29/12/2017

Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)

Des chercheurs français ont étudié la structure génétique des goujons et des vairons du Célé et du Viaur, deux rivières du Sud-Ouest de la France. Ils concluent que les facteurs naturels (topologie du réseau hydrographique) restent déterminants pour expliquer les variations observées. Au sein des impacts humains, les ouvrages hydrauliques pourtant anciens et nombreux ne montrent pas d'influence cohérente, ce qui interdit toute généralisation à leur sujet. Amusante découverte : les empoissonnements pour la pêche ont une influence génétique plus notable que les ouvrages. Séparer en France les questions halieutiques et écologiques devient un enjeu de plus en plus manifeste, car la pêche est avant tout un usage des milieux ayant des impacts, et ses instances n'ont plus la capacité de développer des méthodes conformes à l'évolution rapide des connaissances en écologie des milieux aquatiques.



La diversité génétique des poissons est connue pour être affectée par de nombreux facteurs, le premier d'entre eux étant naturel : l'organisation en réseau des écoulements hydrographiques, pouvant isoler des branches de ce réseau en pools reproductifs autonomes, du moins à moindre fréquence d'échanges, ainsi que faire varier les structures génétiques de l'amont et de l'aval. Des facteurs anthropiques peuvent également influer sur cette diversité. Parvenir à pondérer ces facteurs naturels et humains permet une meilleure compréhension de l'évolution des lignées locales de poissons, le cas échéant une meilleure anticipation de leur capacité future d'adaptation (par exemple au changement climatique).

Jérôme G. Prunier et ses collègues (Station d’écologie théorique et expérimentale UMR 5371, Institut méditerranéen de biodiversité  et d’écologie marine et continentale UMR 7263, Laboratoire évolution et diversité  biologique UMR 5174) ont étudié les rivières Célé et Viaur dans le bassin Adour-Garonne. Les superficies de bassin versant (1350 et 1530 km2) et les linéaires (136 et 168 km) de ces cours d'eau sont comparables, mais la topologie du réseau hydrographique, la fragmentation par les ouvrages humains et le usages des sols diffèrent, ce qui permet des comparaisons.

Les chercheurs ont étudié deux poissons largement distribués dans le Sud-Ouest : le goujon du Languedoc (Gobio occitaniae) et le vairon (Phoxinus phoxinus). Plus d'une vingtaine de sites (22 et 25) ont été choisis sur chaque rivière, à des emplacements permettant de caractériser par ailleurs des variables d'intérêt de l'environnement. Des marqueurs microsatellites (11 pour le goujon et 16 pour le vairon) ont été isolés pour quantifier trois indices de diversité génétique : la richesse allélique, la richesse allélique privée et l'unicité génétique.

Les prédicteurs environnementaux de la diversité génétique retenus dans cette étude ont été formés de 18 variables répartis en 4 familles : caractéristiques naturelles de la rivière, fragmentation humaine du lit mineur, usage des sols en proximité du lit et probabilité locale d'influence des empoissonnements pour la pêche.

Les principaux résultats sont les suivants :

  • les caractéristiques naturelles du réseau hydrographique (notamment la place dans le gradient amont-aval) sont le premier prédicteur de la diversité génétique des poissons, avec un poids 1,82 fois supérieur à l'ensemble des facteurs anthropiques,
  • parmi les facteurs anthropiques, seul l'empoissonnement de pêche a une influence forte et consistante, notamment sur les goujons,
  • la distance de circulation (home range) entre deux obstacles a montré des influences sur la richesse allélique des goujons dans le Viaur et dans une moindre mesure des vairons dans le Celé,
  • le taux d'urbanisation à 2 km de la station influence l'unicité génétique.


Les auteurs soulignent que "les influences locales de la dégradation et de la fragmentation sont spécifiques à chaque rivière et à chaque espèce, variant parfois même au sein du même lit mineur, ce qui interdit toute généralisation".

Et ils concluent : "la structure naturelle des réseaux et l'empoissonnement de pêche influencent fortement les caractéristiques spatiales de la diversité génétique selon une direction prévisible, alors que l'influence des autres activités humaines peut être plus difficile à prédire selon les espèces et les contextes".

