24/02/2018

L'Agence de l'eau Seine-Normandie auto-satisfaite du bilan de la continuité écologique (pas nous)

L'Agence de l'eau Seine-Normandie a demandé à trois bureaux d'études de faire un diagnostic "indépendant" de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Problème : ce diagnostic énonce des choses attendues (il y a davantage de migrateurs quand il y a moins d'obstacles) mais n'examine aucune des questions qui fâchent. Au point que dans une enquête à questionnaire sur deux ouvrages effacés, on ne demande même pas au public s'il préfère le site avant ou après! Analyse critique. 


Dans le n°66 du magazine Confluence, l'Agence de l'eau Seine-Normandie revient sur le bilan de la continuité écologique. Elle en dresse un bilan tout à fait satisfait. Ce qui certifie au moins une chose : les bureaucraties publiques de l'eau sont toujours aussi sourdes aux critiques.

L'AESN a procédé à un diagnostic : "Pour évaluer sa pertinence mais aussi les meilleurs moyens de la mettre en œuvre, l'agence de l'eau a chargé un groupement de trois bureaux d'études indépendants d'évaluer cette politique en scrutant à la loupe les actions menées ces dernières années."

Nous n'allons pas nous étendre ici en détail sur le caractère "indépendant" de l'évaluation alors que le diagnostic biologique et morphologique a été manifestement rédigé par un ancien fonctionnaire de l'Onema qui travaille depuis peu dans le privé. Certes, tout cela est formellement indépendant de l'Agence. Ces pratiques ne sortent cependant pas du sérail ni des biais connus de l'Office. Elles aboutissent à des méthodes et visions assez différentes de celles d'universitaires — eux réellement indépendants des politiques publiques mises en oeuvre depuis 2006 — qui ont étudié les restaurations de certaines des rivières citées dans le rapport (voir l'exemple de la Touques analysé chez Germaine 2011, Lespez et al 2016 ; voir le livre de Barraud et Germaine 2017 du bilan Reppaval sur le démantèlement de barrages dans l'Ouest de la France, à la tonalité beaucoup plus critique).

Ne pas poser les questions, un bon moyen de ne pas chercher les réponses
Au plan écologique, si l'on doit résumer à leur plus simple expression les résultats majeurs de ce travail d'évaluation par les bureaux d'études, cela donnerait :
  • quand on supprime ou aménage des ouvrages barrant une rivière, les poissons migrateurs amphihalins migrent davantage vers l'amont,
  • quand on supprime une zone lentique au profit d'une zone lotique en tête de bassin versant, les espèces lentiques disparaissent au profit des espèces lotiques (holobiotiques). 
Le chevalier de La Palisse n'aurait pas mieux fait !

En revanche, voici diverses questions auxquelles l'étude ne répond pas :
  • comment se comportent les migrateurs selon la densité, l'emplacement et la hauteur des obstacles du cours d'eau? 
  • le retour des migrateurs s'obtient-il au détriment d'autres espèces de poissons ?
  • la défragmentation favorise-t-elle la diffusion d'espèces invasives ? 
  • quel est l'effet de la suppression des plans d'eau sur la biomasse et la biodiversité totale (faune-flore-fonge-microbiote) ? 
  • quel est l'effet de la restauration de continuité en long sur la classe qualité écologique et chimique DCE des masses d'eau?  
  • combien coûte en moyenne la restauration morphologique complète d'une rivière en vue d'y accueillir les migrateurs?
  • quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des migrateurs? 
  • quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des rhéophiles? 
  • serait-il opportun de hiérarchiser l'importance des migrateurs (notamment en fonction de leur statut de vulnérabilité IUCN) dans l'investissement public?
  • y a-t-il un consentement à payer dans la population générale pour varier la densité des migrateurs ou des rhéophiles sur un cours d'eau, et à combien s'élève-t-il?
  • certains usagers de l'eau (par exemple les pêcheurs) sont-ils davantage favorisés par ces mesures et dépenses publiques de continuité?
  • y a-t-il des avis négatifs sur cette politique, selon quels registres et dans quelle proportion parmi des échantillons représentatifs de riverains?
  • que rapporterait comme revenus la production des sites hydroélectriques en cas d'équipement plutôt que d'effacement?
  • comment objective-t-on la valeur du patrimoine et du paysage des rivières aménagées?
Ces questions et d'autres ne sont pas posées, alors que ce sont elles qui soulèvent le scepticisme, l'interrogation ou la critique dans la mise en œuvre de la continuité écologique depuis 10 ans. On en retire donc l'impression d'un enième contournement administratif du débat de fond, où des personnes ayant l'habitude de travailler ensemble auto-certifient qu'elles ont raison.

Au plan de la méthode, l'étude produit diverses informations factuelles intéressantes sur les bassins de Seine et côtiers normands, mais elle n'apporte cependant aucun résultat scientifique proprement dit : des exemples sont choisis sans tirage aléatoire et avec des échantillons faibles, aucun travail statistique (avec incertitude, marge d'erreur, tests de puissance, etc.) n'est réalisé, aucune hypothèse n'est formulée avec ses conditions de vérification et test de réfutation.

Voici quelques observations de détail sur le rapport.

Des passes qui fonctionnent, après tout. Les focus sur les trois fleuves normands (Vire, Orne, Touques, pp. 72 et suivantes) montrent que les effectifs de migrateurs augmentent même avec des choix de passes à poissons (dont des passes réputées non fonctionnelles). Cela contredit le discours selon lequel les successions de PAP nuiraient à l'obtention de résultats en terme de recolonisation des migrateurs (voir cette idée reçue). Les indices d'abondance de la Sienne (jugé satisfaisants, p. 69) vont dans le même sens puisque ce fleuve côtier a reçu 18 passes à poissons, anciennes de surcroît, pour 2 effacements seulement. Casser n'est donc pas une fatalité. Ces résultats sont contradictoires avec la dépréciation des passes par le rapport, voir plus bas.


Bonne densité de truites de mer... sans effort. Le cas de la Bresles (p. 97, ci-dessus, truites de mer, erreur dans la légende d'ordonnée "saumons"), ayant connu peu d'aménagement de continuité écologique et de restauration morphologique, montre que cette rivière comptabilise bon nombre de migrateurs (la Bresles a plus de truites de mer que la Vire ou l'Orne), même s'il n'y a pas de tendance à la hausse de ces migrateurs. Idem pour  la Sée, dont les densités de juvéniles de saumon sont jugées satisfaisantes (p. 69) alors que la rivière a connu peu d'aménagements. Ce qui pose diverses questions: vise-t-on la présence de certaines espèces ou veut-on à tout prix en augmenter la densité à son maximum ? Et dans la seconde hypothèse pourquoi et pour qui au juste ? Pourquoi ne pas comparer davantage de rivières aménagées / non aménagées pour mieux mesurer les bénéfices réels ?


En milieu et tête de bassin, des résultats triviaux. Les 8 zooms territoriaux sur les holobiotiques en dehors de l'arc normand (pp. 99 et suivantes) sont centrés sur les arasements seuls. Le tableau de synthèse n°32 (p. 106, ci-dessus) montre qu'on ne peut guère tirer de conclusion sur cet échantillon modeste, le signal le plus clair mais aussi le plus trivial étant que des espèces rhéophiles et lithophiles augmentent localement quand on supprime un habitat lentique (plan d'eau). Ce qui va de soi. Le tableau détaillé n°33 montre que la richesse spécifique (diversité des espèces de poissons) baisse aussi souvent qu'elle monte. Certains hydro-écologues visent une "typologie idéale" de chaque station de la rivière renaturée, mais on peut aussi bien considérer que la diversité d'espèces reste le marqueur le plus simple (et le plus parlant pour le public) de la biodiversité. Quant à cette biodiversité en dehors des poissons (soit 98% du vivant aquatique), elle est totalement ignorée et non mesurée, alors que les petits plans d'eau sont réputés des zones assez riches. L'intérêt réel de la continuité en tête de bassin n'est pas démontrée : la truite n'a pas besoin impératif de longues migrations dans son cycle de vie (contrairement aux amphihalins) et n'est pas une espèce menacée ; le chabot ou la lamproie de Planer ne sont pas des migrateurs.

Dans le Morvan, un zoom qui reste flou. Le zoom sur le Morvan (pp. 118 et suivantes) est flou sur la nature exacte des travaux engagés et sur la méthodologie de la comparaison 2005-2012. Au vu de la variabilité interannuelle des truites (pouvant atteindre un facteur 10 voire davantage sur le même site échantillonné, voir ces mesures sur le Cousin), on ne sait pas si la tendance est prise sur 2 années témoin, sur des séquences de plusieurs années avant/après moyennées, etc. Par ailleurs, il semble que l'action concerne la petite continuité (buses, etc.) en ruisseau pépinière, ce qui aurait pu donner un comparatif intéressant sur le coût-bénéfice par rapport aux travaux lourds sur des moulins et étangs du cours principal.

