20/06/2017

Parc du Morvan: un joli petit film, de vilains petits oublis...

Le Parc du Morvan et le Parc des Ballons des Vosges ont profité du financement du programme Life+ Continuité écologique pour produire un film sur les travaux de restauration des milieux aquatiques sur leurs territoires. On y trouve de belles images, des points d'accord sur la nécessité de préserver les patrimoines naturels et culturels, mais aussi une dissimulation peu glorieuse de ce qui se passe sur le terrain et l'entretien de certaines idées fausses. L'écologie des rivières et milieux humides ne pourra pas progresser sur la négation des réalités et sans l'ouverture d'un véritable dialogue environnemental. 



Précisons tout d'abord nos points de convergence :

  • le Morvan et les Vosges disposent de territoires d'exception pour leurs patrimoines naturels, culturels et paysagers, dont la préservation est d'intérêt général;
  • les têtes de bassin sont des milieux écologiquement riches, et la préservation de certaines espèces menacées (comme la moule perlière) comme de certains biotopes fragiles est un enjeu légitime de mobilisation;
  • nous apprécions la volonté affichée dans cette vidéo de conciliation entre les activités humaines (dont leurs héritages) et la conservation des espaces naturels;
  • nous considérons le Parc du Morvan comme un animateur territorial tout à fait légitime, avec de beaux enjeux à faire valoir pour les générations présentes et futures.

En revanche, le film est trompeur pour le public car il évacue tous les problèmes concrets de gouvernance observés depuis plusieurs années dans le cas particulier et conflictuel de la continuité écologique (nous parlons ici du Morvan, notre territoire d'implantation, et non des Vosges).

En voici quelques rappels dans le domaine de la gouvernance :
  • la plupart des propriétaires de moulins et étangs subissent depuis 5 ans une pression constante en vue de détruire (araser, déraser) leurs ouvrages, seule solution qui est aujourd'hui financée par l'Agence de l'eau Seine-Normandie dans la plupart des cas. Le déni de ce chantage économique et de l'attitude brutale de l'administration a abouti à une rupture catastrophique de la concertation, qui est toujours impossible aujourd'hui faute d'une reconnaissance claire des problèmes et d'une proposition de solutions viables;
  • lors du programme Life + sur la zone Nature 2000 d'Avallon, plusieurs propriétaires étaient volontaires pour des passes à poissons, mais cette solution leur a été refusée alors qu'elle a été acceptée pour d'autres. Beaucoup perçoivent cela comme un arbitraire pur et simple des agents instructeurs;
  • malgré l'abondant financement public pour les trois passes à poissons finalement réalisées (plusieurs bureaux d'études!), l'une s'est révélée défaillante dès la première année (moulin Cayenne) et l'autre se trouve être un piège à embâcles dont le choix (passe à plots) et la conception sont peu adaptés à l'hydrologie du site (moulin Cadoux);
  • les représentants du Parc du Morvan, de la DDT, de l'Agence de l'eau, de l'AFB ont toléré ou engagé diverses dérives sur le bassin Yonne-Cure-Cousin au cours des années passées: refus de reconnaître qu'un moulin non connecté au réseau et en autoconsommation a un intérêt à garder son ouvrage (Cussy-les-Forges), refus d'admettre qu'une retenue très appréciée des riverains et inscrite au patrimoine communal a un intérêt de conservation (Bessy-sur-Cure); acharnement à essayer de casser des droits d'eau sans enjeu écologique ni riverain (Chastellux-sur-Cure), information insuffisante d'un propriétaire l'ayant conduit  à perdre l'essentiel de son droit d'eau et à échouer dans la vente de son moulin à des acquéreurs qui voulaient avant tout produire de l'énergie verte (Avallon), etc.

Par ailleurs, le film donne une image imprécise et partielle des enjeux écologiques :
  • on présente les étangs, les lacs, les retenues et les biefs comme des hydrosystèmes que l'on peut éventuellement tolérer en tant qu'héritages culturels ou lieux d'usages particuliers, mais qui en soi ont des impacts forcément négatifs sur le plan écologique. Or, c'est inexact. Des plans d'eau artificiels comme les étangs de Marrault, l'étang Taureau de Saint-Brisson (où est la Maison du Parc), les lacs de Saint-Agnan, de Chaumeçon, de Pannecière ont aussi un intérêt propre comme milieux récepteurs de certaines espèces (même s'ils ont un effet adverse sur d'autres espèces). Certains font d'ailleurs l'objet d'un classement pour leur intérêt faunistique et floristique; 
  • la biodiversité n'est pas un musée figé où chaque population de chaque espèce patrimoniale doit se répéter à l'identique dans le temps, c'est une réalité qui évolue, et qui évolue en particulier sous l'influence des activités humaines depuis plusieurs millénaires (par exemple les phases de boisement, déboisement, reboisement du Morvan, la construction des systèmes d'énergie et de flottage, etc.), dans une logique de "rivières hybrides", comme les a joliment appelées une équipe de chercheurs français;
  • il manque à la démarche du Parc du Morvan des éléments essentiels sur l'histoire et l'avenir de la diversité biologique. Multiplier des monographies descriptives de certains tronçons des milieux aquatiques actuels est une démarche d'observation intéressante, mais insuffisante pour ce qu'on attend en premier lieu de la science, à savoir des modèles explicatifs et prédictifs qui correspondent aux données observées et permettent d'anticiper avec un degré raisonnable de certitude l'effet des actions envisagées. Par exemple, sur la population repère de truite (indispensable au cycle de vie de la moule perlière), nous n'avons à notre connaissance aucune donnée fiabilisée sur les abondances passées, sur la variabilité interannuelle et interdécennale des peuplements, sur la pondération des nombreux facteurs pouvant expliquer une (éventuelle) tendance, sur le potentiel truiticole total des masses d'eau, sur l'évolution de ce potentiel en situation de réchauffement climatique, sur le coût et l'efficacité relative des différentes actions envisageables (dont les moulins et étangs, mais pas seulement : les ripisylves, les pollutions, les charges sédimentaires venant des versants et apportant ou non la bonne granulométrie de frayères, les connexions de ruisseaux pépinières, les pratiques de pêche, la dynamique des espèces prédatrices ou concurrentes, etc.). 

Enfin, le Parc du Morvan doit répondre avec davantage de précision de ses actions. Ainsi, le 15 octobre 2016, un responsable du PNR avait affirmé à la presse (Yonne républiciane) :
Sur le plan écologique, « normalement, c'est plutôt long d'obtenir des résultats. Mais on a déjà mesuré les impacts des travaux menés en 2013 et 2014 ( N.D.L.R. : sur des ouvrages privés). Le milieu s'est considérablement amélioré en une année. Au niveau de l'ouvrage Michaud, en amont du camping, où il y a eu un arasement partiel, on constate le retour des perlas, une espèce bioindicatrice. Les truites sont aussi revenues au moulin des Templiers ».
Depuis cette date, nous demandons sans succès la transmission des études démontrant le résultat avancé (et son caractère significatif). Après 8 mois de tergiversation (et toujours pas de document disponible), le responsable du Parc nous dit que ces analyses ne concernent finalement pas la truite… alors que la déclaration aux médias affirmait le contraire (et que la truite fait l'objet d'empoissonnement par les pêcheurs, ce qui pose de toute façon la question du sens de ces observations par rapport à une "naturalité" pisciaire). Ce n'est certainement pas en procédant ainsi que l'on va instaurer des rapports de confiance avec les riverains ni démontrer de bonne foi que les dépenses écologiques sur les ouvrages hydrauliques correspondent à des gains proportionnés pour les milieux aquatiques.

14/06/2017

Franchissement piscicole des ouvrages hydrauliques: un cahier des charges trop complexe pour les petits sites

L'Agence française pour la biodiversité et les Agences de l'eau viennent de publier une trame de cahier des charges pour accompagner collectivités et hydroélectriciens dans leur projet de mise en conformité d’un site classé en liste 2 au titre de la continuité écologique. Quelques commentaires sur la complexité des demandes en rapport aux capacités et aux impacts des projets de relance des moulins et autres ouvrages très modestes.


Ce guide venant de paraître est consacré à la définition des équipements de franchissabilité en montaison et dévalaison (passes à poissons, rivières de contournement, grilles) pour les propriétaires ayant un projet hydro-électrique. Il rassemble les éléments que l'administration estime nécessaires: données administratives et réglementaires, connaissance des usages et caractéristiques techniques de l'ouvrage, données sur l'hydrologie et le fonctionnement hydraulique, évaluation des impacts de l'ouvrage sur la continuité écologique, diagnostic de la continuité biologique, diagnostic de la continuité sédimentaire, justifications techniques des choix de franchissabilité, etc.

Nous attirons l'attention sur le caractère trop complexe et donc décalé de ce guide par rapport aux réalités de la très petite hydro-électricité des moulins et anciennes usines à eau. Ce que des grands barragistes peuvent intégrer dans le cadre de projets industriels, ou ce que des constructions de nouveaux sites peuvent planifier dans le génie civil de l'ouvrage à bâtir, n'est pas à portée de projets de réhabilitation de sites anciens et modestes. La seule mobilisation d'un bureau d'études pour répondre à la totalité du cahier des charges proposé dans le guide représenterait pour ces petits sites l'équivalent d'une à cinq années de production – cela sans parler de la réalisation matérielle des passes, grilles, goulottes de dévalaison et autres besoins. Ce qui est manifestement disproportionné. Se pose donc la question du financement de ces demandes : la très haute exigence environnementale a du sens, mais elle ne peut se déployer sans un soutien public à hauteur du niveau d'ambition imposé.