Discussion
Cette étude sur la génétique des poissons des rivières du Sud-Ouest rejoint dans ses conclusions de nombreuses autres montrant que les variations observées dans les cours d'eau restent difficiles à prévoir : les modèles n'expliquent qu'une part de la variance, et la diversité des résultats indique la forte influence des contextes et de l'histoire de vie propre à chaque hydrosystème. Cela doit inciter le gestionnaire public à se défaire de l'idée que des règles simples et uniformes pourraient s'appliquer dans tous les cas de figure. On ne fera de la bonne écologie qu'avec une étude rigoureuse de chaque rivière en son bassin versant, ce qui prend certes du temps (et coûte de l'argent) mais qui évite d'engager des programmes inadaptés aux enjeux locaux et peu susceptibles d'obtenir des résultats significatifs.

Le constat de l'influence des alevinages et empoissonnements comme cause anthropique la plus claire de certains changements génétiques locaux ne vient pas commune une surprise : cela fait plusieurs siècles que les populations pisciaires sont changées par des activités halieutiques, sans considération particulière pour les souches concernées dans le cas des alevinages et déversements (sauf à date assez récente, et surtout pour les salmonidés focalisant l'attention pour leur intérêt de pêche). On peut en tirer certaines conclusions institutionnelles. D'une part, il est regrettable que la pêche de loisir en France soit quasiment le seul usage de l'eau à ne pas faire l'objet d'un programme systématique d'évaluation de son impact biologique et écologique. D'autre part, il est anormal que cet usage de l'eau jouisse encore d'une préséance particulière en gestion écologique des milieux aquatiques. Cet héritage du XXe siècle n'a plus lieu d'être aujourd'hui car les approches et méthodes sectorielles développées par les pêcheurs ne sont plus tellement en phase avec l'évolution globale des connaissances sur l'écologie des milieux aquatiques.

Référence : Prunier JG et al (2018), The relative contribution of river network structure and anthropogenic stressors to spatial patterns of genetic diversity in two freshwater fishes: A multiple-stressors approach, Freshwater Biology, 1, 6-21

A lire sur le même thème
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015)
Salzach: quand la pêche modifie les peuplements piscicoles (Haidvogl et al 2015)
Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015)

27/12/2017

Les résultats inconsistants des restaurations de continuité écologique imposent des suivis et analyses coûts-bénéfices (Mahlum et al 2017)

La restauration de "petite continuité" des cours d'eau consiste à traiter des buses, des gués et autres passages formant des obstacles à la migration des poissons, généralement sur des rivières et torrents de têtes de bassin. Une équipe de chercheurs canadiens, soulignant le coût cumulé important de ces travaux de restauration écologique, a voulu vérifier si les chantiers ont une efficacité réellement démontrée. Leur analyse avant-après impact conclut que les résultats sont mitigés, avec des cas d'amélioration et d'autres de dégradation. Les retours d'expérience sérieusement faits au plan scientifique aboutissent souvent à de telles conclusions équivoques. Au lieu de dépenser chaque année des centaines de millions € d'argent public en restauration physique (le coût public total du seul classement de continuité dépassera les 2 milliards €), il est urgent de rehausser le niveau qualitatif du programme français, déjà de mener des campagnes rigoureuses de suivi avant-après et d'analyse coût-bénéfice des chantiers. Arrêtons de mettre la charrue avant les boeufs : intervenir partout sans évaluer les avantages et inconvénients ni définir les bonnes pratiques ne peut être le programme des politiques publiques de restauration de rivières. 

Shad Mahlum et ses collègues ouvrent leur article par un constat désormais partagé par la communauté scientifique en écologie de la restauration et de la conservation : "La restauration écologique et environnementale peut être coûteuse, et une certaine certitude de succès est donc désirable".

La restauration des continuités (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) fait partie des mesures ayant émergé ces dernières décennies en aménagement des milieux aquatiques. Contrairement à des choix environnementaux de prévention traitant des impacts à la source, par exemple en interdisant des substances ou en contrôlant leur émission, la restauration physique est une tâche complexe et coûteuse, à la fois par le très grand nombre de milieux concernés et par la lourdeur des interventions sur le bâti existant, en lit ou en berge.

