01/01/2018

Le Morvan des loups et des moulins au temps de Vauban

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707) est né à Saint-Léger-de-Fougeret, devenu Saint-Léger-Vauban en 1867, et possédait des terres autour de Bazoches. Des ses Oisivetés, l'ingénieur consigne ses observations et réflexions sur la France qu'il parcourt, et notamment sur les terres de son enfance. Voici quelques pages sur le Morvan des moulins, des étangs de flottage, des taillis et des loups à la fin du XVIIe siècle. On y note l'exploitation précoce des eaux et des bois. Aujourd'hui, les moulins et étangs sont toujours présents sur les rivières du Morvan, les loups ne sont pas encore revenus durablement dans ses forêts.


En, janvier 1696, Vauban rédige sa Description géographique de l'élection de Vézelay, contenant ses revenus, sa qualité, les mœurs de ses habitants, leur pauvreté et richesse, la fertilité du pays et ce que l'on pourrait y faire pour en corriger la stérilité et procurer l'augmentation des peuples et l'accroissement des bestiaux.

En voici un extrait sur le Morvan de la fin du XVIIe siècle. On y constate que les eaux et forêts sont déjà exploitées à cette époque, dans un milieu humain par ailleurs pauvre et peu développé économiquement.

Le pays est partout bossillé comme nous avons déjà dit, mais plus en Morvand qu'ailleurs. Les hauts, où sont les plaines, sont spacieux, très-pierreux et peu fertiles. Les fonds le sont davantage, mais ils sont petits et étroits. Les rampes participent de l'un et de l'autre, selon qu'elles sont plus ou moins roides, et bien ou mal cultivées.

Le pays est fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tout petits comme étant près de leurs sources.

Les deux rivières d'Yonne et de Cure sont les plus grosses , et peuvent être considérées comme les nourrices du pays, à cause du flottage des bois. On pourrait même les rendre navigables, l'une jusqu'à Corbigny et l'autre jusqu'à Vézelay; ce qui serait très-utile au pays. Les petites rivières de Cuzon, de Brangeame, d'Anguisson, du Goulot, d'Armanée sont de quelque considération pour le flottage des bois.

Il y a encore plusieurs autres ruisseaux moindres que ceux-là, qui font tourner des moulins, et servent aussi au flottage des bois, quand les eaux sont grosses, à l'aide des étangs qu'on a faits dessus. On en pourrait faire de grands arrosements qui augmenteraient de beaucoup la fertilité des terres et l'abondance des fourrages, qui est très-médiocre en ce pays-là, de même que celle des bestiaux, qui y croissent petits et si faibles qu'on est obligé de tirer les bêtes de labour d'ailleurs, ceux du pays n'ayant pas assez de force; les vaches même y sont petites, et six ne fournissent pas tant de lait qu'une en Flandre, encore est-il de bien moindre qualité.

Il y vient très-peu de chevaux, et ceux qu'on y trouve sont de mauvaise qualité et propres à peu de chose, parce qu'on ne se donne pas la peine ni aucune application pour en avoir de bons, les paysans étant trop pauvres pour pouvoir attendre un cheval quatre ou cinq ans; à deux ils s'en défont, et à trois on les fait travailler, même couvrir, ce qui est cause que très-rarement il s'y en trouve de bons.

La brebialle y profite peu, parce qu'elle n'est point soignée ni gardée en troupeaux par des bergers intelligents, chacun ayant soin des siennes comme il l'entend; elles sont toutes mal établées, toujours à demi dépouillées de leur laine par les épines des lieux où elles vont paître, sans qu'on apporte aucun soin ni industrie pour les mieux entretenir.

Bien qu'il y ait quantité de bourriques dans le pays, on n'y fait pas un seul mulet, soit faute d'industrie de la part des habitants, ou parce qu'ils viendraient trop petits.

Pour des porcs, on en élève comme ailleurs dans les métairies et chez les particuliers, mais non tant que du passé, parce qu'il n'y a plus ni glands, ni faînes, ni châtaignes dans le pays où il y en avait anciennement beaucoup.

Il y aurait assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuaient considérablement, aussi bien que les paysans qui sont presque tous chasseurs directement ou indirectement.

Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu'il soit guère possible d'y remédier, à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presqu'à demi couvert.