Choix ad hoc sur le Serein. L'analyse du Serein (p. 115) arrive comme un choix ad hoc avec 2 stations sur 12 extraites d'une étude de Baran et al 2007. On aurait pu aussi prendre l'étude de Bouchard 2009 sur la retenue du barrage de Semur-en-Auxois (rivière Armançon), qui montrait des biomasses et une biodiversité (lentique) notables dans la retenue. Ce type de comparaison habitat de retenue / habitat de zone amont-aval des retenues n'a de sens que moyenné sur un certain nombre de stations et d'années (avec également des mesures d'étiage pour voir comment se répartissent les poissons en stress hydrique). Les auteurs ont tout à fait raison de souligner que les stations de référence du réseau de surveillance sont généralement prises en dehors d'habitats artificialisés. Mais ils restent scotchés à leur volonté de "renaturer" la morphologie de la totalité du lit de la rivière, alors qu'en tête de bassin versant à pente soutenue, la majorité de ce linéaire est non étagée et non ennoyée par les ouvrages. Donc le vivant dispose déjà de zones à écoulement non contraint. Tant que cet intégrisme de la renaturation (refus des zones lentiques ou artificialisées partout) inspirera la doctrine, elle sera rejetée pour ses excès, ses coûts, son indifférence aux autres enjeux des vallées et attentes des citoyens.

Passes à poissons mal conçues. Le tableau 39 (p. 95) montre que 21% des 221 passes à poissons analysées du bassin sont jugées non fonctionnelles. Pour ces passes non fonctionnelles, le génie civil a été mal dimensionné dans 25% des cas, dégradé dans 12% des cas, l'entretien est défaillant dans 11% des cas et la cible biologique a changé dans 6% des cas. Les problèmes concernent souvent les passes anciennes (conçues avant 2005). Rappelons que ces passes ont été faites sous l'autorité du conseil supérieur de la pêche dans les années 1980 à 2000 : demain, l'AFB demandera-t-elle encore de démolir les dispositifs que l'on vient de payer à grands frais ? Il est vrai que des chercheurs ont récemment montré que les saumons préfèrent passer directement sur le seuil d'un moulin que dans une "passe Larinier" (voir Newton et al 2017), ce qui suggère un peu de recul sur la prétention des sachants à maîtriser le comportement des migrateurs !

2 M€/ an pour les passes à poissons. Le coût public entre 1984 et 2015 des passes à poissons est estimé à 71 M€ (p. 135), soit de l'ordre de 2 M€ par an. On se rappellera que le budget de l'AESN est de l'ordre de 1 milliard € / an aujourd'hui. Cette somme est donc faible rapportée à la dépense totale.

Appel à la casse plutôt qu'à la passe.  Les auteurs de l'étude donnent leur avis (p. 135), qui est ô surprise de réserver la dépense publique à l'effacement, sauf exception : "Au vu des moyens à déployer, de la technicité demandée et de la densité des ouvrages, le dimensionnement, la construction puis la surveillance d'un parc important de passes à poissons correspondant aux nombre d'ouvrages classés n'est absolument pas en adéquation avec les moyens actuels de l'ingénierie privée et surtout publique. Ce constat plaide inévitablement pour orienter les investissements vers des actions dont la pérennité sera assurée et dont l'efficacité écologique sera maximale. Les effacements d'ouvrages répondent à ses objectifs. Les dispositifs de franchissement sont donc à réserver aux obstacles à enjeu et pour lesquels aucune autre solution n'est possible". Le mieux est l'ennemi du bien : avec cette doctrine, la continuité avancera difficilement, les conflits se développeront de plus belle si les administrations tentent d'imposer la défragmentation par destruction contrainte. Cet avis est par ailleurs contradictoire avec le retour de migrateurs sur diverses rivières abondamment équipées de passes (Sienne, Touques, etc. voir ci-dessus).


Une enquête de terrain… qui évite la question principale (!). En p. 200, une enquête de terrain est réalisée sur des sites effacés au Fourneau de Condé à Condé-sur-Iton et au barrage d'Aubigny à la Mancellière sur Vire : "Le questionnaire réalisé n'a pas permis d'aller jusqu'à interroger les visiteurs sur leur préférence entre le site avant et après l'effacement." On évite donc la question centrale, celle de la préférence des riverains : incroyable ! A noter tout de même même que la "richesse de la faune et de la flore" ou les "mouvements de l'eau" ne figurent pas parmi les points les moins bien notés dans l'appréciation des sites (cf tableau ci-dessus), ce qui contredit l'idée que la rivière "rentaturée" serait le premier thème recherché par les promeneurs. Pour les pêcheurs de poissons d'eau vive, c'est autre chose... mais le jour où l'on reconnaîtra que la continuité "à la française" a d'abord été portée par et pour ce lobby de la pêche n'est pas encore venu (on y travaille cependant).

Conclusion
Les désaccords sur la continuité écologique persistent. Nous ne parviendrons manifestement pas à un consensus car ces désaccords s'alimentent à des visions différentes de la rivière et de l'écologie. Il est dommage que l'on produise des simulacres d'objectivation de ces désaccords, en évitant l'examen des critiques que nous posons depuis plusieurs années et surtout en ne recourant pas à une analyse proprement scientifique des données récoltées sur 30 ans de restauration de continuité (depuis la loi de 1984 et les premiers plans migrateurs).

En attendant, l'Agence de l'eau Seine-Normandie (comme plusieurs de ses consoeurs) dépense l'argent public pour favoriser la destruction du patrimoine hydraulique des vallées, leurs paysages, leurs usages et leurs habitats. Nous jugeons pour notre part que ce choix est contraire à l'intérêt général comme à la gestion équilibrée et durable de la ressource tels que les définit la loi française. La continuité est un élément d'appréciation et de fonctionnalité de la rivière, mais elle n'est pas isolée : elle doit s'envisager dans le respect des autres dimensions d'intérêt posées dans la loi, en prenant en considération les autres compartiments du fonctionnement écologique des rivières aménagées de longue date.

En 2019, les Agences procéderont à des révisions des programmes de mesures des SDAGE, et notamment des barèmes de financement. Notre association prépare avec ses consoeurs une requête de changement des arbitrages actuels, dont la dimension conflictuelle, non conforme à la loi et déséquilibrée par rapport aux attentes des riverains est plus que manifeste. Nous mettrons donc les élus du comité de bassin comme les représentants de l'Etat au sein des agences devant leur responsabilité.

Lien pour télécharger l'étude. Tous les tableaux et graphiques sont des citations de ce travail, droits réservés.

Illustration en haut : truite de mer (Salmo trutta trutta) franchissant un obstacle, Rupert Fleetingly [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons. Cette espèce est relativement abondante sur toutes les côtes européennes du Maroc à la Scandinavie. Elle n'est pas considérée comme vulnérable par l'IUCN. La question se pose de la légitimité des investissements publics visant à optimiser une rivière pour cette espèce (comme cela fut fait sur la Touques) alors que seul un public de pêcheurs spécialisés tire un réel service des variations locales de densité du poisson. Depuis quelques années, les sciences humaines et sociales ont développé une approche critique des restaurations de rivière sous l'angle de l'analyse des réseaux d'acteurs, de leurs discours, de leurs stratégies. Les agences de l'eau gagneraient à s'inspirer aussi de ces démarches quand elles évaluent les pertinences de leurs investissements. 

23/02/2018

Le Conseil d'Etat reconnaît un droit étendu d'accès aux informations environnementales détenues par l'administration

L'Office national des forêts avait refusé de communiquer à la FRAPNA des courriers et courriels relatifs aux compensations de destruction de zones humides pour le projet de Center Parcs de Roybon. Le Conseil d'Etat vient de donner tort à l'ONF. Une association ou un citoyen dispose donc d'un droit d'accès étendu aux informations environnementales détenues par l'administration comme par toute personne physique ou morale fournissant des services publics en lien à l'environnement. Les riverains gagnent à exercer ce droit pour s'informer de tous les projets mettant en péril des plans d'eau et paysages auxquels ils sont attachés, mais dont ils sont si souvent exclus des comités de pilotage.


Dans son arrêt n° 410678 du 21 février 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux vient de produire une nouvelle avancée pour le droit d'accès des riverains et de leurs associations aux informations relatives à l'environnement.

Dans le cadre du projet dit Center Parcs à Roybon (Isère), l’association Union régionale Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) avait demandé à l’Office national des forêts une communication de l’ensemble des documents et correspondances, courriers et courriels entre l'établissement public et le porteur de projet, à propos des mesures de compensation de destruction de zones humides.

Le directeur territorial Rhône-Alpes de l’ONF avait refusé, mais par jugement n°1601929 du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision pour excès de pouvoir.

L'ONF s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat demandant de surseoir et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Ce recours était fondé sur une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil d'Etat relève que ce moyen est sans objet "en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France", et le rejette.

Les hauts magistrats rappellent ensuite le droit européen en matière d'obligation de transmettre les informations relatives à l'environnement :
"l’article 3 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement relatif à l’accès sur demande aux informations environnementales : « 1. Les États membres veillent à ce que les autorités publiques soient tenues, conformément à la présente directive, de mettre à la disposition de tout demandeur, et sans que celui-ci soit obligé de faire valoir un intérêt, les informations environnementales qu'elles détiennent ou qui sont détenues pour leur compte (...) ». L’article 2 précise qu’aux fins de cette directive, on entend par : « 2° « autorité publique » : / a) le gouvernement ou toute autre administration publique, y compris les organes consultatifs publics, au niveau national, régional ou local ;/ b) toute personne physique ou morale qui exerce, en vertu du droit interne, des fonctions administratives publiques, y compris des tâches, activités ou services spécifiques en rapport avec l'environnement, et / c) toute personne physique ou morale ayant des responsabilités ou des fonctions publiques, ou fournissant des services publics, en rapport avec l'environnement, sous le contrôle d'un organe ou d'une personne visé(e) au point a) ou b) (...) ». Dans son arrêt de grande chambre du 19 décembre 2013 Fish Legal, Emily Shirley contre Information Commissionner (C-279/12), la Cour de justice de l’Union Européenne a dit pour droit que seules les personnes relevant de l’article 2, point 2, sous c) de cette directive se trouvant sous le contrôle d’un organe ou d’une personne visé à l’article 2, point 2, sous a) ou b) voyaient leur obligation de fournir les informations environnementales qu’elles détiennent limitée à celles se rapportant au service public dans le domaine de l’environnement dont elles ont la charge."