Hélas, si les effacements de grands barrages s'accompagnent parfois de suivis scientifiques ambitieux, les travaux plus modestes mais bien plus nombreux de continuité en rivière sont souvent négligés sur ce point : "Dans les petites structures telles que les buses, les ressources sont rarement mobilisées pour évaluer le résultat biologique de ces interventions, soulignent les scientifiques. C'est dommage vu que ces structures sont ubiquitaires et que les études d'impact des activités de restauration sont indispensables pour établir les bonnes pratiques, préciser les espérances de succès de la restauration et comprendre l'analyse coût-bénéfice des différentes approches de la restauration".

L'étude canadienne a concerné 4 sites de tête de bassin, des petits cours d'eau fragmentés par une buse assurant un passage routier (ponceaux). A chaque fois, le site restauré a été comparé à un tronçon naturel présentant les mêmes caractéristiques. Les restaurations avaient consisté à ajouter des déflecteurs pour limiter la vitesse et varier l'écoulement, ou à construire un second passage.

Les chercheurs souhaitaient initialement étudier l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), l'anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) et la saumon atlantique (Salmo salar). Mais seuls des ombles ont pu être échantillonnés en quantité suffisante : 462 poissons ont ainsi été prélevés et taggés. Trois types de réponse ont été suivies : le pourcentage de montaison à succès (passage success, PS), l'échelle des débits franchissables (range of passable flows, RPF) et les périodes de débits franchissables (availability of passable flows, APF).

Effets significatif (+) ou négatif (-) sur les 4 sites étudiés et pour les 3 critères retenus, les résultats entre parenthèses sont significatifs à p<0.05. B-A : contrôle avant vs après. C-I : contrôle site restauré vs site référence (source : article cité, droit de courte citation).

Voici le résultat tel que le commentent les chercheurs : "Notre analyse de 4 buses (…) suggère que les résultats de la restauration ne sont pas garantis. Alors que la restauration des buses est supposée améliorer le passage des poissons, nous n'avons pas observé d'amélioration consistante dans toutes les buses. En terme de succès de franchissement, tous les passages sauf Spracklins ont montré une amélioration, mais un seul (Arnolds) était statistiquement significatif. Les résultats étaient plus équivoques en considérant les propriétés du débit dans les buses – seul un passage (Arnolds) a montré un changement positif (….) Ces résultats mitigés sont en accord avec les rares études ayant vérifié le succès des restaurations de franchissement de poissons (Pretty et al 2003; Noonan et al 2012; Evans et al 2015; Myers & Nieraeth 2016; Tummers et al 2016)".

Shad Mahlum et ses collègues énumèrent les causes possibles de problème :

  • manque de population source pour recoloniser le tronçon,
  • persistance de dégradation de l'habitat, en particulier lié aux usages des sols du bassin versant,
  • faible puissance statistique des tests,
  • variabilité interindividuelle des comportements de montaison chez les poissons d'une même espèce.

Ils observent notamment : "Les efforts pour restaurer la connectivité à un point spécifique de l'espace peuvent ne pas amener des résultats remarquables pour des barrières partielles car les résultats écologiques ne sont pas susceptibles d'augmenter de manière linéaire avec la franchissabilité. Par exemple, le franchissement occasionnel d'un animal à travers une barrière partielle peut être suffisant pour garantir la persistance de la population et le flux génétique (Neville et al 2016; Soanes et al 2017), et permettre la recolonisation après un épisode d'extinction".

Les scientifiques concluent enfin : "Nos résultats démontrent que sans un contrôle approprié, les chances de tirer des conclusions fausses regardant les restaurations des systèmes spatialement et temporellement dynamiques sont substantielles".

Discussion
Les observations de Shad Mahlum et de ses collègues ne sont pas isolées, mais forment au contraire un topique bien connu en écologie de la restauration (voir à titre d'exemple quelques références de recherches parues entre 2015 et 2017 en bas de cet article, et lire cette synthèse).

De surcroît, la difficulté à prédire les résultats écologiques d'un chantier de restauration n'est qu'une des dimensions à envisager quand on se pose le problème de l'évaluation coût-bénéfice ou avantage-inconvénient d'une opération (et, comme on aime à la dire en France, de sa conformité à un "intérêt général"). Si les buses et ponceaux ne sont généralement pas un enjeu social fort, il n'en va pas de même pour les seuils, digues et barrages faisant également l'objet de mesures de restauration de continuité longitudinale. Intervenir sur argent public demande de définir et de vérifier l'objectif biologique du chantier (les espèces cibles de la restauration, l'effet sur les autres espèces du site, le bilan global de biodiversité), mais aussi d'envisager toutes les dimensions impactées (patrimoine, énergie, paysage, épuration chimique, préservation d'eau à l'étiage, recharge et niveau de nappe, etc.).

