26/08/2020

Députés et sénateurs attendent de Barbara Pompili une clarification sur les ouvrages hydrauliques

Les parlementaires ne comprennent toujours pas : alors qu'ils votent des lois demandant d'aménager sans les détruire les moulins et étangs, mais aussi de favoriser l'équipement hydro-électrique de ces sites, les administrations et les syndicats en charge des rivières semblent avoir comme principale ambition d'en supprimer le plus grand nombre et de compliquer les projets. Qui fait la loi dans notre pays, sinon la volonté du parlement élu? Combien de temps l'administration va-t-elle essayer de déroger à ce que lui disent sans relâche les élus de la République, législature après législature? Cet été, les députés Borowczyk et Perrot, les sénateurs Gabouty et Bonne ont encore interpellé le ministère de l'écologie à propos de cette anomalie. La continuité "apaisée" dont se prévaut fort hypothétiquement le gouvernement, cela consiste à revenir à la loi : valoriser les ouvrages hydrauliques et leurs milieux en améliorant les conditions des poissons migrateurs, mais aussi en respectant les autres usages de l'eau et les autres formes de biodiversité. Tant que tous les fonctionnaires des services techniques des syndicats, des DDT-M, des agences de l'eau, de l'OFB et de la direction ministérielle ne seront pas sur cet horizon de gestion défini par le législateur, il y aura des problèmes de terrain. 



Cet article de la Nouvelle République montre que de nombreux gestionnaires de l'eau n'ont pas intégré les principes d'une politique apaisée de continuité et persistent dans un discours conflictuel où l'ouvrage, réduit à l'état de "verrou", doit disparaître. Que ce discours soit tenu par des militants d'associations privées ou des représentants de lobbies, pourquoi pas. Par des représentants d'administrations ou de structures à agrément public, c'est un problème, car la loi française n'a jamais donné mandat à quiconque pour détruire le patrimoine installé et ses nouveaux écosystèmes.

A l'Assemblée nationale

Question N° 30543de M. Julien Borowczyk (Loire)
M. Julien Borowczyk interroge Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l'avenir des moulins. La destruction des seuils des moulins, dont 90 % ne constituent pas d'obstacles à la continuité écologique (source OFB), parce qu'ils offrent des avantages écologiques incontournables d'une part, serait inopportune. En effet, lorsque les hommes ont construit la plupart des seuils de moulins, au moyen-âge, ils n'ont rien inventé, ils se sont contentés de copier ce que les castors avaient fait. Leurs ouvrages ont les mêmes propriétés écologiques : biodiversité, amélioration de la qualité de l'eau, alimentations des zones humides. D'autre part, sur le versant économique, les moulins peuvent retrouver leur utilité par la production d'électricité qui contribue à une certaine indépendance énergétique et la production de farine, ingrédient indispensable en période de confinement. Il souhaite connaître son avis sur ce sujet.

Question N°30943 de M. Patrice Perrot (Nièvre) 
M. Patrice Perrot appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, relatives au développement de la production d'hydroélectricité. Pour répondre à l'objectif de neutralité carbone à 2050 et de réduction de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030, l'article 1er de ladite loi a ainsi modifié l'article 100-4 du code de l'énergie afin que les politiques nationales encouragent la production d'énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité. Les propriétaires de moulins qui souhaitent valoriser leurs installations en développant des pico centrales, dans le respect de la continuité écologique, s'inquiètent de la traduction concrète de cette disposition. En effet, les délais d'instruction par les services compétents sont souvent très longs et les démarches administratives lourdes. Par ailleurs, les études demandées à la charge du propriétaire sont parfois excessives en termes de coûts, qui pèsent sur la rentabilité même du projet. Alors que l'optimisation des équipements existants peut constituer un élément de l'accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et que la loi fixe un objectif en matière de développement de la petite hydroélectricité, il lui demande quelles instructions ou mesures concrètes auraient d'ores et déjà ou seront prochainement prises pour confirmer l'ambition ainsi portée par ladite loi.

Au Sénat

Question n° 17482 de M. Jean-Marc Gabouty (Haute-Vienne) 
M. Jean-Marc Gabouty attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les modalités d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214-17 du code de l'environnement.
Le législateur, souhaitant répondre à l'urgence écologique et climatique, a posé divers objectifs et notamment la nécessaire restauration de la continuité écologique des cours d'eau tout en tenant compte d'impératifs comme la protection du patrimoine - par exemple des moulins à eaux.
En 2019, le code de l'énergie a complété son arsenal législatif en introduisant un 4° bis à l'article L. 100-4 en mentionnant parmi les énergies renouvelables « la production d'électricité hydraulique, notamment la petite électricité ».
En Haute-Vienne, ainsi que dans de nombreux départements, se situent des moulins «régulièrement» installés au sens de l'article 2 de l'article L. 214-17 du code de l'environnement - comme par exemple le moulin de Bersac sur la commune de Rancon – qui ont vocation à produire de l'électricité.
La réponse publiée le 9 août 2018 (p. 4198) à la question écrite sénatoriale n° 1 874 - mentionne une lecture et une application sensibles des articles L. 214-17 et L. 214-18-1 du code de l'environnement ; et suggère la lecture de divers documents pour en faciliter l'application et la compréhension par les propriétaires, les associations de défenseurs de moulins et de cours d'eau ainsi que par les services de l'État. Sont cités le guide réalisé par les fédérations de défense des moulins et l'association française des établissements publics territoriaux de bassin ou encore le «plan d'action pour une mise en œuvre apaisée de la continuité écologique» ainsi que le règlement européen n° 1100/2007 du conseil en date du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes.
L'application de ces articles nourrit des contentieux avec l'administration et semble susciter encore des divergences d'interprétation entre les fédérations de défense de moulins ou de cours d'eau et les services de l'État.
En conséquence, il lui demande de clarifier les conditions d'application des articles L. 214-18-1 et L. 214 - 17 du code de l'environnement.

Question écrite n° 16736 de M. Bernard Bonne (Loire) 
M. Bernard Bonne attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la nécessaire valorisation du patrimoine hydraulique des rivières dans notre pays.
Malgré 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les agences de l'eau, les résultats ne sont pas au rendez-vous et la fracture entre les politiques nationales et les réalités de terrain s'accentue. Or, durant la crise du Covid-19, les petites centrales hydro-électriques ont continué à produire de l'énergie bas carbone, les moulins ont repris ou augmenté leur production d'huile ou de farine afin de faire face aux difficultés d'approvisionnement.
Plus généralement, face aux risques majeurs que notre pays affronte, manque d'indépendance énergétique, retard dans la production bas carbone, sécheresses et canicules, mais aussi grandes crues, déclin de la biodiversité, les ouvrages hydrauliques sont une réponse pertinente.
Or, contrairement à l'esprit de la loi de 2006 qui prévoit explicitement de « gérer, entretenir et équiper » les ouvrages hydrauliques et d'indemniser les charges exorbitantes résultant de travaux de continuité écologique là où ils sont indispensables, l'État dépense l'argent public pour détruire et assécher les seuils de moulins dont 90 % d'entre eux ne constituent pas des obstacles à la continuité écologique.
Aussi, alors que près de 50 000 sites sont ainsi disponibles pour mener une politique locale et active pour l'eau, le climat et les paysages, la biodiversité mais aussi l'économie locale, il souhaite savoir si le Gouvernement entend préserver nos moulins et étangs et non les détruire, et mener une réelle politique de co-construction avec les acteurs de terrain.

24/08/2020

Ce que les riverains européens pensent des petites centrales hydro-électriques au fil de l'eau (Venus et al 2020)

Une équipe européenne de chercheurs a mené une enquête qualitative dans trois pays (Suède, Portugal, Allemagne) pour comprendre la représentation de la petite et moyenne hydro-électricité au fil de l'eau par les riverains. Il en ressort que la capacité à disposer d'une énergie locale indépendante d'intérêt public et la lutte contre le changement climatique sont les deux axes dominants dans les esprits des riverains. L'idée de relancer et équiper des ouvrages existants plutôt qu'en construire de nouveaux figure parmi les plus populaires. Mais il y a aussi des préoccupations sur les écosystèmes et sur les cadres de vie, dont les porteurs de projet devront prendre compte. La capacité à développer de nombreux sites de production décentralisée et de dimensions modestes est un des éléments clé de la transition énergétique, qui ne repose plus seulement sur un maillage de très grosses unités de production. 


Petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau, installée dans un ancien moulin (droits réservés). L'idée de ré-utiliser les infrastructures en place plutôt que d'en construire de nouvelles figure parmi les plus appréciées dans l'enquête de riveraineté menée par Terese E. Venus et ses collègues.

Dans l'Union européenne, l'hydroélectricité représente une composante importante de la transition vers les énergies renouvelables, en partie grâce aux infrastructures qui ont été installées au fil des deux derniers siècles. L'Europe a une longue histoire d'exploitation de l'hydroélectricité et une large proportion de son potentiel disponible a été exploitée, d'abord par des réseaux de moulins, puis par des constructions de barrages de plus grandes dimensions, sur les fleuves ou dans les montagnes.

Comme le rappellent Terese E. Venus et ses collègues, "la majorité des sites de grandes usines ayant déjà été aménagée, environ 75% des futurs projets seront de petite ou moyenne capacité (Kelly-Richards et al., 2017; Paish 2002). (...) La majorité de ces petites centrales hydroélectriques sont des systèmes au fil de l'eau (Manzano-Agugliaro et al 2017). Pour faire la distinction entre différentes technologies, l'hydroélectricité au fil de l'eau génère de l'énergie à partir du débit naturel des rivières en utilisant des barrières (c'est-à-dire des seuils ou des barrages) pour diriger l'eau vers une turbine dans un canal (Anderson et al 2015). Il existe trois types différents de systèmes au fil de l'eau: haute chute, basse chute avec diversion, basse chute directement sur le seuil. Alors que les structures à haute chute se trouvent dans les régions montagneuses à forts gradients naturels, les structures à faible hauteur se trouvent dans les rivières à faibles gradients (Anderson et al 2015). Les turbines de basse chute sont considérées comme particulièrement respectueuses des poissons en raison de leur faible vitesse de rotation (Overhoff et Keller  2015). Il existe également des systèmes au fil de l'eau avec retenue, qui permettent un stockage d'énergie à petite échelle à court terme (Sharma et Singh 2013). En revanche, l'hydroélectricité à réservoir utilise un barrage ou une autre barrière pour stocker l'eau dans un lac, et la décharger lorsque l'énergie est nécessaire. Enfin, un système de pompage-stockage pompe (souvent avec de l'énergie renouvelable) de l'eau d'un réservoir inférieur vers un réservoir supérieur afin que l'eau puisse être libérée par les turbines à la demande (Kucukali 2014)."

Comment est perçue cette hydro-électricité, en particulier les petites usines au fil de l'eau, dont la logique n'est pas celle des grands barrages réservoirs?

Pour le savoir, les chercheurs ont mené une enquête qualitative et quantitative auprès des riverains en Allemagne, Suède et Portugal, trois pays qui ont une approche différente de l'hydro-électricité pour son importance dans le mix énergétique, son lien historique ou non à une organisation centralisée, son encadrement règlementaire faible ou avancé. Ils ont fait usage de la méthodologie Q : une étude préalable permet de repérer les idées d'un débat, que l'on soumet au panel afin de le faire réagir et de quantifier la distance à ces idées. Une analyse factorielle permet ensuite de regrouper les publics en groupes d'affinité selon qu'ils partagent des idées. Les chercheurs ont délimité 25 grandes idées réparties en 6 catégories : l'économie (coûts, bénéfices); l'environnement (effets écologiques de l'hydro-électricité); la qualité de vie; la politique publique d'énergie; les préférences comparatives dans le mix énergétique; la participation du public. Leur panel a été formé de 270 personnes après une sélection par une connaissance minimale du sujet.


Une petite centrale hydro-électrique au fil de l'eau jouxte directement la rivière, et elle est souvent installée à l'extrémité du seuil qui barre cette rivière (droits réservés).

Il en ressort quatre axes majeurs ci-après détaillés (les lettres et chiffres renvoient au numéro des répondants par ville : L pour Landshut en Allemagne, V pour Vila Real au Portugal et O pour Örnsköldsvik en Suède).

L'hydro-électricité comme énergie locale permettant l'indépendance (49% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour maintenir le contrôle régional» (facteur 1) se concentre sur les avantages économiques de la production hydroélectrique. Les répondants soutiennent les prix bas de l'énergie et veulent que leur pays soit indépendant de l'énergie: «il n'est pas bon d'être dépendant des autres pays et de leur politique» (L 67). La propriété est un sujet central. L'État devrait posséder des usines au fil de l'eau et leur pays devrait en bénéficier. Cela signifie qu'aucune entreprise étrangère ne devrait exploiter les centrales hydroélectriques de sa région. Les commentaires suivants illustrent ce point de vue: «Il ne faut pas que nos entreprises soient reprises par des entreprises étrangères» (L 60) «Il est important pour la Suède que les municipalités soient propriétaires des centrales hydroélectriques. Et qu'aucune entreprise étrangère ne devrait les posséder. (O 55) «L'énergie [du Portugal] devrait être indépendante des intérêts étrangers» (V 64) De plus, les répondants estiment que «l'eau ne devrait pas être privatisée» (L 69) et «il vaut mieux que [l'hydroélectricité] reste publique »(L 79), en particulier« puisque l'énergie est nécessaire à tous les citoyens, elle devrait être la propriété de l'État »(V 59). Par rapport à d'autres sources d'énergie, l'hydroélectricité au fil de l'eau est considérée comme «sans problème» (L 41)."

L'hydro-électricité comme réponse au changement climatique (29% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour lutter contre le changement climatique» (facteur 2) donne la priorité à la production d'énergie propre. Les répondants soutiennent l'hydroélectricité car elle contribue à atténuer le changement climatique, qui est «le principal problème dont la planète débat» (V 81). Il est donc important que «les sources d'énergie renouvelables réduisent la dépendance aux combustibles fossiles et atténuent le changement climatique» (V 101). Ce groupe valorise la flexibilité et le stockage de l'énergie et se préoccupe moins de la propriété étrangère: «Être [portugais] ou étranger n'est pas pertinent. L'usine doit être gérée de la meilleure façon, indépendamment de la nationalité des propriétaires »(V 65). Cependant, les répondants étaient contre la propriété de l'État: «l'État devrait réglementer la production hydroélectrique, mais les centrales devraient appartenir aux investisseurs» (V 86) parce que «la société ne peut pas être totalement dépendante de l'État. L'État ne devrait légiférer que »(V 134) et« l'État est un mauvais propriétaire »(V 66). Un répondant suédois a noté: «Il devrait y avoir plus de particuliers capables de posséder des centrales hydroélectriques et de les reconstruire» (O 11)."

L'hydro-électricité comme impact sur les écosystèmes (22% de la variance)
"Les répondants liés à la perspective «l'hydroélectricité pour protéger les écosystèmes» (facteur 3) sont préoccupés par les impacts écologiques négatifs. Pour ce groupe, les centrales hydroélectriques «perturbent la nature» (V 2) et «les interventions dans la nature sont toujours mauvaises» (L 43). Ils préfèrent les systèmes fluviaux intacts: «il est important que l'on permette aux rivières de s'écouler librement avec un débit naturel» (O 47) car «les rivières sans hydroélectricité sont belles» (O 24). Ils estiment que la production hydroélectrique devrait être soit à faible impact et bien intégrée dans le débit naturel de la rivière, soit limitée à certaines rivières ou à certains tronçons de rivière: «Il est important de laisser les rivières déjà [équipées] être utilisées et entretenues afin qu'aucune nouvelle des centrales hydroélectriques seront construites »(O 9). Ce groupe se préoccupe de la propriété, surtout si cela signifie perdre son influence sur les plans d'eau locaux: «Nous devons protéger notre ressource la plus précieuse, l'eau, des grands investisseurs» (L 73). Il y a aussi une préférence contre la propriété étrangère: «L'hydroélectricité en Suède devrait appartenir à des entreprises publiques ou suédoises et profiter à la municipalité où elle est située» (O 10)."

