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15/01/2019

Le SDAGE Seine-Normandie est annulé par le juge, ses projets de destruction doivent être contestés

Le tribunal administratif de Paris vient d'annuler le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie, car l'autorité environnementale l'ayant validé n'était pas indépendante de l'Etat. Le juge a posé que le préfet de bassin ne peut sursoir dans le temps à cette annulation, donc que son effet est immédiat. Tant que nous serons en situation de vide juridique, nous appelons les riverains à demander l'annulation de tout chantier contesté de destruction d'ouvrage hydraulique qui serait procéduralement financé en vertu de ce SDAGE, désormais non opposable. C'est par exemple le cas sur plusieurs chantiers scandaleux de casse d'ouvrages engagée par l'agence de l'eau Seine-Normandie : barrages et lacs de la Sélune, centrale hydro-électrique de Pont-Audemer, nombreux moulins, forges, étangs et autres éléments du patrimoine des rivières. L'agence de l'eau Seine-Normandie soutient la destruction d'ouvrages dans 75% de ses travaux, alors que ni la loi française ni les directives européennes ne prévoient cette issue dans le cadre de la continuité écologique.

Par jugement du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands pour la période 2016-2021.

Ce SDAGE est le document de programmation publique qui fixe les orientations de gestion de l'eau dans les grands bassins hydrographiques. Il conditionne notamment les aides publiques qui seront versées par l'agence de l'eau, selon le principe "l'eau paie l'eau" (les taxes sur l'eau sont collectées par l'agence et reversées dans la gestion publique).

Le recours contre le SDAGE a été porté par des chambres d’agriculture et fédérations du syndicat FNSEA. Il contestait 44 des 191 dispositions arrêtées par ce document de programmation, se plaignant notamment d'un excès de contraintes sur l'agriculture et d'une surtransposition du droit européen.

Ce n'est cependant pas sur des moyens de fond, mais sur un vice de procédure que les juges ont annulé le SDAGE. Le préfet ne peut pas à la fois rendre un avis sur le document – en tant qu'autorité environnementale - et l'approuver en tant que préfet coordonnateur de bassin. Le tribunal s'appuie pour cela sur une Directive européenne de juin 2001 sur les plans et programmes, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (20 octobre 2011, affaire C-474/10) et une décision (n° 360212) du Conseil d'Etat du 26 juin 2015.

"Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rendu le 12 décembre 2014 un avis sur le projet de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands, en qualité d’autorité environnementale. Par la suite, la même autorité, agissant en qualité de préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie, a, par l’arrêté attaqué du 1er décembre 2015, approuvé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands qui avait fait l’objet d’une telle évaluation environnementale, sur le fondement des dispositions du 4° du I de l’article R. 122-17 du code de l’environnement, issues de l’article 1er du décret du 2 mai 2012. Or, ces dispositions ont été annulées par le Conseil d’Etat au motif qu’elles confiaient au préfet de région à la fois la compétence pour élaborer et approuver le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la compétence consultative en matière environnementale, en méconnaissance des exigences découlant du paragraphe 3 de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001. En conséquence, l’arrêté attaqué, pris à l’issue d’une procédure entachée d’une irrégularité substantielle, est lui-même entaché d’illégalité."

Le jugement considère par ailleurs que l'Etat ne peut demander un report de l'effet de l'annulatin :

"le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, ne peut se prévaloir du vide juridique qui résulterait, selon lui, de l’annulation rétroactive du SDAGE 2016-2021 pour solliciter le report dans le temps des effets de son annulation"

Selon le journal Actu Environnement, deux pistes sont envisagées pour aboutir à un retour à une situation normale : "soit une accélération de l'élaboration du Sdage pour la période 2022-2027 ou une reprise de la procédure du Sdage incriminée avec un avis d'une autorité environnementale différentiée.L'issue devrait être connue le 7 février prochain. Les membres du comité de bassin ont prévu de débattre des modalités les plus appropriées."

Lutte contre la destruction d'ouvrages : demander l'annulation des projets financés en application du SDAGE annulé
Pour ce qui concerne la question des ouvrages hydrauliques, les associations, les propriétaires et les riverains peuvent faire jouer cette annulation du SDAGE Seine-Normandie  2016-2021 pour demander l'arrêt de tous les chantiers de destruction ayant reçu financement au titre de ce SDAGE et du programme d'intervention que ce SDAGE justifie.

Cela vaut pour les barrages de la Sélune, où l'AESN devait dépenser plus de 40 millions d'argent public pour détruire des ouvrages hydro-électriques en état de fonctionnement

Rappel : l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) se montre particulièrement sectaire sur la question des ouvrages hydrauliques, accordant des subventions préférentielles à la destruction. Les trois-quarts des chantiers financés par l'AESN sont actuellement des projets de casse pure et simple comme l'a révélé le rapport CGEDD 2016, alors que les lois françaises e 2006 et 2009 de continuité écologique n'ont jamais enjoint à la destruction.

Ayant maintes fois demandé une politique plus équilibrée et moins dogmatique sans jamais obtenir d'écoute, notre association et plusieurs consoeurs sont actuellement engagées dans une procédure pour faire annuler le programme d'intervention 2019-2024. L'annulation du SDAGE 2016-2021 devrait ajouter un nouveau moyen à notre requête.

Nous appelons donc les défenseurs des ouvrages à faire jouer ce nouveau moyen juridique de l'annulation du SDAGE dès cette année 2019, en particulier pour les projets de casse d'ouvrages anciens (moulins, étangs) et de barrages en activité (Sélune, Pont-Audemer) qui sont programmés. Nous formaliserons un recours-type en ce sens.

02/12/2018

A Genay (21), chantage à la destruction du plan d'eau et du moulin pour payer l'assainissement

Pour accorder des subventions sur une opération d'assainissement non collectif dans la commune de Genay, l'agence de l'eau Seine-Normandie exige la destruction d'un seuil de moulin et du plan d'eau du village. C'est le chantage d'une bureaucratie intégriste ayant promu la casse des ouvrages sur tout le bassin de Seine et de Normandie – une bureaucratie d'ores et déjà responsable d'une altération sans précédent du patrimoine hydraulique de notre pays. Au lieu de défendre l'intérêt des citoyens, le syndicat SMBVA appuie cette politique absurde et décriée. Mais cette écologie punitive peut-elle persister dans un tel aveuglement dogmatique alors que les Français se montrent excédés du mauvais comportement de l'Etat et du mauvais usage des impôts? Les technocrates de l'eau ont-ils compris que de telles méthodes et de tels gâchis d'argent public sont de moins en moins tolérés, surtout dans une ruralité où l'argent manque partout? Les citoyens doivent demander aux gestionnaires publics de traiter d'abord toutes les pollutions et de satisfaire les réelles exigences de qualité de l'eau posées par les directives européennes, au lieu de ces nuisances sans rapport à l'intérêt général. Autre choix prioritaire : développer l'hydro-électricité dans chaque village ayant la chance de pouvoir le faire grâce à la présence d'ouvrages. 


Notre association a reçu copie d'un courrier de l'Agence de l'eau au syndicat mixte de l'Armançon (SMBVA, ex SIRTAVA). En voici un extrait (cliquer pour agrandir) :



Dans ce courrier du 18 septembre 2018, le directeur territorial Seine Amont de l'Agence de l'eau Seine-Normandie prétend au président du SMBVA que "l'élément déclencheur" d'une aide financière de l'agence de l'eau pour améliorer l'assainissement non collectif serait la destruction de l'ouvrage hydraulique et du plan d'eau de la commune.

En d'autres termes : pas de casse de moulin et pas de suppression du plan d'eau, alors pas d'aide à la lutte contre la pollution.

Le chantage bureaucratique usuel sur les rivières, le bassin Seine-Normandie étant le plus intégriste en matière de destruction du patrimoine hydraulique (75% des sites détruits selon le rapport CGEDD 2016)

Ce courrier, que nous considérons comme un abus de pouvoir de l'agence de l'eau Seine-Normandie, sera versé si besoin dans un éventuel dossier contentieux contre la destruction du patrimoine de la commune de Genay.

Il y a des alternatives
Rappelons les faits, dans ce village de l'Auxois où coule l'Armançon.

Le propriétaire du moulin aval de la commune (moulin dit de la scierie ou moulin des Noues), agriculteur ayant acquis en 2000 le bien dans le cadre d'une préemption SAFER, a subi des pressions régulières du syndicat SMBVA et la DDT 21 l'ayant mené à abandonner son droit d'eau, de peur d'avoir à payer des amendes au titre de la continuité écologique. Le droit d'eau abandonné, le propriétaire se trouve dans l'obligation de remettre la rivière en l'état. Il faut noter que rien n'est clairement spécifié dans la loi sur ce que doit devenir un site après abandon de droit d'eau : tout serait donc encore possible, à condition de s'entendre sur l'interprétation d'une "remise en état".

Ainsi, si nous avions une ambition collective répondant aux enjeux réels de l'avenir des rivières et du climat au lieu de satisfaire des exigences intégristes et absurdes de soi-disant "renaturation", la commune de Genay pourrait décider de gérer le site à la place du propriétaire défaillant, développer un projet de petite usine hydro-électrique pour décarboner l'électricité du village (puissance de 50 kW, équivalent consommation d'une cinquantaine de familles), conserver le plan d'eau, ajouter une passe à poissons ou une rivière de contournement.

Le SMBVA avait organisé une réunion publique à Genay, le 16 décembre 2016. Une étude complète devait être faite sur le seuil, notamment sur son intérêt écologique (analyse d'effet d'épuration, analyse de biodiversité dont les rives). Rien de clair ne nous a été présenté, le syndicat semble avoir acté le principe de destruction du site, essayant de vendre aux habitants de la commune une improbable mare en guise de nouveau plan d'eau. Nous avions lors de cette réunion demandé à la salle si les personnes présentes souhaitaient garder le plan d'eau communal : tous les bras s'étaient levés. Et nous avions demandé au personnel du syndicat de prendre acte de cette volonté villageoise.

Mais en matière d'ouvrages hydrauliques, le SMBVA n'agit plus dans l'intérêt des communes ni des citoyens : il exécute simplement les ordres reçus de l'Etat de l'agence de l'eau, quand il n'en rajoute pas dans l'intégrisme de la renaturation allant bien au-delà de ce que demande la loi. Hélas, aucun avantage écologique clair ne ressort de telles mesures : on fait varier localement des densités de poissons ou d'insectes aquatiques, des caractéristiques morphologiques du lit, mais c'est loin de représenter une cause prioritaire de protection de la biodiversité.

Cette écologie punitive et bureaucratique dépense l'argent public sans intérêt clair pour l'environnement et contre l'avis des habitants : peut-elle se poursuivre à l'heure où le pays est excédé de ce genre d'excès public? Les habitants de Genay voulant préserver leur cadre de vie devront-ils enfiler à leur tour un gilet jaune pour se faire entendre? Le gestionnaire public n'est-il pas capable de se remettre en question quand il voit l'opposition de la société qu'il est censé servir?

