12/06/2019

La réalité des écosystèmes culturels questionne la cohérence de l'écologie de la restauration (Evans et Davis 2018)

Deux chercheurs en science de l'environnement s'interrogent sur les liens entre la restauration écologique et les "écosystèmes culturels", définis comme les modifications de milieux par l'activité humaine au cours des siècles et millénaires passés. Comme un nombre croissant de collègues, ils expriment le besoin de sortir l'écologie de la référence à un état naturel non modifié par l'homme, qui fait de moins en moins sens au regard des observations et connaissances sur l'ancienneté de la fabrique humaine de la nature telle que nous la voyons aujourd'hui. L'écologie doit-elle dépasser l'amnésie et l'utopie d'une nature atemporelle qui pourrait rester toujours identique à elle-même? Comment la société peut-elle participer à la construction des états de nature qu'elle désire?   


Le contrôle de l'eau dans l'hydraulique maya, site de Palenque, rivière Otulum.

La société pour la restauration écologique (SER, Etats-Unis), groupe de praticiens et théoriciens, a proposé en 2016 un "Standard international pour la pratique de la restauration écologique". Celui-ci donne lieu à d'intéressants débats entre experts, où l'on s'aperçoit que la restauration écologique ne coule pas de sources dans ses méthodes, ses paradigmes et ses finalités.

Nicole M. Evans et Mark A. Davis (université de l'Illinois) observent ainsi que le Standard proposé prend en compte la notion d'écosystème culturel, défini comme "les écosystèmes qui se sont développés sous l'influence conjointe des processus naturels et des organisations imposées par l'homme pour fournir une structure, une composition et une fonctionnalité plus utiles pour l'exploitation humaine".

Mais selon cette définition, font remarquer Evans et Davis, "il semble que tous les écosystèmes sont culturels, de manière plus ou moins prononcée". La SER a tenté d'anticiper la critique en parlant de systèmes qui resteraient dans une fourchette de "variation naturelle". Le Standard de la SER parle aussi des écosystèmes culturels pré-industriels qui "montrent des états très similaires à ceux survenant dans des aires non modifiées". Mais, notent Evans et Davis, "alors que la majeure part de la littérature scientifique démontre que les peuples indigènes de l'âge préindustriel étaient des forces majeures sur leurs écosystèmes (Martinez 2003; Krech 2000; Anderson 2005), le Standard dépeint leurs paysages comme des états non modifiés. Un rapide examen de plusieurs exemples montre pourquoi cette généralisation est une représentation grossière et une simplification excessive des peuples du passé et de leurs impacts".

Parmi les exemples, les auteurs rappellent l'exploitation très large de la forêt amazonienne à l'époque pré-colombienne, l'influence cumulée de l'agriculture européenne depuis l'Antiquité, les changements majeurs ayant accompagné l'arrivée de l'homme en Australie et dans la zone océanique.

Les universitaires mettent en avant plusieurs "implications conceptuelles" de leurs critiques:
"Les états naturels [de référence] ne doivent pas être la base pour déterminer si une activité remplit les conditions requises de restauration écologique, car cela pourrait empêcher la restauration nécessaire dans de nombreux endroits dans le monde"

"Lors du choix des références, l’idée d'une référence "originelle" intacte devrait être remplacée par des manières plus nuancées de considérer des impacts bons, mauvais et neutres de l'homme sur des écosystèmes, non basées sur une division de temporalité pré- et post-industrielle"

"Un point de départ pour marier la restauration culturelle et la restauration naturelle est d'intégrer des considérations sociales, culturelles et politiques à côté des considérations écologiques"

Discussion
La question de la "naturalité" ou de l'"état de référence" des systèmes naturels est un problème en écologie de la restauration. Evans et Davis le pointent ici à travers les usages historiques traditionnels de la nature ou les effets de la colonisation, mais leurs objections sont généralisables : nous ne sommes jamais passés d'un état de nature originelle à un état de nature modifiée par une transition brutale aux causes identifiables et réversibles, mais par un long travail de transformation de l'environnement par toutes les grandes civilisations passées et présentes. La modernité accélère bien sûr le phénomène depuis deux siècles, par la croissance démographique et par les moyens technologiques inédits (d'où la proposition de nommer notre époque géologique "Anthopocène"). Mais si nous pouvons, par conscience environnementale nouvelle, choisir de moins modifier certains milieux (par exemple moins exploiter les forêts, moins barrer les rivières, moins artificialiser les sols, moins émettre de carbone, moins produire de polluants persistants, etc.), nous ne pouvons pas pour autant effacer les usages passés ni cesser complètement d'influer sur la nature au vu des besoins ou des préférences socio-économiques des humains. L'évolution étant non réversible, avec une complexité combinatoire des influences entre facteurs biotiques et abiotiques, nous ne pouvons pas davantage revenir à un état bien défini de conditions passées (que ces conditions soient biologiques, thermiques, hydrologiques ou autres).

Si les écosystèmes sont en réalité des co-créations culturelles, techniques et naturelles, ou des phénomènes fondamentalement hybrides comportant une part de volonté humaine dans leur condition d'existence, que voulons-nous pour leur avenir? Pourrions-nous, par exemple, créer volontairement des configurations nouvelles d'habitats et de biodiversités? Avons-nous, sur les états de la nature, la même liberté que sur les états de la culture? Que devons-nous faire d'habitats anciens ou récents qui ont fini par héberger des faunes et des flores propres, parfois endémiques, parfois exotiques, mais ayant en tout état de cause leurs diversités spécifique, génétique, fonctionnelle?