L'hydro-électricité comme impact sur le cadre de vie et le bien-être (10% de la variance)
"La perspective «l'hydroélectricité pour promouvoir le bien-être des citoyens» (facteur 4) se concentre sur les effets économiques et sociaux individuels de l'hydroélectricité RoR et seuls les répondants de Vila Real se sont prononcés de manière significative sur ce facteur. Les répondants apprécient les bas prix de l'énergie, l'atténuation écologique et la création d'emplois dans la région. Ils sont préoccupés par les impacts écologiques et le potentiel d'inondations, d'autant plus que «les inondations causent de nombreux dommages et sont de plus en plus fréquentes» (V 50). Le point de vue critique a également été démontré par les préférences des répondants pour d’autres formes d’énergies renouvelables: «Une certaine diversité spatiale est nécessaire. Trop de centrales hydroélectriques existent déjà dans la région »(V 46). Les répondants étaient opposés à l'idée que l'État devrait posséder des centrales hydroélectriques. Par exemple, un répondant a déclaré que «l'État devrait avoir d'autres devoirs. Il doit gérer directement l'eau et les autres biens communs, mais pas l'énergie »(V 82). Un autre répondant a déclaré que «les entreprises privées et les villes devraient également pouvoir posséder des centrales hydroélectriques» (V 111). De plus, selon eux, ce n'est pas le rôle de l'État de produire de l'énergie. Un répondant a expliqué que l'État devrait se concentrer sur ses devoirs comme la préservation «de l'eau et des autres biens communs, mais pas de l'énergie» (V 82)."

Les chercheurs concluent : "La production décentralisée à petite échelle sera un élément important de la transition vers les énergies renouvelables. Une grande partie des futurs projets hydroélectriques sera de plus petits projets hydroélectriques au fil de l'eau. Ainsi, l'hydroélectricité au fil de l'eau représente une opportunité de décentralisation et de coproduction durables. Étant donné que l’ampleur de la transition énergétique durable sera déterminée par les valeurs et le comportement sociaux et économiques du public, il est essentiel de comprendre les points de vue locaux sur l'hydro-électricité au fil de l'eau."

Référence : Venus TE et al (2020), The public’s perception of run-of-the-river hydropower across Europe, Energy Policy, 140, 111422

A lire également
Première évaluation européenne du potentiel énergétique des moulins à eau et autres ouvrages anciens (Punys et al 2019)
Les moulins au service de la transition énergétique

22/08/2020

Le bourrage de crâne pour casser les ouvrages en rivière commence au CM2

Un adhérent nous transmet les extraits d'un manuel de CM2 proposant une séance "comment sauver les poissons migrateurs". Un véritable manuel de propagande qui transmet une vision simpliste et fausse de la réalité. Croit-on que l'on va rendre l'écologie honorable et convaincante avec ces méthodes dignes d'Orwell? 

La première page de la fiche de ce manuel rappelle rapidement que le déclin des migrateurs est dû à des multiples facteurs (ouvrages infranchissables, mais aussi surpêche, pollutions, destruction ou altération de habitats et des lits, changement climatique, etc.). Or, la totalité de la séquence est consacrée aux seuls ouvrages hydrauliques. Le rédacteur a donc projeté ses obsessions pour les transmettre aux enfants. On signale plusieurs causes, on se focalise sur une seule : voilà comment propager les idées fixes dans les jeunes esprits, au lieu d'initier à la complexité.

Puis arrive l'objet du délit : l'obstacle à l'écoulement et sa terrifiante retenue.



Le seuil et sa retenue sont décrits comme un enfer biologique : une eau chaude qui s'évapore et asphyxie les poissons. Au demeurant, on ne voit que des poissons — c'est bien connu que tout le vivant aquatique se résume au poisson.

Les écoliers pourraient voir à quoi ressemblent réellement des ouvrages hydrauliques aujourd'hui sommés de disparaître au profit de la continuité, par exemple ceci qui ne paraît pas vraiment une catastrophe écologique:




Ils pourraient aussi voir à quoi ressemble une rivière sans eau après restauration de continuité, par exemple ceci qui n'a pas l'air très favorable au vivant du lit mineur:



Ils pourraient enfin être éduqués au niveau réel d'évaporation ou comparer l'évaporation d'une zone humide naturelle et artificielle, mais ce serait évidemment plus compliqué qu'une caricature. Faisons simple, même si c'est faux.

Le rédacteur ayant convaincu l'enfant que la retenue est un enfer, il prend encore soin de préciser que dès une hauteur de 20 cm, les espèces disparaissent :



C'est terrible. Les écoliers ayant miraculeusement échappé au lavage de cerveau vont peut-être se demander: comment font les espèces pour vivre avec des cascades, chutes, seuils naturels, torrents, rapides, barrages d'embâcles, barrages de castors, éboulis et autres obstacles qui existent depuis des millions d'années, sans parler aussi des assecs? Car c'est quand même le régime normal de la nature, toutes ces discontinuités :



Face à ces terribles obstacles de 20 cm qui font disparaître l'eau et les espèces, il faut agir. Cette image montre la représentation des options.



On voit que l'écolier de CM2 est déjà capable d'apprécier le rapport coût-bénéfice d'un chantier, ce qui est remarquable de maturité (ses parents doivent sûrement travailler à l'agence de l'eau ou à l'office de la biodiversité). On voit aussi que faire passer des "cailloux" serait un enjeu des seuils, alors que la recherche trouve le contraire. De manière surprenante, on montre à l'écolier une situation sans humain : il y a un seuil à peine visible et posé au milieu de nulle part, il ne sert apparemment à rien, il ne détourne pas un bief, il n'y a pas de gens autour. L'écolier doit donc se représenter le fantasme d'une nature sans humain, plutôt que réfléchir à ce que cela signifie d'avoir des humains n'ayant pas les mêmes usages et représentations de la rivière.

Enseigner des informations trompeuses et des explications simplistes qui confortent l'idéologie du moment, ce n'est pas à l'honneur de l'éducation nationale. Les associations de moulins et riverains, les gestionnaires d'étangs de pêche ou de loisir, les syndicats de petite hydro-électricité auront à coeur de se rapprocher de leurs établissements d'enseignement pour proposer des visites de site et corriger le bourrage de crâne subi sur les bancs des classes.

21/08/2020

Les services rendus par la végétation des rives (Riis et al 2020)

On estime que 80% des habitats des rives, et en particulier les couverts végétaux, ont été altérés au cours des deux derniers siècles en Europe. Or, cet espace de transition entre l'eau et la terre, appelé écotone, a un rôle majeur dans la dynamique des écosystèmes et dans les services qu'ils rendent à la société. Une quinzaine de chercheurs font un passage en revue de la littérature scientifique internationale à ce sujet.


Ci-dessus : quatre types de végétation rivulaire selon l'importance relative de l'humidité des sols et des formations boisées, extrait de Riis el al 2020, art cit. 