Nous le verrons en 2019.

Vidéo sur les pratiques du SMBVA
Le scandale de la casse de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon




A lire en complément
Lettre ouverte aux élus de l'Armançon sur la destruction des ouvrages hydrauliques
Techniques ordinaires de manipulation en évaluation écologique des seuils de moulins

12/10/2018

Prime à la casse des moulins dans les programmes des agences de l'eau, ou les mensonges de la continuité écologique "apaisée"

Les agences de l'eau sont en train de voter leur programme d'intervention 2019-2024, c'est-à-dire leur orientation programmatique et financière. Les associations de moulins et riverains sont aujourd'hui exclues des concertations comme des délibérations. Fidèle à son double langage, l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité prétend à Paris qu'elle veut une "continuité apaisée", mais persiste dans plusieurs agences de l'eau à donner la priorité économique à la destruction des ouvrages en rivière et à refuser l'indemnisation des travaux prévue par la loi de 2006. Soit un chantage financier contraignant souvent les plus faibles à céder et à détruire le patrimoine. A l'initiative de notre association, avec le soutien national de la FFAM, de la FDMF, de l'ARF, de l'UNSAAEB et l'OCE, une quarantaine d'associations se sont mobilisées pour lancer des appels sur les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie. Ces associations refusent la prime à la casse des moulins, forges, étangs et barrages.  Face à la mauvaise foi et au dogmatisme de leurs interlocuteurs, elles se concertent aujourd'hui pour organiser les ripostes judiciaires aux dérives administratives. En attendant, les propriétaires et riverains attachés aux ouvrages s'engagent solidairement sur la même position de défense des rivières et de leurs patrimoines: aucun abandon de droit d'eau, aucune proposition remettant en cause la situation légalement autorisée, aucun chantier d'intérêt général sans indemnisation publique. Car tels sont la lettre et l'esprit de la loi française votée par les représentants des citoyens. Une loi exprimant la volonté générale et s'imposant aux dérives illégitimes des bureaucraties comme des lobbies de la destruction. 



Appel Seine Normandie : télécharger (pdf)
Appel Loire Bretagne : télécharger (pdf)

Les signataires représentent des propriétaires, riverains et usagers de l’eau concernés par la continuité écologique en long des rivières.

Dans son 10e programme d’intervention, l’Agence de l’eau Seine Normandie a développé des barèmes systématiquement favorables à la destruction totale ou partielle (arasement, dérasement) des ouvrages hydrauliques plutôt qu’à leur aménagement.

Ce choix contrevient aux textes de loi qui prévoient exclusivement l’aménagement des ouvrages hydrauliques dans le cadre de la restauration de la continuité écologique : aucun texte du législateur français ou européen n’a jamais exigé la destruction des ouvrages hydrauliques.

Rappel des textes

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 créant l'article L 214-17 code de l'environnement évoque "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Ni l'arasement ni le dérasement n'est défini comme solution, l'ouvrage doit être géré, équipé ou entretenu lorsqu'il y a un classement réglementaire de continuité écologique.

Le loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, créant la Trame verte et bleue, énonce dans son article 29 : "La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés."

Là encore, la loi évoque l'aménagement, et non l'arasement. Les députés et sénateurs ont expressément retiré un amendement qui prévoyait d'inscrire la destruction d'ouvrage dans les orientations du législateur pour la Trame verte et bleue

Le Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe (Blue print) COM/2012/0673 de 2012 édicté par la Commission européenne et notamment relatif à l'application de la DCE 2000  énonce à propos de la continuité en long de la rivière : "Si les évaluations de l'état écologique doivent encore être améliorées, il apparaît que la pression la plus courante sur l'état écologique des eaux de l'UE (19 États membres) provient de modifications des masses d'eau dues, par exemple, à la construction de barrages pour des centrales hydroélectriques et la navigation ou pour assécher les terres pour l'agriculture, ou à la construction de rives pour assurer une protection contre les inondations. Il existe des moyens bien connus pour faire face à ces pressions et il convient de les utiliser. Lorsque des structures existantes construites pour des centrales hydroélectriques, la navigation ou à d'autres fins interrompent un cours d'eau et, souvent, la migration des poissons, la pratique normale devrait être d'adopter des mesures d'atténuation, telles que des couloirs de migration ou des échelles à poissons. C'est ce qui se fait actuellement, principalement pour les nouvelles constructions, en application de la directive-cadre sur l'eau (article 4, paragraphe 7), mais il est important d'adapter progressivement les structures existantes afin d'améliorer l'état des eaux."

Les aménagements non destructifs sont donc présentés comme préconisation de première intention au plan européen également.

En outre, la France s’est dotée d’une doctrine publique de « gestion équilibrée et durable de l’eau », défini par la loi dans l’article L 211-1 du code de l’environnement.

Ce texte établit les principaux enjeux dont il convient de tenir compte s’agissant de l’administration des eaux et mentionne en particulier la nécessité de : préserver la ressource en eau, réduire les pollutions, préserver le patrimoine, développer l’énergie hydro-électrique, l’agriculture et l’irrigation, conserver des réserves d’eau à l’étiage, prévenir les risques d’inondations, protéger les zones humides (dont font partie les canaux, biefs, étangs, plans d’eau, lacs, etc.).

Autant d’enjeux qui plaident en faveur de la conservation des retenues d’eau multi-séculaires formées par les chaussées ou barrages des moulins, étangs, petites usines à eau.

Le choix d’effacement des retenues et biefs avec l’argent public a pour conséquences de :

1-réduire la surface et le volume des masses d’eau, abaisser le niveau des nappes d’accompagnement, détruire les zones humides annexes aux ouvrages, et plus largement aggraver les tensions sur la ressource en eau et les situations d’étiage,
2-aggraver les phénomènes de crue par la perte des fonctions de stockage, diversion, et ralentissement des écoulements,
3-détruire les habitats des milieux aquatiques et rivulaires, donc la biodiversité installée sur les sites,
4-détruire un potentiel de développement de l’énergie hydroélectrique,
5-dégrader la qualité des eaux en augmentant les concentrations de nitrates et dérivés dans les eaux (perte de la fonction d’épuration reconnue des zones lentiques).

Ce choix de l’agence de l’eau entre donc en parfaite contradiction avec les grands enjeux exprimés par l’article L211-1 du code de l’environnement.

Enfin, en refusant de respecter le cadre d’intervention fixé par la loi (gestion, équipement) pour imposer une pression à la destruction par le jeu de financement inégaux et arbitraires, l’agence de l’eau porte une responsabilité majeure dans l’échec de la mise en œuvre de la continuité écologique depuis le classement des rivières de 2012-2013.

En conséquence, nous exigeons que le 11ème programme de l’agence de l’eau :
cesse de financer la  destruction des ouvrages hydrauliques
ouvre le barème maximal de financement (80 %, jusqu’à 100% en programme prioritaire) pour les solutions d’aménagement (vannes, passes, rivières de contournement) correspondant au texte et à l’esprit de la loi.

Les arbitrages de l’agence de l’eau sont inacceptables et entraîneraient l’ouverture de contentieux judiciaires s’ils devaient persister dans le 11ème programme d’intervention 2019-2024.


07/09/2018

Dépenser 1 million d'euros pour casser une usine d'hydro-électricité très bas carbone?

Scandale à Pont-Audemer : l'Agence de l'eau Seine-Normandie envisagerait d'engager plus d'un million € d'argent public pour casser une usine hydro-électrique en état de fonctionnement. On marche sur la tête, alors que nous sommes très en retard sur nos objectifs d'électricité renouvelable ni fossile ni fissile. Le ministère de l'écologie doit ordonner à ses fonctionnaires de cesser cette gabegie contraire aux priorités de la France dans la transition  énergétique, et manifestement opposée à l'intérêt général. Les seuls bénéficiaires sociaux de ces mesures sont le lobby des pêcheurs de salmonidés qui, en Normandie, fait pression sur les services de l'Etat pour détruire tous les ouvrages. Mais on peut faire migrer des poissons sans effacer les seuils et barrages. Nicolas Hulot avait constaté que  notre maison brûle et que nous ne faisons rien : c'est pire en réalité, puisque l'Etat dépense des sommes et des efforts considérables pour détruire ou pour empêcher l'équipement du potentiel bas-carbone des rivières françaises. 


L'affaire est rapportée par le site Paris-Normandie. Le maire de la ville explique ainsi : "Je ne suis pas un spécialiste de la remontée des espèces, j’ai donc suivi les recommandations de l’Agence de l’eau en ce qui concerne les aménagements à prévoir pour rétablir la continuité écologique de ce que l’on appelle le nœud de la Risle. La ville est désormais propriétaire de ce barrage et n’a pas déboursé un seul centime. En effet, l’Agence de l’eau a financé, à 100 %, le rachat et les aménagements qui sont prévus".

Mais en fait, depuis 5 ans, les fonctionnaires de l'Agence de l'eau Seine-Normandie exercent un chantage financier à seule fin de mener un programme idéologique : détruire le maximum d'ouvrages. Un programme qui est soutenu en Normandie par le lobby des pêcheurs de saumons et truites de mer, seuls réels bénéficiaires sociaux de ces mesures (voir leur bilan sur la Touques,  leurs dérives sur la Dives, leur rôle dans la casse des barrages de la Sélune).

Richard Rodier co-signataire d’un courrier adressé la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l’Eure avec une copie adressée au préfet et au sous-préfet de l’Eure, n'est pas du tout d'accord avec cette vision :

"contrairement à ce que l’Agence de l’eau indique pour faire voter la subvention qu’elle octroie à la ville et faire disparaître la turbine, aucun comité de pilotage n’a jamais décidé d’effacer le barrage, bien au contraire. Lors du comité de pilotage n°10, il a été simplement décidé de choisir le meilleur scénario en tenant compte du potentiel électrique qui doit absolument être conservé. Cette interprétation est très grave car ce mensonge présenté dans le dossier remis à la commission des aides a permis de débloquer 1,2 M€ ».

Selon le rapport du CGEDD 2016 sur les problèmes de la continuité écologique, l'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé la destruction de 75% des ouvrages hydrauliques dans les dossiers de continuité qu'elle a traités. Ce comportement est le symptôme d'une scandaleuse dérive de ses fonctionnaires : la loi n'a jamais demandé la disparition des ouvrages et la loi considère que la continuité écologique doit se rendre compatible avec l'intérêt général c'est-à-dire avec une "gestion durable et équilibrée" de l'eau, incluant les sources d'énergie bas-carbone.

Avec ses consoeurs, notre association va porter en cette rentrée une motion contre les pratiques injustifiables de l'agence de l'eau. Nous souhaitons que chaque lecteur observant ces pratiques en informe systématiquement son député et son sénateur, en leur demandant expressément de saisir du problème le ministre de l'écologie, François de Rugy. Les mesures doctrinaires et arbitraires de l'administration de l'eau cesseront quand elles seront clairement condamnées par le ministre de tutelle. Les citoyens n'ont plus à accepter la destruction du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique des rivières françaises au service de quelques idées extrémistes, minoritaires et déjà condamnées à de nombreuses reprises par les parlementaires.