Ces questions sont d'actualité puisque l'écologie de la restauration est devenue une politique publique, impliquant des dépenses et des contraintes, donc des débats démocratiques sur les finalités et les justifications de l'action. Malheureusement, les connaissances sur l'écologie restent peu diffusées, les réflexions à son sujet moins encore : la discussion est trop souvent réduite à des effets d'annonce, les choix alternatifs ne sont pas exposés ni pensés avec clarté, certaines options sont (indument) présentées par effet d'autorité comme le seul discours légitime au plan scientifique ou épistémologique. Une situation qui doit changer, car elle est défavorable à des choix avisés et informés sur l'avenir commun des sociétés et des milieux. En France, cela passe par une réforme en profondeur de la gouvernance publique de ces questions, aujourd'hui défaillante à produire de l'information, de la participation et de la délibération de qualité.

Référence : Evans NM et Davis MA (2018), What about cultural ecosystems? Opportunities for cultural considerations in the International Standards for the Practice of Ecological Restoration, Restoration Ecology, 26, 4, 612–617.

A lire sur ce thème
Les nouveaux écosystèmes et la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018) 
Restauration de la nature et état de référence: qui décide au juste des objectifs, et comment? (Dufour 2018)
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017) 
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015) 
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015) 

10/06/2019

Moulin : la relance d'un fondé en titre n'est pas soumise aux formalités de l'autorisation

A l'occasion d'un contentieux entre deux moulins - le moulin amont s'estimant lésé par la relance du moulin aval -, la cour d'appel de Nancy rejette la demande du plaignant, reconnaît la relance de l'ouvrage fondé en titre à l'aval et rappelle que la procédure de porté à connaissance de la remise en service (article R 214-18-1 code environnement) n'est pas assimilable à une autorisation. L'ouvrage étant déjà autorisé, les tiers ne peuvent exiger des enquêtes publiques, des dossiers d'impact IOTA-ICPE propres aux autorisations ni des consultations de l’autorité environnementale. C'est du bon sens puisque le site est en place, donc le seul changement concerne la relance hydro-électrique dans la chambre d'eau ou le coursier de roue, non une artificialisation supplémentaire du milieu ou un prélèvement différent de l'eau. 


Par arrêté du 2 septembre 2015, le préfet du Jura a autorisé un pétitionnaire à disposer de l’énergie du cours d’eau de la Cuisance afin de remettre en exploitation son moulin et de créer une microcentrale électrique. Un autre moulin situé en amont s'estime lésé par cette décision, et il a requis son annulation au tribunal administratif de Besançon.

La cour d'appel de Nancy vient de statuer et de rejeter la demande du plaignant, reconnaissant la valeur de la remise en service du moulin aval.

Outre un point de fait non établi par le plaignant (rehausse de l'ouvrage par rapport au 18e siècle), on retient les points de droit suivant :

"Le préfet ayant retenu cette hauteur pour fixer la puissance maximale brute hydraulique de l’installation à 68,4 kilowatts, il a pu légalement, sur le fondement du 1° du II de l’article R. 214-18-1 du code de l’environnement précité, reconnaître le droit fondé en titre attaché à l’ouvrage et sa consistance légale. Par conséquent, la remise en exploitation des installations litigieuses ne nécessitait, contrairement à ce que fait valoir M.F..., aucune autorisation

En deuxième lieu, la remise en exploitation des installations litigieuses n’étant pas soumise à autorisation, les moyens tirés de l’absence d’enquête publique, du caractère incomplet du dossier et de l’absence de consultation de l’autorité environnementale ne peuvent qu’être écartés comme inopérants." 

Cela signifie qu'une relance de moulin fondé en titre (avant 1790 en rivière non domaniale, avant 1566 en rivière domaniale) ou fondé sur titre d'une puissance de moins de 150 kW (entre 1790 et 1919) relève de la simple déclaration au préfet et n'est nullement assimilable à une procédure d'autorisation, avec les formalités qu'implique l'autorisation.

Cette décision de la cour propose une lecture logique et attendue du droit. Le préfet peut constater la perte du droit d'eau pour ruine ou pour changement d'affectation, il peut dans des cas de force majeure établis par ses services (risque démontré sur la sécurité et la salubrité) dénoncer l'existence d'un ouvrage, mais il ne peut empêcher une relance d'ouvrage autorisé, ni exiger une nouvelle autorisation alors que l'ouvrage est déjà régulièrement installé dans sa consistance légale, disposant à ce titre du droit d'usage de l'eau. Il en va donc de même pour les tiers, qui ne peuvent invoquer un changement de l'équipement énergétique d'un site déjà autorisé pour exiger des procédures non requises en ce cas.