On est très loin de ces bonnes pratiques en France, essentiellement en raison de la gouvernance défaillante de la continuité écologique. Au lieu de poser une méthodologie rigoureuse d'évaluation de chantiers pilotes sur quelques centaines de sites représentatifs de la diversité des rivières, des hydro-éco-régions et des positions dans le réseau hydrographique, on a financé d'emblée et de manière indistincte des milliers de chantiers avec des suivis soit inexistants, soit bâclés (limité à quelques poissons, sans analyse antérieure de plusieurs années, sans évaluation du gain total sur le tronçon, sans bilan sur d'autres espèces, sans analyse socio-économique, sans tests élémentaires de significativité des variations observées, etc.). Vu que le coût public à venir de la réforme de continuité des rivières risque de dépasser les 2 milliards €, il n'est pas trop tard pour arrêter les frais et mener une politique publique beaucoup plus rigoureuse en écologie des milieux aquatiques.

Référence : Mahlum S et al (2017), Does restoration work? It depends on how we measure success, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12649

A lire sur ce même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017) 
La restauration écologique de rivière sacrifie-t-elle le facteur humain en zone rurale? (Zingraff-Hamed et al 2017) 
Réponse à long terme des poissons à une restauration de rivière allemande (Höckendorff et al 2017) 
Etats-Unis: le suivi des effacements de barrage est défaillant (Brewitt 2016) 
Pourquoi la restauration écologique produit-elle des échecs? (Hiers et al 2016) 
A quoi ressemblent les bénéfices réels de la continuité en rivières ordinaires? (Tummers et al 2016)
Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)
États-Unis: des effacements de barrages peu et mal étudiés (Bellmore et al 2016) 
Suivi d’un effacement d’ouvrage sur le Bocq: quel bilan après quelques années? (Castelain et al 2016) 
Restauration de rivière, un bilan critique (Wohl et al 2015)
La restauration physique des rivières peine à prédire ses résultats (Muhar et al 2016)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)

25/12/2017

La députée Untermaier demande à Nicolas Hulot que son administration respecte la volonté du législateur sur les moulins et ouvrages hydrauliques

La députée de Saône-et-Loire s'inquiète dans une question écrite au ministre de l'absence de mise en oeuvre efficace des mesures de protection des ouvrages hydrauliques souhaitées et votées par le législateur. Et pour cause : l'administration en charge de l'eau, qui poursuit depuis 10 ans un programme systématique de harcèlement et destruction des ouvrages en rivière à l'encontre du texte et de l'esprit des lois, continue sur ses mauvaises habitudes. Il est indispensable que le ministre de la Transition écologique et solidaire promulgue une circulaire de recadrage de ses services afin que l'action de l'Etat soit le reflet de la loi et de l'intérêt général, et non plus l'expression des stratégies internes et hors contrôle démocratique de son administration. 


La députée Cécile Untermaier a adressé à Nicolas Hulot une question sur les problèmes de mise en oeuvre des mesures de protection du patrimoine hydraulique, vis-à-vis desquelles l'administration de l'eau se montre réticente.

Mme Cécile Untermaier attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les modalités d'application de l'article L. 214-8-1 du code de l'environnement. 
Cet article issu de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables, vise à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. La volonté exprimée par le législateur était de permettre la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, sans toutefois méconnaître la nécessaire protection du patrimoine, en particulier les moulins à eaux. 
Des associations de protection de ce patrimoine lui ont font part des difficultés récurrentes qu'ils rencontrent sur le terrain et s'interrogent sur l'application par l'administration des dispositions législatives ainsi prises. Les modalités réglementaires qui auraient été adoptées dans la suite de cette loi ne seraient pas de nature à respecter cet équilibre. Aussi, elle lui demande de bien vouloir lui préciser les difficultés rencontrées, le cas échéant, dans la mise en œuvre de la restauration de la continuité écologique des cours d'eau au regard du bâti existant que constituent les moulins, quelles mesures il entend prendre pour y remédier et si les modalités réglementaires adoptées satisfont à cette double exigence.