L’article L. 124-3 du code de l’environnement transfère en droit français cette obligation.

Il en résulte que l'ONF, établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’Etat, n'était pas fondé à refuser la communication des pièces détenues, "y compris celles résultant de ses activités commerciales". Et y compris également les correspondances papiers ou électroniques relatives à des projets (ici de compensation).

Nous rappelons à nos lecteurs riverains ou membres d'associations confrontés à des projets problématiques de destruction d'ouvrages hydrauliques, de plans d'eau, de canaux, de zones humides qu'ils disposent de ce droit d'accès vis-à-vis des administrations de l'Etat (Dreal, DDT-M), des établissement publics (AFB, Agence de l'eau), mais aussi des collectivités, des EPCI type EPTB ou EPAGE (syndicats, parcs), des associations à agrément public (notamment fédérations et associations de pêche), des délégataires industriels de service public, etc. (voir ce lien).

A lire sur le même thème
Accès à l'information environnementale: un droit pour les citoyens et les associations

22/02/2018

L'épuration des polluants par les retenues, reconnue à contre-coeur

L'Agence de l'eau Seine-Normandie commence à reconnaître que les ouvrages hydrauliques ne suppriment pas l'auto-épuration des nutriments, mais peuvent au contraire la favoriser dans certains cas. Toutefois, elle le fait en caricaturant le débat et en inventant un épouvantail (une hypothétique reconstruction de tous les ouvrages présents sur Cassini). Réponse.


Dans le n°66 du magazine Confluence, l'AESN revient sur le bilan de la continuité écologique. Nous ferons un commentaire critique des assertions contenues dans ce dossier. Voici déjà la réponse à cet encadré sur l'auto-épuration :

"Et si les obstacles, en créant des bassins de décantation, contribuaient à la qualité de l’eau ? Cette idée est née d’une lecture un peu hâtive de publications scientifiques, dont une étude réalisée par l’équipe de Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS et bio-géochimiste spécialiste du fonctionnement des systèmes hydriques continentaux. Mise au point. «Lorsqu’on regarde la carte de Cassini dressée au XVIIIe siècle, le bassin de la Seine est constellé d’étangs, de petites mares, de seuils et de vannages. Dans une étude publiée en 2012 dans le magazine scientifique Science of the Total Environment, nous avions essayé de voir si ces zones stagnantes avaient un impact sur la qualité de l’eau. Or nos résultats montrent que si on remettait des petites retenues et des mares sur les deux tiers de la surface du bassin, on n’abattrait au mieux, par auto-épuration dans les sédiments, que 20 à 30 % de la pollution par les nitrates sur les sites les plus favorables. À l’échelle de l’ensemble du bassin de la Seine, la réduction ne serait que de l’ordre de 3 % : un bien piètre résultat pour un tel bouleversement du paysage. Un cours d’eau n’est pas une station d’épuration ! Il est dangereux d’imaginer l’aménagement des rivières en fonction d’un objectif de traitement des pollutions diffuses qui doivent et peuvent être évitées à la source, en particulier par une agriculture plus respectueuse de l’environnement», souligne Gilles Billen."

Commentaires :

  • après l'avoir farouchement nié comme ses consoeurs (ou l'Onema) dans les années 2000, l'Agence de l'eau Seine-Normandie reconnaît donc que les plans d'eau jouent un rôle d'épuration,
  • il n'a jamais été question de transformer la rivière en "station d'épuration", la caricature n'est pas une bonne pratique de discussion. Il s'agit non de reconstruire des ouvrages partout, mais d'évaluer le bilan chimique, biologique et physique réel des ouvrages existants,
  • une partie des ouvrages signalés sur la carte de Cassini est encore présente sur les rivières, et quand Gilles Billen parle d'un "bouleversement du paysage", il ne saurait ignorer le vrai bouleversement en cours, à savoir le financement de la destruction systématique de la plupart de ces ouvrages par l'AESN (75% de choix de destruction dans le rapport CGED 2016). La question est de savoir si l'argent public doit servir à détruire des plans d'eau, étangs, retenues, réservoirs, etc., si cela représente un intérêt écologique et un intérêt général,
  • on peut certainement éviter les pollutions à la source (l'action stagne désormais en ce domaine, après des baisses dans les années 1980-1990), la question est cependant de savoir si, à pression égale sur le bassin, une retenue va plutôt éliminer des excès d'azote, phosphore ou pesticides (sachant que l'usage agricole des sols reste un premier prédicteur de la dégradation écologique),
  • le passage à l'agriculture biologique (6% seulement des parcelles aujourd'hui) n'évitera pas à lui seul le problème des nutriments, car tout système agricole utilise des intrants (organiques ou synthétiques), la diffusion de bonnes pratiques sera donc lente et complexe, 
  • l'AFB vient de lancer un appel à projets sur les impacts cumulés des retenues d'eau sur les bassins versants. Nous souhaitons que ce travail mesure systématiquement les différences de concentrations en nutriments et micropolluants à l'exutoire des bassins à occupation des sols similaires et selon leur densité d'ouvrages. Nous attendons désormais des faits et des preuves, pas des généralités ni des promesses. 

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21/02/2018

Bussières : plainte pour destruction illégale d'ouvrage et de zone humide

Face à la carence de l'administration dans son rôle de protection des milieux et de garantie du droit de l'environnement, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte contre la fédération de pêche de l'Yonne pour destruction illégale d'ouvrage, d'étang et de zones humides à Bussières. En parallèle, une requête sera faite au préfet de l'Yonne en vue d'un arrêt immédiat des travaux, de mesures de sauvegarde et d'une reprise du chantier dans le cadre normal des procédures visant à protéger les milieux et les droits des tiers. Un refus ouvrirait un second contentieux dans l'ordre administratif. Nous reproduisons ci-dessous notre dernier échange avec la DDT de l'Yonne, expliquant les motivations de cette malheureuse issue face à un chantier géré de manière opaque et catastrophique.

Nous accusons réception de votre courrier du 15 février 2018 et nous avons immédiatement demandé en retour à M. le directeur départemental des territoires de nous faire parvenir copie de l'intégralité des pièces que vous y mentionnez, censées justifier les travaux, autorisations et absence d'investigation de la DDT. Nous regrettons au demeurant que vous n'ayez pas joint directement ces pièces puisque nous étions en phase pré-contentieuse sur la gestion catastrophique de l'étang de Bussières par la Fédération de pêche de l'Yonne, ci-après dénommée FYPPMA.

Etant donné la difficulté de nos échanges, le caractère ad hoc et confus des justifications successives qui nous sont apportées, le trouble manifeste des milieux aquatiques et humides, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte pénale contre la FYPPMA pour destruction non autorisée d'ouvrage, d'étang et de zone humide.

Cette plainte sera doublée d'une requête à M. le préfet de l'Yonne de stopper le chantier, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, d'instaurer la procédure normale d'autorisation de travaux (article R 214-1 à R 214-6 code environnement), en particulier l'analyse d'incidence, les mesures compensatoires, l'étude des alternatives, l'enquête publique. Un refus de la préfecture d'y procéder conduirait notre avocat à engager une seconde procédure contentieuse, cette fois par la voie administrative.


Nous sommes contraints à cette issue par l'opacité totale de ce chantier comme par le caractère insatisfaisant et incohérent des éléments qui nous sont opposés. Votre courrier suscite en effet de nombreuses interrogations.

La préfecture de l'Yonne nous a d'abord parlé dans son courrier du 1er décembre 2017 d'un dossier de "vidange" au titre de la simple gestion de "pisciculture", cette motivation justifiant que le chantier soit fondé sur un seul recto-verso très sommaire de descriptif malgré l'importance de l'hydrosystème modifié.

La préfecture de l'Yonne nous parle maintenant dans son courrier du 15 février 2018 d'un chantier sur la base de l'article R 214-44 du code de l'environnement procédure tout à fait exceptionnelle supposant un "danger grave" et un "caractère d'urgence" qu'à date, rien ne justifie dans vos propos. La remobilisation de sédiments lors des fortes eaux est un phénomène courant pour l'étang de Bussières, dont le déversoir a toujours été surversé lors des crues. Cela ne présente pas de caractère exceptionnel et nous attendons des pièces demandées qu'elles démontrent éventuellement le contraire. Par ailleurs, il est étrange que la FYPPMMA ait choisi de faire ses travaux en pleine période de ponte, croissance et éclosion des œufs de truite, sans que leurs experts s'avisent du problème et sans que vos services objectent des risques afférents pour le milieu, cela dès le mois d'octobre.

"Malencontreusement", la vanne de l'étang a dû être détruite dans la première phase. Et "malencontreusement" encore, la digue de l'étang a été en partie détruite dans la seconde phase. Le contentieux et son instruction permettront d'étudier sur pièces le rôle de la négligence et de l'intention dans cette altération du patrimoine paysager, historique et naturel de l'étang.