Par ailleurs, la question de la mortalité des poissons sur les petites turbines n'a jamais été explorée de manière satisfaisante. L'administration se fonde sur des travaux anciens concernant  (là encore) les grosses unités de production. Nous souhaitons donc que l'Agence française pour la biodiversité mène des travaux sur des sites de production de 5 à 250 kW, avec un spectre représentatif de hauteur et débit, afin de modéliser plus finement la question. Notre association et plusieurs de ses consoeurs sont disposées à aider l'administration à trouver des sites pilotes volontaires pour répondre à ce besoin, en particulier chez les très petits producteurs de 5 à 50 kW. Il n'est pas possible de faire des prescriptions sur la base de simples présomptions, sans disposer au préalable d'étude scientifique et technique sur l'objet de ces prescriptions. Or à notre connaissance, le CSP, l'Onema puis l'AFB n'ont jamais publié le moindre travail de recherche sur le comportement d'approche, d'évitement ou de piégeage des poissons dans les très petits sites de production (moulins).

Enfin, sur le plan du droit, le guide a été conçu avant les évolutions récentes de la loi. On rappellera que le nouvel article L 214-18-1 Code de l'environnement exonère les moulins producteurs des obligations du II de l'article L 214-17 du même code, c'est-à-dire concrètement des contraintes de franchissement piscicole et sédimentaire. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique n'ont toujours pas produit une circulaire d'application de cette disposition, comme de plusieurs autres votées depuis un an.

Référence : Eléments techniques pour la rédaction d’un cahier des charges (CCTP) pour les équipements et dispositifs dédiés au franchissement piscicole (montaison & dévalaison) et/ou au transit sédimentaire (janvier 2017).

Illustration : une rivière de contournement au droit d'une chaussée de moulin sur le Cousin (Méluzien). Sans le financement Life+, Agence de l'eau et Parc du Morvan, ce projet aurait été hors de portée du maître d'ouvrage.

09/06/2017

Evaluer le préjudice écologique lié à la destruction des retenues, biefs et étangs

La loi sur la biodiversité a introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions sur le préjudice écologique, concernant soit des composantes d'un écosystème soit les services collectifs qu'il procure. Le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de publier un guide pour évaluer ce préjudice dans le cas des petits chantiers à impact de moindre gravité. Nous exposons ici que les chantiers de continuité écologique, amenant parfois à perturber les équilibres en place, à supprimer des annexes hydrauliques et à diminuer globalement la surface offerte au vivant aquatique, doivent fournir dans leur justification réglementaire une évaluation sérieuse de la biodiversité locale (qui ne se limite pas aux poissons) et des impacts parfois négatifs du chantier sur cette biodiversité. Dans le cas contraire, tout riverain ou toute association est fondé à requérir auprès du juge administratif une annulation de l'arrêté autorisant le chantier.



La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, a modifié le livre III du Code civil. Deux nouvelle dispositions sont ainsi formulées:
Art. 1246 – Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer.
Art. 1247 – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le ministère de l'Environnement (aujourd'hui Transition écologique et solidaire) a publié un document sur la question, concernant le chantiers de faible impact et intitulé Comment réparer des dommages écologiques de moindre gravité ? (pdf, mai 2017).

Comme l'observent les auteurs de ce travail, "réparer au mieux un préjudice écologique nécessite tout d'abord d'évaluer correctement le dommage subi. C'est sur la base de cette évaluation que la réparation pourra ensuite être envisagée."

Malheureusement, dans le cas particulier des travaux concernant les milieux aquatiques et en particulier la continuité écologique, le document est insatisfaisant par la généralité de ses préceptes et par la mise en avant de présupposés discutables (confusion entre biodiversité, qui est une diversité mesurable de gènes, d'espèces, de fonctions ou d'habitats, et naturalité ou intégrité biotique, qui est un état de référence d'un milieu non modifié).

Rappelons que la continuité écologique longitudinale consiste à traiter les obstacles à l'écoulement en rivière (seuils, barrages) afin de limiter leur entrave à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Elle représente aujourd'hui plusieurs centaines de chantiers en rivière chaque année (objectif : plus de 20.000 ouvrages), avec une priorité accordée à la solution de destruction de l'ouvrage, soit l'un des enjeux de programmation publique les plus importants affectant l'équilibre en place des rivières françaises au plan de leur morphologie et de leur diversité biologique perdue ou acquise au fil des siècles.

Chaque hydrosystème doit être étudié, chaque chantier doit être évalué
Il serait erroné de penser a priori qu'un habitat anthropisé (modifié par l'homme) est forcément dégradé ou défavorable à la biodiversité : on rencontre au contraire des cas de sites classés pour leur intérêt faunistique ou floristique (voir cet exemple) ou encore des cas de canaux de dérivation qui alimentent de tels sites d'intérêt, comme des zones humides (voir cet exemple). Les chercheurs soulignent aussi la diversité des cas, comme des canaux pouvant servir de refuge à des espèces menacés (Aspe et al 2014), des étangs piscicoles hébergeant une faune d'intérêt autre que les poissons (Wezel et al 2014), une végétation riveraine qui peut répondre défavorablement à une modification de l'écoulement (Depoilly et Dufour 2015).

Un chantier se réclamant de l'écologie ne peut donc pas s'appuyer sur des idées trop générales ou abstraites, particulièrement s'il se veut exemplaire et bénéficie de fonds publics : il s'agit d'étudier la réalité et la diversité du vivant sur chaque site, afin de prendre les décisions les mieux informées.

Un porteur de projet de continuité écologique doit donc évaluer l'impact de ses travaux sur le vivant. Cet impact ne se limite pas à la variation attendue d'une population de poissons ou à la variation de micro-habitats sur le périmètre de la retenue du barrage ou du seuil. Il convient en effet d'évaluer :
  • l'ensemble de la biodiversité inféodée au système en place (typiquement, les oiseaux ou les amphibiens sont aussi des espèces d'intérêt, pouvant profiter des retenues, mais ne sont presque jamais prises en compte),
  • le risque d'espèces indésirables ou porteuses de pathogènes présentes à l'aval et pouvant se répandre plus facilement vers l'amont, en concurrence éventuelle avec des espèces patrimoniales (voir cet exemple récent de barrages limitant des proliférations et ce texte de synthèse),
  • la perte pour les espèces aquatiques que représente la disparition d'une certaine surface en eau hors du lit mineur de la rivière (le bief supérieur et inférieur, les rigoles de déversoir, les éventuelles zones humides alimentées par le détournement d'eau, les plans d'eau de type étangs, mares, lacs).
Les associations gagneront à effectuer ce rappel aux services administratifs, aux syndicats de rivière et aux bureaux d'études, afin que chaque projet liste les espèces susceptibles d'en bénéficier ou d'en souffrir, avec indication sur le degré de certitude de la connaissance du milieu, sur l'objectif de résultat du chantier et sur les éventuelles compensations à prévoir.

En cas de refus de procéder ainsi, les riverains peuvent documenter la diversité biologique des hydrosystèmes concernés (eux-mêmes ou en faisant appel à des naturalistes), et s'il apparaît qu'il existe des espèces d'intérêt pour la biodiversité locale, saisir le juge administratif pour faire stopper le chantier, en mettant en avant le défaut d'estimation du préjudice écologique.

Enfin, il convient de rappeler que l'article 1247 Code civil mentionne aussi les "bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement". Cette expression renvoie à la notion de services rendus par les écosystèmes, qui est de plus en plus mise en avant en gestion de l'environnement depuis une quinzaine d'années. En ce domaine également, les bénéfices divers que les riverains retirent des hydrosystèmes aménagés doivent être intégrés dans le diagnostic préparatoire au chantier (par exemple rehausse de nappe à l'amont, agrément paysager, plus-value culturelle, réserve d'eau en été, loisirs, etc.).

Illustrations : quelques exemples d'invertébrés observés à proximité immédiate d'un hydrosystème artificiel (ruisseau créé par le déversoir d'un moulin dans le Morvan, prairie humide en partie alimentée par les fuites de son bief), parmi des dizaines d'autres espèces colonisant cet habitat. Une mise à sec de ce ruisseau et de ce bief par suppression du seuil amont qui les alimente représenterait un impact pour les espèces présentes. Ce genre d'enjeu demande une bonne évaluation des avantages-inconvénients de chaque chantier au plan de la biodiversité locale. Notre association appelle tous les propriétaires et riverains de moulins, d'étangs, de lacs à s'intéresser aux espèces qui peuplent ces biotopes, y compris en travaillant à améliorer la capacité d'accueil écologique des sites (exemple LPO), et à mener des campagnes d'observation.

A lire également :
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires

02/06/2017

26/05/2017

Non, madame la sénatrice, relancer l'énergie d'un moulin ne coûte pas 600.000 euros!

Informée par l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre des problèmes rencontrés par les ouvrages hydrauliques et de la nécessité de les préserver pour faciliter la relance énergétique de certains d'entre eux, Anne Emery-Dumas (sénatrice de la Nièvre) répond que le coût moyen de leur ré-équipement s'élèverait à 600 k€, selon une information reçue lors d'une réunion en préfecture. Ce chiffre est fantaisiste, car la majorité des moulins bourguignons (et français) sont de dimensions modestes : hors passe à poissons, on peut en général équiper un moulin pour quelques milliers d'euros du kilowatt de puissance (donc quelques dizaines de milliers d'euros au total). En revanche, trois phénomènes alourdissent les coûts de certains chantiers: les attentes sans réalisme économique des agents de l'Etat en charge de l'environnement, raisonnant comme si les moulins étaient des grands barrages industriels; les subventions qui rehaussent la complexité du cahier des charges et poussent les entreprises à saler la facture sur les marchés publics; les excès de certains équipementiers qui, profitant de l'ignorance des particuliers, font parfois payer bien trop cher les turbines ou l'électrotechnique. Aujourd'hui, les moulins ne demandent pas à l'Etat d'engager des dépenses d'argent public pour les équiper au plan énergétique, ce qui relève d'un choix et d'un financement privés. Mais les procédures doivent être simplifiées, en particulier pour l'autoconsommation, et les investissements écologiques doivent être pris en charge par les Agences de l'eau, car ils sont d'intérêt général et leur entretien représente déjà une servitude lourde pour le particulier.