Source : Cour d'appel administrative de Nancy,  arrêt n°18NC00456, 25 avril 2019

07/06/2019

La Trame verte et bleue fondée sur une erreur? La fragmentation des milieux serait favorable à la biodiversité (Fahrig et al 2019, Fahrig 2017)

Depuis 50 ans, articles et traités d'écologie tiennent pour plus ou moins acquis que la fragmentation d'un milieu est mauvaise pour sa biodiversité. C'est le principe sous-jacent de la continuité écologique avec la Trame verte et bleue en France: rétablir des grands milieux continus. Or les travaux d'une chercheuse (Lenore Fahrig) en 2017, appuyée par 20 autres experts internationaux en 2019, suggèrent que cette hypothèse est fausse. A surface équivalente d'habitat, la fragmentation est sans effet sur la biodiversité dans 70% des cas, et quand elle a un effet significatif, cet effet est positif dans 76% des cas. Cela se vérifie pour les espèces menacées de la liste rouge de l'IUCN. Les chercheurs appellent à un renversement de perspective en ce domaine, en prêtant davantage d'attention à chaque micro-milieu même fragmenté plutôt qu'en cherchant principalement l'extension d'un paysage continu.  Si ces travaux concernent essentiellement les milieux terrestres, ils doivent de toute urgence être testés sur les milieux aquatiques, car de nombreuses autres recherches suggèrent que la fragmentation, sûrement défavorable à quelques espèces spécialisées, pourrait être bénéfique pour le vivant à échelle de la diversité bêta des rivières et de la diversité gamma des bassins. De plus, cette fragmentation dans le cas des ouvrages de type seuils et barrages augmentent la surface et le volume en eau, donc le milieu d'accueil des espèces. Notre association avait demandé l'an dernier à l'AFB et au ministère de l'écologie un examen de ces hypothèses, par un rapport complet et documenté sur la question: aucune suite à ce jour. Mais on attend des politiques publiques de l'écologie fondées sur des données, pas des dogmes.

La fragmentation de l'habitat est un concept important en écologie scientifique depuis près d'un siècle. Dans un premier temps, sur les milieux terrestres, on a mis en évidence que la persistance de systèmes prédateurs-proies dépend de la disponibilité de refuges distincts pour les proies (Gause 1934) et que la division d’une ressource alimentaire en un grand nombre de "patch" (parcelles) permet au système prédateur-proie de perdurer en fournissant des sites de refuge temporaire pour proies se déplaçant dans le temps et l’espace (Huffaker 1958). Ainsi la parcellisation ("pathchiness") ou fragmentation de l'habitat était associée au concept d'hétérogénéité spatiale et généralement considérée comme ayant une influence positive sur les réponses écologiques au niveau de la population et des communautés d'espèces (biocénoses). Mais tout cela a changé avec l’extrapolation par Levins (1970) de la théorie de la biogéographie insulaire de MacArthur et Wilson (1967), disant qu'un habitat réduit est toujours un prédicteur d'extinction. Depuis lors, comme le note Lenore Fahrig (2017), "la parcellisation a été associée au concept de fragmentation de l'habitat et est généralement considérée comme ayant une influence négative sur les réponses de la population et des communautés".

Ce schéma illustre les deux visions concurrentes : dans la première (en haut), la fragmentation est synonyme d'hétérogénéité spatiale et de diversité écologique ; dans la seconde, elle est synonyme de fragmentation d'un milieu continu et de perte de diversité écologique.


Extrait de Extraits de Farhig 2017

Mais comme le remarque Lenore Fahrig, le point non éclairci est de savoir si la fragmentation est mauvaise en soi ou si elle est mauvaise uniquement dans le cas où elle réduit la surface totale des habitats. Ce schéma aide à le comprendre :


Extrait de Farhig et al 2019

Dans cet exemple théorique, on voit un paysage formé de 30% d'habitats (verts) étudiés dans les cas A et B, de 15% dans les cas C et D. On voit aussi une fragmentation en parcelles (pacth) plus forte dans les cas B et D par rapport aux cas A et C. La question est de savoir si la fragmentation en soi (sans le paramètre de la quantité totale d'habitat) est mauvaise ou bonne, c'est-à-dire s'il y a moins ou plus d'espèces dans la situation B par rapport à A, ou D par rapport à C.

En 2017 Lenore Fahrig a passé en revue 118 études rapportant en détail 381 réponses significatives à des fragmentations d'habitat, et permettant de tester son hypothèse discriminante selon la surface de l'habitat.

Ces graphiques montrent les résultats (cliquer pour agrandir) :



Extrait de Fahrig et al 2017

Ils sont sans ambiguïtés : les effets positifs (bleu) de la fragmentation s'observe beaucoup plus souvent, notamment pour la qualité de l'eau, les plantes, les micro-organismes, les invertébrés, les reptiles et poissons, les oiseaux, les mammifères (cadre B), et c'est aussi vrai si l'on prend le critères des espèces menacées dans la liste rouge de l'IUCN (cadre E)).

Les travaux de Lenore Fahrig avaient été contestés en 2018 par R.J. Fletcher et des collègues (références ci-dessous). Mais dans la revue  Biological Conservation, plus de 20 experts internationaux soutiennent que les calculs de Farhig 2017 sont corrects, et qu'ils ont des implications importantes pour la conservation de la biodiversité.