Illustration : la Risle à Pont-Audemer, JacoNed travail personnel, CC BY-SA 3.0

11/07/2018

Un rapport sévère sur la politique française de l'eau et de la biodiversité

L'inspection générale des finances (IGF) et le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) viennent de publier un rapport consacré à la gestion publique de l'eau et de la biodiversité en France. Il s'inscrit dans l'horizon "Action publique 2022", c'est-à-dire dans les réformes structurantes du fonctionnement de l'Etat. En mots choisis comme il sied à ce genre d'exercice, le rapport étrille la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie, pour sa gestion hasardeuse ayant accumulé les mesures en absence de vision, de priorité, de concordance des objectifs et des moyens. Le rapport acte un certain nombre de points que nous soulevions: le grand bazar dans les opérateurs de la biodiversité, l'échec prévisible dans l'atteinte des résultats de la directive cadre européenne sur l'eau, l'absurde entêtement des bureaucraties aquatiques françaises à refuser les outils disponibles de la DCE pour garantir un peu plus de réalisme économique, la nécessité de revoir la continuité écologique. Mais le rapport ne nettoie pas toutes les écuries d'Augias, tant s'en faut : le recours au centralisme et à l'autoritarisme (venant de Paris comme de Bruxelles) fait partie des problèmes, pas des solutions, car c'est notamment lui qui produit des mesures hors-sol où les citoyens peinent à trouver les bénéfices en face des coûts. Et ce rapport se construit autour de la mystérieuse alchimie des promesses publiques hexagonales: on va faire davantage… avec moins d'argent! Extraits


Un maquis d'opérateurs publics
Le rapport critique en particulier les conditions de création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), qui n'a pas intégré (en raison de la résistance de féodalités fonctionnariales) l'Office de la chasse et de la faune sauvage et qui n'a pas clarifié ses missions.

"Plus d’un demi-siècle sépare la création du premier parc national (1963) et des agences de bassin (1964) de celle de l’Agence française de la biodiversité (AFB) en 2017. Entre temps, la création du parc national de la Vanoise a été suivie par celle de neuf autres parcs, un onzième étant à l’étude depuis près d’une décennie. De plus, de nouveaux acteurs de ce qui est dorénavant dénommé la biodiversité ont été créés :
- l’Office national de la chasse (ONC), créé en 1972 pour encadrer la pratique de la chasse et qui a évolué en Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) en 2000 ;
- le Conservatoire de l’Espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) en 1975 ;
- l’Atelier technique des espaces naturels (ATEN) en 1997 ;
- l’Agence des aires marines protégées (AAMP) et les parcs naturels marins en 2006 ;
- Parc nationaux de France (PNF) en 2006 ;
- l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) en 2007 ;
- l’Établissement public du marais poitevin (EPMP) depuis 2012 ;
Au total, après l’intégration de l’Onema, de PNF, de l’AAMP et de l’ATEN au sein de l’AFB, ce sont donc vingt établissements publics (six agences de l’eau, dix établissements publics de parcs nationaux, l’AFB, l’ONCFS, l’EPMP et le CELRL) qui sont chargés de la mise en œuvre, pour le compte de l’État, de la politique de l’eau et de la biodiversité.
Les moyens de ces structures sont regroupés dans le programme 113 piloté par la direction de l’eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de la transition écologique et solidaire. Pour conforme qu’elle paraisse aux dogmes lolfiens, cette présentation n’est pas globale et révèle le manque de cohérence de cette politique (…)
Au-delà, le nombre d’acteurs étatiques et la superposition des missions qu’ils exercent confèrent un manque de lisibilité à la conduite des politiques de l’eau et de la biodiversité"

Réduction structurelle des moyens publics dédiés à l'eau et la biodiversité sur le programme 113 de l'administration
Le rapport acte que l'Etat oublie durablement le principe de "l'eau paie l'eau", à la fois parce que la loi de finance prélève désormais dans la trésorerie des agences de l'eau et parce que ces agences (et non plus le budget central) doivent financer l'AFB. Pour la période 2019-2024, le plafond des redevances "eau" est fixé à 2,105 milliards d'euros. Il s'agit d'un plafond dit mordant : au-delà de ce plafond, tout sera reversé à l'Etat. Cela correspond à une réduction de 20% du budget des agences (inégalement répartie entre elles)

"Aujourd’hui, la politique de l’eau et de la biodiversité se retrouve ainsi contrainte par la réduction des moyens humains disponibles et par les règles de financement des opérateurs retenues par la loi de finances pour 2018 :
- débudgétisation des subventions pour charges de service public antérieurement versées par le programme 113 aux établissements publics de parcs nationaux, à l’ONCFS et à l’AFB, remplacées par une contribution annuelle des agences de l’eau (cf. figure 1), le caractère purement comptable de cette pratique étant d’autant plus explicite qu’aucun objectif, ni de résultats, ni de moyens ne sont définis entre les agences, l’AFB et l’ONCFS ;
- abaissement, de 2,3 à 2,1 Mds€ du plafond annuel de redevances des agences de l’eau à partir de 2019, date d’engagement du XIème programme pluriannuel d’interventions (2019-2024), en intégrant à ce plafond devenu «mordant» les contributions annuelles aux opérateurs de l’eau et de la biodiversité, qui en étaient exclues antérieurement."

Mise en oeuvre trop présomptueuse de la DCE
Le rapport souligne (sur la base d'une observation déjà ancienne) que les opérateurs pouvaient définir des masses d'eau fortement anthropisées (à moindre enjeu, car changées de longue date du régime naturel) et demander des exemptions pour coûts disproportionnés de mise en conformité à la DCE. Mais ils ne l'ont pas fait, ou très peu. A quoi bon poser des objectifs dénués de réalisme, au risque d'avoir des contentieux et de demander l'impossible aux riverains ou usagers?

"Selon la mission interministérielle d’évaluation de la politique de l’eau conduite en 2013, la France se caractérisait alors par :
- un recours plus limité que d’autres pays au motif d'exemption pour coûts disproportionnés. La mission constatait que :
- cela conduisait notamment à relativement peu de reports à ce titre (par exemple, pour l'état écologique : 12 % contre 42 % au Royaume-Uni, 51 % en Autriche, 55 % aux Pays-Bas)41 ;
- « les exemptions pour objectifs moins stricts dans les SDAGE se limit[aient] à 0,5 % des masses d'eau42, ce qui par[aissait] très optimiste ».
- le principe de la DCE consistant à définir les coûts disproportionnés en analysant le rapport des coûts supplémentaires des actions engagées rapportés aux bénéfices supplémentaires avait laissé place en France à une analyse du rapport des coûts supplémentaires rapportés aux bénéfices totaux, moins favorable ;
- une faible utilisation des masses d'eau fortement modifiées (MEFM). Ces masses d'eau fortement modifiées constituaient, dans le cadre du premier cycle de plans de gestion, 7,5 % des masses d’eau superficielles en France, alors que la moyenne européenne est de 25 %, l'Allemagne ayant notamment qualifié ainsi la moitié de ses masses d'eau. La mission admettait qu’il était difficile, dans les bassins internationaux de faire la part dans les classements observés entre les causes « objectives », géographiques, et des approches différentes entre États membres et relevait que la désignation des masses d’eau comme « fortement modifiées » devait être réexaminée lors du deuxième cycle de la DCE (…)
Dans ces conditions, il apparaît nécessaire de mieux prendre en compte, dans les SDAGE, les possibilités d’exemptions notamment liées à l'identification de coûts disproportionnés éventuels. L’appréciation des coûts disproportionnés est d’autant plus importante qu’elle peut constituer un argument de demande de dérogations de délais et d’objectifs dans la mise en œuvre des mesures complémentaires de la DCE. Or, de nombreux d’interlocuteurs de la mission estiment difficilement tenable l’objectif de 100 % des masses d’eau en bon état en 2027, alors même que l’objectif de deux tiers des masses d’eau en bon état en 2021, retenu dans l’actuelle génération de SDAGE et déjà en retard de six ans par rapport aux objectifs du Grenelle de l’environnement, apparaît ambitieux."

Risque contentieux européen sur la DCE (après les eaux résiduaires urbaines et les nitrates)
Le manque de lucidité des opérateurs de l'eau et de la biodiversité sur la mise en oeuvre de la DCE conduit la France à risquer des mises en demeure et des amendes de la Commission européenne.

"Les risques à moyen terme concernent la non atteinte des objectifs de résultats. La défense consistant à dire qu’on a mis en œuvre les plans de gestion et les programmes de mesures mais que les résultats tardent à venir, risque de trouver assez vite sa limite, si des résultats plus probants ne sont pas obtenus, notamment en matière de pollutions diffuses. S’il est très difficile de chiffrer précisément ce risque contentieux, il paraît en revanche de l’ordre de grandeur de celui qui avait été évalué sur les eaux résiduaires urbaines (quelques centaines de millions d’euros).
À cet égard, il convient de rappeler que la DCE indique que le bon état des eaux dans l'Union européenne (bon état écologique et chimique pour les eaux de surface, bon état quantitatif et chimique pour les eaux souterraines) doit être atteint en 2015 (avec des dérogations possibles jusqu’en 2027) sauf si les «plans de gestion» (SDAGE) démontrent masse d’eau par masse d’eau qu’ils ne peuvent jamais l’être, ou pas à cette échéance."

Continuité écologique: des objectifs ambitieux non atteints, la définition des ouvrages prioritaires à revoir 
Evoquée dans le cadre du seul plan anguille, la continuité écologique accumule des retards. Les rapporteurs notent la forte résistance des moulins et suggèrent de revoir la définition et le nombre des ouvrages prioritaires. Mais le rapport manque là-dessus l'essentiel : le gigantesque raté de la DEB n'est pas dans le plan anguille, mais dans la liste 2 de l'article L 214-17 CE de la loi de 2006, où les fonctionnaires centraux ont laissé les services déconcentrés classer 20 000 ouvrages à traiter en 5 ans, sommet d'irréalisme et d'autoritarisme ayant décrédibilisé l'action publique.

"S’agissant de la restauration de la continuité écologique des cours d’eau, la France avait inscrit dans son plan de gestion un objectif d’effacer ou aménager 1 555 ouvrages dans les zones prioritaires [du plan anguille].
Comme l’indique le rapportage, ces objectifs très ambitieux n’ont pas été atteints, même si l’action menée est exemplaire au niveau européen. Les difficultés sont techniques et économiques (coûts de construction et d’entretien élevés des « passes à poissons ») ou d’acceptation sociale (opposition des associations de protection des moulins contre les projets d’effacement de barrage). D’une part, il apparaît que la définition et le nombre d’ouvrages prioritaires mériteraient d’être actualisés. D’autre part, le rapportage pour chaque bassin n’est pas totalement homogène, mais il en ressort qu’en 2015, de l’ordre de 18 % des ouvrages étaient transparents (effacés ou équipés), 15 % des ouvrages faisaient l’objet d’études et de concertations avec le propriétaire. Il resterait à agir sur près de deux-tiers des ouvrages.
Il reste nécessaire de poursuivre l’action pour éviter un risque contentieux européen."