Anne Emery-Dumas, sénatrice (PS) de la Nièvre, avait été saisie par l'Association des moulins de Morvan et de la Nièvre, dans le but de traduire en acte les souhaits parlementaires de protection des ouvrages hydrauliques aujourd'hui menacés de destruction par les choix administratifs (voir cette lettre aux préfets déjà envoyée par de nombreuses associations en France).

Dans sa réponse à l'association, la sénatrice évoque une "réunion du comité départemental pour le développement des énergies renouvelables", tenue en préfecture, d'où elle a retenu le point suivant:
"les moulins ont été abordés concernant la production d'hydro-életricité, en rappelant que Madame Ségolène Royal, alors ministre de l'Ecologie, y est favorable. Les difficultés sont liées essentiellement aux coûts d'implantation de ces unités, estimés en moyenne à 600.000 € (dont 200.000 € pour les passes à poissons) pour une rentabilité nécessitant une longue période de fonctionnement (50 à 100 ans)"
Cette assertion est tout à fait inexacte.

Passes à poissons : leur coût est plutôt entre 50 et 150 k€, leur nécessité est indépendante de l'énergie
Concernant les passes à poissons, le coût moyen estimé est de 50 k€ par mètre de chute selon l'observatoire des coûts de l'Agence de l'eau rhodanienne. Les moulins ayant des chutes modestes (la moitié des ouvrages du référentiel des obstacles à l'écoulement font moins de 1 mètre), le coût probable se situe entre 50 et 150 k€. C'est confirmé par les données du rapport CGEDD 2016 montrant que le coût moyen d'un chantier de continuité depuis 2007 (toutes solutions confondues) est de 100 k€. Ajoutons qu'il existe (dans certaines configurations favorables) des solutions moins chères que les passes à poissons : simple gestion des vannes, pré-barrage, rivière de contournement.

Cette dépense de continuité écologique concerne les ouvrages avec ou sans production d'énergie, et elle est de toute façon hors de portée des particuliers, des petits exploitants et des collectivités rurales modestes. Donc il n'y aura pas de continuité écologique réussie sans un financement public massif de ces travaux très coûteux en rivière. Au moins l'existence d'une production d'énergie permet-elle de mettre des revenus en face des dépenses, et surtout de soutenir la transition bas-carbone choisie par l'Etat français.

Pour finir, soulignons que le nouvel article L 214-18-1 du code de l'environnement exempte les moulins producteurs d'électricité d'obligation de continuité écologique en liste 2. Donc dans ces cas-là, l'objection de madame la sénatrice n'est plus d'actualité.

Production d'électricité : moins de 100 k€ pour la majorité des moulins
Concernant la production hydro-électrique elle-même, le coût d'un chantier est très variable, car il va dépendre des éléments suivants :
  • état du génie civil (tenue de la chaussée ou du barrage, longueur et état du bief),
  • hauteur de chute (plus c'est haut, moins c'est cher en coût de revient),
  • distance au raccordement (si injection réseau),
  • complexité administrative (reconnaissance du droit d'eau),
  • niveau des exigences environnementales (prescriptions complémentaires),
  • capacité du maître d'ouvrage à assumer lui-même une partie du dossier et des travaux (plus on délègue et plus c'est coûteux).
On ne peut donner qu'une fourchette de coût, très large : celle-ci va de 2000 à 10.000 euros du kW installé. Les moulins ont une puissance brute comprise entre 5 et 100 kW, mais la médiane est basse, à 10-15 kW. Cela signifie que l'essentiel des moulins a des coûts de relance qui se situeront entre 10.000 et 100.000 euros.

A titre d'exemple, la relance la moins chère parmi nos adhérents est un moulin de 6 kW à 12.000 euros d'investissement en autoconsommation, avec un temps de retour sur investissement (économie de fioul) de moins de 4 ans (à l'époque où le combustible était plus cher, ce serait 6 ans aujourd'hui).

Donc en réalité, si l'on prend le parc des moulins réellement présents dans le Morvan et en Bourgogne comme ailleurs en France sur les petites rivières, le coût moyen de relance énergétique d'un moulin hors passe à poissons sera de 60.000 euros et non pas 600.000 euros, un ordre de grandeur en dessous de l'estimation donnée à madame la sénatrice !

Pourquoi les coûts sont-ils parfois élevés ? Trois excès à corriger
Notre expérience associative nous amène à observer trois types de coûts anormalement élevés pour certains chantiers de relance énergétique :
  • les dérives de certains installateurs privés qui, abusant de la crédulité des propriétaires, proposent des solutions nettement trop coûteuses. Tout propriétaire devrait contacter une association pour avoir un avis critique sur les devis, ou se renseigner sur le forum de la petite hydro-électricité (forum très dynamique où des dizaines de projets de petite puissance ont déjà été aidés dans leur relance);
  • les dérives de certains services administratifs en charge de l'environnement, qui demandent parfois des prescriptions dont le coût représente plusieurs années de chiffres d'affaire (ou équivalent monétaire de production). Cet irréalisme et cette attitude anti-économique ne concernent que les moulins, jamais on ne demanderait à une exploitation agricole ou industrielle de dépenser des sommes aussi disproportionnées par rapport aux revenus;
  • la dépendance aux subventions publiques qui renchérit tous les coûts (à la fois parce que le subventionneur pose des cahiers des charges très ambitieux en échange de son aide, et parce que les entreprises – des bureaux d'études aux travaux publics – avancent des prix plus élevés dans les marchés publics que dans les négociations avec des acteurs privés).

Pour relancer les moulins: simplifier la réglementation, proportionner les mesures environnementales, laisser agir les acteurs privés
Il existe probablement entre 50.000 et 80.000 moulins en France, répartis dans tous les départements, sur toutes les rivières. Même si leur production est individuellement modeste, elle représente une opportunité de déployer des sources d'énergie bas-carbone et de redonner sens aux ouvrages en rivières (qui sont de toute façon présents, et exercent donc un impact écologique même sans production électrique).

Mais du fait de leurs modestes dimensions, impacts et productibles, la relance de ces moulins ne pourra pas se faire à travers des politiques publiques conçues pour des industriels ayant au minimum plusieurs centaines de kW de puissance potentielle à équiper, souvent plusieurs MW.  L'Etat français doit impérativement redimensionner ses programmes dans le cas de la petite hydraulique, qu'il s'agisse du volet écologique ou du volet énergétique. Plus généralement, le rôle premier de l'action publique est d'assister les citoyens dans la réalisation de leurs projets, et non de faire grimper les coûts, de multiplier les contrôles et d'additionner les complications. A partir du moment où l'hydro-électricité fait partie des énergies retenues en Europe pour remplacer des sources fossile et fissile, l'administration en charge de la transition écologique et solidaire doit l'accélérer, pas la freiner.

Pour notre part :
  • nous sommes favorables à la limitation des subventions publiques à l'énergie en dehors du tarif d'achat garanti tel qu'il se pratique pour tout le secteur renouvelable (de toute façon, les nouveaux contrats H16 de la petite hydro-électricité interdisent de cumuler les avantages, et c'est plus clair ainsi);
  • nous sommes favorables à la prise en charge publique des coûts des passes à poissons, qui sont des dispositifs d'intérêt général et non d'intérêt privé, imposant déjà des contraintes lourdes de surveillance et d'entretien au particulier ou à l'exploitant;
  • pour les plus petits moulins majoritaires (5 à 15 kW), même si chaque cas est à étudier, nous encourageons plutôt les propriétaires à réfléchir à l'autoconsommation (avec injection du surplus si disponible), quitte à ne pas utiliser toute la puissance brute présente (ce qui laisse davantage de débit pour la rivière), ce choix étant dicté par la simplicité (plus grande autonomie, pas de dossier EDF-OA, pas de contrainte de raccordement et de sécurité réseau, pas d'obligation de créer une société pour des revenus industriels et commerciaux généralement très modestes, etc.) ;
  • sur chaque rivière, nous appelons le gestionnaire à procéder à une évaluation du taux d'équipement afin de débattre démocratiquement du potentiel énergétique sur la base de chiffres exacts;
  • nous rappelons qu'avant d'équiper énergétiquement les moulins, le premier enjeu est de cesser immédiatement leur destruction à la chaîne. La politique de continuité écologique doit proposer en première intention des équipements environnementaux respectant la consistance légale et le potentiel énergétique de chaque site.
Illustration : une ancienne turbine Fontaine dans un moulin de Côte d'Or, sur l'Armançon. Souvent, les moulins ont encore leur turbine ancienne en chambre d'eau et les propriétaires peuvent tout à fait envisager de les ré-utiliser, car ces mécanismes, adaptés à la hauteur et au débit, subissent assez bien l'usure du temps. Sinon, il existe des modèles contemporains à coût raisonnable.

21/05/2017

Continuité écologique : rien n'est réglé, ce que nous attendons du nouveau gouvernement

Les élections ont renouvelé la présidence de la République et le gouvernement, en attendant l'Assemblée nationale en juin et le Sénat en septembre. Parmi les dossiers les plus chauds de l'environnement, on cite les cas médiatisés de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de centre d'enfouissement de déchets nucléaires de Bure ou de la centrale de Fessenheim. C'est oublier une bombe à retardement: la réforme catastrophiquement menée de continuité écologique, qui est l'une des plus contestées dans la politique française de l'eau, touche des centaines de milliers de riverains des ouvrages hydrauliques menacés et pourrait coûter plus de 2 milliards d'euros aux contribuables, outre la disparition du patrimoine paysager et du potentiel énergétique de nombreuses rivières. Cette réforme a déjà connu plusieurs audits parlementaires et administratifs, dont le récent rapport critique du CGEDD publié en mars 2017. Il est désormais temps de passer de l'évaluation aux actes, pour mettre fin au divorce entre l'écologie des rivières et les citoyens. Voici les 3 mesures d'urgence dont nous souhaitons la mise en oeuvre par le gouvernement pour la dimension réglementaire, et le futur parlement pour la dimension législative.