Nous distinguerons ces bois en trois espèces, savoir, en bois taillis, bois de futaie et bois d'usage. Il y a 60 à 70 ans que la moitié ou les deux tiers de ces bois étaient en futaie; présentement il n'y a plus que des bois taillis où les ordonnances sont fort mal observées. Les marchands qui achètent les coupes sur pied, abattent indifféremment les baliveaux anciens et modernes, et n'en laissent que de l'âge du taillis et sans choix, parce qu'ils se soucient peu de ce que cela deviendra après que les ventes seront vidées et leurs marchés consommés.

Il n'y a plus de futaie présentement; et c'est une chose assez étrange que, dans l'étendue de 54 paroisses, où il y a plus de 37,000 arpents de bois, il ne s'y en soit trouvé que 8.

Les bois d'usage dont il y a quantité en ce pays-là, sont absolument gâtés, parce que les paysans y coupent en tout temps à discrétion, sans aucun égard, et, qui plus est, y laissent aller les bestiaux qui achèvent de les ruiner.

Il arrive donc que, par les inobservations des ordonnances , dans un pays naturellement couvert de bois, on n'y en trouve plus de propre à bâtir, ce qui est partie cause qu'on ne rétablit pas les maisons qui tombent ou qu'on le fait mal ; car il est vrai de dire que les bois à bâtir n'y sont guère moins rares qu'à Paris : on ne sait ce que c'est que gruerie, grairie, tiers et danger dans cette élection.

Les pages de Vauban rappelle aussi la pauvreté extrême dans laquelle vivaient les classes inférieures de son temps, avec par exemple une consommation de viande limitée à quelques jours par an :

Le pays en général est mauvais, bien qu'il y ait de toutes choses un peu ; l'air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire, mais meilleures et plus abondantes en Morvand qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés; mais les terres y sont très-mal cultivées, les habitants lâches et paresseux jusqu'à ne pas se donner la peine d'ôter une pierre de leurs héritages, dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchants arbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, arts, ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie, et gagner quelque chose pour les aider à subsister, ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu'ils prennent; car tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ils n'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins, cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de navette, le plus souvent sans ou avec très-peu de sel. Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment.

Les vins y sont médiocres, et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables.

Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel, ce qui se prouve par le débit qui s'en fait. Car si douze personnes du commun peuvent ou doivent consommer un minot de sel par an pour le pot et la salière seulement, 22,500 personnes qu'y y a dans cette élection en devraient consommer à proportion 1,875, au lieu de quoi ils n'en consomment pas 1,500, ce qui se prouve par les extraits du grenier à sel. Il ne faut donc pas s'étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force. A quoi il faut ajouter que ce qu'ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n'étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année. Que si quelqu'un d'eux a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches.

Référence : Vauban, Sébastien Le Prestre (1633-1707 ; marquis de), Oisivetés, Tome 1-3 , éditées par le Cel Antoine-Marie Augoyat et publiées par J. Corréard (Paris), 1842.

80 000 moulins en France au temps de Vauban?

Dans son Projet de capitation sur le pied du denier quinze, levé indifféremment sur tout ce qui a moyen de payer, Vauban note à propos des moulins de France :  "Il y a dans le royaume plus de 80,000 moulins qu'on peut estimer 200 livres de rente chacun, l'un portant l'autre; sur quoi réglant la capitation sur le pied du denier vingt, parce que ce sont de mauvais biens, cet article monterait à huit cent mille livres, ci.. 800,000 J'estime qu'il y a du moins dans le royaume cette quantité de moulins, et même plus par rapport aux observations que j'en ai faites". Toutefois, Vauban ne donne aucune indication sur la manière dont il parvient à ce chiffre, que l'on doit donc prendre comme une approximation. Les statistiques de la Révolution (enquête sur les subsistances) puis des services hydrauliques de l'Etat donneront 100 000 à 110 000 moulins en France au XIXe siècle, chiffres cohérents avec l'estimation de Vauban 100 à 150 ans plus tôt. Ces chiffres, auxquels il faudrait ajouter les ouvrages de navigation et les étangs piscicoles, rappellent l'ancienneté des modifications morphologiques des rivières françaises.

Illustration : en haut Corot, Chaumière et moulin au bord d'un torrent (1831) ; en bas, Jacob van Ruisdael, Deux moulins à eau et une écluse près de Singraven (1650).