Pour le reste :
  • le rapport préconise le retrait public progressif du "petit cycle de l'eau" (assainissement, pluvial) qui va relever entièrement de la compétence des  intercommunalités et métropoles (ou leurs EPCI, les syndicats de bassin), à charge pour les collectivités de refléter dans le prix de l'eau le coût des mises aux normes réglementaires. Mais la ruralité ne pourra pas suivre (beaucoup de linéaires de réseaux et de non collectifs, faible assiette fiscale, faibles revenus des ménages par rapport à la moyenne nationale). 
  • la fiscalité de l'eau est censée mieux refléter les impacts selon le principe pollueurs-payeurs (aujourd'hui, ce sont les particuliers qui paient le plus gros des taxes). Il est émis l'hypothèse d'une nouvelle taxe pour artificialisation (mais alors que la taxe Gemapi fait déjà des remous, et que la politique générale du gouvernement est à la réduction de la pression fiscale, cette option est loin d'être concrétisée);
  • les régions devraient devenir chef de file des politiques de biodiversité, ce qui est déjà inscrit dans la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 («Maptam») et la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 («NOTRe») - mais le rapport ne dit rien de clair sur ce que cela implique pour la fonction publique territoriale et son financement, ni sur la superposition avec les services déconcentrés des fonctions centrales;
  • concernant l'avenir de l'AFB et des autres opérateurs, le rapport fait 5 scénarios (dont 3 sont préférés) selon le niveau de fusion des structures publiques et selon le degré de séparation entre fonction de connaissance-expertise et fonction de police de l'environnement (notre préférence va à la fusion de l'ONCFS dans l'AFB avec un rôle de connaissance, aujourd'hui défaillante, la fonction de police et de contrôle réglementaire n'ayant pas vocation à être confondue avec l'expertise scientifique et technique); 
  • pour le XIe programme 2019-2024 des agences de l'eau, les aides à la continuité écologique seront maintenues car inscrites dans le "grand cycle", qui a désormais la priorité (et l'aurait plus encore dans le XIIe programme). Les fonctionnaires des agences de l'eau n'auront donc probablement pas l'argument du manque de moyens pour la continuité écologique : il est alors impératif d'exiger dès à présent et partout le financement public des solutions "douces" de continuité avec l'arrêt immédiat de la prime à la casse des ouvrages hydrauliques. Si les agences refusent et persistent à surfinancer l'effacement en rendant impossibles car insolvables les autres options, la situation sera favorable à des contentieux judiciaires contre les programmes d'intervention et contre les interprétations non légales des SDAGE. Nous reviendrons prochainement sur ce point en détail, puisqu'une action inter-associative est coordonnée à ce sujet. 

Conclusion
Comme le devinent les riverains observant la gabegie d'argent public à tous les niveaux, ce rapport reste bien en deçà du besoin de rigueur, d'efficacité et de transparence dans la politique de l'eau. Il est aussi un rapport émanant de l'administration centrale, en cela incapable de remettre en cause un noeud du problème : la dérive de l'Etat français lui-même (et de cet Etat dans ce qu'il négocie avec la commission européenne et le conseil des Etats de l'UE), épuisant tous les acteurs, alourdissant sans cesse les normes et les procédures, creusant l'écart irréaliste entre les annonces grandiloquentes et les maigres moyens financiers pour les satisfaire, produisant des coûts souvent évitables par une agitation permanente avec une multiplication des structures, des plans, des schémas et un manque d'évaluation objective des problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre des programmations.

Ces politiques environnementales doivent gagner en maturité et en stabilité, garantir la solvabilité économique de toute nouvelle avancée normative, relocaliser leur conception en partant du terrain et des attentes (éviter les diktats sous-informés de Paris et de Bruxelles), construire les objectifs sur des preuves scientifiques solides et des prédictions robustes, respecter et horizontaliser l'ensemble des parties prenantes (fonctionnaires, élus locaux, associatifs, usagers, riverains) dans la construction des décisions à partir de la base.

Il paraît probable que ce quinquennat devra adopter une loi sur l'eau pour réactualiser les enjeux de la DCE 2000 (et des nouvelles directives adoptées depuis), de la LEMA 2006, de la loi de biodiversité de 2016, des évolutions territoriales récentes (NOTRe, Maptam). Les associations et collectifs riverains devront veiller à informer les parlementaires des enjeux à régler à cette occasion. Avec à l'esprit cette évidence : la gestion de l'eau a besoin d'une démocratie participative, pas d'une république autoritaire.

Référence : Rapport CGEDD n°011918-01 et IGF n°2017-M-082-02 (2018), L’avenir des opérateurs de l’eau et de la biodiversité, 543 p.

06/06/2018

L'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé 45,6 millions € pour détruire lacs et barrages de la Sélune

Notre association a finalement obtenu la communication des décisions de financement de l'agence de l'eau Seine-Normandie relatives aux barrages de la Sélune. Il en ressort qu'entre 2012 et 2018, l'agence de l'eau a engagé plus de 45 M€ d'argent public pour effacer les ouvrages hydrauliques. Cette somme finance un projet consistant à détruire contre l'avis des 20.000 riverains deux barrages en état de produire de l'hydro-électricité, qui servent également de réserve d'eau potable, de lieux de loisir et de ralentisseurs de crue, tout en évitant l'arrivée d'eaux polluées dans la baie du mont Saint-Michel. Cette gabegie incroyable et ce mépris des habitants sont un cadeau fastueux au lobby des pêcheurs de saumon et à quelques intégristes minoritaires des rivières sauvages, dont l'objectif affiché depuis 30 ans est de détruire le maximum de barrages en France. En plein transition énergétique bas-carbone et alors que l'action publique manque de moyens, Nicolas Hulot laisse faire voire encourage cette absurdité. Le gouvernement a-t-il toute sa lucidité sur ce dossier? Pourquoi tient-il un double discours sur la nécessité d'abandonner les grands projets qui divisent à Notre-Dame-des-Landes mais pas sur la Sélune, renouant avec la duplicité usuelle des dirigeants dont les citoyens sont si las? Le président mesure-t-il l'image donnée, quand il avait promis aux Français un usage juste, intelligent et modéré de la dépense publique? Quand on rogne sur les investissements d'accessibilité des personnes handicapées mais qu'on dépense ainsi à vannes ouvertes sur l'accessibilité des saumons?  Il est temps de stopper cette folie héritée des dérives antérieures de la continuité écologique, folie qui est combattue sur le terrain comme devant les tribunaux.


Pour l'ouvrage de Vézins (Etat maître d'ouvrage), le 16 janvier 2012, l'agence de l'eau Seine-Normandie a signé une convention d'étude préalable à l'effacement (sous forme d'un fond de concours) et une première convention d'aide financière.

Le versement de 1 million € (M€) a eu lieu en deux fois en juin et octobre 2012.

Le 11 février 2014, un second fond de cours a été décidé par l'agence de l'eau pour la poursuite des travaux préalables à l'effacement, suivi le 3 mars 2014 par une autre convention d'aide financière.

Les sommes versées ont cette fois atteint 25 M€ (en juillet 2014 et en juillet 2016).

Pour l'ouvrage de La Roche-qui-Boit (EDF maître d'ouvrage), la commission des aides a donné un avis favorables pour 4 subventions de 38148 €, 94850 €, 19964 €, 392080 €, correspondant à des travaux de préparation du démantèlement du barrage et de l'usine.

Cela représente 545.042 € (0,5 M€).

Enfin en février 2018, l'agence de l'eau Seine-Normandie a décidé de verser :
- un troisième fond de concours à l'Etat pour un montant de 13,5 M€,
- une subvention à EDF de 5,553 M€.

On atteint donc déjà au total la somme exorbitante de 45,598 millions € dépensés pour détruire les barrages et les lacs de la Sélune.

Ces sommes ne prévoient aucune compensation ni aucun projet de substitution dans la vallée défigurée — l'Etat laisse aujourd'hui entendre que ce sera à charge des collectivités locales, qui sont désargentées et n'ont nulle somme importante à investir dans le cloaque que laisseraient les travaux.

La bureaucratie de l'eau dilapide ainsi l'argent public pour effacer des barrages qui
  • produisent une énergie bas carbone,
  • ralentissent les inondations de la vallée aval,
  • forment la principale réserve d'eau potable locale,
  • nourrissent les activités socio-économiques autour des lacs,
  • protègent la baie du Mont-Michel des pollutions.
Mais pourquoi, diront ceux qui découvrent le dossier ?

Cette dépense a pour objectif principal la présence de 1300 saumons supplémentaires alors même que cette espèce circule déjà dans tous les fleuves de la baie du Mont Saint-Michel, dont la Sélune aval. Cette quantité (hypothétique) de salmonidés est remarquablement faible par rapport au coût et aux standards de projets de cette ampleur dans le monde, où ce sont plutôt des centaines de milliers de migrateurs qui sont le cas échéant concernés. L'enjeu écologique est ici assez secondaire, d'autant que la zone amont des barrages est dégradée, sans budget disponible pour la restaurer à ce jour. De plus un repreneur industriel a proposé dans son projet de tester sur 30 ans un transport des saumons vers l'amont, comme cela se pratique en France et dans certains fleuves à saumon dans le monde (voir par exemple Kareiva 2017 sur la Snake River, où le déclin du migrateur a été conjuré). Enfin, un nombre croissant de chercheurs appellent à la prudence sur la gestion des barrages en situation de changement climatique (voir Beatty et al 2017).

Ce grand projet inutile et imposé est principalement un cadeau fait au lobby des pêcheurs et à quelques intégristes des rivières sauvages, cadeau se payant par le sacrifice du cadre de vie de 20 000 riverains ayant dit leur opposition à la casse lors d'une consultation.

En septembre 2018 se tiendra la fête annuelle des barrages. Nous appelons tous ceux qui le peuvent à converger vers la Sélune pour dire leur opposition à cette folie sur le terrain, comme cela est déjà engagé devant les tribunaux.

Image : une rupture de digue lors de la vidange de 2017, DR.

24/02/2018

L'Agence de l'eau Seine-Normandie auto-satisfaite du bilan de la continuité écologique (pas nous)

L'Agence de l'eau Seine-Normandie a demandé à trois bureaux d'études de faire un diagnostic "indépendant" de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Problème : ce diagnostic énonce des choses attendues (il y a davantage de migrateurs quand il y a moins d'obstacles) mais n'examine aucune des questions qui fâchent. Au point que dans une enquête à questionnaire sur deux ouvrages effacés, on ne demande même pas au public s'il préfère le site avant ou après! Analyse critique. 