La France a un nouveau président et un nouveau gouvernement, notre pays renouvellera bientôt son parlement. Le dossier de la continuité écologique figure parmi les premiers à traiter dans le domaine de l'eau : de nombreux rapports ont constaté ses problèmes et retards depuis 5 ans, les récentes réformes législatives n'ont apporté que des corrections superficielles, toujours pas traduites en décrets ou circulaires d'application par l'administration. Le coût estimé de la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros) et la menace persistante de disparition d'un grand nombre d'ouvrages équipables en hydro-électricité en font une urgence au regard des autres ambitions environnementales du pays (priorité à la transition énergétique) et de la nécessité largement reconnue d'un meilleur usage de l'argent public.

Délai irréaliste à revoir : 20665 ouvrages à traiter, 85% des ouvrages non mis en conformité 
Le rapport du CGEDD fait apparaître que 20.665 ouvrages sont classés en rivières de liste 2 avec obligation de mise en conformité (effacement ou aménagement). Ce programme n'est pas ambitieux, il est irréaliste : aucun pays au monde,  y compris ceux qui se dotent d'orientations en ce domaine (Etats-Unis, Pays-Bas), n'a imposé des mesures sur un si grand nombre d'ouvrages en si peu de temps.

Le résultat logique est un retard considérable : 85% des ouvrages ne sont pas mis en conformité alors que le premier délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être. Le nouveau délai de 5 ans, qui a été voté dans le cadre de la loi de biodiversité en 2016, ne disposait pas de ces informations et se révèle à son tour irréaliste. En effet, les Agences de l'eau ne parviennent à traiter qu'entre 300 et 400 chantiers par an, ce qui demanderait donc 50 ans pour les 20.000 ouvrages classés.

Notre première attente : l'article L 214-17 CE doit être modifié soit en supprimant la notion même de délai en liste 2 (en ce cas, les mises en conformité se feront au gré des opportunités de chaque gestionnaire et maître d'ouvrage sur chaque bassin) soit en élargissant considérablement le délai (20 ans paraît un minimum). Sans ce réalisme, on se condamne à entretenir une urgence artificielle et à reproduire les mêmes problèmes qu'aujourd'hui dans quelques années, au lieu de consolider et pacifier une fois pour toutes la réforme de continuité écologique en lui donnant un rythme raisonnable

Supprimer la prime à l'effacement des ouvrages : dérive par rapport aux lois, blocage des chantiers
Le rapport du CGEDD relève que les agences de l'eau accordent un surfinancement à la destruction des ouvrages, avec des subventions allant de 80 à 100 %. Pour les autres solutions (passes à poissons, rivière de contournement, changement et ouverture de vanne), le financement va de 0 à 60% selon les cas, en général 40% seulement. Le même rapport révèle que le coût moyen des chantiers (toutes solutions confondues) dépasse les 100 k€ par ouvrage, une somme évidemment inaccessible pour les particuliers, petits exploitants ou modestes collectivités rurales.

La préférence accordée à la destruction du patrimoine hydraulique a été à l'origine d'une bonne part des polémiques et conflits entourant la continuité écologique. Elle pose en effet trois problèmes graves:
  • d'abord, aucune loi française (LEMA 2006 Grenelle 2009) ni aucun texte européen (DCE 2000, Blue print 2012) ne demande l'effacement des ouvrages, ces textes citant au contraire des solutions de gestion, entretien ou équipement. Le choix des Agences de l'eau est perçu comme un excès de pouvoir administratif, avec des velléités normatives contraires à l'esprit et au texte des lois;
  • ensuite, la prime à l'effacement est accordée au prétexte qu'elle est la solution écologiquement la meilleure. Mais cet argument est contraire au principe de gestion équilibrée et durable de l'eau (défini en droit français dans l'article L 211-1 CE) qui demande de prendre en compte toutes les dimensions de l'eau : l'écologie bien sûr, qu'il s'agit d'améliorer, mais aussi l'énergie, le patrimoine, le stockage d'eau à l'étiage, la valorisation de la ressource, etc. Détruire un ouvrage est (parfois) l'optimum pour l'écologie, mais c'est aussi parfois la pire solution pour tous les autres aspects. Il n'y a donc aucune raison que les Agences de l'eau surexpriment un seul élément d'appréciation en négligeant le reste;
  • enfin, tout le monde convient que la gestion des ouvrages relève du cas par cas car chaque rivière, chaque espèce, chaque ouvrage, chaque biotope local est différent. Parfois, des retenues ou des étangs abritent une biodiversité d'intérêt et les détruire pour faire revenir certaines espèces de poissons n'a pas un bon bilan écologique global. Poser une prime de principe pour une solution au niveau d'un bassin entier n'est donc pas avisé : la programmation publique doit laisser le gestionnaire local définir la meilleure solution à chaque fois, en concertation avec le maître d'ouvrage et les riverains.  
Notre deuxième attente : la mise en oeuvre de l'article L 214-17 CE doit être amendée d'une disposition générale posant un principe de non discrimination entre les différentes solutions de continuité écologique au sein des programmations et des financements publics. Ainsi, toutes les options deviennent également éligibles pour parvenir au résultat souhaité, chaque chantier se conçoit sans a priori dicté par le financement qui aujourd'hui solvabilise une seule solution en empêchant les autres faute de moyens.

Mieux prendre en compte les dimensions multiples des rivières, indexer la dépense publique aux services rendus par les écosystèmes
Le rapport du CGEDD comme les échanges parlementaires lors des lois récentes (biodiversité, patrimoine architecture et création, autoconsommation d'énergie) ont montré que la continuité écologique se situe à la rencontre de beaucoup d'enjeux différents : le franchissement piscicole et le transit sédimentaire bien sûr, mais aussi les cadres de vie, les paysages, les différents usages de l'eau autour des retenues, canaux ou biefs, notamment la transition énergétique et la stratégie bas-carbone.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique sur les quelques milliers d'ouvrages traités, ainsi que le rapport Dubois-Vigier de 2015, montrent que les enjeux écologiques sont d'importance variable : parfois ils concernent des grands migrateurs menacés et effectivement disparus des zones amont de la rivière, parfois ils visent des espèces plus communes, encore présentes sur le bassin, ayant des besoins moindres de migration à longue distance et subissant d'autres pressions plus impactantes que les petits ouvrages hydrauliques.

Il en résulte que pour pondérer le choix parmi diverses solutions, et pour prioriser les actions les plus bénéfiques à la nature, il faut impérativement mener une analyse coût-avantage et évaluer les services rendus par les écosystèmes avant / après le chantier. En posant ce principe dans la loi ou dans un nouveau décret d'application, on garantit les bonnes pratiques sur tout le territoire et on rappelle le nécessaire respect des dispositions de la gestion équilibrée et durable de l'eau.

Il est à noter que cette démarche doit être sincère et sérieuse : on ne peut comme aujourd'hui prétendre que l'on procède à des analyses coût-avantage alors qu'il n'existe dans les rapports préparatoires aucune enquête de riveraineté, aucun engagement sur des résultats écologiques précis, aucune analyse des autres pressions environnementales susceptibles de limiter ou annuler l'effet attendu, aucune mobilisation d'expertise sur les dimensions historiques et paysagères, aucune estimation économique des services rendus par les écosystèmes aménagés ou désaménagés, etc.

Notre troisième attente : la mise en oeuvre de l'article L 214-17 CE doit être amendée d'une disposition posant que toute mise en conformité à la continuité écologique fait l'objet d'une analyse coût-avantage menée sous l'autorité administrative, analyse pluridisciplinaire incluant la biodiversité et la fonctionnalité des milieux, l'attente précise de résultat écologique et les modalités de son suivi, le patrimoine, l'énergie, les usages locaux et droits des riverains, les services rendus par les écosystèmes, en fonction de différentes hypothèses d'aménagement.

Ces propositions sont loin d'épuiser tous les problèmes rencontrés dans la politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques (dialogue environnemental au point mort,  manque de représentation des citoyens dans les instances de décision et concertation, faiblesse des bases scientifiques de la politique environnementale, excès de certaines représentations radicales et minoritaires de l'écologie, impréparation économique et sociologique de la programmation publique nourrissant l'espoir puis l'amertume, incapacité à traiter efficacement les impacts reconnus comme majeurs sur les bassins versants) et nous y reviendrons dans un article plus programmatique. Mais les réformes que nous proposons ici forment une base minimale pour déminer les problèmes les plus urgents et prendre le temps de chercher des solutions durables.

En attendant l'évolution de ce dossier, notre association appelle ses consoeurs et partenaires ainsi que tous les propriétaires et riverains à maintenir la même position de principe : refus de tout chantier de destruction non consenti et non respectueux des droits des tiers ou des équilibres écologiques locaux, contentieux judiciaire si l'administration et le gestionnaire restent sourds aux souhaits de conserver les ouvrages et d'assurer un financement correct des charges très élevées du chantier de continuité.

Illustration : Emmanuel Macron (CC BY-SA 3.0, gouvernement français). Le nouveau président de la république a exprimé sa préférence pour une action publique fondée sur l'optimisme, la confiance et le dépassement des antagonismes au service d'une vision plus intégrative des enjeux. La continuité écologique sera un test intéressant pour mettre à l'épreuve ces convictions, en vérifiant que l'on peut faire avancer en même temps la protection des milieux naturels et le respect des patrimoines humains.

