03/09/2020

La fronde des moulins se déchaîne et la continuité apaisée a vécu

Après d'autres médias, le journal Le Figaro dans son édition du 3 septembre 2020 consacre une pleine page à la destruction des moulins au nom de la continuité écologique. La fake news gouvernementale de la "continuité apaisée" n'aura pas survécu à l'été 2020, conformément au pronostic que nous avions fait dès le printemps 2019. Cinq organisations (dont Hydrauxois) vont au conseil d'Etat pour requérir l'annulation des derniers textes gouvernementaux. Nous sommes donc revenus au point de départ, avec une direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie encore prise en flagrant délit de fausses promesses et doubles discours, un personnel d'agence ou de terrain moins légitime que jamais sur cette réforme ratée. Quand les politiques auront-ils la lucidité de reconnaître et stopper ce marasme? Pendant qu'on détruit et assèche des moulins et étangs d'Ancien régime au nom d'une idée devenue un dogme et un diktat, on ne tient pas nos objectifs carbone et climat, on ré-autorise des pesticides interdits, on tolère des chasses et pêches d'espèces protégées par l'Europe, on assiste impuissant à la multiplication des sécheresses et des rivières mortes... Ce pays ne tourne pas rond. Contrairement aux roues de moulin, qui n'entendent pas plier devant la folie des casseurs. 



L'article d'Eric de la Chesnais dans Le Figaro commence par le spectacle désolant de la rivière martyre du Vicoin, dont 95% des ouvrages ont été rasés. Résultat narré par les propriétaires, riverains, pêcheurs : il ne reste que des filets d'eau chaude et polluée en été, les crues d'hiver sont plus violentes qu'avant, les annexes humides des retenues ont été asséchées et la salamandre se fait rare, les pêcheurs disent voir moins de poissons. Bienvenue dans le monde de la "rivière restaurée" qu'une administration dogmatique essaie désespérément de faire passer pour un progrès humain fantastique et pour un gain écologique remarquable.

Parmi les personnes interviewées, Martin Gutton, directeur général de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, confirme par ses dires que la continuité n'est pas du tout apaisée. Les casseurs administratifs tiennent exactement le discours qui a produit la crise et qui a déjà amené une ministre de l'écologie à exiger l'arrêt des destructions en 2015, à savoir un déni massif de tout intérêt aux ouvrages et une représentation caricaturale de leur existence. M. Gutton critique ainsi des seuils "qui ne sont plus utilisés" (comme si les gens vivaient dans un moulin pour ne pas avoir d'eau dans la retenue et le bief), qui "barrent les rivières de manière importante" (comme si l'effet d'un moulin d'ancien régime était comparable à celui d'un grand barrage, alors qu'il est plus proche des barrages d'embâcles ou de castors), qui "contribuent à leur réchauffement et à leur pollution" (le pompon, ce sont les moulins à eau qui créent le problème du réchauffement climatique bien que certains produisent une énergie bas-carbone, et qui polluent la rivière bien qu'ils n'émettent évidemment pas le moindre effluent, contraire à bien d'autres usagers).


De tels propos outranciers sont des déclarations de guerre de la part de l'agence de l'eau Loire Bretagne, qui milite activement pour la destruction ou l'interdiction des ouvrages hydrauliques (dès les années 1980 dans son cas) alors qu'elle obtient des résultats catastrophiques pour l'état écologique et chimique de ses rivières. Quant on rate à ce point les objectifs de la directive européenne sur l'eau — moins d'un quart des rivières et estuaires en bon état, une régression depuis 10 ans car des polluants n'étaient même pas mesurés avant —, on devrait avoir l'humilité de se demander si l'acharnement à détruire des moulins, des étangs et des plans d'eau représente le bon usage de l'argent public. Mais l'humilité n'est pas vraiment la qualité première de la haute administration française, éduquée dans la certitude d'avoir raison et dans l'inclination à prendre les citoyens pour des demeurés.

Le ministère demande de signaler les dérives... de ses services !
Du côté du ministère de l'écologie, la direction de l'eau et de la biodiversité "minimise le risque de tensions", nous dit le journaliste du Figaro. C'est la technique du couvercle sur la marmite. Il est indiqué que "les préfets sont vigilants sur le maintien d'un dialogue responsable. Les dérives de la part des propriétaires ou des services doivent leur être signalées".

On ne sait pas trop ce qu'est une dérive de propriétaire, mais on est heureux de voir reconnaître qu'il y a des dérives des services de l'Etat.

Et en effet : tout fonctionnaire (central ou territorial) qui vient encore en 2020 ou au-delà proposer autre chose qu'une solution de non-destruction publiquement indemnisée commet une faute au regard de la loi. Il faut la signaler au préfet, aux parlementaires et au juge administratif.