Tenna Riis et ses collègues publient dans BioScience un passage en revue des services rendus par la ripisylve, ou végétation des berges et des rives. Les auteurs observent :
"La végétation rivulaire des systèmes fluviaux est un complexe d'unités de végétation le long du réseau fluvial qui est fonctionnellement lié aux autres composants du système fluvial et à la zone environnante (Naiman et al 2005). C'est un écotone hybride et ouvert: il est hybride parce qu'il résulte de la co-construction par des processus humains et naturels, et il est ouvert parce que la terre bordant les systèmes fluviaux interagit avec la rivière et les processus associés (Dufour et al 2019). La zone riveraine se caractérise donc par une forte variabilité spatiale et temporelle principalement due à des conditions bioclimatiques, géomorphologiques et d'utilisation des terres, qui évoluent toutes dans le temps sous les influences naturelles et humaines. La végétation riveraine dans le contexte de cet article est définie comme la végétation établie dans le lit majeur, c'est-à-dire la partie du paysage terrestre allant de la ligne des hautes eaux vers les hautes terres, où les nappes phréatiques élevées influencent la végétation et le sol (Naiman et al 1993 )."
Cette ripisylve a connu de nombreuses dégradations à l'ère moderne :
"La végétation rivulaire a la capacité de fournir une quantité de services écosystémiques disproportionnée par rapport à son étendue dans le paysage (par exemple, Sweeney et Newbold 2014) en raison de ses caractéristiques d'écotone et des ses fonctions écologiques (Capon et al. 2013). Cependant, la végétation rivulaire est soumise à une pression importante due à une série d'activités anthropiques, telles que la modification du régime de perturbation, la régulation du débit des cours d'eau par les barrages, la pollution, le changement d'affectation des terres, la récolte du bois, le détournement de l'eau, l'exploitation minière, la déforestation, et aux espèces envahissantes (par exemple, Goodwin et al 1997, Poff et al 2011). En Europe, on estime que 80 % des habitats riverains naturels ont disparu au cours des 200 dernières années (Naiman et al 1993). La perte de végétation riveraine est généralement immense dans les pays développés ; par exemple, elle a diminué de 85 à 95 % en Californie, en Arizona et au Nouveau-Mexique, la plupart des pertes étant attribuées au pâturage (NRC 2002). À l'inverse, des efforts croissants sont entrepris pour récupérer la ripisylve avec un succès variable selon la restauration (par exemple, introduction active de plantes hydrogéomorphiques, reconversion des plaines d'inondation, contrôle du pâturage et des espèces envahissantes (González et al 2015)."
L'article donne un aperçu des services écosystémiques fournis par la ripisylve en adoptant une approche structurée pour identifier ces services, décrire leurs caractéristiques et classer leur importance. La tableau ci-après détaille chaque service dans quatre principaux types de végétation rivulaire (herbacées, forêts, forêts humides, zones humides).


Les services jugées les plus importants sont ainsi:

  • la fourniture d'habitats à d'autres espèces, dont celles permettant le biocontrôle des invasives
  • le filtrage de divers polluants
  • la séquestration du carbone
  • le contrôle de l'érosion
  • la régulation des crues et rétention de l'eau
  • le dépôt des sédiments dans le lit majeur

En conclusion, les auteurs regrettent que les projets de restauration écologique ignorent trop souvent la végétation des berges et rives :
"La sévère dégradation mondiale des écosystèmes d'eau douce a constitué une menace majeure pour le services écosystémiques des zones riveraines et de leur végétation. Cette tendance négative a continué d'augmenter au cours des siècles et plus sévèrement depuis 1950, même si les implications économiques sont graves (par exemple, en raison des dommages causés par les inondations), et dans de nombreux endroits, cette tendance négative pourrait même s'intensifier en raison du changement climatique ( par exemple, Capon et al 2013). Par conséquent, la restauration de la plaine d'inondation et de la ripisylve représenterait une pratique importante pour atténuer les effets de cette dégradation et dans de nombreux endroits; cela se produit déjà. Néanmoins, nous considérons qu'actuellement, la plupart des projets de restauration aquatique visent uniquement à améliorer l'habitat ou la qualité de l'eau, mais risquent de manquer d'autres services écosystémiques important".
Référence : Riis T et al (2020), Global overview of ecosystem services provided by riparian vegetation, BioScience, 70, 6, 501-514

19/08/2020

Le Canard enchaîné dévoile le jeu trouble de la "continuité écologique"

Le Canard enchaîné consacre un grand article au jeu politico-administratif trouble qui entoure la destruction à marche forcée des moulins, étangs et plans d'eau en France, au nom de la continuité écologique. Barbara Pompili, nouvelle ministre de l'écologie depuis cet été, dit vouloir prendre connaissance d'un dossier... qu'elle connaît en réalité par coeur pour en avoir été actrice depuis 2016, déjà au même ministère. Casser des ouvrages hydrauliques a peut-être été une forme particulière du "en même temps" cher à une certaine gouvernance: je détruis le patrimoine ancien mais en même temps je laisse polluer, réchauffer et vider l'eau des rivières. Or cela ne tient plus. Les cartes postales de soi-disant "rivière sauvage" crée à la pelleteuse sont des cautères sur une jambe de bois, des gabegies d'argent public, des diversions des enjeux prioritaires de l'écologie et des territoires. Barbara Pompili devra trancher le noeud gordien. Les associations doivent l'y aider en demandant à leurs députés et sénateurs de l'interpeller au parlement pour engager l'arrêt de la casse des ouvrages hydrauliques et la promotion de leur gestion écologique. 

Extrait du Canard enchaîné, droits réservés.

Dans un remarquable article du Canard enchaîné  intitulé "les moulins à eau condamnés au naufrage" (19 août 2020), le journaliste Alain Guédé décrit de manière très juste et visiblement bien informée la campagne insensée de destruction des moulins, des étangs, des barrages et des plans d'eau que mène une fraction de l'administration publique depuis 10 ans.

En particulier, le journaliste souligne l'opposition entre les politiques, (ministres, parlementaires) qui ne cessent de dire que la loi de 2006 ne signifie pas la destruction des ouvrages hydrauliques, et l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, office français de la biodiversité ex Onema, agences de l'eau), qui poursuit son propre agenda en organisant la pression règlementaire et financière pour favoriser les arasements d'ouvrage.

Dans le même temps, comme le souligne Alain Guédé, on ne cesse de trouver des excuses pour retarder la limitation sérieuse des pollutions de l'eau, et on dépense de l'argent public en faveur des acteurs économiques ayant le plus de poids dans les agences de l'eau. Le moulin que l'on casse de manière spectaculaire à la pelleteuse, c'est le cache-sexe de l'échec à mettre en oeuvre la directive cadre européenne sur l'eau qui ciblait en toute priorité le recul des pollutions chimiques. Et cela arrange pas mal de monde aux comités de bassin des agences de l'eau.



Dans cet article, la ministre de la transition écologique et solidaire Barbara Pompili dit vouloir "prendre connaissance du dossier".

Mais Barbara Pompili connaît parfaitement ce dossier! Elle a été secrétaire d'Etat à la biodiversité auprès de Ségolène Royal en 2016, présidente de commission Développement durable de l'assemblée nationale après 2017. A ce poste, nul n'ignore que la continuité écologique a déjà déclenché deux rapports d'audit du commissariat général de l'environnement et du développement durable, irrigué plusieurs rapports parlementaires, provoqué le vote de plusieurs amendements dans les lois récentes, suscité des centaines de questions députés et sénateurs indignés de voir détruits les moulins, les usines hydro-électriques, les réserves d'eau.

Le dossier est simple à comprendre pour Barbara Pompili: malgré l'appel à la "continuité écologique apaisée" et la réitération que la destruction n'est pas la seule solution ni la solution prioritaire, il y a dans l'administration placée sous sa tutelle des fonctionnaires qui persistent dans l'agenda contraire, à savoir prime financière à la seule casse des barrages, digues, seuils et chaussées, harcèlement règlementaire afin de rendre si complexe et coûteuse la propriété d'un ouvrage hydraulique que l'on est poussé à en accepter la disparition.

Ces pratiques reviendront à la figure de Barbara Pompili aussi longtemps qu'elles persisteront, par exemple en ce moment même l'élaboration des SDAGE où les services de l'Etat demandent d'accorder le maximum de financement à la casse du patrimoine hydraulique français. Madame la ministre et son cabinet n'échangent pas avec les directions administratives des agences de l'eau?