A quelles difficultés la députée fait-elle référence?
La direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie est en conflit depuis 10 ans avec les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est que les fonctionnaires travaillant sous la tutelle de la DEB (DDT-M, AFB, Agences de l'eau) ont reçu pour consigne de mettre en oeuvre une vision maximaliste de la continuité écologique, visant à détruire purement et simplement les ouvrages en rivière (voir la mise en place de cette dérive ; quelques exemples de falsifications dont l'administration est coutumière sur le sujet).

Les parlementaires et certains ministres, alertés de cette dérive, se sont émus à de nombreuses reprises de cette déformation manifeste du texte et de l'esprit des lois par les fonctionnaires en charge de l'environnement. Entre autres mesures récentes, ils ont voté en 2017 un amendement exemptant certains moulins de continuité, exprimant à cette occasion de manière unanime leur opposition à la casse des ouvrages hydrauliques.

Mais l'administration française continue dans ses très mauvaises habitudes : poursuivre son programme en parfaite indifférence aux critiques des élus. Ainsi, un projet de circulaire (non publié au JORF) a été envoyé au services instructeurs leur expliquant comment contourner la nouvelle disposition législative. Les mêmes maux persistent, certains fonctionnaires du ministère de l'écologie, de l'Agence française pour la biodiversité ou de l'Agence de l'eau s'estiment apparemment au-dessus des lois et ne veulent pas démordre de leur programme insensé d'effacement du maximum d'ouvrages ou d'imposition de mesures totalement exorbitantes, sans rapport à l'impact écologique.

Nicolas Hulot doit comprendre ce qu'avait déjà compris Ségolène Royal avant lui, et ce que le CGEDD a déjà établi de manière indépendante dans son rapport de 2012 comme dans son rapport de 2016 : les pratiques de la direction de l'eau et de la biodiversité dans le domaine de la continuité écologique sont conflictuelles et biaisées. Les parlementaires ont déjà demandé à de multiples reprises leur recadrage et le gouvernement doit maintenant s'y atteler sérieusement.

En attendant, les propriétaires d'ouvrages hydrauliques, les riverains de leurs biefs et retenues, les associations doivent converger vers la même attitude  : s'opposer méthodiquement à tous les abus de pouvoir constatés sur le terrain, informer systématiquement leurs députés et sénateurs en leur demandant expressément de saisir le ministre de l'écologie pour faire cesser les troubles. La rubrique vade-mecum de ce site comporte des outils à cette fin. Hydrauxois peut vous aider à exiger les bonnes pratiques et à formaliser des contentieux quand elles ne sont pas respectées.

Illustration : la destruction de l'ouvrage Saint-Nicolas de Tonnerre en 2016 illustre les dérives graves de l'administration en France. L'enquête publique avait donné un avis négatif sur ce projet (pas d'intérêt écologique, pas d'intérêt général), mais la préfecture et le syndicat de rivière n'en ont tenu aucun compte. Le préfet a ordonné la casse alors même qu'un contentieux avait été ouvert contre son arrêté par notre association, donc sans attendre l'avis de la justice. L'arrêté était bel et bien défaillant au plan procédural, et l'administration l'a finalement retiré, sollicitant un non-lieu au tribunal administratif afin d'éviter de répondre de ses méfaits devant la justice. Des manifestants installés sur une propriété privée pour défendre l'ouvrage ont été délogés de force lors de ce chantier, sans que la plainte pour voie de fait alors déposée soit à ce jour suivie d'effet. De telles pratiques décrédibilisent l'Etat et sont indignes d'une démocratie. Les poursuivre, c'est aller tout droit vers une conflictualité ouverte sur les chantiers contestés.

A lire en complément
Protection des moulins: les parlementaires ont été très clairs... l'administration devra l'être aussi!