Dans le n°66 du magazine Confluence, l'Agence de l'eau Seine-Normandie revient sur le bilan de la continuité écologique. Elle en dresse un bilan tout à fait satisfait. Ce qui certifie au moins une chose : les bureaucraties publiques de l'eau sont toujours aussi sourdes aux critiques.

L'AESN a procédé à un diagnostic : "Pour évaluer sa pertinence mais aussi les meilleurs moyens de la mettre en œuvre, l'agence de l'eau a chargé un groupement de trois bureaux d'études indépendants d'évaluer cette politique en scrutant à la loupe les actions menées ces dernières années."

Nous n'allons pas nous étendre ici en détail sur le caractère "indépendant" de l'évaluation alors que le diagnostic biologique et morphologique a été manifestement rédigé par un ancien fonctionnaire de l'Onema qui travaille depuis peu dans le privé. Certes, tout cela est formellement indépendant de l'Agence. Ces pratiques ne sortent cependant pas du sérail ni des biais connus de l'Office. Elles aboutissent à des méthodes et visions assez différentes de celles d'universitaires — eux réellement indépendants des politiques publiques mises en oeuvre depuis 2006 — qui ont étudié les restaurations de certaines des rivières citées dans le rapport (voir l'exemple de la Touques analysé chez Germaine 2011, Lespez et al 2016 ; voir le livre de Barraud et Germaine 2017 du bilan Reppaval sur le démantèlement de barrages dans l'Ouest de la France, à la tonalité beaucoup plus critique).

Ne pas poser les questions, un bon moyen de ne pas chercher les réponses
Au plan écologique, si l'on doit résumer à leur plus simple expression les résultats majeurs de ce travail d'évaluation par les bureaux d'études, cela donnerait :
  • quand on supprime ou aménage des ouvrages barrant une rivière, les poissons migrateurs amphihalins migrent davantage vers l'amont,
  • quand on supprime une zone lentique au profit d'une zone lotique en tête de bassin versant, les espèces lentiques disparaissent au profit des espèces lotiques (holobiotiques). 
Le chevalier de La Palisse n'aurait pas mieux fait !

En revanche, voici diverses questions auxquelles l'étude ne répond pas :
  • comment se comportent les migrateurs selon la densité, l'emplacement et la hauteur des obstacles du cours d'eau? 
  • le retour des migrateurs s'obtient-il au détriment d'autres espèces de poissons ?
  • la défragmentation favorise-t-elle la diffusion d'espèces invasives ? 
  • quel est l'effet de la suppression des plans d'eau sur la biomasse et la biodiversité totale (faune-flore-fonge-microbiote) ? 
  • quel est l'effet de la restauration de continuité en long sur la classe qualité écologique et chimique DCE des masses d'eau?  
  • combien coûte en moyenne la restauration morphologique complète d'une rivière en vue d'y accueillir les migrateurs?
  • quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des migrateurs? 
  • quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des rhéophiles? 
  • serait-il opportun de hiérarchiser l'importance des migrateurs (notamment en fonction de leur statut de vulnérabilité IUCN) dans l'investissement public?
  • y a-t-il un consentement à payer dans la population générale pour varier la densité des migrateurs ou des rhéophiles sur un cours d'eau, et à combien s'élève-t-il?
  • certains usagers de l'eau (par exemple les pêcheurs) sont-ils davantage favorisés par ces mesures et dépenses publiques de continuité?
  • y a-t-il des avis négatifs sur cette politique, selon quels registres et dans quelle proportion parmi des échantillons représentatifs de riverains?
  • que rapporterait comme revenus la production des sites hydroélectriques en cas d'équipement plutôt que d'effacement?
  • comment objective-t-on la valeur du patrimoine et du paysage des rivières aménagées?
Ces questions et d'autres ne sont pas posées, alors que ce sont elles qui soulèvent le scepticisme, l'interrogation ou la critique dans la mise en œuvre de la continuité écologique depuis 10 ans. On en retire donc l'impression d'un enième contournement administratif du débat de fond, où des personnes ayant l'habitude de travailler ensemble auto-certifient qu'elles ont raison.

Au plan de la méthode, l'étude produit diverses informations factuelles intéressantes sur les bassins de Seine et côtiers normands, mais elle n'apporte cependant aucun résultat scientifique proprement dit : des exemples sont choisis sans tirage aléatoire et avec des échantillons faibles, aucun travail statistique (avec incertitude, marge d'erreur, tests de puissance, etc.) n'est réalisé, aucune hypothèse n'est formulée avec ses conditions de vérification et test de réfutation.

Voici quelques observations de détail sur le rapport.

Des passes qui fonctionnent, après tout. Les focus sur les trois fleuves normands (Vire, Orne, Touques, pp. 72 et suivantes) montrent que les effectifs de migrateurs augmentent même avec des choix de passes à poissons (dont des passes réputées non fonctionnelles). Cela contredit le discours selon lequel les successions de PAP nuiraient à l'obtention de résultats en terme de recolonisation des migrateurs (voir cette idée reçue). Les indices d'abondance de la Sienne (jugé satisfaisants, p. 69) vont dans le même sens puisque ce fleuve côtier a reçu 18 passes à poissons, anciennes de surcroît, pour 2 effacements seulement. Casser n'est donc pas une fatalité. Ces résultats sont contradictoires avec la dépréciation des passes par le rapport, voir plus bas.


Bonne densité de truites de mer... sans effort. Le cas de la Bresles (p. 97, ci-dessus, truites de mer, erreur dans la légende d'ordonnée "saumons"), ayant connu peu d'aménagement de continuité écologique et de restauration morphologique, montre que cette rivière comptabilise bon nombre de migrateurs (la Bresles a plus de truites de mer que la Vire ou l'Orne), même s'il n'y a pas de tendance à la hausse de ces migrateurs. Idem pour  la Sée, dont les densités de juvéniles de saumon sont jugées satisfaisantes (p. 69) alors que la rivière a connu peu d'aménagements. Ce qui pose diverses questions: vise-t-on la présence de certaines espèces ou veut-on à tout prix en augmenter la densité à son maximum ? Et dans la seconde hypothèse pourquoi et pour qui au juste ? Pourquoi ne pas comparer davantage de rivières aménagées / non aménagées pour mieux mesurer les bénéfices réels ?


En milieu et tête de bassin, des résultats triviaux. Les 8 zooms territoriaux sur les holobiotiques en dehors de l'arc normand (pp. 99 et suivantes) sont centrés sur les arasements seuls. Le tableau de synthèse n°32 (p. 106, ci-dessus) montre qu'on ne peut guère tirer de conclusion sur cet échantillon modeste, le signal le plus clair mais aussi le plus trivial étant que des espèces rhéophiles et lithophiles augmentent localement quand on supprime un habitat lentique (plan d'eau). Ce qui va de soi. Le tableau détaillé n°33 montre que la richesse spécifique (diversité des espèces de poissons) baisse aussi souvent qu'elle monte. Certains hydro-écologues visent une "typologie idéale" de chaque station de la rivière renaturée, mais on peut aussi bien considérer que la diversité d'espèces reste le marqueur le plus simple (et le plus parlant pour le public) de la biodiversité. Quant à cette biodiversité en dehors des poissons (soit 98% du vivant aquatique), elle est totalement ignorée et non mesurée, alors que les petits plans d'eau sont réputés des zones assez riches. L'intérêt réel de la continuité en tête de bassin n'est pas démontrée : la truite n'a pas besoin impératif de longues migrations dans son cycle de vie (contrairement aux amphihalins) et n'est pas une espèce menacée ; le chabot ou la lamproie de Planer ne sont pas des migrateurs.

Dans le Morvan, un zoom qui reste flou. Le zoom sur le Morvan (pp. 118 et suivantes) est flou sur la nature exacte des travaux engagés et sur la méthodologie de la comparaison 2005-2012. Au vu de la variabilité interannuelle des truites (pouvant atteindre un facteur 10 voire davantage sur le même site échantillonné, voir ces mesures sur le Cousin), on ne sait pas si la tendance est prise sur 2 années témoin, sur des séquences de plusieurs années avant/après moyennées, etc. Par ailleurs, il semble que l'action concerne la petite continuité (buses, etc.) en ruisseau pépinière, ce qui aurait pu donner un comparatif intéressant sur le coût-bénéfice par rapport aux travaux lourds sur des moulins et étangs du cours principal.

Choix ad hoc sur le Serein. L'analyse du Serein (p. 115) arrive comme un choix ad hoc avec 2 stations sur 12 extraites d'une étude de Baran et al 2007. On aurait pu aussi prendre l'étude de Bouchard 2009 sur la retenue du barrage de Semur-en-Auxois (rivière Armançon), qui montrait des biomasses et une biodiversité (lentique) notables dans la retenue. Ce type de comparaison habitat de retenue / habitat de zone amont-aval des retenues n'a de sens que moyenné sur un certain nombre de stations et d'années (avec également des mesures d'étiage pour voir comment se répartissent les poissons en stress hydrique). Les auteurs ont tout à fait raison de souligner que les stations de référence du réseau de surveillance sont généralement prises en dehors d'habitats artificialisés. Mais ils restent scotchés à leur volonté de "renaturer" la morphologie de la totalité du lit de la rivière, alors qu'en tête de bassin versant à pente soutenue, la majorité de ce linéaire est non étagée et non ennoyée par les ouvrages. Donc le vivant dispose déjà de zones à écoulement non contraint. Tant que cet intégrisme de la renaturation (refus des zones lentiques ou artificialisées partout) inspirera la doctrine, elle sera rejetée pour ses excès, ses coûts, son indifférence aux autres enjeux des vallées et attentes des citoyens.

Passes à poissons mal conçues. Le tableau 39 (p. 95) montre que 21% des 221 passes à poissons analysées du bassin sont jugées non fonctionnelles. Pour ces passes non fonctionnelles, le génie civil a été mal dimensionné dans 25% des cas, dégradé dans 12% des cas, l'entretien est défaillant dans 11% des cas et la cible biologique a changé dans 6% des cas. Les problèmes concernent souvent les passes anciennes (conçues avant 2005). Rappelons que ces passes ont été faites sous l'autorité du conseil supérieur de la pêche dans les années 1980 à 2000 : demain, l'AFB demandera-t-elle encore de démolir les dispositifs que l'on vient de payer à grands frais ? Il est vrai que des chercheurs ont récemment montré que les saumons préfèrent passer directement sur le seuil d'un moulin que dans une "passe Larinier" (voir Newton et al 2017), ce qui suggère un peu de recul sur la prétention des sachants à maîtriser le comportement des migrateurs !

2 M€/ an pour les passes à poissons. Le coût public entre 1984 et 2015 des passes à poissons est estimé à 71 M€ (p. 135), soit de l'ordre de 2 M€ par an. On se rappellera que le budget de l'AESN est de l'ordre de 1 milliard € / an aujourd'hui. Cette somme est donc faible rapportée à la dépense totale.