Vous avancez maintenant une troisième phase de chantier, qui nous paraît toujours aussi problématique. Pour la suite de ces travaux, vous persistez en effet à parler d'une simple "déclaration" pour permettre à la FYPPMA de détruire la totalité de la digue.

Or, cette destruction ne correspond ni au chantier de vidange d'étang piscicole déclaré en octobre 2017, ni au chantier R 214-44  CE autorisé en janvier 2018, en situation de danger allégué.

Cette destruction relève du R 214-1 CE  sur les  "installations, ouvrages, travaux ou activités", et en particulier du 3.1.2.0. "conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau (…) sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m". Il est établi qu'à la date du 9 janvier 2018 où la FYPPMA signale à vos dires son projet de chantier de destruction auprès de votre service, nous avons simplement un étang vidangé dans le cadre de sa gestion piscicole. Mais l'étang en question correspond au profil du site en sa consistance légale autorisée.

Cette position aurait dû être celle de la préfecture et du maître d'ouvrage dès le départ : nous assistons en réalité depuis 6 mois à des contorsions juridiques pour essayer d'échapper à l'étude d'un écosystème d'étang de 5 ha menacé de destruction et à l'examen par enquête publique d'un chantier modifiant plus de 1000 m de rivière.

Une position contraire de votre part - c'est-à-dire le démantèlement d'un ouvrage et d'un étang  sur lit mineur par cette succession de simples déclarations ad hoc  - conduirait à des conséquences parfaitement absurdes. Par exemple, un propriétaire de berge et de lit pourrait édifier en lit mineur un seuil de 10 cm de hauteur, attendre que l'eau se rééquilibre, ajouter dessus un nouveau seuil de 10 cm, et ainsi de suite jusqu'à édifier un barrage de 1, 2 ou 3 m, cela sans avoir à demander d'autorisation (ni même en l'occurrence à faire de déclaration), puisque l'administration ne devrait jamais considérer l'état initial de la masse d'eau, simplement constater étape par étape des évolutions du lit, sans rien y redire.

Nous doutons que l'administration souhaite encourager pour l'avenir ce genre d'interprétation acrobatique de la loi et les comportements que cela permettrait.


Sans préjuger du dossier de la FYPPMA relatif à la solution définitive pour le site de Bussières, plusieurs de vos propos sont problématiques de la part d'un service instructeur.

Vous affirmez ainsi sans autre forme de démonstration que "les travaux sont sans conséquence sur la stabilité de la route".

Cette légèreté étonne : il paraît difficile de modifier la stabilité géotechnique (liée notamment à la pression de l'eau de part et d'autre) d'une route publique au milieu d'un étang sans prendre quelque précaution sur la composition et l'évolution du sol, ni envisager les conséquences futures de la reprise végétative ou des érosions successives que produirait la Romanée en crue. Le cas est encore plus manifeste pour le pont, dont le régime hydrologique est changé au niveau des piles et fondations en cas de projet de destruction du plan d'eau les immergeant en permanence.

Nous vous demandons d'analyser ces points de sécurité autrement que par votre intime conviction - plus précisément, de demander au pétitionnaire de démontrer l'absence de risque dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.

Par la suite, vous affirmez encore que "la biodiversité d'un plan d'eau n'est pas comparable à la définition d'une zone humide au sens de l'arrêté ministériel du 2-1-06-2008 modifié par celui du 01-10-2009, et le projet de la FYPPMA vise au contraire une remise en état du site avec un gain réel pour la biodiversité notamment par la création d 'une zone humide plus diversifiée que celle actuelle constituée du plan d'eau".

Vous n'apportez là encore aucune pièce pour asseoir ces propos, notamment pas de rapport d'expertise de l'AFB - Agence que nous avons saisie en vertu de l'article L 131-8 CE lui assignant une mission de préservation de la biodiversité, mais sans réponse de sa part à ce jour.

Concernant la qualification d'une "zone humide", il n'est pas sérieux de prétendre que l'étang et ses marges humides n'en seraient pas une : tous les éléments de la loi et de la jurisprudence du conseil d'Etat sont réunis (sols hydromorphes, plantes hygrophiles), attestés par de nombreuses prises de vue et observations des habitats à fort intérêt de l'étang de Bussières et de ses marges humides, avant leur désorganisation par les travaux de la FYPPMA. Les étangs sont considérés dans toute la littérature scientifique et dans la classification Ramsar comme des zones humides : nous serions fort étonnés qu'un seul chercheur ou ingénieur de l'environnement nie cette évidence, dans une procédure préparatoire ou devant un tribunal.

Nous suggérons aux services instructeurs en charge de l'eau de lire en toute urgence le remarquable ouvrage collectif dirigé par Beat Oertli et Pierre-André Frossard (Mares et étangs. Ecologie, gestion, aménagement et valorisation), qui fait notamment le point sur les avancées de la recherche concernant l'intérêt majeur de ces petits hydrosystèmes pour la biodiversité, mais aussi pour la protection de la ressource (épuration, expansion de crues, etc.)

L'étang de Bussières figure dans la ZNIEFF 260014888 de type 2 " vallée du Cousin aval, Romanée et leurs abords ". Les étangs font partie de la motivation de ce classement, comme vous pourrez le lire sur sa fiche descriptive. Parmi les habitats déterminants à étudier avant perturbation, on note entre autres (ref Corinne) :
  • 37.7 Lisières humides à grandes herbes
  • 53.214 Cariçaies à Carex rostrata et à Carex vesicaria
  • 22.43 Végétations enracinées flottantes
  • 44.9 Bois marécageux d'Aulne, de Saule et de Myrte des marais
  • 22.31 Communautés amphibies pérennes septentrionales
  • 22.4 Végétations aquatiques
Parmi les espèces susceptibles de profiter de l'étang, de sa queue marécageuse ou de ses marges humides comme habitat ou nourricerie, on note entre autres :
  • Crapaud accoucheur
  • Rainette verte
  • Grenouille agile
  • Mulette épaisse
  • Anguille européenne
  • Loutre
  • Végétations des étangs et zones humides acides du Nord Morvan
Le classement ZNIEFF précise : "ce patrimoine dépend (…) d'un élevage extensif respectueux des milieux prairiaux, des linéaires de haies interconnectés, des cours et plans d'eau, et des zones humides". Le respect des "plans d'eau" comme des "zones humides" de la ZNIEFF figure donc dans les préconisations du Museum national d'histoire naturelle. La FYPPMA devra justifier de leur éventuelle disparition et des compensations qu'elle entend engager.

A notre connaissance, imparfaite en raison de l'opacité constante du chantier depuis nos premières requêtes de 2016, le projet de la FYPPMA consiste à restaurer la Romanée dans son lit mineur comme zone à truite et espèces d'accompagnement ou espèces commensales.  Aucun élément ne garantit la "création d'une zone humide plus diversifiée" dont vous parlez, sauf si la FYPPMA dispose d'un projet dédié en ce sens.

La Romanée a un débit très faible : c'est un filet d'eau à l'étiage, de surcroît un filet subissant des pollutions vis-à-vis desquelles l'étang et ses marges ne joueront plus de rôle épurateur en cas de destruction.

Nous vous rappelons les données de sa station moyennées sur plus de 20 ans : 0,088m3/s et 2 mm de lame d'eau seulement au mois le plus sec de septembre, 2,190 m3/s de 58 mm de lame d'eau au mois le plus pluvieux de février. La restauration de zone à truite dans le lit mineur incisé et à très faible débit n'a pas de raison particulière d'alimenter une zone humide attenante (et non une simple reprise des végétations pionnières banales de bord de rivière, soit un type de milieu déjà très présent au long de la Romanée, dans la ZNIEFF 260014888, et plus largement dans le Nord-Morvan). La destruction de l'étang sans autre compensation ou aménagement abaisserait donc selon nous la biodiversité alpha et bêta de l'hydrosystème en réduisant la diversité de ses habitats aquatiques et humides.

Nous vous demandons en conséquence d'analyser ces éléments de biodiversité, de précaution, de compensation - plus précisément de demander au pétitionnaire de les analyser dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.


La question des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique est aujourd'hui reconnue comme problématique en France, que ce soit par le rapport d'audit CGEDD 2016, par la recherche universitaire (voir le livre universitaire collectif Barraud et Germaine 2017 sur le démantèlement des barrages) ou encore par les participants au groupe de travail du Comité national de l'eau, qui échangent en ce moment même sur ce sujet conflictuel.

La confiance est déjà très fragilisée entre votre administration et les riverains, particulièrement sur cette zone Cousin-Romanée où nombre de propriétaires d'ouvrages sont adhérents de notre association et suivent de très près vos instructions des questions aquatiques.

La manière dont vous gérerez la suite du chantier catastrophique de l'étang de Bussières définira si cette confiance dans l'équité et l'impartialité de l'action administrative peut être restaurée, ou si elle tendra un peu plus vers son point de rupture. Il n'est pas ici question d'obliger le propriétaire de l'étang de Bussières à choisir telle ou telle option pour le bien qu'il possède : mais simplement de le soumettre comme tous les autres propriétaires aux dispositions du code de l'environnement qui protègent les milieux, régulent les chantiers d'importance et garantissent les droits des tiers.

Illustrations : le plan d'eau de Bussières à travers les âges (carte de Cassini du milieu du XVIIIe siècle, carte d'étang major du milieu du XIXe siècle, photographie aérienne du milieu du XXe siècle). 