05/05/2017

"Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (Ségolène Royal)

Au cours des trois années passées à la tête du ministère de l'Ecologie, Ségolène Royal a clairement ré-orienté la politique gouvernementale en faveur du développement de la petite hydro-électricité, avec une condamnation de la destruction du patrimoine hydraulique au nom de la continuité écologique. Sa position vient encore d'être rappelée sans ambiguïté. Bilan de cette évolution, qui reste inachevée. 


La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a dévoilé la semaine dernière la liste des dix-neuf projets lauréats du premier appel d'offres "petite hydro-électricité" lancé en 2016 parmi lesquels des moulins anciens. S'emportant quelque peu dans le lyrisme, la ministre a déclaré: "pour la première fois dans l'Histoire de France, quatre moulins vont être identifiés et reconnus producteurs d'énergie"(source). En réalité, nombre de moulins étaient devenus des petites centrales hydro-électriques dès la fin du XIXe siècle, la houille blanche (en montagne) et la houille verte (en plaine) ayant accompagné l'électrification d'une France plus pauvre en charbon que ses voisins anglais et allemands.

Ségolène Royal a également déclaré : "Les 19 projets lauréats que je désigne aujourd'hui illustrent, malgré les résistances rencontrées, que l'on peut tout à fait concilier développement de l'hydroélectricité, défense du patrimoine que représentent nos anciens moulins, et préservation des continuités écologiques" (source). Et elle a ajouté: "Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (source)

Les barrages de la Sélune ont nourri le scepticisme de Ségolène Royal
Depuis sa nomination à la tête du ministère de l'Ecologie le 2 avril 2014, Ségolène Royal a porté la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la loi sur la biodiversité et les négociations de la COP 21. Sensible aux questions climatiques et énergétiques, elle s'est montré nettement plus dubitative sur d'autres aspects de l'écologie valorisés par ses prédécesseurs. C'est le cas en particulier de la continuité écologique.

Ségolène Royal a découvert l'enjeu de la continuité écologique avec le dossier des barrages de la Sélune (voir nos articles). Elle a refroidi certaines ardeurs en déclarant d'entrée de jeu à propos du projet de destruction des ouvrages: "Il faut que le rapport qualité-prix soit raisonnable. On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons" (source). Rapidement détestée par certains milieux pêcheurs et environnementalistes qui jouissaient jusqu'alors d'un soutien politique et financier de l'Etat sans aucun esprit critique sur ce dossier, Ségolène Royal n'a fait que constater la réalité :
  • la continuité écologique coûte cher au sein du budget dédié à l'eau (sans doute plus de 2 milliards d'euros sur 5 ans si le programme était appliqué),
  • elle est souvent impopulaire chez les riverains, qui y voient des chantiers publics inutiles, imposés, détruisant un cadre de vie apprécié,
  • elle a des bénéfices écologiques parfois limités, et parfois confondus avec le seul bénéfice halieutique du loisir pêche (ce qui pose problème quand on prétend à un intérêt général limité en fait à des intérêts particuliers, et à des services rendus par les écosystèmes à peu près inexistants pour les citoyens non pêcheurs).
Ainsi, l'effacement des barrages de la Sélune pour environ 50 M€ permettrait la restauration d'une population locale de saumons atlantiques estimée entre 2000 et 3000 individus (à condition que les frayères amont soient aussi fonctionnelles et propres, ce qui ajoute des coûts non négligeables). En comparaison, les deux barrages de l'Elwha récemment effacés aux Etats-Unis pour 40 et 60 M$ bloquaient 8 espèces de salmonidés du Pacifique avec un potentiel de retours annuels d'anadromes estimé entre 380.000 et 500.000 individus (Pess et al 2008). Le constat de base de Ségolène Royal était donc assez fondé: sur un domaine qui reste relativement marginal au sein de la politique de l'eau, mais un domaine à fort enjeu symbolique et social par ailleurs, il est nécessaire de réfléchir à l'analyse coût-bénéfice des mesures et vérifier si elles répondent à de réelles priorités écologiques.

Des prises de position répétées contre la destruction des ouvrages, ayant entraîné un flottement dans l'administration de l'eau
Par la suite, et au-delà de la question particulière des grands chantiers sur les barrages normands, Ségolène Royal a exprimé à de nombreuses reprises son scepticisme sur la politique de destruction des ouvrages hydrauliques, en particulier des moulins (voir ses prises de positions en 2015-2016). A la fin de l'année 2015, la ministre a écrit une lettre d'instruction aux préfets leur demandant de cesser ces effacements lorsqu'ils rencontrent de l'incompréhension. Elle a dans le même temps demandé un audit de la politique de continuité écologique par le CGEDD, qui vient de rendre public son rapport (très critique) sur le sujet. Au cours des années 2016 et 2017, quatre réformes législatives ont modifié directement ou indirectement le régime de la continuité écologique, avec principalement un délai de 5 ans supplémentaires pour la mise en conformité des seuils et barrages en rivière classée, ainsi qu'une exemption pure et simple de continuité pour les moulins producteurs d'électricité. Ces réformes – quoique peu compréhensibles pour l'exemption – ont eu l'aval du gouvernement.

Alors que Ségolène Royal s'apprête à quitter ses fonctions ministérielles, où en sommes-nous? La situation est loin d'être clarifiée:

  • la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère, dont les dérives dans l'interprétation radicale des lois de 2006 et 2009 sont à l'origine des problèmes, a été clairement désavouée mais elle reste silencieuse;
  • les DDT-M connaissent un certain flottement, faute d'avoir reçu des circulaires d'application claires sur les nouvelles orientations du ministère de tutelle et les nouvelles dispositions de la loi; 
  • les agences de l'eau persistent dans leurs arbitrages actuels qui donnent la priorité financière au seul effacement des ouvrages hydrauliques, rendant de ce fait insolvables les autres solutions dans la plupart des cas;
  • l'Onema a été intégré dans l'Agence française pour la biodiversité au 1er janvier 2017 et ne modifie pas substantiellement les éléments de connaissance publiés depuis 2006 sur le thème de la continuité écologique;
  • les associations de riverains, moulins, étangs, protection de patrimoine et les syndicats de petite hydro-électricité ont salué les avancées réalisées depuis 3 ans, mais soulignent que rien n'a concrètement changé sur les problèmes de fond (coût trop élevé des aménagements, nombre trop important d'ouvrages classés) et que la continuité doit être encore réformée si l'on veut sortir des blocages sur les 17.000 ouvrages toujours orphelins de solution. 

Le futur gouvernement et le futur parlement héritent donc d'un dossier où des arbitrages et des évolutions sont encore nécessaires. Ce n'est évidemment pas l'abandon de la continuité écologique qui est en jeu, mais une manière plus réaliste, plus concertée et plus efficace de la mettre en oeuvre.

Illustration : Ségolène Royal en visite dans le bassin de la Sélune avec les élus normands, DR. 

27/04/2017

Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017)

Une équipe de chercheurs belges montre, à travers trois ensembles hydrographiques en Belgique, en Turquie et aux Etats-Unis, que les dynamiques sédimentaires répondent à des modifications humaines sur une échelle de temps pluricentenaire à plurimillénaire. Ces évolutions, qui ne sont généralement pas à l'équilibre aujourd'hui, ne peuvent être comprises que par des analyses au cas par cas et ont des issues difficilement prédictibles compte-tenu du caractère complexe, non linéaire de la réponse du milieu à l'impact humain. Ainsi, les conclusions de l'hydro-écologie et l'hydromorphologie sont assez différentes des prescriptions génériques et "recettes" interchangeables que certains gestionnaires prétendent aujourd'hui promouvoir sous leur autorité. Cela incite à souhaiter, plus que jamais, une véritable analyse écologique de chaque rivière en son bassin versant, afin de cerner la nécessité et de clarifier la portée de nos actions par rapport à la dynamique à long terme des milieux concernés. 

Presque partout à travers le monde, l'érosion, le transport et le stockage sédimentaires ont été modifiés par l'expansion progressive des activités humaines. Ces processus, déjà soumis à la variabilité naturelle du climat, de la couverture végétale et de la tectonique, font également l'objet d'un forçage anthropique, c'est-à-dire d'une variation résultant de l'occupation des vallées par les sociétés humaines.

Pour comprendre ces phénomènes, Gert Verstraeten et ses collègues (Université et Centre des sciences archéologiques de Louvain) comparent les travaux menés sur la Dilje (rivière belge dans la ceinture de loess centre- et nord-européenne), les bassins du Bügdüz et Gravgaz (monts Taurus, chaîne calcaire du sud-ouest de la Turquie occupée depuis l'Antiquité) et plusieurs rivières des Etats-Unis (analyses de l'impact de la colonisation européenne et du développement de l'agriculture).

Nous exposons ici plus en détail l'exemple de la Dilje, bassin versant de 758 km2 et de faible altitude (max 168 m, min 75 m), avec une couverture de loess déposée à partir du Pléistocène. Les chercheurs analysent l'histoire de ce bassin à la lumière de l'analyse fine des dépôts sédimentaires et des pollens.


Cette première illustration montre l'évolution estimée du bilan sédimentaire sur trois périodes. En haut, l'érosion du bassin versant produit 69 Mt (mégatonnes) sur 7 millénaires. Le mouvement s'accélère avec l'occupation des vallées et le développement de l'agriculture: 209 Mt en l'espace de 3000 ans. Le mouvement se poursuit et s'intensifie sur le dernier millénaire: 534 Mt depuis l'An 1000.