Appel à la casse plutôt qu'à la passe.  Les auteurs de l'étude donnent leur avis (p. 135), qui est ô surprise de réserver la dépense publique à l'effacement, sauf exception : "Au vu des moyens à déployer, de la technicité demandée et de la densité des ouvrages, le dimensionnement, la construction puis la surveillance d'un parc important de passes à poissons correspondant aux nombre d'ouvrages classés n'est absolument pas en adéquation avec les moyens actuels de l'ingénierie privée et surtout publique. Ce constat plaide inévitablement pour orienter les investissements vers des actions dont la pérennité sera assurée et dont l'efficacité écologique sera maximale. Les effacements d'ouvrages répondent à ses objectifs. Les dispositifs de franchissement sont donc à réserver aux obstacles à enjeu et pour lesquels aucune autre solution n'est possible". Le mieux est l'ennemi du bien : avec cette doctrine, la continuité avancera difficilement, les conflits se développeront de plus belle si les administrations tentent d'imposer la défragmentation par destruction contrainte. Cet avis est par ailleurs contradictoire avec le retour de migrateurs sur diverses rivières abondamment équipées de passes (Sienne, Touques, etc. voir ci-dessus).


Une enquête de terrain… qui évite la question principale (!). En p. 200, une enquête de terrain est réalisée sur des sites effacés au Fourneau de Condé à Condé-sur-Iton et au barrage d'Aubigny à la Mancellière sur Vire : "Le questionnaire réalisé n'a pas permis d'aller jusqu'à interroger les visiteurs sur leur préférence entre le site avant et après l'effacement." On évite donc la question centrale, celle de la préférence des riverains : incroyable ! A noter tout de même même que la "richesse de la faune et de la flore" ou les "mouvements de l'eau" ne figurent pas parmi les points les moins bien notés dans l'appréciation des sites (cf tableau ci-dessus), ce qui contredit l'idée que la rivière "rentaturée" serait le premier thème recherché par les promeneurs. Pour les pêcheurs de poissons d'eau vive, c'est autre chose... mais le jour où l'on reconnaîtra que la continuité "à la française" a d'abord été portée par et pour ce lobby de la pêche n'est pas encore venu (on y travaille cependant).

Conclusion
Les désaccords sur la continuité écologique persistent. Nous ne parviendrons manifestement pas à un consensus car ces désaccords s'alimentent à des visions différentes de la rivière et de l'écologie. Il est dommage que l'on produise des simulacres d'objectivation de ces désaccords, en évitant l'examen des critiques que nous posons depuis plusieurs années et surtout en ne recourant pas à une analyse proprement scientifique des données récoltées sur 30 ans de restauration de continuité (depuis la loi de 1984 et les premiers plans migrateurs).

En attendant, l'Agence de l'eau Seine-Normandie (comme plusieurs de ses consoeurs) dépense l'argent public pour favoriser la destruction du patrimoine hydraulique des vallées, leurs paysages, leurs usages et leurs habitats. Nous jugeons pour notre part que ce choix est contraire à l'intérêt général comme à la gestion équilibrée et durable de la ressource tels que les définit la loi française. La continuité est un élément d'appréciation et de fonctionnalité de la rivière, mais elle n'est pas isolée : elle doit s'envisager dans le respect des autres dimensions d'intérêt posées dans la loi, en prenant en considération les autres compartiments du fonctionnement écologique des rivières aménagées de longue date.

En 2019, les Agences procéderont à des révisions des programmes de mesures des SDAGE, et notamment des barèmes de financement. Notre association prépare avec ses consoeurs une requête de changement des arbitrages actuels, dont la dimension conflictuelle, non conforme à la loi et déséquilibrée par rapport aux attentes des riverains est plus que manifeste. Nous mettrons donc les élus du comité de bassin comme les représentants de l'Etat au sein des agences devant leur responsabilité.

Lien pour télécharger l'étude. Tous les tableaux et graphiques sont des citations de ce travail, droits réservés.

Illustration en haut : truite de mer (Salmo trutta trutta) franchissant un obstacle, Rupert Fleetingly [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons. Cette espèce est relativement abondante sur toutes les côtes européennes du Maroc à la Scandinavie. Elle n'est pas considérée comme vulnérable par l'IUCN. La question se pose de la légitimité des investissements publics visant à optimiser une rivière pour cette espèce (comme cela fut fait sur la Touques) alors que seul un public de pêcheurs spécialisés tire un réel service des variations locales de densité du poisson. Depuis quelques années, les sciences humaines et sociales ont développé une approche critique des restaurations de rivière sous l'angle de l'analyse des réseaux d'acteurs, de leurs discours, de leurs stratégies. Les agences de l'eau gagneraient à s'inspirer aussi de ces démarches quand elles évaluent les pertinences de leurs investissements. 

22/02/2018

L'épuration des polluants par les retenues, reconnue à contre-coeur

L'Agence de l'eau Seine-Normandie commence à reconnaître que les ouvrages hydrauliques ne suppriment pas l'auto-épuration des nutriments, mais peuvent au contraire la favoriser dans certains cas. Toutefois, elle le fait en caricaturant le débat et en inventant un épouvantail (une hypothétique reconstruction de tous les ouvrages présents sur Cassini). Réponse.


Dans le n°66 du magazine Confluence, l'AESN revient sur le bilan de la continuité écologique. Nous ferons un commentaire critique des assertions contenues dans ce dossier. Voici déjà la réponse à cet encadré sur l'auto-épuration :

"Et si les obstacles, en créant des bassins de décantation, contribuaient à la qualité de l’eau ? Cette idée est née d’une lecture un peu hâtive de publications scientifiques, dont une étude réalisée par l’équipe de Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS et bio-géochimiste spécialiste du fonctionnement des systèmes hydriques continentaux. Mise au point. «Lorsqu’on regarde la carte de Cassini dressée au XVIIIe siècle, le bassin de la Seine est constellé d’étangs, de petites mares, de seuils et de vannages. Dans une étude publiée en 2012 dans le magazine scientifique Science of the Total Environment, nous avions essayé de voir si ces zones stagnantes avaient un impact sur la qualité de l’eau. Or nos résultats montrent que si on remettait des petites retenues et des mares sur les deux tiers de la surface du bassin, on n’abattrait au mieux, par auto-épuration dans les sédiments, que 20 à 30 % de la pollution par les nitrates sur les sites les plus favorables. À l’échelle de l’ensemble du bassin de la Seine, la réduction ne serait que de l’ordre de 3 % : un bien piètre résultat pour un tel bouleversement du paysage. Un cours d’eau n’est pas une station d’épuration ! Il est dangereux d’imaginer l’aménagement des rivières en fonction d’un objectif de traitement des pollutions diffuses qui doivent et peuvent être évitées à la source, en particulier par une agriculture plus respectueuse de l’environnement», souligne Gilles Billen."

Commentaires :

  • après l'avoir farouchement nié comme ses consoeurs (ou l'Onema) dans les années 2000, l'Agence de l'eau Seine-Normandie reconnaît donc que les plans d'eau jouent un rôle d'épuration,
  • il n'a jamais été question de transformer la rivière en "station d'épuration", la caricature n'est pas une bonne pratique de discussion. Il s'agit non de reconstruire des ouvrages partout, mais d'évaluer le bilan chimique, biologique et physique réel des ouvrages existants,
  • une partie des ouvrages signalés sur la carte de Cassini est encore présente sur les rivières, et quand Gilles Billen parle d'un "bouleversement du paysage", il ne saurait ignorer le vrai bouleversement en cours, à savoir le financement de la destruction systématique de la plupart de ces ouvrages par l'AESN (75% de choix de destruction dans le rapport CGED 2016). La question est de savoir si l'argent public doit servir à détruire des plans d'eau, étangs, retenues, réservoirs, etc., si cela représente un intérêt écologique et un intérêt général,
  • on peut certainement éviter les pollutions à la source (l'action stagne désormais en ce domaine, après des baisses dans les années 1980-1990), la question est cependant de savoir si, à pression égale sur le bassin, une retenue va plutôt éliminer des excès d'azote, phosphore ou pesticides (sachant que l'usage agricole des sols reste un premier prédicteur de la dégradation écologique),
  • le passage à l'agriculture biologique (6% seulement des parcelles aujourd'hui) n'évitera pas à lui seul le problème des nutriments, car tout système agricole utilise des intrants (organiques ou synthétiques), la diffusion de bonnes pratiques sera donc lente et complexe, 
  • l'AFB vient de lancer un appel à projets sur les impacts cumulés des retenues d'eau sur les bassins versants. Nous souhaitons que ce travail mesure systématiquement les différences de concentrations en nutriments et micropolluants à l'exutoire des bassins à occupation des sols similaires et selon leur densité d'ouvrages. Nous attendons désormais des faits et des preuves, pas des généralités ni des promesses. 

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16/07/2017

Plus de 100 moulins déjà détruits en Normandie: la dérive intégriste de l'administration, des syndicats et des pêcheurs est inacceptable!

Alors que les casseurs d'ouvrages hydrauliques continuent leurs méfaits en toute indifférence aux protestations des parlementaires et aux révisions des lois, les collectifs riverains et propriétaires se mobilisent. Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de 5 associations (Association de valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie VPH Normandie – Association de sauvegarde des moulins hauts-normands SM 27-76)- Association pour la sauvegarde de la Dives - Association des moulins et riverains du Perche ornais AMRPO - Association des amis des moulins 61) et de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Le document complet avec ses annexes est téléchargeable à ce lien. Nous conseillons aux associations locales de publier des communiqués similaires et de les adresser aux députés élus en juin dernier, ainsi qu'aux sénateurs. Mais également d'engager des contentieux et des occupations de site sur les projets de destruction les plus problématiques. La casse des moulins, étangs et usines hydrauliques doit cesser, comme l'ont déjà demandé à de nombreuses reprises les élus de la République.

Ces dernières années en Normandie, et spécialement dans le département du Calvados, plus de 100 retenues de moulins ont été détruites. Des dizaines d’autres moulins sont contraints de maintenir leurs vannes ouvertes, vidant les plans d’eau traditionnels, asséchant les cours d’eau et empêchant la production d’énergie.

Le coût de destruction de ce patrimoine séculaire s’élève déjà à plus de 13 millions d’euros à fin 2015 en Basse-Normandie (chiffres communiqués par l’Agence de l’eau).

Parmi ces dizaines de moulins détruits, certains produisaient de l’énergie, autrement appelés «microcentrales hydroélectriques». Cinq d’entre elles ont déjà été détruites, 6 autres doivent l’être dans les mois à venir (cf Annexe 1). Trois ont été rachetées par les Fédérations de Pêche du Calvados et de la Manche avec des fonds provenant intégralement de l’Agence de l’eau. L’Agence de l’eau est ainsi devenue, via les Fédérations de Pêche, le premier acheteur de microcentrales hydroélectriques de la région normande aux fins... de les détruire. Les fonds qu’elle engage dans ces opérations proviennent d’une taxe prélevée sur chacune de nos factures de consommation d’eau.