19/02/2018

Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018)

Les lacs ont longtemps été l'objet d'étude central de la limnologie, terme forgé par François-Alphonse Forel dans son analyse du lac Léman au XIXe siècle et discipline considérée par certains comme le réel précurseur de l'écologie moderne. Deux géographes de l'Université d'Orléans constatent que, depuis un siècle, l'analyse des milieux lentiques peine à trouver son identité épistémologique. Ils proposent de conceptualiser le limnosystème comme l'ensemble des interactions à l'oeuvre dans l'émergence, le fonctionnement et le comportement des lacs, mares, étangs et autres eaux plus stagnantes que courantes. Au passage, les deux chercheurs égratignent une certaine hégémonie des enjeux lotiques dans l'analyse actuelle des systèmes fluviaux, notamment pour la mise en oeuvre de la DCE 2000 et de la LEMA 2006, ainsi que la tendance à séparer épistémologiquement des plans d'eau selon leur origine naturelle ou artificielle, au lieu d'étudier leur dynamique sans considération de valeur sur leur provenance. Une perspective que nous encourageons, à l'heure où grandissent partout les incompréhensions sur le sens, la motivation et l'intérêt de la destruction des plans d'eau.


Laurent Touchart et Pascal Bartout, géographes à l'Université d'Orléans (laboratoire CEDETE), dressent d'abord une rapide histoire de la limnologie, longtemps définie comme la science des systèmes lacustres. Les lacs ont tôt attiré l'attention des naturalistes, des géographes et des premiers écologues, au même titre que les îles dont ils sont en quelque sorte l'équivalent inversé (un ensemble "isolé" d'eau cerné de terre, ensemble ayant sa cohérence d'étude, avec une forte interdépendance des éléments internes, de nombreuses espèces endémiques pour les lacs anciens). Les limnologues sont aussi parmi les premiers contributeurs à la construction de l'écologique scientifique au début du XXe siècle : S. Forbes, R. Lindemann, G. Hutchinson, par l'influence de ce dernier E. Odum.

L'étude des lacs va très vite se trouver à la confluence des différentes écoles de recherche, avec la mise en avant du caractère systémique et intégrée, aux Etats-Unis, en Europe et en Russie. Au fil des travaux, les géographes y valorisent le biotope au sein d'un système fluvial, les biologistes y mettent en avant les biocénoses (ou biogéocénoses en Russie) au sein d'un écosystème lentique. Selon l'angle choisi, le caractère ouvert ou fermé est souligné. L'action humaine y est beaucoup étudiée sous l'angle de l'eutrophisation et de la pollution, plus sensible dans les lacs que dans les rivières en raison du moindre mouvement et du temps de résidence. Le schéma ci-dessous montrent les différentes inscriptions possibles du "limnosystème en tant que concept de géographie limnologique".

Cliquer pour agrandir. In Touchart et Bartout 2018, art cit, droit de courte citation

Pour les auteurs, il manque finalement une pensée du limnosystème en tant que tel (la plus ancienne mention du terme est celle du géologue suisse Jean-Michel Jaquet en 1989). Une définition formant programme de recherche est proposée :

"Le limnosystème est l’ensemble des interactions naturelles (en tant qu’écosystème lentique interagissant avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval et en tant qu’isolat favorisant l’endémisme interagissant avec l’ensemble du réseau hydrographique) et socioculturelles (comme rendant des services socio-économiques et possédant une identité culturelle) se produisant sur un territoire centré sur un plan d’eau, ce dernier se conduisant à la fois comme un aval collecteur et un amont moteur. Le limnosystème se décline en plusieurs échelles spatio-temporelles : le lac forme un limnosystème saisonnier de bassin, l’étang un limnosystème interdiurne de versant, la mare un limnosystème diurne dépendant. L’origine du limnosystème peut être indifféremment naturelle ou artificielle. Ainsi redéfini, le limnosystème devient un concept géographique par (i) son centrage, à la fois épistémologique et opérationnel, sur un objet géographique, le plan d’eau, (ii) ses caractéristiques multiscalaires, (iii) sa prise en compte sans hiérarchisation de valeur des faits de nature et de société."

Au passage, soulignant l'intérêt du concept d'anthroposystème apparu au début des années 2000 (Lévêque et al 2000, Lévêque et al 2003), Laurent Touchart et Pascal Bartout égratignent quelque peu la mise en oeuvre de la DCE 2000 et de la loi sur l'eau 2006 en France, constatant à la fois une hégémonie des systèmes lotiques (où l'ensemble lentique est perçu comme anomalie du continuum) et une dépréciation sans fondement des plans d'eau d'origine humaine :

"Si le limnosystème était conçu comme un anthroposystème limnique, il formerait un cadre plus opérationnel que l’actuel (…). Fortifié par les considérations épistémologiques précédentes, il aiderait sans doute, de façon pratique, à résoudre certaines contradictions de l’application française de la DCE que nous pourrions illustrer ainsi. Pourquoi un glissement de terrain qui barre une vallée et construit un lac est-il présenté comme une bénédiction permettant au réseau hydrographique d’enrichir sa biodiversité et la variété de ses habitats, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique, même si ce bouleversement a eu lieu récemment ? Pourquoi une digue construite pour barrer un vallon il y a mille ans, qui a donné naissance à un étang ennoyant une prairie humide inculte, dont les plantes marécageuses évapo-transpiraient de façon considérable, qui a laissé au cours d’eau le temps de rééquilibrer son profil en long, qui est intégré au système agro-pastoral traditionnel et a acquis une valeur culturelle et patrimoniale aux côtés d’un moulin, est-il présenté comme une atteinte intolérable à la nature, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique ?"

Référence : Touchart L, P Bartout (2018), Le limnosystème est-il un concept géographique ?, Ann. Géo., 719, 29-58.

A lire également : Touchart L (2002), Limnologie physique et dynamique, une géographie des lacs et des étangs, Paris, L’Harmattan, 395 p. ; Touchart L (2002), Géographie de l'étang: des théories globales aux pratiques locales, L'Harmattan, 230 p.

17/02/2018

Directive-cadre européenne sur l'eau, les raisons d'un échec programmé

La directive-cadre européenne sur l'eau, visant 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique dès 2015, est un échec majeur au regard de ses objectifs, tant en France que dans les autres Etats-membres. Cette directive devant connaître une révision substantielle à partir de 2019, il importe de faire le bon diagnostic de cet échec pour apporter les évolutions nécessaires. Nous pointons ici deux causes majeures de l'absence de progression rapide de la qualité des eaux : le manque de réalisme économique sur l'ampleur et le coût des interventions nécessaires; le choix du mauvais paradigme de l'état de référence, héritage d'une version datée de l'écologie. Il faut souhaiter que l'Etat français porte à Bruxelles le bon message en 2019. 

La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), promulgué en 2000, a été décrite comme la législation la plus ambitieuse au monde dans le domaine de l'eau. Elle se donnait pour objectif le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau (nappe, rivière, plan d'eau, estuaire) à l'horizon 2015, avec possibilité de proroger deux fois cette date butoir (échéances 2021, 2017).

La notion de bon état s'apprécie à partir d'une batterie d'indicateurs normalisés à travers toute l'Europe, portant sur l'appréciation des milieux biologiques, les mesures d'état physique de l'eau ou les taux de concentration de substances polluantes (près de 80) qui y circulent. Un seul facteur dégradé implique la dégradation de toute la masse d'eau. Certaines masses d'eau fortement modifiées sont jugées selon un potentiel d'état plutôt qu'un état.

Au regard de ses objectifs, la DCE 2000 est un échec.



Les graphiques ci-dessus (cliquer pour agrandir) montrent la situation au dernier bilan officiel des mesures rapportées à l'Europe, soit en 2013, pour les eaux de surface (source CGDD). Au total sur les bassins français, 43,5 % seulement des masses d'eau sont en bon ou très bon état écologique, 48,5% en bon état chimique, beaucoup de mesures manquaient dans l'état chimique.

Non seulement nous n'avons pas atteint les 100% de masses d'eau en bon état en 2015, mais les progressions observées depuis les premières mesures des années 2000 sont très lentes (quelques %) voire stables à intervalle de quelques années. C'est-à-dire qu'à ce rythme et malgré les environ 2,5 milliards € injectés chaque année dans la qualité de l'eau par les Agences de bassin, nous n'avons aucune chance d'atteindre l'objectif de 100% en 2027.

A la décharge de la France, elle se situe dans la moyenne européenne et d'autres pays ont des situations beaucoup plus dégradées que la nôtre.

Le manque de réalisme économique : une directive conçue sans estimation de faisabilité
L'explication la plus simple, mais aussi la plus paresseuse, consiste à incriminer tous les usagers de l'eau et tous les Etats. Si nous sommes en retard, c'est la faute des céréaliers qui ne réduisent pas les intrants et les pesticides, des industriels qui continuent de polluer ou réchauffer, des collectivités et des particuliers qui ne mettent pas assez vite leur assainissement aux normes, des barragistes et des moulins qui ne veulent pas détruire ou équiper leur ouvrage hydraulique, des irrigants qui pompent encore une eau plus rare, des éleveurs qui dégradent les berges, des automobilistes qui envoient des particules polluantes dans l'air donc dans l'eau par lessivage, des pêcheurs qui alevinent tout et n'importe quoi, etc.