Cette seconde illustration montre l'évolution des styles fluviaux et occupation des sols de la Dilje, dans les zones à lit majeur étroit (gauche) ou large (droite). La forme "naturelle" (au sens de spontanée en interglaciaire et préalable à une influence anthropique significative) de l'écoulement est en anastomose (lit ramifié en plusieurs bras, pas de lit mineur incisé drainant l'essentiel de l'écoulement). La connexion avec le flux de charge sédimentaire venu des versants tend à s'accentuer à mesure que les formations boisées (forêts de feuillus) se raréfient. Le style méandriforme et incisé de la rivière, avec une plaine d'inondation dépourvue de forêts (aulne dominant), s'impose tardivement. Les formations tourbeuses, de prairies ou forêts humides, régressent régulièrement au long de cette période.



Sans détailler les autres études de cas, on voit sur ce troisième graphique que les évolutions des taux de sédimentation ont été très différentes en Belgique (courbe continue), en Turquie (courbe en tirets) et aux Etats-Unis (courbe en pointillés). Les chercheurs soulignent notamment :

  • aucun concept global d'évolution de la sédimentation après une perturbation anthropique ne peut être proposé;
  • la connectivité entre les pentes des versants et le chenal définit des points de basculement (tipping points) au-delà desquels se déclenchent des effets significatifs dans la dynamique sédimentaire;
  • les propriétés géomorphorlogiques et tectoniques des bassins et la rétroaction des sols à l'érosion compliquent encore la nature non-linéaire de la réponse à l'impact;
  • les systèmes ne sont pas forcément à l'équilibre, on doit donc développer des modèles spécifiques de la réponse fluviale aux usages humains des milieux, et la prédiction de la réponse future aux pressions actuelles reste un défi majeur pour l'hydromorphologie.

Discussion
Les travaux de Gert Verstraeten et de ses collègues rejoignent ceux menés par l'équipe de Laurent Lespez sur les rivières de l'Ouest de la France, que nous avions commentés (voir Lespez 2015). Nous nous contenterons ici de quelques réflexions générales en lien aux orientations de la gestion publique de l'eau en France, qui a récemment mis en avant les dimensions morphologiques par rapport à la lutte classique contre les pollutions chimiques de l'eau.

Ces recherches nourrissent plusieurs réserves que nous avons mises en avant:

  • le nouveau paradigme de "gestion écologique" des bassins (voir Morandi et al 2016) doit être cohérent avec son ambition et s'inspirer réellement de la recherche écologique contemporaine, au lieu d'une version parfois un peu simpliste, superficielle ou dépassée;
  • les prescriptions génériques (à échelle nationale ou de grand bassin de gestion) ne sont guère adaptées à la dynamique toujours singulière des milieux que l'on entend préserver ou restaurer, le maillon faible de la gestion étant aujourd'hui la qualité du travail préparatoire à échelle de chaque bassin versant (là où il faut être rigoureux sur le diagnostic et les priorités d'action);
  • la valorisation de principe du "transit des sédiments" (comme élément de continuité) ne fait pas sens si l'on ne s'interroge pas sur la trajectoire sédimentaire concernée, la nature de ce que l'on veut faire transiter, l'effet à l'aval des bassins, etc. C'est particulièrement vrai dans notre période (100 dernières années) marquée par des variations rapides d'emprise et déprise agricoles, ainsi que de notables changements d'intensité dans l'aménagement des sols (mécanisation, urbanisation) ;
  • au regard de la longue modification des versants européens par une implantation humaine dense et précoce, la promotion d'une "renaturation" ou d'une "restauration morphologique" ne peut faire l'économie d'un débat sur la "nature" que l'on prétend rétablir ou sur l'état que l'on veut "restaurer". Par exemple, les styles méandriformes (promus un peu partout au lieu des chenaux récemment rectifiés, voir Hiers et al 2016) sont déjà des héritages tardifs de l'occupation humaine des sols et leur rétablissement, assez coûteux, doit d'abord justifier d'un intérêt écologique propre, sans que la référence à un modèle passé n'ait de sens au point de vue de "la naturalité" ou de "l'intégrité" du style fluvial.

Référence : Verstraeten G et al (2017), Variability in fluvial geomorphic response to anthropogenic disturbance, Geomorphology, doi:10.1016/j.geomorph.2017.03.027

Illustrations : extraites de l'article cité, droit de courte citation.

23/04/2017

Pourquoi la GEMAPI va consacrer la mauvaise gestion écologique des rivières

GEMAPI, cela vous dit quelque chose? Ce nouvel acronyme dans la très riche collection de l'administration française signifie gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. C'est une compétence qui, à compter du 1er janvier 2018, va être dévolue aux communes ou intercommunalités. Concrètement, cela sera confié le plus souvent à des syndicats mixtes travaillant à échelle du bassin versant. Cela avait tout l'air d'une bonne idée: enfin un interlocuteur local unique, responsable du bon état écologique et chimique des rivières du bassin versant. Mais la GEMAPI est d'ores et déjà le nom d'une erreur et d'une confusion: des éléments essentiels échappent en réalité à cette compétence, comme les pollutions, l'artificialisation des sols ou la gestion des ouvrages hydrauliques. Au nom de la GEMAPI, on va surtout faire de la restauration physique (morphologie) réduite au lit et aux berges, arbitrairement isolée des autres enjeux  écologiques et hydrauliques, aux antipodes de la vraie gestion intégrée à échelle du bassin versant. Les citoyens n'y gagneront pas en visibilité sur l'ensemble de l'action publique, cette dernière augmentant les risques d'être inefficace car fragmentée, mal informée et mal coordonnée. La directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a créé des outils de diagnostic et des méthodes d'action pour les bassins versants : c'est eux que nous voulons voir expliqués et appliqués désormais en toute transparence sur chaque rivière, pour sortir des initiatives éclatées ne s'engageant pas sur des résultats prioritaires ou des pratiques polluantes ne répondant pas de leurs impacts sur les milieux et la santé.


Revenons un peu en arrière pour comprendre l'ensemble des tâches concernées par le grand cycle de l'eau, c'est-à-dire les milieux naturels (par opposition au petit cycle des prélèvements à usage humain). L'article L 211-7 du code de l'environnement précise le régime général de gestion de la ressource en eau. Il discerne 12 types de compétences correspondant à autant d'enjeux :
1° L'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique; 
2° L'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès à ce cours d'eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d'eau; 
3° L'approvisionnement en eau; 
4° La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l'érosion des sols; 
5° La défense contre les inondations et contre la mer; 
6° La lutte contre la pollution; 
7° La protection et la conservation des eaux superficielles et souterraines;
8° La protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines; 
9° Les aménagements hydrauliques concourant à la sécurité civile; 
10° L'exploitation, l'entretien et l'aménagement d'ouvrages hydrauliques existants; 
11° La mise en place et l'exploitation de dispositifs de surveillance de la ressource en eau et des milieux aquatiques; 
12° L'animation et la concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques dans un sous-bassin ou un groupement de sous-bassins, ou dans un système aquifère, correspondant à une unité hydrographique.

Cet ensemble cohérent correspond à ce que l'on nomme la gestion intégrée du bassin versant. Le fonctionnement écologique d'un cours d'eau et de ses milieux ne répond pas à un seul compartiment – par exemple l'usage des sols sur les versants, la qualité de l'assainissement, la présence de barrages ou de digues –, mais bien à l'ensemble des impacts qui sont susceptibles de faire varier les propriétés biologiques, physiques et chimiques du système. Ces impacts agissent parfois ensemble, parfois non. Ils ont des effets synergistiques (se renforçant) ou antagonistes (se compensant). Ils ont une importance plus ou moins forte sur les espèces, selon leur nature ou leur intensité, avec des complexités dans le rapport de cause à effet (effet de seuil, effet cocktail ou effet de fenêtre non linéaires, etc.). Ils s'inscrivent dans un contexte plus global, notamment le changement climatique qui va influencer les conditions aux limites du bassin versant (température, précipitation).

Le tout forme un "système", c'est-à-dire un ensemble que l'on ne peut généralement pas comprendre de manière rigoureuse ou modifier de manière prédictible si l'on n'en possède pas tous les éléments et un bon modèle. En cela, la gestion écologique du bassin versant n'est pas comparable à l'action locale de protection d'une espèce particulière ou de conservation d'un milieu classé (comme les Natura 2000).

On prétend faire de la "gestion des milieux aquatiques" sans avoir la main sur des déterminants essentiels de ces milieux
La compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations) a été créée en 2014 par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM). Concrètement, cette compétence est exercée par les communes ou par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI FP), c'est-à-dire les communautés de communes, agglomérations, communautés urbaines ou métropoles. Le plus souvent, ces communes ou intercommunalités vont transférer la compétence à un syndicat mixte qui sera en charge du bassin versant : syndicat de rivière, EPTB (établissement public territorial de bassin) ou EPAGE (établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau).

Au premier abord, tout cela va dans la bonne direction : la gestion de la rivière en son bassin est confiée au plus proche du terrain, et si possible à un établissement spécialisé couvrant l'ensemble hydrographique.

Mais voilà où le bât blesse : la GEMAPI ne va pas concerner les 12 périmètres de la gestion de bassin énumérés ci-dessus, seulement 4 d'entre eux. En effet, la GEMAPI couvre les seules rubriques 1°) aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin; 2°) entretien et l'aménagement d'un cours d'eau; 5°) défense contre les inondations et contre la mer ; 8°) protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraine de l'article L 211-7 CE.