Voici le résumé de leur position :
"Dans une revue d'études empiriques à l'échelle du paysage, Fahrig (2017) a constaté que les réactions écologiques à la fragmentation de l'habitat en soi (fragmentation indépendante de la quantité d'habitat) étaient généralement non significatives (> 70% des réponses) et que 76% des relations significatives étaient positives, l'abondance, l'occurrence, la richesse et d'autres variables de réponse des espèces augmentant avec la fragmentation de l'habitat en soi. Fahrig a conclu qu'il n'existait à ce jour aucune preuve empirique à l'appui de l'hypothèse répandue selon laquelle un groupe de petites parcelles d'habitat a généralement une valeur écologique inférieure à celle de grandes parcelles de la même superficie totale. 
Fletcher et al. (2018) contestent cette conclusion, arguant que la littérature à ce jour indique des effets écologiques généralement négatifs de la fragmentation de l'habitat en soi. Leur argumentation repose en grande partie sur une extrapolation des schémas et des mécanismes à l'échelle d'une parcelle (effets de la taille et de l'isolation de la parcelle, effets de bordure) sur les effets de la fragmentation de l'habitat à l'échelle du paysage. 
Nous soutenons que cette extrapolation n’est pas fiable pour les raisons suivantes: (1) elle ignore d’autres mécanismes, en particulier ceux agissant à l’échelle du paysage (par exemple, diversité accrue de l’habitat, extension du risque, complémentation du paysage) et pouvant contrecarrer les effets des mécanismes documentés à l’échelle de parcelles; (2) l'extrapolation d'un mécanisme à petite échelle à un modèle à grande échelle n'est pas une preuve de ce modèle, mais plutôt une prédiction qui doit être testée à grande échelle. Ces tests ont fait l'objet du passage en revue de Fahrig : nous ne trouvons aucun appui à l’affirmation de Fletcher et al. selon laquelle un parti-pris modifierait les conclusions. Nous encourageons d'autres études empiriques à l'échelle du paysage sur les effets de la fragmentation de l'habitat en soi, ainsi que des recherches visant à découvrir les mécanismes qui sous-tendent les effets positifs de la fragmentation."
Les auteurs ajoutent dans la conclusion de cet article de 2019 :
"Partout dans le monde, la protection de l'habitat met presque toujours l'accent sur les grands habitats «intacts» tout en ignorant les petites parcelles d'habitat, même lorsqu'elles couvrent une superficie totale importante. Par exemple, la plupart des petites zones humides ont peu ou pas de protection (analysé par Hill et al 2018). (...) L'hypothèse répandue selon laquelle les effets de fragmentation sont importants et négatifs a clairement contribué à ce manque de préoccupation pour la conservation des petites parcelles. Cela a conduit à l'érosion cumulative d'habitats naturels, une petite parcelle à la fois, car la perte de ces parcelles passe inaperçue, même dans des paysages fortement dégradés (Arroyo-Rodríguez et al 2009; Bennett et Arcese 2013; Tulloch et al 2016). Une première étape pour mettre fin à la perte d'habitat et au déclin de la biodiversité est la reconnaissance générale qu'il n'y a aucune justification biologique empirique à une règle générale attribuant automatiquement une valeur de conservation inférieure aux petites parcelles à une superficie équivalente à l'intérieur de grandes parcelles. Toute perte d'habitat a des conséquences écologiques."
Il est notable que l'analyse de Hill et al 2018, recensée sur notre site, concerne aussi bien des hydrosystèmes artificiels comme des lacs, étangs, canaux, mares, fossés, etc.

Discussion
Dans tous les manuels d'écologie depuis 50 ans, on trouve l'idée que la fragmentation de l'habitat est mauvaise en soi pour la préservation de la diversité biologique. Ce modèle est ce qui explique l'importance donnée à la "continuité écologique", dont une traduction concrète est par exemple la Trame verte et bleue en France.

Or, comme le rappellent ces échanges entre experts sur la fragmentation, on ne doit pas valider trop vite des modèles et des hypothèses en science, et en particulier dans des sciences jeunes étudiant des systèmes complexes avec peu de données de qualité sur le long terme, comme c'est le cas de l'écologie.

Les principales conséquences des travaux de Lenore Fahrig (si leurs conclusions sont confirmées par d'autres recherches) sont que :
  • les notions de continuité ou de fragmentation ne sont pas des règles absolues et universelles, dans certains cas (76%) la fragmentation est positive, dans d'autres (24%) elle est négative, on n'a donc pas de prédiction forte ni de généralisation possible;
  • l'attention première en écologie de la conservation doit être porté à chaque milieu, y  compris de petites dimensions, sans poser simplement qu'un grand milieu continu sera forcément meilleur.
Les biomes terrestres forment l'essentiel de l'étude de Lenore Fahrig. Il importe de mener des études similaires sur les milieux aquatiques continentaux. Notre association a publié un dossier complet sur cette question, et elle a demandé en 2018 à l'AFB et au ministère de l'écologie de lancer des études sur les écosystèmes aquatiques anthropisés, en particulier des ouvrages hydrauliques en lit mineur et de leurs annexes (voir Hydrauxois 2018). De nombreux travaux de recherche scientifique suggèrent en effet que ces habitats ont de l'intérêt en soi et qu'ils peuvent préserver voire augmenter la bêta diversité à échelle de bassin. A plus grand échelle, on a trouvé par exemple en France que la richesse spécifique piscicole n'évolue pas significativement avec la fragmentation chez Van Looy et al 2014 (à tout prendre, elle évolue positivement), ce qui est aussi retrouvé chez Kuczynski et al 2018, que des ouvrages et canaux artificiels peuvent agir comme corridor aussi bien que des linéaires naturels (Guivier et al 2019); en Espagne que des ouvrages aident à protéger la diversité des poissons de tête de bassin par rapport à l'aval (Vera et al 2019) ce qui est aussi vrai en Italie (Manenti et al 2018) ; dans le monde que la fragmentation physique de milieux d'eaux douces est associé à la diversité des poissons (Tedesco et al 2017)...