Certes, chacun doit faire des efforts er c'est bien le sens des politiques engagées. Mais les "yakafokon" qui se limitent à ce genre de critique oublient qu'en démocratie, une politique publique n'évaluant pas sa faisabilité économique et son acceptabilité sociale n'est jamais qu'une mauvaise politique. Les efforts que l'on demande à chacun, ce sont à chaque fois des coûts (d'évitement, de compensation, de substitution), cela dans une économie ouverte et dans divers engagements européens ou internationaux de la France où l'on flatte par ailleurs la baisse des coûts, l'avantage compétitif, la hausse des pouvoirs d'achat, etc. A un moment, cette équation ne peut plus fonctionner.  L'approche systémique et intégrée de l'eau comme hydrosystème relié à tout le bassin versant est intellectuellement correcte, mais elle est économiquement lourde puisqu'elle regarde désormais l'ensemble des usages.

Dans le cas de la DCE, des économistes français ont par exemple montré récemment que son analyse coût-bénéfice est mauvaise dans la majorité des cas, en particulier dans les zones rurales à faible population mais fort linéaire de cours d'eau (Feuillette et al 2016). Ce genre d'observation justifie que la politique de l'eau (comme la politique des biens communs environnementaux en général) soit à forte composante publique dans son financement, avec certains objectifs écologiques sans équivalent monétaire. Mais nous atteignons alors la question de la limite des revenus fiscaux de l'eau que l'on peut attribuer chaque année aux besoins d'amélioration de la ressource ou à des objectifs de biodiversité qui ne sont pas toujours partagés par le corps social.

Dans son Blueprint for Water, la Commission européenne avait pointé entre autres problèmes le manque de connaissance et d'utilisation des instruments économiques dans la gouvernance de l'eau. L'OCDE avait formulé la même critique (OECD 2012). Comme l'observe dans un papier récent J Berbel et A Exposito "la DCE et la politique de l'UE dans le domaine de l'eau ont principalement été élaborées par des décideurs ayant une formation en hydrologie, en génie civil ou en administration publique. Jusqu'à présent, l'économie a joué un rôle secondaire, mais la DCE révisée devrait placer l'économie, et donc les économistes et les connaissances économiques, au cœur de la politique de l'eau de l'UE et au service de ses objectifs sociaux et environnementaux" (Berbel et Exposito 2018).

Encore faut-il que les économistes s'accordent sur les modèles d'estimation des biens, services, externalités liés à l'eau et à échelle de la collectivité : alors que nous sommes à la veille de la révision DCE, ce consensus paraît très loin d'être constitué. Avec le risque de reproduire les approximations à l'oeuvre depuis 2000 et de reconduire des objectifs sans les financements qui les garantiraient.

Le paradigme failli de l'état de référence : négation de la nature hybride et dynamique
Si la DCE 2000 rencontre l'écueil de la faisabilité économique de ses ambitions, le problème de cette directive est aussi plus profond et plus structurel. Il réside dans le choix de l'état de référence écologique comme objectif systématisé à chaque masse d'eau.

Gabrielle Bouleau et Didier Pont en rappelaient ainsi le principe : "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité." (Bouleau et Pont 2015).

En d'autres termes, les hauts fonctionnaires ayant conçu la DCE 2000 se sont imaginés que les rivières européennes, modifiées par 5000 ans d'occupations humaines sur les bassins versants, pourraient retrouver un état "naturel" ou "quasi-naturel" avec très peu d'influence anthropique en l'espace de 25 ans seulement… On critique parfois des politiques et des administratifs "hors-sol", il faut admettre que la réalité donne quelques fondements à ce grief.

Autant les indicateurs chimiques relèvent la présence ou l'absence d'une substance, paramètre en soi modifiable à la source dans beaucoup de cas, autant les indicateurs biologiques ou morphologiques se révèlent plus problématiques dans leur interprétation et leur pronostic d'évolution. En voici quelques raisons :
  • les systèmes naturels sont non réversibles, rien ne laisse penser qu'on reviendrait à un état antérieur et notamment "avant l'homme",
  • les systèmes naturels sont dynamiques et ne se stabilisent pas sur un point d'équilibre (ancienne vision du "climax" abandonnée en écologie),
  • le changement climatique est en train de modifier les écotypes de nombreuses rivières à travers leurs conditions hydrologiques et thermiques,
  • la biodiversité acquise depuis plusieurs millénaires (plus encore depuis 100 ans) est déjà considérable et elle dévie des assemblages de la biodiversité endémique,
  • les influences de tout le bassin versant (et non du seul tronçon de lit mineur) sur les propriétés de l'eau et des milieux suggèrent qu'un état de référence pré-humain engagerait la reconfiguration de tout le bassin versant (et non quelques actions ponctuelles sur le lit et la berge),
  • le temps de réaction des hydrosystèmes à des impacts ou des restaurations est assez largement inconnu, mais on sait déjà qu'il superpose des influences à toutes échelles (de l'heure au millénaire), avec aucun espoir que le quart de siècle de la DCE soit une période pertinente pour atteindre puis conserver un état donné.
Revenir à l'état de référence non perturbé relève donc d'un paradigme déchu, destiné aux plus grandes difficultés et incertitudes sur ce qui surviendra réellement dans nos eaux au cours des prochaines décennies. Et développer des modèles pression-impact-réponse trop simplistes ne produira pas les résultats attendus.

Voici près de 10 ans, Simon Dufour et Hervé Piégeay observaient déjà : "Au cours des deux dernières décennies, la restauration des rivières est de plus en plus devenue un domaine de recherche posant une série de questions complexes liées non seulement à la science mais aussi à la société. Pourquoi devrions-nous restaurer les écosystèmes? La restauration est-elle toujours bénéfique? Quand est-ce bénéfique? Quels devraient être les états de référence cibles? Qu'est-ce que le succès et quand peut-il être évalué? (… ) Bien que le désir de recréer le passé soit tentant, la science a montré que les systèmes fluviaux suivent des trajectoires complexes qui rendent souvent impossible le retour à un état antérieur. (…) Nous soutenons que la stratégie fondée sur les références devrait être progressivement remplacée par une stratégie axée sur les objectifs qui reflète les limites pratiques du développement de paysages durables et l'importance émergente de la prise en compte des services à la personne rendus par l'écosystème cible." (Dufour et Piégeay 2009)

La révision de la DCE en 2019 doit être l'occasion de repenser sa construction économique et son assise écologique.

16/02/2018

Un guide AFB-Irstea irrecevable pour le calcul de la consistance légale d'un moulin

A défaut de pouvoir faire disparaître le régime des moulins fondés en titre, l'administration française a entrepris depuis 2014 de vider ce régime de sa substance, en multipliant par décrets et arrêtés les complexités de remise en service des ouvrages hydrauliques anciens. L'Agence française pour la biodiversité et l'Irstea viennent ainsi de publier un rapport dédié à la méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre. Sa vocation est de s'imposer aux propriétaires ou bureaux d'études qui travaillent sur la relance de moulin. Or ce guide va produire plus de problèmes qu'il n'apportera de services. Sa complexité inutile est inapplicable pour les petits sites se relançant en autoconsommation ou en production modeste. Mais surtout, ce guide se base sur une prétention déplacée à renverser la définition jurisprudentielle et légale de la puissance maximale brute fondée en titre, allant jusqu'à donner des leçons de droit au Conseil d'Etat. Explications sur cet enième dérive de l'arbitraire administratif dans le domaine des ouvrages hydrauliques.


La puissance maximale brute d'un site est définie par la loi et codifiée dans le L. 511-5 du code de l'énergie : "La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur".

Lors de la relance d'un moulin, il est d'usage de considérer que sa consistance légale correspond à cette puissance maximale brute. La jurisprudence en a été établie par l’arrêt Ulrich du Conseil d’État (28 juillet 1866), où un usinier ayant changé ses mécanismes et augmenté sa puissance a vu reconnaître qu'il n'avait pas besoin de demander une autorisation, car la donnée importante est la "force motrice brute qui résulte du volume, de la hauteur et de la pente de la chute d’eau". Par extension, la puissance fondée en titre (consistance légale exploitable du site) est calculée par le débit entrant dans la propriété après diversion des eaux et par la hauteur totale entre le point d'entrée et le point de restitution (en sortie de bief), sans considération sur ce que le propriétaire peut faire techniquement de cette eau dérivée.

Cet équilibre législatif et jurisprudentiel relève d'un certain bon sens : dès lors que le droit d'eau fondé en titre peut dériver un débit, il l'exploite à sa convenance à impact égal de diversion du lit mineur de la rivière.

C'est cet équilibre que l'administration en charge de l'eau tente aujourd'hui de rompre, fidèle à son habitude de décourager la relance des ouvrages hydrauliques par des surcroîts de complexité et des pinaillages disproportionnés aux enjeux. Le rapport Irstea-AFB tente de rationaliser cette rupture.

Voici quelques exemples de désaccords ou d'imprécisions.

"Tout moulin doté d’un titre authentique ou dont l’existence avérée est antérieure à l’Édit des moulins de 1566 pour les cours d’eau domaniaux et à l’abolition du régime féodal du 4 août 1789 pour les cours d’eau non-domaniaux bénéficie d’un droit fondé en titre (MEEDDM, 2010)." (p. 8) 

Le droit fondé en titre est établi pour un moulin existant avant l'instruction législative des 12-20 août 1790 dans les rivières non domaniales. En effet, cette loi de l'Assemblée constituante instaure le "libre cours des eaux" garanti par les autorités départementales, et donc l'obligation de recevoir une autorisation administrative pour édifier un moulin ou autre ouvrage. Les moulins établis entre août 1789 et août 1790 sont donc également fondés en titre.