Destruction d'un ouvrage de la Sienne.

Ces rachats et destructions de microcentrales hydroélectriques normandes coûteront in fine près de 10 millions d’euros supplémentaires. Elles produisaient l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 4 000 à 5 000 foyers en énergie verte et renouvelable. Ces opérations sont menées alors même qu’a été votée au mois d’août 2015 la loi de transition énergétique qui promeut le développement de la petite hydroélectricité en France...

Cette politique de destruction est aujourd’hui totalement assumée et encouragée par les pouvoirs publics locaux dont principalement la direction territoriale de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, l’ONEMA* (intégrée dorénavant à l’AFB*), les Fédérations de Pèches départementales avec le soutien des services de la Préfecture du Calvados notamment.

Cette chasse aux sorcières « anti-moulins » est justifiée par une volonté de restaurer le « libre-écoulement des eaux » afin notamment de favoriser la remontée des poissons migrateurs. Pourtant l’article L214-17 du Code de l’Environnement qui encadre les obligations de continuité écologique ne prévoit pas la destruction des retenues de moulins traditionnels comme moyen d’assurer la circulation des poissons migrateurs mais bien «leur équipement ».

Devant l’émoi que suscite cette débauche d’argent public visant à détruire un patrimoine séculaire et une production d’énergie renouvelable traditionnelle, une table ronde a récemment été organisée à l’Assemblée Nationale le 23 novembre 2016 dernier en présence de nombreux députés. A cette occasion, les 5 scientifiques français auditionnés ont mis en exergue l’absence complète d’études sérieuses permettant de justifier ces destructions et les dangers qu’elles représentent pour l’écologie de nos rivières. Ils ont courageusement dénoncé une mainmise de certains lobbies écologistes jusqu’au-boutistes.


Destruction d'un ouvrage de la Rouvre.

Voilà des années que nos différentes associations ont dénoncé cette politique et exigé sans succès de recevoir les études qui démontreraient les effets positifs de ces destructions. Surtout, nous avons fait connaitre à ces institutions les données historiques, techniques et scientifiques indiscutables prouvant les multiples effets bénéfiques de la présence des retenues des moulins sur nos rivières au delà même de leur aspect patrimonial. Et notamment que les retenues formées par les moulins :
- améliorent la qualité des eaux en les épurant notamment en nitrates et phosphores,
- préservent la ressource en eau,
- atténuent les phénomènes de crue et d’érosion des terres,
- participent à la préservation et au développement des milieux aquatiques,
- favorisent les usages dont le tourisme, le canotage, la pêche et le développement de la production d’énergie verte et renouvelable.

Cette politique, soi-disant « écologiste », menée au prix d‘un gaspillage d’argent public exorbitant issu de nos taxes, se révèle ainsi dramatiquement « anti-écologique » pour nos rivières et alors que chacun sait que le problème réside dans la pollution excessive de nos eaux et non dans la présence multiséculaire des moulins (7 à 9 siècles d’ancienneté pour l’immense majorité des moulins normands).

A la suite de la table ronde et des propos des 5 scientifiques auditionnés, nos parlementaires ont réagi face à la dérive administrative constatée, et ont sanctionné l’article L214-17 en votant l’article L214-18-1 qui dégage partiellement les moulins «équipés pour produire de l’électricité» ou qui le seront, des obligations de «continuité écologique». Nous saluons notamment les parlementaires de notre région dont : M. Poniatowski, M. Lenoir, M. Huet, M. Revet, M. Bas, M. Loncle, M. Le Maire qui y ont activement participé avec d’autres.

Les pouvoirs publics locaux n’ont malheureusement pas pour autant renoncé à cette politique. De très nombreux moulins et microcentrales sont en ce moment même voués à la destruction.


Barrage de moulin et barrage de castor. Un impact fonctionnellement équivalent lorsque le seuil est modeste et comporte des voies de passage. Mais les barrages de castor sont protégés par la loi, tandis que l'administration française, les gestionnaires de rivière et le lobby de la pêche s'acharnent à détruire les chaussées de moulin. 

Afin de permettre aux médias, aux élus, aux riverains, et plus largement aux citoyens de se faire leur propre opinion à ce sujet, ce communiqué comporte 9 annexes justifiant nos propos notamment sur le rôle bénéfique incontestable des retenues de moulins dans le cadre de la gestion de nos eaux et des milieux aquatiques (cf Annexe 6, annexe 7 et annexe 8) et l’inanité complète de cette politique.

Nos 6 associations demandent, au vu de ces données qui déterminent que la destruction des retenues de moulins est parfaitement contraire aux principaux enjeux légaux établis ainsi qu’à l’intérêt général que :
- les projets de destruction de moulins en cours soient suspendus
- les projets de destruction de 6 nouvelles microcentrales hydroélectriques soient abandonnés et
que ces installations soient remises en service pour produire de l’énergie verte et renouvelable
conformément à la loi de transition énergétique d’août 2105
- des études d’incidence complètes sur les principaux enjeux légaux établis soient
systématiquement menées avant d’autoriser la destruction d’une retenue de moulin, ce qui n’est pas le cas à ce jour.

Nous souhaitons qu’un débat régional puisse se tenir à ce sujet avec ceux qui encouragent ces destructions, afin que nos élus et nos concitoyens intéressés par cette question puissent se faire leur avis et nous l’espérons trancher en faveur de la conservation des moulins normands plutôt qu’à la poursuite de leur destruction.

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15/04/2017

Les agences de l'eau et la continuité écologique: bonnes et mauvaises pratiques

Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique donne quelques indications chiffrées sur les politiques des agences de l'eau au sein des grands bassins hydrographiques de la métropole. Les auteurs constatent de fortes disparités entre les pratiques et, tout en respectant le principe d'autonomie des décisions, suggèrent que la continuité écologique doit gagner en cohérence inter-bassins. L'analyse des données montre que certaines agences sont bel et bien engagées dans une politique acharnée de destruction du patrimoine hydraulique : ainsi, les trois-quarts des ouvrages sont effacés dans les chantiers de Seine-Normandie et Artois-Picardie ! Le nombre d'ouvrages classés pour une mise en conformité à 5 ans manque généralement de réalisme, avec des sommets  en Seine-Normandie ((plus de 4000) et surtout Loire-Bretagne (plus de 8000). Comme nous l'avions déjà fait observer, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse paraît la plus sérieuse par le ratio entre les sommes allouées à la restauration physique et le nombre raisonnable d'ouvrages hydrauliques à traiter (7% seulement du linéaire en liste 2), ainsi que dans le choix effacement versus aménagement (un tiers versus deux-tiers). Outre les recommandations du CGEDD que nous approuvons, nous émettons plusieurs orientations complémentaires pour les évolutions des SDAGE et programmes de mesures des agences. La plus importante est de faire cesser la prime a priori (surfinancement) en faveur de l'effacement. Ce choix dogmatique est contraire à la prise en compte des différentes dimensions liées aux ouvrages hydrauliques et à l'analyse au cas par cas qui, seule, peut définir s'il y a un intérêt écologique réel à effacer. S'il n'est pas adopté rapidement par les comités de bassin, le principe de non discrimination publique entre les différentes solutions de continuité écologique devra être inscrit dans la loi afin de stopper ces dérives dénuées de fondement démocratique comme de rigueur scientifique. 

Dans son rapport sur la continuité écologique, où il constate les nombreuses défaillances de cette politique publique, le CGEDD donne des informations classées par bassins hydrographiques et agences de l'eau. En voici une synthèse.

La prime à l'effacement domine en France
Premier constat : la prime à l'effacement est partagée par presque toutes les agences. Seine-Normandie se montre la plus extrémiste avec une incitation à casser les droits d'eau et remettre en cause les usages, posture douteuse puisqu'une agence de l'eau n'a pas vocation à indiquer aux instances régaliennes ce qu'elles doivent faire, mais posture révélatrice  de la prétention infondée de cette agence à produire de la norme : "Avec quelques nuances ou conditions dans leur formulation, six SDAGE sur sept invitent à retenir l'effacement des ouvrages comme solution prioritaire pour rétablir la continuité écologique, sans toutefois exclure les autres solutions dés lors qu'il existe un usage de l'eau par ces ouvrages ; celui de Seine-Normandie oriente très nettement les choix vers l'effacement et invite l'autorité administrative à remettre en cause les usages et les autorisations délivrées chaque fois que l'occasion s'en présente".

Des très fortes disparités dans les choix des Agences
Deuxième constat : le CGEDD observe une forte disparité des orientations des agences, ce qui rend peu lisible la politique nationale de continuité, nourrit la complexité des dispositifs et entretient chez les personnes concernées un sentiment d'inégalité devant la loi (le monde des moulins s'informe nationalement et peut donc comparer les offres faites selon les territoires). Il est souligné par le CGEDD : "L'annexe 14 présente une analyse comparée des aides des six agences à la restauration de la continuité écologique. Il en ressort une forte hétérogénéité des dispositifs sur cette thématique. Sans aucunement mettre en cause le principe des décisions par bassin qui donne à la politique de l'eau sa subsidiarité, il n'empêche que pour cette action l'extrême diversité des régimes d'aides entraîne une certaine perte de lisibilité au niveau national. Pas toujours simple à comprendre au niveau du terrain, cette diversité porte sur les taux, les modalités et les conditions d'éligibilité, avec une incidence forte au niveau des moulins". Quelques exemples de disparités :
  • Artois-Picardie finance à égalité équipement et effacement contrairement aux autres,
  • Rhône-Méditerranée Corse, Seine-Normandie et Adour-Garonne sont les seules à financer à 100% des effacements,
  • quatre agences ont un dispositif favorisant des projets "prioritaires" (Loire-Bretagne, Rhin- Meuse, Rhône-Méditerranée Corse) ou "structurants" (Seine-Normandie), mais les critères de cette dernière agence sont peu transparents,
  • trois agences ont un dispositif d'aides modulable qui favorise les opérations collectives et contractuelles (Adour-Garonne, Loire-Bretagne) ou en fonction de leur gain écologique (Rhône- Méditerranée Corse),
  • deux agences aident à la franchissabilité à l'occasion de la remise en service de seuils pour l'hydroélectricité dans certaines conditions (Loire- Bretagne, Rhin-Meuse) mais pas les autres,
  • toutes les agences acceptent, dans certaines conditions, de financer l'équipement d'un ouvrage "récréatif" sans usage économique, sauf deux (Artois-Picardie, Seine-Normandie).
Examinons maintenant quelques données sur le classement et les chantiers selon les bassins hydrographiques.


Ce tableau montre le linéaire classé sur chaque bassin. Ce sont les Agences Rhin-Meuse (23%), Seine-Normandie (16%) et Loire-Bretagne (14%) qui ont été les plus ambitieuses pour le classement en liste 2 (celui qui oblige à des mises en conformité sur délai de 5 ans).