La loi sur l'eau de 2006 (ayant codifié la notion de continuité) et la loi de Grenelle de 2009 (ayant créé la trame verte et bleue) ne posent aucun problème au monde associatif. C'est uniquement la dérive de personnels sous la tutelle de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie et de certaines agences de l'eau qui a créé ces problèmes à partir du plan de restauration écologique de 2009. Des fonctionnaires égarés ont alors inventé de toutes pièces que les lois de 2006-2009 et le classement de certaines rivières au nom de la continuité écologique de 2012-2013 demandaient la renaturation des rivières et l'effacement des ouvrages. Mais c'est un énorme mensonge, dont des dizaines de parlementaires se sont déjà émus depuis 2 législatures — en ce moment même, Barbara Pompili est encore interpellée par de nombreux députés et sénateurs excédés par le mauvais comportement de l'administration.

Une seule et unique chose à demander sur tous les sites: le respect de la loi
La loi de 2006 qui crée de l'obligation de continuité dispose :
- tout ouvrage doit être géré, équipé, entretenu sur proposition de l'administration
- toute dépense exorbitante pour un propriétaire doit être indemnisée

La loi de 2009 qui crée la trame verte et bleue dispose :
- l'aménagement des ouvrages les plus problématiques doit être mis à l'étude

La seule et unique chose que doivent faire tous les propriétaires à titre individuel, et toutes les associations à titre collectif, c'est de rappeler au préfet ces termes de la loi. Aussi longtemps que nécessaire. En allant tous ensemble devant les juges si nécessaire. Les ouvrages effacés sont uniquement le fait de propriétaires isolés qui ont été trompés sur les pouvoirs réels de l'administration et des syndicats, ainsi que sur la portée de leurs droits à dire non à toute destruction du patrimoine.

Ni la DDT-M, ni l'agence de l'eau, ni le syndicat de rivière ne sont en situation de refuser l'application de la loi, c'est-à-dire soit de proposer une gestion sans coût (comme l'ouverture des vannes limitée aux périodes de migration, dans le respect de la consistance légale du droit d'eau) soit de proposer un équipement indemnisé (une passe à poissons ou une rivière de contournement dont le financement public doit être garanti).

Donc nous voulons rassurer notre chère direction de l'eau et de la biodiversité: nous allons en effet signaler toutes les dérives de ses agents !

La continuité apaisée, une fin rapide...
Au final, la "continuité apaisée" est morte à l'été 2020, sauf si par miracle notre Premier Ministre et notre ministre de la Transition écologique et solidaire tentent de la ressusciter en sanctionnant les décisions de leur administration.

En effet, au cours de ce seul été :


A cela s'ajoute que le processus de priorisation, qui devait être co-construit et justifié techniquement, a finalement été présenté comme un fait accompli sans aucune rigueur scientifique dans la justification.

Le haute administration ne comprend manifestement rien à la manière dont on peut produire du consensus social autour de réformes écologiques. Le gouvernement français va d'échec en échec sur ces dossiers environnementaux : il serait peut-être temps de se demander pourquoi.


Petit détail sur les coûts
Il est prêté à l'association Hydrauxois le chiffrage de 100 000 euros par site en moyenne pour les effacements. Comme nous l'avions indiqué au journaliste, c'est 100 000 euros par site en moyenne pour l'ensemble des chantiers de continuité, qui sont à 75% des effacements en Seine-Normandie et en Artois-Picardie, à 50% en Loire-Bretagne.  Ce chiffre se déduit du rapport CGEDD 2016, qui avait rassemblé le nombre de chantiers et les lignes budgétaires en face. Il s'agit là seulement de l'aide publique versée par les agences de l'eau aux projets, elle n'inclut pas les dépenses privées du maître d'ouvrage ni les frais des abondants personnels dans les nombreuses réunions occasionnées par la continuité. Le coût estimé de dépense publique hors frais de personnel est donc de l'ordre de 2 milliards d'euros pour les rivières déjà classées. Cela alors que pour l'objectif annoncé (retour des grands migrateurs), les tout derniers travaux scientifiques montrent qu'il n'y a aucun résultat significatif sur les 40 ans écoulés (Legrand 2020).  Nous développons des plans, programmes, bureaucraties pour protéger les grands migrateurs mais sans observer de résultats tangibles: avant de tout casser, posons-nous des questions sur le bon usage de l'argent public, sur l'intérêt général des riverains et sur les nouveaux enjeux pour conserver la biodiversité.

1 commentaire:

  1. Tiens, cette fois ci vous n'avez pas de gugusse de l OFB qui pointe son nez pour critiquer.
    Merci pour votre excellent travail

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