Ce choix pose des problèmes évidents:

  • la division administrative ne correspond pas à la réalité écologique, la compétence GEMAPI sera impuissante à traiter de manière cohérente l'ensemble des problèmes sur le bassin versant. Par exemple, l'assainissement ou la pollution agricole ne seront pas contrôlés par le même gestionnaire que la restauration de berge ou du lit mineur, alors que tous ont une influence sur les espèces (voir le travail de Villeneuve 2015 sur les impacts corrélés à la dégradation écologique des milieux aquatiques) ;
  • au sein de la morphologie (dimension qui revient principalement à la GEMAPI), la répartition des tâches est également incohérente. Par exemple, l'artificialisation des sols (par l'urbanisation ou l'agriculture) est un élément essentiel de la dynamique sédimentaire et de la qualité des substrats de la rivière, de même qu'elle va impacter directement les inondations (augmentation du risque par déconnexion du lit d'expansion de crue ou intensification du ruissellement). Or elle échappe à la GEMAPI. De même, la gestion des ouvrages (digues ou barrages) aurait dû entrer dans cette compétence, puisqu'elle est un élément-clé de la morphologie comme du contrôle des inondations; 
  • pour le citoyen, il n'y aura toujours pas un interlocuteur unique, pleinement responsable de l'ensemble de l'aménagement durable et équilibré de la rivière. En particulier, la question des pollutions chimiques de l'eau, qui est au coeur des préoccupations des riverains, sera toujours traitée à part et sans grande visibilité sur les pollueurs comme sur les progrès des actions antipollution. 

Malgré des volontés affichées de modernisation, de responsabilisation et de simplification de l'action publique, la France persiste donc dans son "millefeuille administratif". Et malgré l'adoption d'un supposé "paradigme écologique" dans la gestion de l'eau, on ne se donne pas les moyens de l'appliquer avec rigueur.

La politique de rivière souffre déjà de longue date des incohérences de sa mise en oeuvre, qui devrait se faire à échelle du bassin versant entier, avec intégration des tous les compartiments pertinents. Ici, outre les inondations, les syndicats et EPTB ayant compétence GEMAPI vont traiter la qualité de l'eau sous l'angle principal de la morphologie et de la restauration physique. Or, de nombreux travaux scientifiques en hydro-écologie ont précisément montré que l'action sur la morphologie seule du lit et des berges ne peut pas produire de bons résultats si le reste du bassin versant est dégradé ou si les opérations morphologiques sont menées sans vision cohérente des potentialités biologiques (voir Nilsson 2014, Hiers 2016 et cette synthèse sur les problèmes rencontrés). D'autres travaux ont montré que la morphologie ne permet pas non plus d'atteindre le bon état écologique et chimique tel qu'il est mesuré par la directive cadre sur l'eau (DCE) (voir l'analyse de Haase et al 2013 sur cette question). Nous sommes à 10 ans désormais de l'échéance-butoir (2027) à laquelle 100% de nos masses d'eau doivent répondre aux critères de qualité posés par l'Europe et acceptés par la France: peut-on vraiment se permettre de perdre encore du temps à des réformes incomplètes?

Retour aux fondamentaux de la DCE, transparence sur les actions et les résultats
La directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) n'est pas parfaite. Elle est fondée sur l'idée discutable que chaque cours d'eau aurait un "état de référence" (celui du cours d'eau similaire le moins impacté par l'homme, voir cet article) et qu'il serait possible d'atteindre en 25 ans le niveau de qualité écologique / chimique de cette référence pour toutes les masses d'eau. C'est douteux car la déviation par rapport à l'état de référence implique généralement des siècles de modification des milieux, d'innombrables activités humaines difficiles à changer en un court laps de temps, et parfois de nouvelles trajectoires du vivant peu susceptibles de revenir à un état antérieur, voire ayant connu des gains en biodiversité par installation d'espèces adaptées. De plus, cette notion de référence est brouillée par le changement climatique qui va modifier les propriétés actuelles des rivières (voir par exemple le travail de Laizé 2017 sur les changements d'écotype attendus).

Malgré ces limites, la DCE 2000 reste le texte de référence pour la gestion de l'eau. Elle a produit (à travers le travail de la recherche appliquée) des outils assez complets de diagnostic de qualité des bassins. Elle prévoit de toute façon la possibilité de constater l'impossibilité d'atteindre un bon état dans des délais ou des coûts raisonnables pour la collectivité. Donc, il faut travailler pour le moment dans cette logique (de toute façon une obligation de résultat pour tous les Etats-membres de l'Union), quitte à la réviser s'il devient manifeste que les méthodes ou les objectifs ont été mal conçus.



Le méthode proposée par l'Agence européenne de l'environnement pour appliquer la DCE est la suivante (cliquer sur le schéma ci-dessus) : on analyse en premier lieu des données biologiques (poissons, invertébrés, diatomées, macrophytes), afin de vérifier si la rivière est en état bon, moyen ou mauvais au regard des espèces-repères présentes. S'il y a dégradation (état moyen ou mauvais), on analyse les données physico-chimiques et chimiques connues pour dégrader les indicateurs biologiques (matières en suspension, nitrates, phosphates, métaux lourds, pesticides, micropolluants, etc.). On examine également les éléments morphologiques relatifs au lit (fragmentation longitudinale, endiguement, état des berges, diversité des faciès d'écoulement, nature des substrats) et au bassin (occupation des sols).

C'est la base diagnostique minimale qui doit être assurée sur chaque tronçon cohérent d'une rivière. Viennent ensuite des données localement pertinentes que le gestionnaire a vocation à rassembler sur l'hydrosystème dont il a la charge (voir cet article détaillé): l'histoire du cours d'eau et les événements utiles pour comprendre son état actuel (par exemple activités industrielles ou agricoles passées, introduction d'espèces pour la pêche et présence d'invasives), des analyses élargies de biodiversité, qui ne se limite pas aux indicateurs de la DCE (par exemple oiseaux, mammifères, mollusques, crustacés), des études sur les fonctionnalités (connectivité latérale et longitudinale, auto-épuration, amortissement des ondes de crue), etc.

Au regard de ce qui précède, les riverains doivent donc demander :
  • le retour aux fondamentaux, avec publication et explication des mesures de qualité DCE sur chaque masse d'eau (soit un "check up" de la rivière fondé sur la soixantaine de mesures obligatoires sur les indicateurs biologiques, les données physcico-chimiques de l'eau, les pollutions chimiques circulantes, les critères morphologiques, le tout étant analysé selon les méthodes définies par les chercheurs en intercalibrage européen),
  • le bilan approfondi du bassin versant avec analyse DCE au-delà des seuls points de mesure (très peu nombreux) des agences de l'eau ou des Dreal pour le rapportage à l'Europe, afin de disposer d'une vision complète des altérations et des marges de progression,
  • une action prioritaire sur l'amélioration des indicateurs en état mauvais ou moyen, puisqu'il s'agit de notre obligation à court terme (2027), la recherche du très bon état écologique n'étant pas l'enjeu du moment (il faut le préserver là où il est déjà acquis, mais pas spécialement le viser tant qu'il reste des masses d'eau du bassin en état moins que bon),
  • un tableau de bord des performances du gestionnaire avec définition (rigoureuse, et non intuitive) des impacts entraînant la dégradation des indicateurs DCE, investissements pour réduire ces impacts, suivi annuel des résultats des actions menées,
  • la désignation d'une mission responsable devant les citoyens et les élus du territoire de la gestion du bassin versant et de ses résultats, soit le bureau du syndicat / EPTB (si la GEMAPI est réformée pour intégrer toutes les compétences "eau" nécessaires à une approche intégrée) soit un bureau inter-organismes composé par des représentants du syndicat / EPTB et des autres instances compétentes (en particulier celles en charge de travailler sur les pollutions et les usages des sols, premiers facteurs de variation écologique selon les études d'hydro-écologie quantitative). 

Si la GEMAPI consiste à réaliser quelques opérations de restauration physique au hasard des financements et des opportunités locales, sans produire une vision d'ensemble de l'écologie du bassin et sans coordonner les acteurs concernés par les impacts sur l'eau (notamment les agriculteurs, les industriels, les réseaux d'assainissement, les schémas d'occupation des sols), elle produira une mauvaise écologie. Et elle n'aura pas de crédibilité pour répondre aux questions légitimes des citoyens sur les causes exactes de dégradation de leurs nappes, rivières et plans d'eau. La réforme aujourd'hui envisagée en France de la loi sur l'eau de 2006 comme la révision de la DCE en 2019 doivent être l'occasion de poser ces questions sur la table, pour orienter la politique territoriale de l'eau vers plus de transparence et d'efficience.

21/04/2017

Limites et problèmes de la continuité écologique, ce que dit le CGEDD, ce que nous attendons

Nous terminons par cet article notre cycle de recensions du rapport du CGEDD sur la continuité écologique, en publiant l'extrait où les auditeurs expriment leur jugement de synthèse après avoir observé les arguments favorables et défavorables à cette réforme. Ce jugement du CGEDD est critique, et confirme notre diagnostic. Certains aimeraient sans doute enfermer désormais le rapport dans un tiroir, publier quelques déclarations apaisantes ou engager quelques évolutions cosmétiques, persister surtout dans les pratiques actuelles visant à casser le maximum d'ouvrages et à ne financer correctement que cette issue. Mais les associations de riverains, propriétaires et protecteurs du patrimoine n'en resteront pas là. Dans les actions des mois à venir, nous proposerons un courrier aux agences de l'eau formalisant la demande de changement de priorité des financements et, surtout, un courrier aux députés et sénateurs pour pointer les problèmes et exprimer nos souhaits d'évolution de la loi. D'ici là, propriétaires et riverains d'ouvrages en rivières classées liste 2 doivent faire reconnaître par leur DDT(-M) le délai de 5 ans supplémentaires et vérifier la prise en compte des évolutions récentes de la loi, demander des solutions non destructrices publiquement financées comme condition d'engagement dans les travaux, exiger des diagnostics complets de biodiversité et des analyses coûts-avantages de la continuité sur l'ensemble de la rivière, au lieu d'agir comme aujourd'hui sans engagement clair sur des gains écologiques proportionnés aux dépenses et aux nuisances. 