En réalité, cette question de la continuité écologique est un noeud gordien des représentations de l'écologie, et en particulier de la conservation de la biodiversité :
  • soit on a une écologie de la nature sans l'humain voire contre l'humain, qui vise à restaurer de la "rivière sauvage" et à interdire des usages, car la seule bonne et véritable nature serait celle qui est libre de toute interférence avec des contraintes humaines. En ce cas, on milite pour faire disparaître toute trace de modification humaine d'un milieu physique, comme par exemple des moulins, étangs, barrages et lacs sur une rivière. C'est l'idéologie (dite aujourd'hui "conservationniste traditionnelle" ou "mainstream") de nombreux agents en charge de la biodiversité, mais aussi le paradigme d'une partie des experts et chercheurs conseillant la technocratie (ou hydrocratie, disent d'autres chercheurs...); 
  • soit on a une écologie de la conciliation, qui prend acte des nouveaux écosystèmes de l'Anthropocène (la nature avec l'humain), de la construction socio-historique de la nature et de la nécessité de composer de nouveaux paysages du vivant, ce qui correspond à la "nouvelle conservation" ayant émergé depuis 15 ans, sur la base de travaux scientifiques actualisant nos connaissances mais aussi sur la base des nombreux conflits ayant émaillé l'histoire de la création de réserves sauvages en ignorant les populations et leurs attentes. Ces nouveaux paysages du vivant pourront être "sauvages" (au sens de peu impactés par l'humain) ou "hybrides" (au sens de co-construits par l'humain), l'enjeu n'est plus de chercher partout une naturalité idéale et perdue comme on le faisait au 20e siècle, mais de cibler ce qui dégrade le plus le vivant, de viser la préservation des espèces les plus menacées et de travailler aussi bien à la biodiversité ordinaire. 
Ce noeud gordien, Barbara Pompili devra le trancher. Si ce n'est elle, un successeur. Car la controverse ne s'arrêtera pas. Les riverains des milieux, patrimoines et cadres de vie que l'on menace de détruire reviendront à la charge autant que nécessaire. Que chacun profite de la rentrée pour saisir les députés et sénateurs afin que cesse, une fois pour toutes, le harcèlement administratif contre le patrimoine hydraulique du pays.

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18/08/2020

Enquête sur la gestion piscicole des plans d'eau

L'Irstea (aujourd'hui Inrae) a publié voici quelques mois les résultats d'une enquête sur la gestion des plans d'eau en France, centrée sur le suivi piscicole par des associations et fédérations de pêche. Quelques résultats et commentaires.


L’ichtyofaune (populations de poissons) des cours d’eau français fait l’objet d’un suivi de longue date au travers du réseau hydrobiologique et piscicole (RHP) mis en place dès les années 1990 par le Conseil supérieur de la pêche (CSP). Mais la faune piscicole des plans d’eau est restée peu étudiée. Des campagnes de mesure ont été menées dans les années 2010 pour mettre au point des indicateurs de qualité en réponse à la directive cadre européenne sur l'eau de 2000 : indice ichtyofaune lacustre (IIL) et indice ichtyofaune retenues (IIR). Toutefois, 90% des plans d'eau ne sont pas répertoriés par la France, car les plus nombreux d'entre eux, installés sur des cours d'eau ou déconnectés, ne sont pas isolés aujourd'hui comme objets d'étude et de gestion à part entière.

L'Irstea (fusionné depuis dans l'Inrae) avait mené une enquête sur les plans d'eau en 1998. Une nouvelle étude vient de paraître. Un questionnaire a été envoyé à des structures de pêche (fédérations ou associations) qui gèrent des plans d'eau. Au total, 84 réponses ont été obtenus sur 70 départements. Au total, 964 plans d’eau ont été mentionnés au cours de l’enquête : 190 lacs naturels, 369 retenues, 107 gravières et 298 petits plans d’eau. Le chiffre est assez faible puisque la France compterait en réalité 500 000 plans d'eau.

Le nombre d’inventaires piscicoles sur la période 1989-2019 pour chaque type de milieu montre que les plans d'eau sont très peu suivis, avec moins de 10 relevés par an sur la période 1989-2012, davantage ensuite dans la phase de mise en place d'indicateurs IIL et IIR :



La principale activité en plan d'eau gérée par les pêcheurs est le déversement d'espèces :


Nombre de déversements rapportés sur 4 années :



Les six espèces principalement concernées par ces déversements sont : le brochet (Esox lucius), le gardon (Rutilus rutilus), le sandre (Sander lucioperca), la tanche (Tinca tinca), le black-bass  (Micropterus salmoides) et la perche (Perca fluviatilis). Elles représentent 73% des déversements totaux. Au total, 22 espèces sont concernées par des alevinages ou des empoissonnements :


Les actions sur l'habitat représentent 28% des interventions. Ce sont d'abord des entretiens dans 42% des cas (faucardage, entretien des berges), des améliorations dans 31% des cas (abris, récifs artificiels, réouverture de zones humides, passes à poissons, gestion des marnages, roselières) et des créations de frayères dans 27% des interventions, avec le brochet comme espèce cible dans la moitié des cas.

Des destructions d'espèces sont aussi observées sur 49 plans d’eau répartis dans 19 départements entre 2000 et 2018. Parmi les 15 espèces visées, le poisson chat est la plus fréquente.

Des introductions non contrôlées d’espèces ont été notées sur 149 plans d’eau : 6 gravières, 37 petits plans d’eau, 15 lacs naturels et 91 retenues. Le silure est la principale espèce de poisson introduite dans les plans d’eau français de manière incontrôlée (102 plans d’eau concernés). Le poisson-chat et la perche soleil sont les deux autres espèces de poissons les plus introduites. On note aussi l’introduction récente de gobie à taches noires (Neogobius melanostomus), d’écrevisses de Louisiane et de pseudorasbora (Pseudorasbora parva).

Au final, cette étude nous inspire plusieurs commentaires:
  • les plans d'eau sont peu suivis par rapport à leur importance numérique dans le réseau hydrographique français, ce qui témoigne d'un biais déjà observé pour les milieux lotiques plutôt que lentiques en ce qui concerne l'inventaire, la protection et la gestion des milieux aquatiques,
  • le suivi est orienté par la finalité halieutique et piscicole, car elle a des maîtres d'ouvrages spécialisés en interlocuteurs des experts, mais la recherche scientifique montre aussi l'importance écologique des plans d'eau pour d'autres assemblages (plantes, invertébrés, amphibiens, reptiles, mammifères, oiseaux) et leur rôle de conservation dans la biodiversité régionale, outre leurs usages sociaux,
  • il serait souhaitable de développer une gestion écologique intégrée des plans d'eau, et de mobiliser davantage en science participative d'autres acteurs à coté des structures de pêche (professionnels de la pisciculture, étangs et lacs de loisirs, particuliers)
Référence : Daupagne L et al (2019), Enquête sur la gestion piscicole des plans d’eau français. Synthèse nationale, Irstea, 60 p.

16/08/2020

Même en sécheresse et canicule, les inconscients dénigrent et détruisent les retenues d'eau

Alors que les civilisations sédentaires du néolithique stockent et canalisent l'eau depuis 5 millénaires, nous avons aujourd'hui quelques "sachants" expliquant que les retenues ne retiennent pas l'eau. Et les plus grands médias se font l'écho de leurs propos. A quoi riment ces absurdités alors que le changement climatique annonce des périodes de sécheresses et canicules à répétition, que déjà sous nos yeux des poissons meurent en masse dans des cours vidés d'eau? Quelle est cette idéologie délétère qui non seulement diabolise la création de retenues et de canaux, mais qui organise aussi leur destruction dans tous les territoires? Quand les lits et les puits seront à sec, croit-on que les responsables du désastre ne seront pas inquiétés? Si la modération des usages domestiques, agricoles et industriels en période de tension est une évidence, la nécessité d'avoir une politique de gestion des retenues d'eau l'est tout autant. Cette gestion inclut la dimension écologique des ouvrages. Aucun chantier ne doit réduire la ressource locale, et des projets de territoire doivent être construits autour de la maîtrise assumée des écoulements, cela tant par des solutions fondées sur la nature que par des solutions fondées sur la technique. 


Dans l'Aube comme ailleurs, un nombre croissant de rivières à sec en été. © L'Est éclair, droits réservés. 