"La consistance légale est la puissance hydraulique brute que le moulin était autorisé à utiliser à l’origine de ses droits." (p. 9)

Cette définition est inexacte. Elle ne correspond pas à la loi ni à la jurisprudence, mais à une des deux hypothèses avancées dans l’arrêté du 11 septembre 2015.
"Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante :- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la côte légale, etc."

L'arrêté pose arbitrairement que l'on peut se référer à des éléments anciens, alors que cette méthode n'est pas retenue dans le code de l'énergie ni dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Et le texte du même arrêté convient que la puissance maximale brute est aussi recevable.

"Dans ce jugement et dans quelques autres décisions [du conseil d'Etat], il est fait une interprétation erronée de l’arrêt Ulrich" (page 11). 

Le Conseil d'Etat interprète le droit, et en la matière ses décisions peuvent être contredites par une instance supérieure (cours européennes). Il ne revient donc pas à l'Irstea ni à l'AFB de sortir de leurs compétences et de donner des leçons de droit à la plus haute juridiction administrative ni de "démontrer" que la jurisprudence se tromperait depuis l'arrêté Ulrich de 1866. C'est un non-sens : l'expert technique doit s'adapter à ce que dit le droit, et non pas essayer de le transformer.

"Le jugement n°393293 du Conseil d’Etat du 16 décembre 2016 précise l’applicabilité de la méthode : "Le juge administratif peut tenir compte notamment des mesures de dé- bit réelles effectuées sur le site par l’administration, à la condition toutefois que celle-ci démontre que ces mesures sont pertinentes pour apprécier la puissance maximale théorique" (p. 20)

Cet extrait sort l'arrêt du Conseil d'Etat de son contexte. Les magistrats ont rappelé que le calcul du débit maximal équipable (et non du débit dérivé ancien) s'applique aux fondés en titre dans ce considérant:
"4. Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit"
Donc l'administration peut effectuer des mesures de débits réels sur site, mais elle doit le faire dans le respect des dispositions législatives citées du code de l'énergie, dont on rappellera qu'elle s'impose aux dispositions réglementaires dans la hiérarchie des normes (le ministère de l'écologie peut prendre des arrêtés et décrets, mais pas s'ils sortent des définitions de la loi validées par la jurisprudence).

Au plan technique, le guide soulève par ailleurs certains points intéressants pour le calcul du débit. Mais ses présupposés le rendent inutilisables.

Ce guide a déjà été opposé à des pétitionnaires, qui nous en ont informés. Nous avons saisi certains partenaires nationaux de cette question en attirant l'attention sur la nécessité de produire par des ingénieurs et juristes un guide alternatif, fidèle à la loi et à la jurisprudence, opposable au service instructeur et au juge administratif, proposant des règles hydrauliques simples et éprouvées de calcul. D'ici là, le guide Irstea-AFB et la manoeuvre administrative de réduction de la consistance légale seront refusés. Un argumentaire complet sera fourni par notre avocat aux adhérents s'ils sont obligés de saisir le juge administratif pour constater l'absence de fondement juridique des demandes.

Dernier point : les deux fédérations de moulins, les deux syndicats d'hydro-électriciens et le syndicat des énergies renouvelables ont souhaité que la petite hydroélectricité soit placée sous la compétence de la direction énergie et climat du ministère de l'écologie (comme tous les autres producteurs), et non pas de sa direction eau et biodiversité. Cette requête est légitime et nécessaire. Depuis 10 ans, la direction eau et biodiversité axe son action de continuité en rivière sur la destruction des ouvrages hydrauliques. Elle ne fait que complexifier les normes en contradiction avec les attentes du gouvernement qui a demandé à ses administrations de les simplifier. Elle a nourri une très vive animosité des riverains à l'encontre des politiques publiques de continuité et n'a montré aucun intérêt pour le potentiel hydraulique des rivières, ce qui la rend peu à même d'accompagner dans de bonnes conditions la relance des moulins dans le cadre de la transition énergétique. Quant à l'Agence française pour la biodiversité, elle entretient la confusion sur son objet et sa pertinence en apposant son logo à ce genre de guide technique, qui devrait relever de l'Ademe.

Référence : Irstea, AFB D. Dorchies (2017), Méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre, 100 p.

15/02/2018

Trame verte et bleue : intégrer la biodiversité dans le paysage

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) vient de rendre public un rapport sur la mise en oeuvre par la France de la Convention européenne du paysage (2000), ratifiée en 2006. Parmi leurs constats : la Trame verte et bleue (corridors et continuités écologiques) a été pensée de manière parfois trop sectorisée et trop fermée par les acteurs de la biodiversité, en négligeant son intégration dans le paysage — ce dernier étant une notion plus large, bien perçue par les citoyens et plus fidèle à leurs attentes. Nous ne pouvons que souscrire à cette recommandation, et souhaiter sa mise en oeuvre pour l'aménagement du paysage des vallées françaises.


La Convention européenne du paysage (adoptée au Conseil de l’Europe le 19 juillet 2000) définit ainsi le paysage : "partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques". La définition est certes un peu technocratique, comme toujours avec l'Europe, mais l'élément essentiel y est : la perception par les gens. L'être humain n'habite pas la nature, il habite d'abord des paysages façonnés par la rencontre de la nature et de la culture au cours de l'histoire.

La France a ratifié en 2006 cette Convention européenne du paysage, ce qui l'engage à une amélioration de la qualité des paysages et une maîtrise de leur évolution. Le CGEDD vient de publier un rapport d'analyse des politiques paysagères de huit pays (Irlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne).

Le rapport du CGEDD formule huit recommandations dont la première et principale consiste à élaborer une stratégie nationale interministérielle du paysage.

Le rapport observe les résistances à la mise en œuvre des engagements européens de la France dans ce domaine, notamment les cloisonnements administratifs et disciplinaires, la faible incitation aux contributions citoyennes pour des actions locales, l'insuffisante sensibilité de certains gestionnaires à la reconquête qualitative du paysage.

Trame verte et bleue, une politique "sectorielle et verticale"
De manière intéressante, l'une des recommandations du CGEDD concerne la Trame verte et bleue, c'est-à-dire le réseau des continuités et corridors écologiques que la France met en place depuis le Grenelle de l'environnement de 2007.

Voici ce qu'observe le CGEDD à ce sujet :

"À la différence de l’Angleterre et de l’Allemagne, la France a choisi une conception restreinte du concept d’infrastructure verte essentiellement centrée sur la protection de la biodiversité : la Trame verte et bleue (TVB).

Les lois Grenelle de 2009 et 2010 auraient pu faire des continuités écologiques un enjeu pour l’aménagement durable du territoire mais la TVB française a eu pour seul objectif d’ «enrayer la perte de biodiversité», même si elle «contribue à [...] améliorer la qualité et la diversité des paysages», tout en «prenant en compte les activités humaines». La TVB s’affirme comme une politique sectorielle et verticale. Il en résulte une conception restreinte et fonctionnelle du foncier et une adhésion des acteurs locaux incertaine, au-delà de la prise en compte – souvent a minima – des «corridors» et «réservoirs» de biodiversité dans les documents d’urbanisme.

Or, l’infrastructure verte, telle que conçue par l’Union européenne et mise en œuvre ou envisagée dans quelques pays, n’est pas une politique mais un outil au service d’une politique d’aménagement, de programmation et de planification, véritable armature territoriale qui s’appuie sur l’approche paysagère des espaces ouverts. Cet outil offre la possibilité d’une conception et d’une gestion coordonnée de l’aménagement d’un espace. (…)

En France, la démarche de «corridor écologique» ou «trame verte et bleue» mériterait donc d’être développée et étendue à une véritable approche multifonctionnelle du paysage. Il s'agirait donc, tout en préservant la biodiversité, de limiter l’espace «artificialisé» dans une perspective de développement durable, de prendre en compte des effets du changement climatique (notamment les risques naturels induits) et des aspirations des citoyens à une amélioration de leur cadre de vie, rural et urbain et de leur vie quotidienne. Le récent rapport commandé par la DGALN à l’Association des paysagistes-conseils de l’état (APCE) préconise le recrutement d’équipes pluridisciplinaires pour élaborer ou réviser ces trames à l’échelon régional ou local. Il ne va pas toutefois jusqu’à affirmer la multifonctionnalité de ces espaces ou le lien ville-campagne qu’ils peuvent représenter, comme c’est aujourd’hui le cas dans les expériences d’outre-Manche ou comme le suggère la Commission européenne.

Il faut donc utiliser l’approche paysagère pour aller plus loin.

Recommandation [à la DGALN] : élargir la Trame verte et bleue au-delà de la biodiversité à une approche territoriale multifonctionnelle structurant le paysage rural et urbain."

La rivière et sa plaine alluviale demain : renaturation ou interrelation ? 
Au-delà des observations du CGEDD sur l'excès de compartimentation et spécialisation de l'action publique, l'évolution souhaitée ne sera possible qu'au prix d'une réflexion pluridisciplinaire sur les rapports entre paysage et biodiversité, notamment pour la Trame bleue.