Ces quelques exemples récents indiquent l'urgence de ré-examiner la question à nouveaux frais. D'autant que les ouvrages en milieu aquatique augmentent la surface et le volume du milieu de vie disponible (eau douce) par rapport à une situation naturelle. Du moins les ouvrages en travers (seuils, barrages), ce qui n'est pas cas des ouvrages en berge empêchant au contraire l'eau de se répandre sur le lit majeur.

Il y aurait des moyens relativement simples d'avancer dans nos connaissances empiriques sur ces sujets : par exemple faire des analyses par ADN environnemental de la diversité totale faune-flore (pas juste les poissons) à l'exutoire de rivières comparables en usage des sols du bassin, linéaire, hydro-éco-régions, mais des rivières différant pour le critère de fragmentation en long. Un tel test donnerait de premières discriminations entre hypothèses concurrentes (certaines prédisent une baisse claire de biodiversité, d'autre un effet nul ou positif) en permettant de voir s'il y a une différence significative de biodiversité entre une rivière à libre cours et une autre comportant des retenues et canaux latéraux de diversion. Ces travaux sont nécessaires pour la poursuite apaisée et surtout intelligente des questions de continuité : on doit financer des politiques publiques fondées sur des hypothèses fiables et des preuves robustes. En particulier quand un gain écologique supposé s'obtient au détriment de nombreuses autres dimensions d'intérêt général de la rivière et de la vie des riverains.

Par ailleurs, dans le cas de l'écologie de la conservation, il y a d'autres débats importants entre experts sur les objet et les méthodes, non sans lien à celui de la fragmentation:
  • faut-il s'intéresser aux écosystèmes vierges, "pristine", sauvage, très peu impactés par l'homme ou faut-il aussi s'intéresser aux nouveaux écosystèmes créés par l'homme (voir par exemple Basktrom et al 2018)?
  • faut-il juger la biodiversité locale uniquement par l'analyse des évolutions de populations endémiques, ou faut-il aussi bien intégrer désormais les espèces transférées et les espèces exotiques (voir par exemple Schlapefer 2018), en particulier quand on observe qu'elles augmentent la diversité spécifique mais aussi fonctionnelle des milieux (voir par exemple Toussaint et al 2018) ?
Les réponses à ces questions déterminent des stratégies de recherche différentes, et en dernier ressort elles inspirent des politiques publiques différentes. On le voit très bien dans le cas de la continuité écologique en long des milieux aquatiques en France : certains experts administratifs ou scientifiques ont conseillé l'Etat dans le sens d'une conservation des seules espèces endémiques et d'un intérêt pour les seuls milieux "naturels" ou à "profil naturel". Mais ces hypothèses n'ont aucune évidence en écologie, outre le fait qu'elles n'ont aucune évidence non plus en choix de société et en perception citoyenne de la nature souhaitée.

Références
Fahrig L et al (2019), Is habitat fragmentation bad for biodiversity?, Biol Conserv, 230, 179–186
Fletcher RJ (2018), Is habitat frag-mentation good for biodiversity?, Biol. Conserv, 226, 9-15
Fahrig L (2017), Ecological responses to habitat fragmentation per se, Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst., 48, 1–23



Exemple d'observation faite sur site par notre association : on constate (ci-dessus) que la présence d'un ouvrage hydraulique et de ses annexes multiplie des micro-milieux et ajoute de la surface en eau. L'examen d'un de ces micro-milieux (la rigole de déversoir 9) et d'une classe d'espèces (odonates) révèle un rôle positif pour la biodiversité (ci-dessous). La même chose vaut pour les amphibiens des mares et zones humides (milieux fragmentés et isolés, 3, 6 et 7) qui sont alimentées par la recharge (piezzométrique et fuites) permise par le bief (non représentés). La réalité de ces écosystèmes anthropisés est aujourd'hui niée - et parfois détruite - par une politique dogmatique de continuité écologique posant que la rivière continue est forcément un milieu plus intéressant pour le vivant, car plus conforme à une "naturalité" antérieure à l'influence humaine. C'est ce dogme dont nous nions la valeur de généralité en écologie, en demandant que chaque milieu soit déjà étudié sans a priori, si besoin protégé, et que les dépenses d'argent public aillent vers des priorités solidement établies, pas à des altérations de sites en place. Un nombre croissant de travaux de recherche scientifique pousse à abandonner l'ancien paradigme de la "nature sans l'homme" pour une approche plus complexe des milieux à l'interface homme-nature.