Dans un article intitulé "Face à la sécheresse, les retenues d’eau artificielles, une solution de très court terme" (8 août 2020), le journal Le Monde donne la parole à des experts qui remettent en question l'intérêt des retenues d'eau. En voici l'extrait concerné.
« Bien sûr qu’il faut retenir l’eau, mais dans les sols, pas en surface où une bonne part va s’évaporer par fortes chaleurs, affirme l’hydrogéologue Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et vice-président du Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne). Des études récentes ont conclu que les pertes sur les lacs de l’Ouest américain peuvent atteindre 20 % à 60 % des flux entrants, c’est considérable. D’autres, réalisées en Espagne, ont conclu que dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues. »

Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. La problématique est la même pour les grandes bassines, explique-t-il en substance. « C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées », conclut-il.

Son point de vue est partagé par nombre d’hydrologues. Ainsi Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie (directrice de recherche CNRS et professeure attachée à l’Ecole normale supérieure) déclarait-elle au Monde, à l’été 2019 : «Le moyen le plus efficace de garder la ressource hydrique, ce sont les nappes et les sols qui se gorgent de volumes conséquents et les transfèrent vers le sous-sol. Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre (…). En outre, le remplissage de ces infrastructures en automne peut contribuer à augmenter la durée des pénuries.»

Chaque année, sécheresses et canicules se répètent désormais. Chaque année, nous avons droit aux mêmes éléments de langage de la part de certains experts et médias. Nous avions déjà exprimé l'an passé notre irritation face à la manière dont les choses sont présentées.


Cette carte de l'Observatoire national des étiages (Onde) montre les rivières sans écoulement visible (orange) ou à sec (rouge) en juillet 2020.


Les chercheurs Inresta et Onema ont produit entre 2013 et 2016 une synthèse sur les effets cumulés des retenues (Carluer et al 2016). L'une de leurs principales conclusions est que le sujet est aujourd'hui très mal traité par la recherche en dehors du cas particulier des grands barrages-réservoirs. On manque des données physiques de mesure (rétention, infiltration, évaporation) sur les différents types de retenues, de géologie et d'hydrologie. A dire vrai, on ne sait même pas combien de plans d'eau sont présents sur les territoires, car la directive cadre européenne et son interprétation française les ont fait disparaître du radar (Touchart et Bartout 2020).

Le schéma suivant, extrait de cette expertise de 2016, rappelle que les retenues ont aussi un rôle d'infiltration de l'eau vers les sols et les nappes, ce qui est encore plus vrai quand ces retenues dérivent des canaux (servant à l'irrigation, l'énergie, l'agrément selon les cas) et donc multiplient les occasions d'échange hydrologique.



Si le but est de stocker et répartir (en surface, en sol, en nappe, en croissance végétale) les eaux excédentaires de l'autonome au printemps pour affronter de la meilleure manière possible les étés, comment les réseaux de retenues et de canaux peuvent-ils être jugés inutiles? Pourquoi réduire la question à la sécheresse agricole - certes, première cause de consommation d'eau en été -, alors que la sécheresse hydrologique a aussi comme enjeu la présence locale d'eau partout pour le vivant et pour la société? Les poissons des petites rivières et leurs riverains, les villages traversés par des biefs, les étangs et leurs habitants n'ont-ils pas eux aussi droit à la considération?

Voici 2 ans, huit scientifiques ont fait tourner des modèles climatiques et hydrologiques pour analyser la possible évolution des sécheresses au 21e siècle, en distinguant la sécheresse météorologique (défaut de précipitations), la sécheresse agricole (sols secs), la sécheresse hydrologique (baisse des nappes et débits). Leur travail (encore provisoire car les modèles doivent s'améliorer) montre que les épisodes de sécheresses devraient globalement s'aggraver dans la plupart des régions du monde, surtout aux latitudes moyennes comme la France et l'Europe. Plus on émet de gaz à effet de serre, plus l'impact sera fort: la prévention par transition énergétique est donc déjà une première nécessité. Les auteurs montrent aussi que l'on peut conjurer les sécheresses agricoles, mais au risque d'aggraver les sécheresses hydrologiques si l'usage de l'eau est localement excessif, notamment pour l'irrigation. Il devient donc indispensable d'avoir une vue précise de la ressource en eau de chaque bassin et de ses connexions à l'aval, tant pour les besoins de la société que pour la préservation des milieux aquatiques (Wan et al 2018).

Des travaux récemment parus montrent que la préservation des retenues de moulins, d'étangs ou de plans d'eau a des intérêts pour la gestion de l'eau. Or ces milieux sont aujourd'hui détruits et asséchés au nom d'une continuité écologique exigeant que toute l'eau passe dans le lit mineur et ne soit plus retenue, même si cela élimine des milieux aquatiques et humides en place comme des plans d'eau ou des canaux. Le résultat est souvent la discontinuité hydrique en été, avec des lames d'eau faibles offrant peu de refuge au vivant, voire des assecs éliminant toute vie aquatique.

Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond) (Maaß et Schüttrumpf 2019).

Une étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique (Al Domany et al 2020).

Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant (Podgórski et Szatten 2020).

Dix chercheurs européens ont tiré la sonnette d'alarme : les milieux aquatiques et humides anthropiques (d'origine humaine), qui représentent 90% des plans d'eau et 30% des surfaces en eau de l'Europe, ont été purement et simplement effacés du radar de la directive cadre européenne sur l'eau et de sa mise en oeuvre par chaque pays. Or, quoique créés par les humains, ces milieux ont des effets sur les cycles biogéochimiques, sur les services écosystémiques et sur la biodiversité (Koschorreck et al 2020).

Dans une récente revue, trois chercheurs soulignent que les besoins en eau des sociétés ont peu de chance de décroître à horizon prévisible, et que chaque bassin se retrouve confronté à la question d'un stockage optimal de l'eau (Eriyagama et al 2020). Cette optimalité concerne la forme des stockages, pouvant être concentrée/centralisée ou au contraire plus ou moins distribuée:



L'optimalité exige aussi de prendre en compte ensemble les dimensions écologiques, sociales et économiques des choix démocratiques :


De tels travaux sont nombreux (lire les textes référencés en bas de cet article). On en vient donc à se demander : est-ce au nom d'une idéologie, ou d'un pouvoir bureaucratique, que certains dénigrent les retenues d'eau? Quand vague de chaleur après vague de chaleur les milieux aquatiques français seront asséchés, tandis que l'administration aura bloqué les projets de retenues et détruit celles qui existent au nom du dogme de  la continuité prétendument "écologique", ces acteurs prendront-ils la responsabilité de leurs propos?

La question de l'eau est cruciale pour le vivant, avec un grand nombre d'espèces de milieux aquatiques et humides déjà sous pression, en état vulnérable. Elle est cruciale pour la société qui devra affronter des étés de plus en plus chauds et stressants. Elle est cruciale pour l'économie, dont des pans entiers sont à l'arrêt si les ressources sont taries. Il ne faut plus penser cette question selon des oppositions anciennes entre "naturel" et "artificiel" : des retenues gérées de manière écologiquement responsable, conçues ou aménagées pour ne pas entraver la circulation d'espèces qui en ont besoin, font partie des solutions. Ce n'est qu'un des outils d'une plus vaste panoplie. Mais un outil à assumer et utiliser.

Réponse à quelques idées reçues
Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"
Idée reçue #09 : "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux" 
Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique" 

Orientations pour une gestion durable de l'eau
Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?
Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain
Hausse des pluies extrêmes en France et rôle des ouvrages hydrauliques
Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire
Le gouvernement doit cesser de négliger le rôle des plans d'eau, biefs et zones humides

14/08/2020

Cinq siècles d'étiages et sécheresses

L'examen des 500 ans passés par l'histoire de l'environnement montre que nos épisodes de sécheresse ne sont pas seulement des anomalies récentes: la France a connu de longues périodes de pluies très basses dans le passé. Ce qui inquiète évidemment pour l'avenir, puisque la hausse des températures et des usages par rapport aux siècles antérieurs va accentuer la pression sur la ressource, cela en situation d'incertitude inédite sur des épisodes climatiques extrêmes. Les politiques de l'eau doivent s'inspirer du long terme et être davantage orientées vers la maîtrise des risques.