Ce tableau montre le nombre d'obstacles à l'écoulement par bassin. En liste 2, théoriquement à traiter en 5 ans, c'est Loire-Bretagne qui a sélectionné le nombre d'ouvrages le plus irréaliste (8169) suivi par Seine-Normandie (4076) et Rhin-Meuse (2704).


Ce tableau (cliquer pour agrandir) montre le poids économique du poste de restauration et gestion des milieux (incluant la continuité) dans les différentes agences. On observe que l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée (AERMC), qui a pourtant moins classé d'ouvrages que d'autres, est celle qui développe le budget le plus généreux (414 M€). Viennent ensuite Seine-Normandie (297 M€) et Loire-Bretagne (285 M€). Ces dernières ne portent pas un financement proportionné à leur ambition de classement, ce qui bloque forcément la réforme puisque les travaux de diagnostic et de mise en conformité dépendent des fonds publics débloqués par les agences financières.


Ce tableau montre, selon les remontées de préfecture, le nombre des réussites et des blocages dans la mise en oeuvre. A noter que la donnée est peu fiable, ne concernant a priori que des ouvrages ayant fait l'objet d'une étude (une minorité) : par exemple, tous les adhérents Hydrauxois sauf exception refusent de donner suite à la continuité dans les termes actuels de charge exorbitante hors effacement, mais ce n'est pas comptabilisé comme "blocage". La plupart de nos consoeurs sont dans le même cas. Le ratio le plus fort de blocage (par rapport au total) est observé en Adour-Garonne (41,1%), en Seine-Normandie (30,1%) et en Loire-Bretagne (29,5%). Il y a presque 2 fois plus de blocages sur les moulins que sur les autres ouvrages et 1,6 fois moins de réussites. Dans 35 % des départements, le nombre de blocages est supérieur à celui des réussites (sur les autres ouvrages, cette proportion n'est que de 15 %).


Voici enfin le tableau des choix de solutions financées en liste 2 pour la mise en conformité. Quatre bassins donnent une claire priorité à l'effacement des ouvrages hydrauliques : Seine-Normandie (75%), Artois-Picardie (74%), Loire-Bretagne (58%) et Rhin-Meuse (52%). A l'autre extrême, Adour-Garonne n'efface que dans 14% des cas (mais cette agence a récemment lancé un appel d'offre dédié au seul effacement et en a triplé le budget, indiquant qu'elle tend à s'aligner sur le dogme de la destruction préférentielle des ouvrages hydrauliques). Les bassins ayant classé le plus grand nombre d'ouvrages (environ les trois-quarts) sont ceux qui orientent vers une majorité d'effacements, ce qui confirme notre diagnostic.

Rappelons que ni la directive cadre européenne 2000, ni le Blue Print européen 2012, ni la loi sur l'eau 2006 ou la loi de Grenelle 2009 n'ont jamais indiqué que l'effacement des ouvrages devait être la solution de première intention. Le choix des Agences de l'eau est donc considéré aujourd'hui comme une dérive antidémocratique majeure, avec une volonté inacceptable d'imposer des normes et des prescriptions n'ayant jamais été validées par nos représentants au parlement français et européen. Tant que cet extrémisme ne sera pas dénoncé et corrigé par une circulaire du ministère à l'intention de ses agents administratifs et des préfets de bassin, la continuité écologique s'enfermera dans le registre conflictuel et illégitime du chantage financier en faveur de la destruction de cadres de vie et des visées intégristes de pseudo-renaturation.

Des informations manquantes pour évaluer sérieusement la cohérence des politiques
Nous regrettons que les Agences de l'eau ne fournissent pas des informations plus détaillées sur leurs choix. Ainsi, il est nécessaire d'obtenir les données suivantes (à croiser avec les autres informations déjà disponibles):
  • répartition des catégories maîtres d'ouvrages (propriétaires) bénéficiant d'aides (Etat, collectivités, exploitants, particuliers),
  • précision sur la nature des effacements (arasement ou dérasement),
  • répartition des solutions choisies quand il n'y a pas effacement (passe technique, passe rustique, rivière de contournement, changement de vannes, dispositif spécialisé),
  • ordre de Strahler des rivières où il y a des chantiers,
  • espèces cibles principales des chantiers financés,
  • hauteur, débit et classe ICE des ouvrages concernés par les chantiers.
Ces données doivent permettre d'analyser plus finement les priorités qui sont données aujourd'hui, par exemple de vérifier que l'on traite d'abord les espèces migratrices faisant l'objet de plan de protection (saumons, anguilles) par rapport à des espèces de moindre enjeu (truites, cyprinidés rhéophiles), que l'on traite d'abord les obstacles infranchissables (information hauteur-débit-ICE) représentant les enjeux majeurs ou encore que l'on traite les ouvrages dans le sens logique de la montaison des migrateurs, et non de manière dispersée par opportunités politiques et sans cohérence pour des gains de connectivité efficients,.

Bien entendu, la continuité écologique devrait aussi tenir sur chaque rivière un tableau de bord de sa progression afin que les citoyens comprennent les avancées réelles des SAGE, contrats globaux ou autres outils : nombre d'ouvrages traités / encore à traiter, gain réel en taux de fractionnement et étagement, évolutions des bio-indicateurs avant/après, etc.

Tout ces informations manquent aujourd'hui: l'entretien de l'opacité et du manque de vision globale pour les citoyens sur ce qui se fait vraiment, à quel coût, avec quelle cohérence et avec quels résultats est une constante de cette politique administrative. Sans ce rapport du CGEDD fait à la demande de la ministre de l'Ecologie après constat du caractère très conflictuel de la continuité écologique, nous n'aurions même pas ces quelques informations quantifiées. La manière dont les administrations s'estiment exemptées de transparence et de responsabilité sur l'efficacité de leurs choix écologiques est pénible, et nourrit la dégradation de la confiance des administrés.

Préconisation d'harmonisation du CGEDD
Le CGEDD émet la recommandation d'une convergence inter-agences de certaines pratiques. "La mission préconise d'abord d'adapter et d'harmoniser les aides des agences de l'eau, vers une meilleure convergence entre elles, sans pour autant viser l'uniformité. La préparation des XIes programmes pour 2019-2024 constitue une excellente opportunité. L'anticipation de ces évolutions, par une seconde révision des Xes programmes, serait souhaitable.
Les principes pour guider cette convergence pourraient être de rendre possible sur tous les bassins (voir l'analyse faite au point 2.3.3.1 du rapport détaillé) :
• le financement à 100 % pour l'effacement d'ouvrages, sous conditions : dans le cadre d'opérations coordonnées et/ou en faire un outil incitatif en le limitant à l'échéance de dix ans après publication du classement des cours d'eau, en cohérence avec la nouvelle rédaction du III de l'article L 214-17 du code de l'environnement, puis au-delà de cette échéance le réserver aux seuls ouvrages abandonnés ;
• des financements améliorés pour certaines solutions intermédiaires entre l'effacement et l'équipement (bras de contournement) ;
• les aides à l'équipement, au titre de la continuité, de seuils sans usage ou remis en service ;
• les aides à la restauration et à l'automatisation des vannages36, pour des opérations collectives et assorties d'un engagement sur l'entretien ;
• les aides aux particuliers, y compris en cas de mise en demeure37, si effacement ;
• une bonification pour les démarches collectives et les opérations particulièrement exemplaires sur le plan environnemental, ainsi que pour celles qui concerneront les "moulins patrimoniaux" ;
• les avances aux particuliers, afin que le propriétaire n'ait pas à pré-financer des subventions de montant élevé ;
• les avances remboursables ou des prêts à taux zéro.
Il est également suggéré, au vu de la diversité des pratiques actuelles, que les agences définissent une position commune sur le financement, ou non, de la mise en conformité des activités hydroélectriques existantes par rapport à l'exigence de continuité écologique".

Nos attentes vis-à-vis des agences
Nous partageons et nous appuierons la demande du CGEDD en faveur d'une plus grande équité et lisibilité dans les choix des agences de l'eau, car tous les citoyens sont égaux devant la loi, tous les milieux et tous les ouvrages obéissent aux mêmes règles générales de fonctionnalités. On ne comprend guère les discriminations territoriales quand celles-ci se font au niveau de la programmation de bassin. Chaque cas est particulier en hydrologie, mais c'est au niveau du site qu'un traitement différencié se justifie, pas au niveau de bassins entiers recouvrant des hydro-éco-régions, des espèces et des ouvrages très différents. A obstacles et enjeux identiques, il n'y a pas de raison valable pour que la continuité écologique se déploie de manière arbitrairement différente sous le seul prétexte que l'on vit en Bretagne, en Bourgogne, en Aquitaine, en Alsace ou en Occitanie.

En revanche, au-delà des observations du CGEDD :
  • nous constatons une inacceptable pression en faveur de l'effacement chez certaines agences et nous demanderons aux comités de bassin concernés de faire cesser dans les prochains SDAGE et dans les prochains programmes de mesures cette politique de la casse du patrimoine historique, de l'agrément paysager et du potentiel énergétique,
  • nous constatons le caractère totalement irréaliste du nombre d'ouvrages classés dans certains bassins en fonction du délai de mise en conformité (même après ajout de 5 ans) et des sommes allouées pour l'aide publique, donc nous demanderons soit le déclassement de certaines rivières non prioritaires (annulation des anciens arrêtés), soit la suppression ou l'allongement (conséquent) du délai de mise en conformité par des arrêtés complémentaires. Si l'administration refuse de procéder ainsi, nous demanderons aux parlementaires de modifier l'article L 214-17 CE afin de rendre cohérentes, raisonnables et efficaces les règles d'interprétation du classement en liste 2,
  • nous refusons la prime de principe à l'effacement, qui est étrangère au texte et à l'esprit des lois françaises et européennes, contraire au cas par cas et à la prise en compte des enjeux multiples de l'eau (non réductible à la seule écologie). Si l'administration refuse de la modifier et de stopper la dérive engagée depuis le PARCE 2009, nous demanderons aux parlementaires d'inscrire dans la loi un principe de non-discrimination des solutions de continuité au stade de la programmation publique de bassin et de ses règles de financement. 
D'ici là, aucun propriétaire et riverain d'ouvrage hydraulique ne doit accepter le chantage financier exercé par les agences en vue de détruire, tous doivent en saisir leurs députés et sénateurs afin de leur faire constater le trouble posé par ces pressions arbitraires. Cette saisine des parlementaires est nécessaire car seule l'information venue du terrain a déjà permis l'adoption en 2016 et 2017 de quatre correctifs au code de l'environnement. Elle permettra demain de persister dans cette adaptation nécessaire de la continuité écologique à la réalité des rivières et de parvenir à des arbitrages plus consensuels, permettant une pleine participation des riverains à la reconquête de la qualité des eaux, dans le respect des patrimoines et des usages.