05/06/2019

Silence sur les milliards de la continuité, mensonges en série aux parlementaires, appel à casser encore les seuils: le ministère de l'écologie à la dérive

Avec près d'un an de retard, le ministère de l'écologie répond au sénateur Christophe Priou —l'élu demandait qui va payer les coûts (entre 2 et 4 milliards €) de "restauration de continuité écologique" sur 50 000 km de rivière. Non seulement le ministère de l'écologie ne donne pas l'information demandée - selon le mépris usuel de la haute administration pour le contrôle parlementaire de son action, notamment du bilan coût-efficacité de cette action  - mais il explique encore dans la réponse... qu'il faut effacer les ouvrages ! Ce que ne prévoit ni la loi française ni la loi européenne, et ce qui provoque depuis 10 ans la colère des riverains. Ce n'est pas le seul abus de pouvoir, le seul mensonge ni la seule omission de la réponse du ministère de l'écologie, habitué des falsifications pour justifier des dogmes. Nous y répondons ici point à point. On prétend promouvoir une continuité "apaisée" mais on organise en réalité le retour des enfumages,  des blocages et des contentieux. Que chaque lecteur le fasse savoir à son parlementaire et lui demande de saisir à nouveau le ministre de l'écologie pour qu'il s'explique vraiment. Car François de Rugy ne doit pas avoir la paix tant qu'il persistera à couvrir ainsi les tromperies de  la direction de l'eau et de la biodiversité de son ministère... ou à proférer des absurdités devant la représentation nationale. 



Question écrite n° 06033 de M. Christophe Priou (Loire-Atlantique - Les Républicains), publiée dans le JO Sénat du 05/07/2018 - page 3312:

«M. Christophe Priou attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les problèmes importants posés par la continuité écologique.

En effet, le rapport du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) publié au printemps 2017 a montré que le coût public moyen de chaque chantier est de 100 000 €, auxquels s’ajoute la part due par le propriétaire qui peut être du même niveau.

Le CGEDD note que le coût d’un aménagement de continuité écologique peut être équivalent voire supérieur à celui de la valeur foncière des biens concernés.

Comme un peu plus de 20 000 ouvrages sont classés en rivières à aménagement obligatoire selon le CGEDD, cela signifie un coût public de 2 milliards €, et autant pour les collectivités, particuliers ou exploitants.

Cette réforme étant exigible dans un délai de cinq ans seulement (2022-2023 selon les bassins), il lui demande comment seront supportés des coûts aussi importants, surtout pour des particuliers qui ne peuvent assumer une telle charge d’intérêt général.

Par ailleurs, il lui demande comment sera évalué le rapport coût-bénéfice de cette réforme de continuité écologique.»


Réponse du Ministère de la transition écologique et solidaire, publiée dans le JO Sénat du 23/05/2019 - page 2784 :

«La restauration de la continuité écologique des cours d’eau (libre circulation des poissons et des sédiments) est une composante essentielle de l’atteinte du bon état des masses d’eau conformément à la directive cadre sur l’eau.
MENSONGE : le coeur de la DCE 2000, c'est la pollution de l'eau. La continuité n'est pas "essentielle" au sens de facteur déterminant de l'écologie aquatique pour l'Union européenne. Elle est seulement mentionnée en annexe V de la directive cadre européenne sur l'eau 2000 comme une condition du "très bon" état écologique des rivières (pas le "bon état", qui est déjà l'objectif n°1), et cette continuité n'est qu'un domaine particulier parmi de très nombreux autres de la morphologie (domaine qui concerne en fait tout le bassin et les usages de ses sols). L'Europe n'a jamais fait du traitement des ouvrages de type moulins, étangs, lacs, canaux une priorité normative ou technique pour la qualité de l'eau, elle reconnait d'ailleurs la réalité écologique, sociale, économique des masses d'eau anthropisées (voir cet article). La recherche scientifique ne dit pas non plus que les discontinuités écologiques en long sont une cause majeure de baisse de qualité du milieu aquatique (voir cette synthèse) et quand on étudie vraiment les différents facteurs à l'oeuvre, on voit que les barrages sont très loin d'avoir un impact dominant (Villeneuve 2015) ni d'avoir un effet très négatif sur la biodiversité totale des poissons d'un bassin (Van Looy 2014). La chute brutale de la biodiversité après 1945 n'est pas associée au premier chef à des problèmes de continuité en long, mais une accélération de l'Anthropocène dont les "30 glorieuses" ont été une traduction en France. Par ailleurs la DCE 2000 demande d'abord le bon état chimique et écologique des eaux. La France est très loin de l'atteindre avec plus moitié des rivières en mauvais état chimique et autant en mauvais état écologique (voir sources). L'argent public dilapidé à casser des moulins, à détruire des barrages et à assécher des étangs est impardonnable alors que nous ne satisfaisons pas l'exigence première et prioritaire d'une eau saine. Ni nos objectifs climat et carbone par ailleurs ; c'est une absurdité de détruire des moulins et des barrages quand on peut produire une énergie bas-carbone dans tous les territoires (voir Punys et al 2019) et que leur réserve d'eau se révélera précieuse avec le changement climatique (voir Beatty et al 2017). 
Cette continuité est essentiellement impactée par les seuils et barrages sur les cours d’eau qui empêchent plus ou moins fortement le déplacement des poissons vers leurs habitats, refuges et frayères, qui ennoient certains de ces mêmes éléments et stockent les sédiments.
MENSONGE PAR CONFUSION : la continuité latérale (libre divagation de l'eau sur tout son  lit majeur) et non pas longitudinale est considérée dans beaucoup de travaux de recherche comme la composante la plus importante pour la biodiversité des hydrosystèmes : c'est dans les marges, bras morts, zones humides et écotones des interfaces rivières-ripisylves qu'on trouve en effet le maximum d'espèces, et ce sont ces milieux qui se sont le plus appauvris depuis 150 ans. Par ailleurs, la question sédimentaire est complexe, variable selon chaque bassin, et généralement assez peu liée aux seuils, voir ce point de vue d'expert.  La continuité en long concerne pour l'essentiel quelques espèces de poissons grands migrateurs, comme l'anguille ou le saumon. Ces grands migrateurs se trouvaient encore en tête de bassin au 19e siècle, parfois au 20e siècle, ce sont les grands barrages (pas les seuils ici mélangés avec eux à dessein par le ministère), les pollutions, la surpêche (et non les moulins anciens) qui les ont affectés (exemple sur Loire-Bretagne). 
Pour réduire ces effets, la loi a prévu des classements de cours d’eau qui rendent obligatoire pour les ouvrages existants en lit mineur d’assurer la circulation piscicole et le transport sédimentaire là où cet enjeu est fort.