On sait qu'une partie de la  politique de biodiversité en France est séduite par le paradigme de la "renaturation", dont l'idéal implicite est une suppression des impacts humains sur les bassins versants, notamment morphologiques, avec une non-intervention ou intervention minimale sur le lit mineur et la plaine alluviale. On sait aussi que la forme lotique est vue par certains comme la forme "normale" et désirable d'eau courante, toute exception lentique (lac, retenue, plan d'eau, étang) devenant anomalie du continuum. Cette vision subjective est possible, mais sa logique conduit à opposer la nature à la culture, le sauvage au maîtrisé, pour préférer le premier terme. Et pourtant, si l'on prend l'exemple du Morvan, les centaines d'étangs, plans d'eau et lacs apparus au cours des derniers siècles du fait de l'action humaine ne font-ils pas partie désormais de l'identité paysagère régionale, d'ailleurs souvent valorisés par les acteurs du territoire quand il s'agit de le faire connaître? Et ces zones n'hébergent-elles pas une biodiversité nouvelle et riche, outre parfois celle endémique à la région?

Si l'on veut que biodiversité et paysage dialoguent dans la perspective d'aménagement des vallées, il faudra donc prendre en compte les relations dynamiques des actions humaines et naturelles, comme l'écrivit le Conseil de l'Europe en 2000, c'est-à-dire accepter également des formes données par l'homme à la rivière et à son lit majeur. Ainsi que le caractère évolutif, et non statique, de la biodiversité.

Référence : CGEDD, JL Cabrit, MC Soulié, PJ Thibault (2017), Démarches paysagères en Europe. éléments de parangonnage pour les politiques publiques françaises, Rapport n° 010731-01, 174 p.

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14/02/2018

Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques

Nous avons montré qu'entre 2007 et 2017, l'Onema employait davantage le mot continuité que les mots pollution, changement climatique ou espèce exotique sur l'ensemble du contenu de son site internet. Mais après tout, ces répartitions de fréquence pourraient-elles être le reflet des contenus de la littérature scientifique sur la même période? Il semble que non : en lien au thème de la rivière, la science parle 3 fois plus du changement climatique mais 8 fois moins de la continuité. Cette dernière semble décidément avoir été une marotte de l'Office. Au détriment d'autres interrogations plus contemporaines? 

En réaction à notre article sur les thèmes traités par l'Onema, un lecteur a fait en commentaire une hypothèse intéressante : le poids relatif des mots clé que nous avions comparés (continuité, pollution, changement climatique, espèce exotique) pourrait être le reflet des interrogations les plus en pointe de la communauté scientifique, et non pas particulièrement des problèmes ou programmations des rivières. Donc pendant ses 11 ans d'existence, l'Onema parlerait davantage sur son site des sujets les plus traités par les chercheurs. Ce qui serait conforme à son rôle de conseil scientifique et technique des politiques publiques.

Pour trouver une première confirmation ou infirmation de cette hypothèse, nous avons fait une recherche rapide sur Google Scholar, en article entier, avec les 4 thèmes filtrés par une association au mot "river", sur la même période 2007-2017.

La requête donne 853 K résultats pour le changement climatique, 338 K pour la pollution, 67 K pour la continuité et 20 K pour les espèces exotiques.

Pour comparer le poids relatif de chacun de ces items dans l'ensemble comparé, ils ont été renormalisés sur total 100 dans le graphique ci-dessous.


L'hypothèse de notre lecteur n'est pas confirmée.

  • En association aux rivières, le changement climatique revient beaucoup plus souvent (3 fois plus) dans la littérature scientifique que chez l'Onema. C'est le 1er mot dans les publications indexées sur Scholar, le 3e seulement chez l'Onema. 
  • La pollution, 2e place dans les deux corpus, est à peu près similaire. 
  • La continuité confirme son anomalie forte dans le contenu de communication de l'Onema : le mot y est en tête, et surtout 8 fois plus présent que dans les publications peer-reviewed, où sa place reste modeste (12 fois moins important que le climat, 5 fois moins que la pollution). 
  • Enfin, l'Onema évoque davantage les espèces exotiques (5 fois plus) que la littérature scientifique sur les rivières. 
Une recherche plus détaillée sur les abstracts et dans les bases scientifiques Thomson-Reuters, avec des champs sémantiques plus complets, pourrait faire évoluer cette première approximation. Cela excède notre mission associative : nous espérons que des chercheurs en sciences sociales auront l'occasion de mener plus avant ce type d'interrogation sur la construction, la formulation et la diffusion de savoirs publics dans le domaine de l'eau en France.  

13/02/2018

Un "ouvrage irrégulier" ? Nouvelle tentative de contournement de la loi par les DDT-M

Depuis quelques semaines, certaines DDT(-M) tentent de mettre en avant la notion d'un "ouvrage irrégulier" pour refuser le délai de 5 ans dans la mise en oeuvre de la continuité écologique au titre du L 214-17 CE ou pour refuser l'exemption de continuité au titre du L 214-18-1 CE. Explications et arguments pour se défendre.


La mauvaise gouvernance de la réforme de continuité écologique et les rapports déplorables des services de l’Etat (DDT-M, AFB) avec les propriétaires de moulin et les exploitants en petite hydro-électricité ont déjà été reconnus par deux rapports d’audit administratif du CGEDD 2012 et 2016.

Des réformes étaient souhaitées par le CGEDD :  elles n’ont pas été engagées par l’administration.

Les parlementaires, informés de ces réalités et inquiets de leur dérive, ont déjà modifié à quatre reprises le régime de la continuité écologique entre 2015 et 2017 (loi patrimoine, loi biodiversité, loi montagne, loi autoconsommation). Ils ont pris soin de préciser lors des débats qu’il fallait cesser l’acharnement à détruire le patrimoine ou à exiger des dépenses exorbitantes à des particuliers, ce qui n’avait jamais été le texte et l’esprit de la loi sur l’eau de 2006.

Hélas, une partie de l'administration persiste aujourd'hui dans cette attitude négative. La croisade insensée d'incitation à la destruction du patrimoine par la menace réglementaire et le chantage financier n'a toujours pas cessé. Le découragement de la relance hydro-électrique des moulins s'est même accentué, en contradiction flagrante avec la politique de transition énergétique.

Ainsi, pour refuser le délai de 5 ans supplémentaires prévu par le réforme du L 214-17 CE ou pour refuser la dérogation du L 214-18-1 CE pour les moulins équipés pour produire de l'électricité, les DDT-M tentent une interprétation de la notion d'ouvrage "régulièrement autorisé", mentionnée dans ces textes.

Dans un premier cas qui nous a été soumis, la DDT mettait en avant un rapport selon lequel le moulin avait été modifié dans les années 1960 et ne possédait plus (selon la DDT) un élément nécessaire à l'usage de la puissance de l'eau. Le propriétaire n'était pas d'accord. Quoiqu'il en soit, un simple rapport n'a pas de valeur opposable, c'est un élément de procédure contradictoire. Si la DDT considère que le droit d'eau est caduc, elle prend un arrêté préfectoral pour en déclarer l'abrogation. Cet arrêté peut alors être attaqué devant le tribunal administratif, et c'est seulement si le contentieux est perdu par le propriétaire que l'arrêté prend effet et que la remise en état de la rivière est exigible. Mais tant que cela n'est pas fait, une DDT-M n'est pas fondée en droit à prétendre que l'ouvrage est "irrégulier" au plan réglementaire ou légal. C'est un excès de pouvoir.

Dans le second cas qui nous a été soumis, la DDT-M mettait en avant le fait que la rivière avait été classée cours d'eau poissons migrateurs par décret au titre de l'ancien article L 432-6 CE (l'ancêtre du L 214-17 CE, déjà imposé par le lobby pêche en 1984, déjà inappliquable donc déjà inappliqué). Pour cette DDT-M, l'ouvrage n'ayant pas réalisé de passe à poissons dans le délai imparti par l'ancien article L 432-6 CE, il serait aujourd'hui irrégulier. Est cité un arrêt de la cour d'appel de Nancy (n°15NC00542). A notre connaissance, cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, pas encore instruit.

Cet argument n'est pas plus recevable : l'article L 432-6 du code de l'environnement est abrogé et a cessé de produire effet, la continuité écologique est exigible au titre du L 214-17 CE depuis le classement des rivières en L1 ou L2 (2012 ou 2013). Il en résulte que l'administration doit respecter les obligations que lui a assignées la loi de 2006 et les réformes subséquentes du L 214-17 CE:
Si l'administration n'a pas rempli ces obligations à la première échéance de 5 ans après le classement (soit avant 2017 ou 2018 selon les bassins), elle est en tort.

Telle est la position que nous défendons, et défendrons devant les tribunaux si les désaccords persistent sur la continuité écologique. Nous rappelons que les propriétaires et les riverains profitant de leurs biefs ou retenues ont tout intérêt à :
  • rejoindre une association ou à se constituer en collectif sur chaque rivière,
  • se coordonner pour défendre une position claire et solidaire,
  • saisir les députés et sénateurs de leurs problèmes en demandant systématiquement aux parlementaires d'interpeller le ministre de l'écologie sur la dérive de son administration,
  • saisir les médias pour informer l'opinion des pratiques de destruction du patrimoine hydraulique, de son paysage et de sa biodiversité sur argent du contribuable. 
Quand l'administration française proposera une version intelligente et ouverte de la continuité écologique, les moulins auront vocation à s'y intégrer. Tant qu'elle se fera le chantre d'une vision intégriste de la renaturation non prévue dans la loi, elle perdra sa légitimité et ne produira que de la conflictualité.