22/12/2017

Appel à soutenir le moulin du Boeuf en lutte contre l'arbitraire administratif

Défendre la production d'une hydroélectricité bas-carbone et non polluante, préserver les droits d'une exploitation raisonnée des cours d'eau, valoriser le patrimoine, les moulins et ouvrages hydrauliques multicentenaires, résister à la destruction programmée des anciens moulins au mépris de la loi : autant de causes menacées à défendre maintenant, ici. Avec le moulin de Boeuf, en lutte depuis 6 ans contre l'administration de Côte d'Or lui refusant le droit d'exister comme moulin, en butte à l'indifférence d'un syndicat de rivière (Sicec-SMS) dont le seul objectif manifeste paraît de casser le maximum d'ouvrages sur la Seine et ses affluents. Gilles et Marie-Anne doivent aujourd'hui défendre leur cause devant le Conseil d'Etat. Hydrauxois est à leur côté et nous demandons à tous nos lecteurs de les aider concrètement à assumer les frais de justice. C'est en se battant systématiquement sur le terrain et devant les tribunaux que nous ferons avancer notre cause commune. Merci d'aider Gilles et Marie-Anne. Merci de diffuser cet appel. Merci de vous engager pour que vive notre patrimoine hydraulique, que cesse la folie de son démantèlement et de son harcèlement.



En 2011, Gilles et Marie-Anne achètent le moulin du Bœuf, à Bellenod-sur-Seine, avec son droit d’eau, mais sans raccordement au réseau électrique.

Leur rêve ? Restaurer ce moulin ancien, le rendre énergétiquement autonome par la pose d’une nouvelle roue hydraulique et de panneaux solaires, pouvoir s’y « mettre au vert ».

De l’argent investi dans les énergies renouvelables et dans la restauration du patrimoine rural : qui y verrait un problème aujourd’hui, à l’heure de la transition écologique et énergétique?

Mais ce rêve tourne au cauchemar.

L’administration de l’eau, dûment avertie du projet, déclare qu’il est interdit de remettre une roue sur le site ancien et d’exploiter la force motrice de l’eau : le droit d’eau transmis lors de l’achat est retiré.

Cette administration se montre intraitable. Le coût de raccordement du moulin au réseau électrique approcherait les 100 000 euros ? Peu importe. Les roues hydrauliques ne provoquent aucune mortalité des poissons ? Peu importe. Tout le village et plusieurs associations soutiennent le couple ? Peu importe.

Gilles et Marie-Anne ont décidé de porter l’affaire en justice. Car au-delà de leur cas, des milliers de moulins font aujourd’hui en France l’objet des mêmes menaces : on leur interdit de produire une énergie propre ou on renchérit le coût de manière exorbitante, sous des prétextes fallacieux ; on détruit parfois leurs chutes, retenues et biefs à la pelleteuse.

Après un jugement défavorable en appel, ils ont décidé de se porter en cassation au Conseil d’État, afin que les plus hauts magistrats se prononcent sur leur cas.

Si Gilles et Marie-Anne gagnent cette procédure, ce seront des milliers de roues de moulin qui pourraient de nouveau tourner sur les rivières françaises. Pour produire une énergie locale et propre. Pour relancer l’activité dans nos campagnes. Pour retrouver des rivières vivantes, surveillées et entretenues.

Nous vous demandons aujourd’hui d’aider Gilles et à Marie-Anne à payer les frais de procédure, afin que l’injustice économique ne s’ajoute pas à l’injustice administrative dont ils sont déjà victimes.

Lien vers la campagne de don

21/12/2017

Le Conseil d'Etat rappelle que l'on peut augmenter la puissance d'équipement d'un ouvrage hydraulique autorisé

Dans un contentieux opposant l'association syndicale autorisée du canal de Gap, exploitant d'une centrale hydro-électrique, à des communes, le Conseil d'Etat vient de donner raison à la première. Dans cet arrêt, les conseillers rappellent que l'augmentation de puissance hydraulique (ici par l'ajout d'une turbine), même assez conséquente, n'implique pas l'obligation de solliciter une nouvelle autorisation spécifique si l'ouvrage concerné est déjà autorisé et constitue l'accessoire d'un usage principal (L 511-3 code de l'énergie), ici l'irrigation. Dans ce cas d'espèce, l'administration avait agi correctement (la région Rhône-Alpes est connue pour sa tradition hydro-électrique et la bienveillance de représentants de l'Etat à son endroit). Mais ailleurs, on observe souvent des conflits de même nature, où l'administration refuse de reconnaître des droits fondés en titre ou sur titre d'une puissance supérieure à l'équipement ancien de sites. On voit aussi parfois des acteurs de la rivière, comme les fédérations de pêche ou les associations écologistes, refuser des augmentations de puissance équipée. Cet arrêt rappelle le droit à ce sujet. 



