ont modifié depuis un siècle les peuplements endémiques; 
  • pollutions génétiques (introgressions) de souches sauvages, notamment truite (exemple) et saumon (exemple) ; 
  • introductions de pathogènes par les empoissonnements, mais aussi par les bottes et les équipements; 
  • tir de cormorans ou autres espèces d'oiseaux supposés mauvais pour les milieux (en réalité, mauvais pour les poissons d'intérêt pour les pêcheurs); 
  • destruction d'espèces jugées nuisibles en première catégorie mais qui se sont révélées des espèces menacées (l'anguille jusqu'en 1984, le brochet jusqu'en 2016); 
  • indifférence à la plupart des espèces non pisciaires, mise en danger voire disparition de milieux d'intérêt (par exemple destruction d'étangs et plans d'eau sans inventaire complet de leur biodiversité amphibiens, oiseaux, mammifères, etc.);
  • sur des bassins à saumons, aloses, truites de mer et autres amphihalins, mise en avant de l'intérêt "sportif" de la pêche aux migrateurs que l'on dit par ailleurs fragiles ou menacés, et incitation au tourisme halieutique pour venir de loin les traquer en masse, avec un bilan carbone peu favorable. 

Pour un audit public de la pêche de la loisir
Claude Roustan a raison sur un point : le ministère de la Transition écologique et solidaire comme les parlementaires doivent prendre davantage attention à la pêche de loisir en France, son organisation, ses pratiques et ses actions. En effet :

  • la pêche est la seule activité n'ayant pas fait l'objet d'une étude scientifique de ses impacts sur les rivières, c'est une anomalie dommageable à laquelle il faudrait remédier par un travail spécifique de l'Agence française pour la biodiversité associé à l'Irstea, l'Inra et le Museum d'histoire naturelle;
  • la pêche ne peut pas exiger des efforts de tous les usagers de la rivière et s'en absoudre elle-même, on devrait donc poser le principe que sur toute rivière d'intérêt prioritaire (par exemple celles classées L1 et L2), les pêcheurs doivent s'engager à des modifications de leurs pratiques (par exemple gestion patrimoniale et fin des empoissonnements, no kill, mise en réserve, interdiction ou limitations plus drastiques de pêche des espèces menacées et justifiant le classement de ces rivières, etc.);
  • la pêche est censée produire des plans de gestion piscicole au niveau départemental (PDPG) pour avoir le droit d'exercer son activité (L 433-3 CE), mais nombre de fédérations n'ont pas mis à jour ces plans à partir d'une information correcte sur l'état des milieux;
  • la pêche est trop peu régulée par le code de l'environnement, et des pratiques aussi problématiques que l'introduction massive d'espèces étrangères aux bassins (typiquement les ombres très souvent déversés en dehors de leur zone endémique) ne sont même pas réglementées, donc pas attaquables par des associations de protection de la rivière ou par les services instructeurs de l'environnement;
  • la pêche est loin de respecter toutes les bonnes pratiques de riveraineté, par exemple l'obligation de définir des parcours en rivières non domaniales sur la base de conventions avec chacun des riverains concernés, le droit de pêche étant généralement loué en échange d'un entretien des berges;
  • la pêche a des efforts à faire en matière de transparence de l'information environnementale, la plupart de ses études financées sur argent public n'étant pas systématiquement versées sur les sites des fédérations, et donc restant peu accessibles aux citoyens et aux associations;
  • la pêche ne peut pas avoir un agrément public de protection des milieux aquatiques, travailler avec les services instructeurs et agences de l'Etat, et continuer à développer une analyse de la biodiversité des milieux aquatiques presqu'entièrement centrée sur les poissons (2% seulement de cette biodiversité), avec notamment l'utilisation de méthodologies anciennes ne correspondant plus aux outils de la recherche appliquée française et de la réponse aux exigences de la DCE 2000.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons un audit de la pêche de loisir et de ses structures, concernant tant la bonne utilisation des fonds publics dans ses missions d'intérêt général que la participation de cette activité à l'effort commun pour des bonnes pratiques écologiques et l'analyse des risques de conflit d'intérêt dans le cas de la continuité longitudinale.

Sur la pêche
Exemple de mauvaise pratique sur l'Ource
Exemple de mauvaise pratique sur le Dessoubre 
Exemple de mauvaise pratique dans les Pyrénées-Atlantiques
Exemple de mauvaise pratique sur la Petite Nièvre
Exemple de mauvaise pratique sur la Dives
Exemple d'ambiguïtés sur la Loue 
Exemple d'aménagement à bilan mitigé sur la Touques 

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Illustration : domaine public. Ce saumon comprendrait peut-être difficilement la dimension de "protection des milieux aquatiques" et "l'amour de la nature" dont se réclament fièrement les officiels de la pêche...