Ce graphique montre les épisodes de sécheresse (en ordonnées, le nombre de jours sans pluie) reconstitués sur 5 siècles (1500-2000) par l'historien Emmanuel Garnier, dans quatre zones : Languedoc-Roussillon, Lyonnais, Rhin, Ile-de-France.

Les flèches en rouge indiquent les périodes sèches pluridécennales. L'historien remarque :
"Une première interprétation globale démontre (...) que le XXe siècle ne détient pas le monopole des sécheresses. Si les dernières décennies enregistrent bien une tendance à la hausse, elles n’en demeurent pas moins inférieures à des périodes antérieures.

Qu’il s’agisse du Rhin, du Rhône, de la Saône ou encore de la Garonne, tous ces fleuves sont victimes de sécheresses accrues entre les années 1550 (avec une rémission ponctuelle vers 1590 néanmoins) et 1650. Or, ce pas de temps séculaire coïncide grosso modo, dans la grande histoire climatique, au fameux « hyper- PAG », tel que défini par Emmanuel Le Roy Ladurie. Une telle discordance ne cesse d’interroger quand on pense que le climat d’alors se caractérise par des années «froides et humides». Il en est de même pour le «petit» réchauffement de la première moitié du XVIIIe siècle. Observé sur les terres franciliennes, il est confirmé sur les rives du Rhin, dans la capitale des Gaules alors qu’il semble moins probant sous le soleil de Méditerranée. Une nouvelle fois, il y a de quoi être à l’image du temps de l’époque, autrement dit perturbé... En effet, la phase aride prend naissance dans la dernière décennie du Grand Siècle et englobe le «Grand Hiver» 1709, autant d’épisodes plus souvent associés au Minimum de Maunder (MM) au cours duquel on assiste à une quasi-disparition des tâches solaires. A l’image des travaux récents du climatologue suisse Luterbacher, les sécheresses historiques tendraient à renforcer l’impression d’une phase ascendante (dans quelle proportion?) combinée des températures et des épisodes secs voire très secs. Pour mémoire citons les chapelets de sécheresses très sévères de 1684, 1694, 1702, 1705, 1714, 1717, 1718 et enfin 1719 à Paris ou encore celles de 1685, 1694-1695, 1700, 1705-1706, 1716, 1718 et 1719 en territoire languedocien pour s’en convaincre définitivement."
Cette histoire des sécheresses sur le temps long inspire deux réflexions :
  • il serait naïf de penser que "la nature fait bien les choses" et que les seules perturbations récentes par l'homme du sol ou de l'atmosphère provoquent des sécheresses sévères. En réalité, les sociétés humaines ont toujours dû vivre avec des incertitudes climatiques et hydrologiques. Les mortalités des épisodes climatiques extrêmes se chiffraient jadis par centaines de milliers de personnes, essentiellement en raison des récoltes détruites et des maladies hydriques;
  • la période récente montre une hausse des sécheresses et, comme nous le savons, le climat terrestre ajoute désormais à sa variabilité naturelle le forçage anthropique par gaz à effet de serre, avec des niveaux de CO2 et CH4 jamais atteints depuis 2 millions d'années. Les scientifiques annoncent une hydrologie plus instable, des épisodes de canicule plus intenses et fréquents. Ce changement survient alors que la pression démographique et économique sur les milieux est plus élevée qu'elle n'a jamais été dans l'histoire, les sociétés modernes consommant bien plus d'eau que les sociétés anciennes.
Gouverner, c'est prévoir : il est indispensable que la politique française de l'eau fasse l'objet d'un ré-examen par des expertises contradictoires et d'un débat démocratique national sur nos options pour l'avenir. Le passage du paradigme hydraulique (gestion de l'eau par le besoin) au paradigme écologique (gestion de l'eau par l'équilibre naturel) après le vote de la loi sur l'eau de 1992 a entrainé un évident flottement dans l'action publique. Une raison en est que les concepts de l'écologie scientifique ne sont pas stabilisés et que les pratiques d'ingénierie écologique demeurent largement expérimentales. Or, dans une période à risque élevé, nous avons besoin de garantir la robustesse des choix opérés et la dimension adaptative des aménagements réalisés. Les générations présentes manquent déjà d'eau par endroit, et cela peut devenir pire pour les générations futures. Préserver l'eau sur nos territoires est un impératif qui doit irriguer tous les choix publics.

Source : Garnier Emmanuel (2009), Bassesses extraordinaires et grandes chaleurs.
500 ans de sécheresses et de chaleurs en France et dans les pays limitrophes, Colloque 193 SHF «Etiages, Sécheresses, Canicules rares et leurs impacts sur les usages de l’eau», Lyon, 7-8 octobre 2009

En complément
Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain
Mille ans d'évolution des zones humides
Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?

13/08/2020

Les lamproies marines victimes d'une prédation élevée, probablement par les silures (Boulêtreau et al 2020)

Dans les rivières Dordogne et Garonne, les lamproies marines subissent une baisse notable de population observée en vidéo-comptage depuis 10 ans. Quelle peut en être la cause? Une expérience de radio-suivi sur une cinquantaine d'individus adultes montre un taux très élevé de prédation, à 80%. Principal suspect en absence de loutres et de brochets: le silure, qui s'est installé dans les rivières ouest-européennes. Cette pression sur la lamproie marine s'ajoute à celle de la pêche commerciale, comme à d'autres plus anciennes.


Population remontante de lamproies aux stations de vidéo-comptage de la Dordogne et de la Garonne. On observe la chute au cours de la dernière décennie. Extrait de Boulêtreau et al 2020, art cit.

La lamproie marine (Petromyzon marinus) est une espèce anadrome qui migre dans les rivières pour atteindre les zones de frai. Son aire de répartition géographique s'étend des deux côtés de l'océan Atlantique Nord. Les populations les plus importantes sont observées dans les estuaires et fleuves d'Europe occidentale, notamment au Royaume-Uni, dans la péninsule ibérique et en France. Les deux principales populations de lamproie marine de France (les rivières Garonne et Dordogne) montrent des tendances préoccupantes à la baisse de migrations annuelles de lamproie, le nombre s'effondrant depuis la dernière décennie (image ci-dessus).

Trois campagnes de marquage et de suivi radiométrique, d'une durée de 25 à 50 jours, ont été réalisées par Stéphanie Boulêtreau et ses collègues: deux dans la Dordogne et une dans la Garonne. Le signal ID émis par le dispositif visait à identifier les poissons victimes de prédation.

Résultat : "À la fin de la session de suivi, 39 lamproies sur 49 (80%) ont été consommées, 2 sont restées vivantes, 1 a été perdue (car jamais détectée) et 7 ont un statut inconnu. (...) Les premiers événements de prédation se sont produits dans les 2 à 7 jours suivant la libération de la lamproie. Près de 50% des lamproies marquées (24/49) et 65% des lamproies à statut identifié (24/37) ont été consommées après 8 jours. Plus de 70% du total des lamproies ont été consommées après 18 jours de suivi. La plupart des lamproies consommées ont été détectées en amont du point de rejet; seules 2 lamproies ont été détectées en aval du point de rejet (...) Seules 4 lamproies sur 39 ont été détectées comme consommées à plus de 10 km du point de rejet."