Après avoir présenté les points de vue des différents acteurs sur la continuité écologique, les rédacteurs du rapport du CGEDD expriment leurs propres réflexions sur les difficultés de mise en oeuvre de cette réforme. Nous les reproduisons ci-dessous. Ce jugement conforte certaines critiques que nous portons depuis le classement des rivières de 2012-2013, à savoir :

  • un coût élevé,
  • un trop grand nombre d'ouvrages classés,
  • un délai non réaliste,
  • un manque de concertation et de représentation des propriétaires et riverains,
  • une incohérence dans la mise en oeuvre, avec des grands ouvrages épargnés mais des modestes seuils harcelés,
  • une incompatibilité entre l'imposition verticale, autoritaire de la continuité écologique par l'administration et la nécessité d'un dialogue environnemental ouvert mené au niveau territorial (le bassin versant de chaque rivière).

Le message qu'il faut désormais envoyer aux élus – au premier rang desquels sénateurs et députés – est donc clair : les lois de 2006 (LEMA), 2009 (Grenelle 1) et 2016 (biodiversité) ont mal encadré la continuité écologique, elles ont laissé des ambiguïtés d'interprétation ayant conduit à des dérives administratives désormais caractérisées, elles provoquent des conflits récurrents au bord des rivières et continueront de le faire tant qu'une remise à plat complète ne sera pas engagée.

Quatre modifications législatives ont certes été apportées en 2016 et 2017 (prise en compte du patrimoine classé, protégé ou inscrit en PLU ; accord d'un délai de 5 ans supplémentaires ; intégration du stockage d'eau pour les usages locaux dans la gestion équilibrée et durable ; exemption de continuité pour les moulins en liste 2 que l'on équipe en hydro-électricité). Mais :

  • ces réformes ne sont toujours pas réalistes, par exemple le délai de 5 ans ne permettra de traiter que quelques milliers d'ouvrages alors que 17.000 sont orphelins de solution,
  • ces réformes sont peu lisibles, par exemple l'exemption des moulins producteurs rend encore plus incompréhensible la persistance d'une obligation de franchissement piscicole pour des moulins non-producteurs et le sens même de la continuité,
  • ces réformes restent aveugles sur le problème n°1, le refus majoritaire par les agences de l'eau de prendre en charge (en dehors de la destruction) les coûts exorbitants des chantiers de mise en conformité, qui excèdent la capacité des particuliers, petits exploitants ou petites collectivités,
  • ces réformes restent muettes sur la reconstruction du dialogue environnemental, la continuité écologique ayant été mise en oeuvre par voie descendante, opaque et autoritaire, au mépris de l'avis des riverains qui sont consultés au dernier moment et n'ont aucune alternative réelle face à la contrainte réglementaire et financière.

En juin prochain, après les élections législatives, nous proposerons aux associations un courrier-type à l'adresse des députés et sénateurs. Il permettra de pointer et démontrer la réalité de ces problèmes, mais aussi d'exprimer nos souhaits d'évolution de la loi. Nous le ferons comme d'habitude en toute transparence sur nos intentions et nos analyses, contrairement au jeu de couloir des lobbies et administrations ayant tenté d'imposer cette réforme décriée par des élaborations au sein de petits comités partageant les mêmes convictions ou par des assertions écologiques aux élus non débattues sur la rigueur de leurs conclusions et l'urgence relative de leur mise en oeuvre.

Notre objectif n'est pas du tout de faire disparaître la continuité longitudinale comme dimension de gestion du lit mineur, mais bien de clarifier son périmètre, sa méthode, sa pertinence et sa faisabilité, de la redimensionner par rapport aux autres enjeux de bassin versant qui intéressent l'ensemble des riverains. Nous voulons pour cela un débat démocratique clair, ouvert et argumenté sur l'avenir de nos rivières, sur la place de l'écologie par rapport aux autres dimensions de la gestion durable des cours d'eau, sur l'avancement réel de nos engagements européens concernant la qualité de l'eau et des milieux, sur la manière dont les priorités d'action sont scientifiquement établies et démocratiquement débattues.


Les problèmes pointés par le CGEDD qui appellent des solutions rapides

3.8. Les moulins et la restauration de la continuité écologique : une "épine dans le pied" des politiques de l'eau et du développement durable
Au regard du sujet traité, la mission se permet quelques réflexions ou interrogations sur l'ambition et les difficultés de la politique actuelle qui rejaillissent sur son acceptabilité par les propriétaires des moulins :

3.8.1. Des objectifs ambitieux mais des coûts élevés et des délais peu réalistes
Même si les réalisations et les études connaissent une forte augmentation depuis 2013 (voir point 2.2), les délais de 5 ans ne seront pas tenus et ne sont pas tenables au regard du temps nécessaire depuis les études jusqu'aux travaux, des difficultés de terrain, des moyens des services et de la faible adhésion à cette politique pendant sa période incitative.
Cette impossibilité manifeste compte tenu du nombre d'opérations avec des délais aussi contraints fragilise la crédibilité de l'État. Cette situation se répète puisque les délais de 5 ans qui préexistaient dans les classements au titre de l'ancien article L 432-6 du code de l'environnement ou des rivières réservées, n'avaient pas non plus été respectés, malgré des progrès globalement constatés au profit de la continuité.

La révision du classement des cours d'eau de 2012-2013 (voir point 2.3.1) a elle-même été très ambitieuse, se montrant aussi hétérogène selon les départements et les bassins, tant en linéaire que par rapport à la liste d'espèces-cibles pour chaque tronçon classé77. Elle semble aussi irréaliste, pour ne pas dire illusoire, aux yeux de nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission, y compris parmi les techniciens des collectivités et services de l'État, tant vis-à-vis des espèces visées que des délais de mise en œuvre.

La fixation de délais plus espacés, avec un phasage dans la mise en œuvre et des objectifs intermédiaires, aurait sans doute rencontré une meilleure adhésion.

Tel n'a pas été le cas. Sauf à le réviser à la baisse, c'est le classement publié qui fixe officiellement le niveau des exigences avec un caractère exhaustif. Pourtant, la mission a eu connaissance, dans un bassin au moins, d'une instruction du préfet de bassin sur proposition du secrétariat technique de bassin (DREAL, agence de l'eau, ONEMA), invitant les services à concentrer leurs efforts sur une liste de 55 cours d'eau ou tronçons de cours d'eau au sein de la liste 2, avec localisation des ouvrages prioritaires79, en deçà donc du classement officiel du bassin.

3.8.2. Le manque d'association des bénéficiaires
Malgré le caractère réglementaire du programme qui va en se renforçant à l'approche de l'échéance des cinq ans, les propriétaires ou exploitants demeurent les décideurs des aménagements à apporter à leurs ouvrages. Ils en sont les maîtres d'ouvrage même si la maîtrise d'ouvrage est ensuite, par défaut, souvent assurée par une collectivité. Ils vont en tout cas en supporter les contraintes d'entretien et seront aussi, en tant que riverains, bénéficiaires des améliorations apportées à la rivière.

Dans ces conditions il apparaît paradoxal que ces propriétaires continuent à ne pas être représentés dans les instances de bassin autrement que par le représentant de la microélectricité au sein du collège des usagers. Dès lors que ce sont les comités de bassins qui confèrent sa légitimité à cette politique (voir point 1.1.3), il serait normal et opportun, dans un objectif d'appropriation et de responsabilisation, sinon a minima de concertation, qu'ils puissent y être représentés par leurs associations.

A la création des comités de bassin, la participation des riverains à ces instances qui privilégie une représentation par catégories d'usages, ne semblait sans doute pas nécessaire et leur absence pouvait ne pas poser de difficultés. Aujourd'hui et malgré les contraintes d'équilibre qui s'imposent entre les collèges, il n'en va plus de même : cette absence présente plus d'inconvénients que d'avantages, dans la mesure où une contribution importante et active à ce programme leur est demandée. Pour d'autres mesures de la politique de l'eau en effet, les catégories d'acteurs auxquels il est demandé un effort y sont en général représentées.

Ce manque d'association, qui se traduit par des relations difficiles, contraste singulièrement avec la culture du dialogue et du partenariat qui caractérise la mise en œuvre de la politique de l'eau, dans ses autres volets, par les agences de l'eau.

3.8.3. Une cohérence mise à mal par des contre-exemples récents
De nombreux interlocuteurs, appartenant à toutes les catégories d'acteurs rencontrés par la mission sans exception, ont fait état de leur ressenti d'une perte de cohérence de cette politique, dès lors que, sur un même axe de cours d'eau, la continuité écologique est exigée pour les petits obstacles alors que les travaux de mise en conformité sur les plus gros sont, le cas échéant :
• non demandés du fait que le classement des cours d'eau les a "épargnés",
• reportés pour des raisons d'oppositions locales ou de difficultés financières des maîtres d'ouvrages, qui sont généralement des entreprises ou des structures publiques (dont EDF, VNF,...).

Cette absence d'exemplarité de l'État pose aussi la question du juste équilibre dans les contributions demandées aux différents acteurs de cette politique. Elle contribue au développement d'un sentiment d'injustice parmi les propriétaires de moulins.

3.8.4. La difficulté à articuler une politique thématique très cadrée avec un niveau territorial qui peine à se l'approprier
La mise en œuvre de cette politique se heurte sur le terrain à une difficulté notable : celle d'articuler une approche thématique nationale, verticale, descendante et très normée, avec une approche territoriale de la gestion de l'eau, plus globale et intégrée, fondée sur une vision partagée des objectifs, que par ailleurs la politique de l'eau s'attache à promouvoir et à développer depuis la loi sur l'eau de 1992. Les pas de temps des deux processus (très court pour le premier et beaucoup plus long pour le second), leur mode de pilotage et les méthodes de mise en œuvre, sont différents et pas toujours conciliables.
Cette délicate rencontre entre cette politique qui en outre se coordonne difficilement avec d'autres, et des politiques territoriales, est une source importante de difficultés.

Illustrations : en haut, usine hydro-électrique à Commissey ; en bas, destruction d'ouvrage à Nod-sur-Seine.