La mise en œuvre de la continuité écologique nécessite la conciliation de plusieurs enjeux importants tels que l’hydroélectricité et le patrimoine.

Le comité national de l’eau (CNE) a travaillé pendant plusieurs mois en associant l’ensemble des parties prenantes, dont les représentants des fédérations de moulins, à l’élaboration d’un plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique, consultable sur le site du ministère à l’adresse suivante :
MENSONGE PAR OMISSION : le ministère de l'écologie a ignoré l'essentiel des objections et propositions venant des moulins et riverains. La principale fédération d'associations de moulins (FFAM) ne reconnaît pas la valeur du plan proposé ni de sa circulaire de mise en oeuvre. Notre association indépendante non plus, des dizaines d'associations et collectifs en contact avec nous pas davantage. Nous demandions un plan où l'Etat ré-affirme clairement sa reconnaissance des ouvrages autorisés et son souhait de les préserver, cesse la destruction prioritaire des ouvrages, respecte la loi et ré-affirme donc les principes de "gestion durable et équilibrée de l'eau" à certains acteurs qui les ignorent, les contournent ou les refusent. Rien de cela n'est acté, nous constatons que l'administration centrale persiste dans la manipulation et la provocation, encore dans cette réponse au sénateur. Les conflits vont donc persister, et se durcir : nous n'attendons plus grand chose d'une administration qui n'a cessé de mentir, tromper, répondre à côté, divertir l'attention. Nous conseillons donc à nos adhérents d'aller désormais au contentieux au moindre abus de pouvoir d'un fonctionnaire DDT-M, AFB, agence de l'eau, comme nous irons en tant qu'association au contentieux contre tout programme administratif promouvant une destruction d'ouvrage contraire à la gestion équilibrée et durable de l'eau inscrite dans la loi. 
Celui-ci prévoit notamment un axe dédié à la connaissance des spécificités des moulins, parmi d’autres actions transversales pouvant également les concerner.

Si la recherche de financements est importante, la minimisation des coûts est essentielle.

Le plan national vise donc aussi à rappeler et encourager la mise en œuvre de solutions proportionnées aux enjeux et économiquement réalistes.

Le coût d’un dispositif de franchissement dépend de la hauteur à franchir et des exigences liées aux diverses capacités de nage des espèces à faire circuler.

Il s’agit souvent d’ouvrages de génie civil d’une technicité élevée et par nature coûteux.

C’est pourquoi lorsque l’enjeu de migration est fort (saumon), pour des petits ouvrages à faible rentabilité économique, des solutions d’abaissement de la hauteur du seuil ou de suppression sont effectivement mises en avant.
MENSONGE : le ministère de l'écologie a mis en avant la destruction partout, tout comme les représentants de l'Etat au sein des agences de l'eau. La casse des ouvrages est soutenue par le harcèlement réglementaire des maîtres d'ouvrages doublé d'une aide généreuse à la seule destruction (tout est payé en ce cas seulement). Concernant les saumons cités par le ministère, ils peuvent franchir les seuils anciens de moulin – la recherche scientifique a même montré que parfois, ils franchissent mieux les seuils que les passes à poissons réalisées sur les seuils, un comble (Newton et al 2017) ! Jamais la loi française (LEMA 2006) n'a prévu l'effacement, jamais la directive européenne DCE 2000 n'a prévu l'effacement. C'est un dogme de l'administration française et c'est ce dogme qui explique le blocage complet sur les rivières, le gouvernement étant illégitime dans sa prétention à détruire des propriétés, à faire disparaître des patrimoines, des paysages et des milieux appréciés, à refuser le financement des charges exorbitantes de continuité prévu dans la loi. Par ailleurs, dans les demandes sociales concrètes de continuité, on constate dans la plupart des cas que le lobby des pêcheurs de saumon exige en réalité le maximum de proies pour satisfaire son loisir : cela n'a rien à voir avec l'écologie de conservation, on peut parfaitement sauvegarder l'espèce saumon atlantique en France et en Europe sans tout casser sur chaque rivière pour ses fraies (voir Kareiva et Carranza 2017 pour une analyse critique des choix aux Etats-Unis, confrontés aux mêmes réflexions qu'en France). Cette politique  hexagonale est d'abord au service des intérêts particuliers d'un lobby qui a ses entrées dans les ministères français depuis des décennies, et qui avait déjà réussi à imposer la loi pêche de 1984 d'application aussi difficile que la LEMA 2006 sur ce volet migrateur.  Le déni de cette réalité faite perdre sa légitimité aux prétentions "écologiques" des choix actuels de continuité, dont les dépenses sont souvent absurdes et sans cohérence (ce qui n'est pas une fatalité). 
En revanche, dans certains cas où l’enjeu de la migration au droit d’un ouvrage serait plus relatif, des solutions moins coûteuses pourront être suffisantes.