Voici le rappel des faits :

  • par un décret impérial du 11 avril 1863, l’autorisation de prélever une part des eaux du Drac a été donnée au concessionnaire du canal du Drac, au droit duquel est venue l’association syndicale autorisée du canal de Gap, avec un débit maximal de 4 mètres cubes par seconde en temps d’étiage, en vue notamment, outre la satisfaction des besoins liés à l’irrigation, de «la mise en jeu des usines qui seront établies sur son cours»; 
  • par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 2 septembre 1976, l’exploitation, par la société d’équipement hydraulique des Alpes, de la micro-centrale hydroélectrique de Pont-Sarrazin, établie sur le long de ce canal, a été autorisée pour une durée de trente ans pour une puissance maximale brute de 500 kW représentant un débit de 0,16 mètre cube par seconde ; 
  • sans que cette autorisation ait fait l’objet d’une modification, sa puissance maximale brute est passée à 1 647 kW à la suite de l’installation d’une seconde turbine par l’exploitant, représentant un débit de 0,46 mètre cube par seconde; 
  • la micro-centrale a été cédée par l’exploitant à l’association syndicale autorisée du canal de Gap, à laquelle l’autorisation a été transférée par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 10 juillet 2006; 
  • l’autorisation initiale venant à expiration, l’association syndicale autorisée du canal de Gap a sollicité du préfet des Hautes- Alpes une nouvelle autorisation, qui lui a été délivrée, par un arrêté en date du 1er décembre 2006 fixant à 1 647 kilowatts la puissance maximale brute hydraulique autorisée; 
  • à la demande de la communauté locale de l’eau du Drac amont, la communauté de communes du Haut-Champsaur et la commune de Saint-Jean-Saint-Nicolas, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté; 
  • l’association syndicale autorisée du canal de Gap et le ministre de l’environnement se pourvoient en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative de Marseille a rejeté leurs appels contre ce jugement et a confirmé l’annulation de l’arrêté préfectoral au motif qu’il aurait dû être précédé d’une étude d’impact ou d’une enquête publique

Le Conseil d'Etat pose d'abord :
"lorsqu’un ouvrage a été autorisé en application d’une législation ou d’une réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992, il est dispensé des régimes de concession ou d’autorisation du livre V du code de l’énergie dès lors que la production d’énergie qui lui est adjointe constitue un accessoire à son usage principal, et sous réserve que, en cas de modifications regardées comme nécessaires, celles-ci ne soient pas de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau, impliquant alors une nouvelle autorisation au titre de la législation et de la règlementation sur l’eau"
Ce point rappelle qu'il n'y a pas lieu de solliciter une nouvelle autorisation pour un ouvrage déjà autorisé, les seules modifications éventuelles de l'ouvrage devant être évaluées au regard du droit, et appeler si besoin une nouvelle autorisation.

Les conseillers ajoutent :
"ainsi que l’a relevé la cour, le canal de Gap, ouvrage autorisé en vertu du décret impérial du 11 avril 1863, est réputé autorisé au titre de la police de l’eau en application de l’article L. 214-6 du code de l’environnement ; (…) en se fondant, pour juger que la micro-centrale de Pont-Sarrazin n’entrait pas dans le cadre de la dispense d’autorisation rappelée au point précédent, sur la circonstance que sa puissance de 1647 kW résultait de l’ajout d’une seconde turbine qui n’avait pas été précédemment autorisée et ne pouvait être regardée comme une «petite turbine», sans rechercher si cette micro-centrale présentait un caractère accessoire par rapport à l’usage pour lequel le canal de Gap était autorisé ni si sa mise en place était de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, la cour a commis une erreur de droit"
Ce considérant spécifie que le fait de mettre sur un ouvrage autorisé une turbine de plus grande puissance n'est pas de nature en lui-même à justifier la nécessité d'une nouvelle autorisation (et de l'enquête publique afférente).

On retiendra donc que ni les services instructeurs de l'Etat (ici dans leur bon droit) ni des tiers ne sont fondés à demander un changement du régime d'autorisation d'un ouvrage hydraulique au motif que la puissance exploitée en est changée sans modification de l'ouvrage lui-même et de ses impacts tels qu'ils sont précisés dans le code de l'environnement, en particulier pour "les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau".

Texte complet (pdf) de l'arrêt du Conseil d'Etat, lecture du 18 décembre 2017, arrêt n°387577 et n°387639.