Les auteurs ajoutent : "Bien que nous n'ayons pas réussi à confirmer l'identité exacte du prédateur, nous avons supposé que cette prédation était principalement due au silure. En dehors du silure, le seul autre prédateur dont les plus gros spécimens peuvent consommer la lamproie marine est le brochet, mais l'espèce est très rare dans les rivières étudiées (...) De nombreuses caractéristiques pourraient expliquer pourquoi la lamproie marine est fortement consommée par le silure européen pendant la migration de ponte. Les lamproies marines adultes en migration représentent une grande proie (longueur du corps> 85 cm) - par rapport à d'autres poissons généralement plus petits - qui peuvent satisfaire les besoins énergétiques des grands silures européens après une période de faible activité trophique. En Europe, la migration vers l'amont de la lamproie est stimulée par l'augmentation quotidienne de la température de l'eau au début du printemps, correspondant également à la reprise de l'activité du silure après l'hiver. Les principaux moments de l'activité du cycle quotidien sont également similaires pour les deux espèces. Les lamproies adultes entreprennent des migrations nocturnes, se déplaçant en amont dans les eaux douces principalement au crépuscule et l'obscurité et cherchant refuge avant l'aube. Bien que certains individus puissent synchroniser leur période d'alimentation autrement, le silure montre généralement des pics d'activité alimentaire la nuit. De plus, les lamproies sont de mauvais nageurs avec de faibles capacités de propulsion".

Enfin, les auteurs remarquent : "Cette cause de mortalité ajoute à la mortalité par pêche, le système Garonne-Dordogne hébergeant la plus grande pêcherie commerciale de lamproie marine d'Europe. En effet, entre 50 000 et 90 000 lamproies marines sont déclarées comme capturées par les pêcheurs en amont de la zone étudiée chaque année. Les lamproies qui réussissent à échapper à la pêche doivent donc faire face à un risque de prédation massif pour rejoindre la zone de frai du système Garonne-Dordogne."

Référence : Boulêtreau S et al (2020), High predation of native sea lamprey during spawning migration, Sci Rep, 10, 6122

10/08/2020

Des drains et canaux aussi riches en biodiversité que les rivières en zone alluviale agricole (Gething et Little 2020)

Les Fenlands, dans l'est de l'Angleterre, sont une ancienne zone de marais drainés dès l'époque romaine, mais surtout à partir du 17e siècle. Deux chercheurs anglais montrent que le réseau de plus de 6000 km de canaux de drains y abrite une biodiversité en invertébrés comparable à celle des rivières de la région, malgré l'usage agricole des sols. Ils soulignent que ces milieux anthropisés sont encore trop peu étudiés, alors qu'ils présentent des potentiels de conservation écologique pour les espèces de milieux aquatiques et humides. L'expertise française et européenne doit intégrer dans sa réflexion tous les espaces créés par des usages humains, qui ont été colonisés par le vivant au fil de l'histoire, au lieu de persister dans leur déni ou dans une opposition stérile avec des milieux qui seraient plus "naturels".

Paysage des Fenlands, par Richard Humphrey, CC

Au Royaume-Uni, les Fenlands du Lincolnshire et du Cambridgeshire (les Fens) sont des zones anciennement formées de marais qui se composent désormais de terres agricoles d'importance nationale, entretenues autour de réseaux de fossés, de drains, de canaux et de rivières. En raison de leur importance à la fois pour l'irrigation et l'atténuation des risques d'inondation, les canaux de drainage artificiels sont omniprésents dans le paysage des Fenlands. Ils représentent un linéaire de 6100 km. Mais la biodiversité et la qualité environnementale globale de ces réseaux de drainage sont faiblement documentées.

Kieran J. Gething et Sally Little ont étudié quatre bassins versants (Steeping, Witham, Welland et Nene) dans les Fenlands, qui contiennent tous une rivière "mère", de vastes réseaux de drainage artificiel (drains et fossés ), des enregistrements de données à long terme sur les macro-invertébrés. Pour leur étude, les drains ont été définis comme fossés de plus de 4 m de largeur en débit à pleins bords et humides en continu. Dans les bassins versants sélectionnés, tous les drains avaient plus de 40 ans. Ils étaient gérés avec un contrôle annuel de la végétation, des dragages périodiques et des remblais.

Voici le résumé de leur recherche:

"Les réseaux de drainage artificiels, omniprésents dans les paysages agricoles de plaine en Europe et en Amérique du Nord, présentent une gamme de conditions physiques et chimiques et peuvent fournir un habitat important pour les organismes aquatiques. Les drains partagent des caractéristiques hydromorphologiques avec les rivières lotiques et les fossés lentiques, offrant potentiellement des opportunités pour un large éventail de taxons. Cependant, on en sait peu sur les communautés qu'ils soutiennent. 

Un ensemble de données de 23 ans sur les macroinvertébrés benthiques provenant de quatre bassins versants anglais a été utilisé pour déterminer les contributions des drains à la biodiversité dans un paysage agricole restauré grâce à une comparaison des bassins versants, des drains et des chenaux fluviaux. L'absence de différences significatives dans la diversité gamma et le chevauchement de composition élevé entre les rivières et les drains ont montré que les drains n'étaient pas appauvris et apportaient systématiquement une richesse comparable à celle des rivières. Un chevauchement de composition élevé suggère que les drains de différents bassins versants contribuent de manière comparable à la biodiversité aquatique à l'échelle du paysage. Des différences significatives dans les conditions environnementales (déduites des indices biotiques) entre les bassins versants peuvent avoir augmenté légèrement la diversité gamma du paysage par le biais du renouvellement. Malgré des similitudes dans la composition des communautés, les espèces non indigènes étaient moins abondantes dans les drains. 

Cette étude démontre l'importance des drains pour la fourniture d'habitats dans les bassins versants intensivement cultivés et met en évidence la nécessité d'une recherche ciblée sur leur potentiel de gestion et de conservation."

Ce graphique montre les scores d'invertébrés sur 3 échelles de mesures (BMWP-ASPT = la diversité, LIFE = invertébrés lotiques, PSI : invertébrés en sensibilité au sédiment) sur 13 points de mesure, les rivières marquées par un astérisque, les autres étant des drains.



Les chercheurs observent : "Aucune espèce présentant un intérêt pour la conservation n'a été enregistrée dans cette étude, mais elles peuvent avoir été manquées par le filtre moyen d'identification taxonomique appliqué à l'ensemble de données d'origine. Lorsqu'ils ont mené des enquêtes sur les drains South Drove et North Drove dans le bassin versant de Welland, Hill et al (2016) ont trouvé deux espèces en situation vulnérables pour la conservation (Oulimnius major et Scarodytes halensis), bien qu'en faible abondance. Cette découverte suggère que de tels taxons sont présents dans les drains de la zone d'étude, soulignant davantage l'importance potentielle des drains dans le paysage et la nécessité de poursuivre les recherches pour évaluer le plein potentiel de conservation de ces canaux."

Discussion
Comme le remarquent les auteurs, la directive européenne sur l'eau de 2000 a distingué des masses d'eau naturelles (devant atteindre un bon état écologique) et artificielles (devant avoir un bon potentiel écologique), concentrant l'attention des chercheurs et des gestionnaires sur les premières comme étant la "référence" des eaux de surface. Plus généralement, beaucoup de travaux en écologie de la conservation ont été conçus au 20e siècle comme préservation de milieux non impactés par des usages humains, avec une indifférence relative à ce qui se passait dans des milieux créés par les sociétés. Or depuis une vingtaine d'années, les représentations ont changé. On s'est aperçu par l'archéologie et l'histoire environnementales de l'ancienneté des modifications humaines de milieux, y compris parfois de paysages perçus comme naturels. Ce qui a donné naissance à l'hypothèse Anthropocène pour désigner notre époque géologique et souligner que "la nature" n'y est plus vraiment séparable de facteurs humains d'évolution. Des campagnes de mesure sur des nouveaux biotopes et paysages d'origine artificielle ont révélé que la vie peut aussi y prospérer, donc que leur simple négation comme espace dégradé et banalisé ne serait pas tenable. Hélas, il faut du temps pour que les données changent les représentations et les habitudes. Nous avons en France un urgent besoin de programmes de recherche dédiés à ces milieux (fossés, drains, canaux, biefs, mares, étangs, plans d'eau), qui sont très nombreux mais orphelins d'études systématiques et de réflexion sur de bonnes règles de gestion.

Référence : Gething KJ, Little S (2020), The importance of artificial drains for macroinvertebrate biodiversity in reclaimed agricultural landscapes, Hydrobiologia, 847, 3129–3138