Aucun coût moyen ne peut être appliqué compte tenu de la très grande diversité de solutions possibles.
MENSONGE : il est tout à fait possible de définir un coût moyen, médian et une dispersion en prenant l'ensemble des chantiers réalisés depuis 10 ans sur l'ensemble des bassins. Il serait urgent de mettre accès libre et simple le répertoire de toutes les actions sur ouvrages financées par bassin et rivière, d'avoir la transparence qu'exige l'action publique.  Car c'est justement le rôle des bureaucraties d'être au clair sur les sommes dépensées et d'en rendre compte aux citoyens comme à leurs représentants. Mais le ministère de l'écologie enfume sur les coûts, et il entretient l'opacité sur l'efficacité réelle de ses politiques. Le CGEDD avait obtenu (difficilement) des données partielles des agences de l'eau et le constat fait sur ces chiffres montre bien un coût public moyen de 100 k€ par chantier, auxquels s'ajoutent les coûts privés. Tout cela ne tient pas compte des coûts d'opportunité qu'il y a à détruire des ouvrages au lieu de les équiper pour la transition énergétique. C'est une énorme gabegie pour l'argent public des citoyens. 
Le plan d’action demande à chaque bassin de mettre en place un programme de priorisation, selon des critères d’impacts et d’enjeux écologiques, qui permette de concentrer les moyens humains, financiers et de contrôle de police.

L’objectif est de résorber de la manière la plus pragmatique les retards pris ou prévisibles sur les délais applicables.
AVEU : l'objectif n'est pas du tout de revenir à une continuité réaliste et apaisée, mais de "résorber des retards". On limite les moyens de l'Etat à quelques sites élus, on relègue les autres sites en zone de non-droit (ils sont obligés d'agir par la loi, mais l'Etat ne met pas de moyen sur les instructions, a fortiori les travaux), on persiste dans la pression à casser partout comme solution de première intention. Le plan du gouvernement est une mesure bureaucratique pour des bureaucrates, et un enterrement des critiques de fond contenus dans les rapports CGEDD 2017 et CGEDD 2012. Le ministère ne veut pas reconnaître que son classement de continuité de 2011-2012 est une faillite irréaliste. Et que le choix de la "renaturation" et de la "rivière sauvage", devenu un dogme d'administration centrale de l'écologie, n'a rien à voir avec ce que dit la loi sur les ouvrages et les rivières, ni avec ce qu'attendent les riverains appréciant les agréments des cours d'eau aménagés. 
Cette démarche de priorisation est cohérente avec l’action 39 du plan biodiversité qui vise la restauration de la continuité sur 50 000 kilomètres de cours d’eau d’ici à 2030.

Une instruction aux préfets est en cours de signature pour mettre en œuvre les actions du plan, notamment la concertation accrue entre services de l’État et avec les opérateurs (agence française pour la biodiversité, agences de l’eau), la co-construction avec toutes les parties prenantes et la mise en place rapide de la priorisation des ouvrages existants nécessitant des aménagements. »

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03/06/2019

Sur la Sélune, le gouvernement au service du lobby des pêcheurs de saumon accélère la casse des outils de la transition énergétique

Sans attendre l'issue des différentes procédures judiciaires engagées, le ministère de l'écologie et le préfecture ordonnent l'accélération de la destruction des barrages de la Sélune. Pas seulement les installations électriques, par lesquelles devait commencer le chantier, mais la structure même du barrage de Vezins, attaquée à sa base. Malgré cela, on attend avec espoir l'avis du conseil d'Etat sur le référé et du juge de première instance sur le fond.  C'est le sacrifice planifié de deux lacs et d'un outil de production hydro-électrique bas carbone au service du lobby des pêcheurs de saumon, ce lobby qui tire prétexte de la "continuité écologique" pour promouvoir son loisir. François de Rugy n'a pas caché qu'il préfère ce lobby si souvent reçu à son ministère à l'urgence de la transition énergétique rappelée par 2 millions de citoyensLe pire est certainement le silence des médias nationaux, ces mêmes médias qui font volontiers de la surenchère lorsque des riverains s'opposent à tel ou tel "grand projet inutile", mais se taisent lamentablement ici. Cinquante millions d'euros pour 1300 saumons et le sacrifice de 20.000 riverains : c'est la manière dont le gouvernement veut démontrer qu'il a entendu la colère des Français sur le matraquage permanent de ses bureaucraties, c'est la manière dont on traite la fracture territoriale entre les riches métropoles et la ruralité devenue le joujou des technocrates hors-sol faisant des cadeaux à des clientèles choisies. Nous comptons sur nos lecteurs pour faire entendre cette colère, pour saisir leurs parlementaires - en particulier ceux de la majorité censée soutenir cette gabegie - et pour dire tout le mal qu'ils pensent de dérives dont le gouvernement sera comptable. 



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