29/12/2017

Quand les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)

Des chercheurs français ont étudié la structure génétique des goujons et des vairons du Célé et du Viaur, deux rivières du Sud-Ouest de la France. Ils concluent que les facteurs naturels (topologie du réseau hydrographique) restent déterminants pour expliquer les variations observées. Au sein des impacts humains, les ouvrages hydrauliques pourtant anciens et nombreux ne montrent pas d'influence cohérente, ce qui interdit toute généralisation à leur sujet. Amusante découverte : les empoissonnements pour la pêche ont une influence génétique plus notable que les ouvrages. Séparer en France les questions halieutiques et écologiques devient un enjeu de plus en plus manifeste, car la pêche est avant tout un usage des milieux ayant des impacts, et ses instances n'ont plus la capacité de développer des méthodes conformes à l'évolution rapide des connaissances en écologie des milieux aquatiques.



La diversité génétique des poissons est connue pour être affectée par de nombreux facteurs, le premier d'entre eux étant naturel : l'organisation en réseau des écoulements hydrographiques, pouvant isoler des branches de ce réseau en pools reproductifs autonomes, du moins à moindre fréquence d'échanges, ainsi que faire varier les structures génétiques de l'amont et de l'aval. Des facteurs anthropiques peuvent également influer sur cette diversité. Parvenir à pondérer ces facteurs naturels et humains permet une meilleure compréhension de l'évolution des lignées locales de poissons, le cas échéant une meilleure anticipation de leur capacité future d'adaptation (par exemple au changement climatique).

Jérôme G. Prunier et ses collègues (Station d’écologie théorique et expérimentale UMR 5371, Institut méditerranéen de biodiversité  et d’écologie marine et continentale UMR 7263, Laboratoire évolution et diversité  biologique UMR 5174) ont étudié les rivières Célé et Viaur dans le bassin Adour-Garonne. Les superficies de bassin versant (1350 et 1530 km2) et les linéaires (136 et 168 km) de ces cours d'eau sont comparables, mais la topologie du réseau hydrographique, la fragmentation par les ouvrages humains et le usages des sols diffèrent, ce qui permet des comparaisons.

Les chercheurs ont étudié deux poissons largement distribués dans le Sud-Ouest : le goujon du Languedoc (Gobio occitaniae) et le vairon (Phoxinus phoxinus). Plus d'une vingtaine de sites (22 et 25) ont été choisis sur chaque rivière, à des emplacements permettant de caractériser par ailleurs des variables d'intérêt de l'environnement. Des marqueurs microsatellites (11 pour le goujon et 16 pour le vairon) ont été isolés pour quantifier trois indices de diversité génétique : la richesse allélique, la richesse allélique privée et l'unicité génétique.

Les prédicteurs environnementaux de la diversité génétique retenus dans cette étude ont été formés de 18 variables répartis en 4 familles : caractéristiques naturelles de la rivière, fragmentation humaine du lit mineur, usage des sols en proximité du lit et probabilité locale d'influence des empoissonnements pour la pêche.

Les principaux résultats sont les suivants :

  • les caractéristiques naturelles du réseau hydrographique (notamment la place dans le gradient amont-aval) sont le premier prédicteur de la diversité génétique des poissons, avec un poids 1,82 fois supérieur à l'ensemble des facteurs anthropiques,
  • parmi les facteurs anthropiques, seul l'empoissonnement de pêche a une influence forte et consistante, notamment sur les goujons,
  • la distance de circulation (home range) entre deux obstacles a montré des influences sur la richesse allélique des goujons dans le Viaur et dans une moindre mesure des vairons dans le Celé,
  • le taux d'urbanisation à 2 km de la station influence l'unicité génétique.


Les auteurs soulignent que "les influences locales de la dégradation et de la fragmentation sont spécifiques à chaque rivière et à chaque espèce, variant parfois même au sein du même lit mineur, ce qui interdit toute généralisation".

Et ils concluent : "la structure naturelle des réseaux et l'empoissonnement de pêche influencent fortement les caractéristiques spatiales de la diversité génétique selon une direction prévisible, alors que l'influence des autres activités humaines peut être plus difficile à prédire selon les espèces et les contextes".

Discussion
Cette étude sur la génétique des poissons des rivières du Sud-Ouest rejoint dans ses conclusions de nombreuses autres montrant que les variations observées dans les cours d'eau restent difficiles à prévoir : les modèles n'expliquent qu'une part de la variance, et la diversité des résultats indique la forte influence des contextes et de l'histoire de vie propre à chaque hydrosystème. Cela doit inciter le gestionnaire public à se défaire de l'idée que des règles simples et uniformes pourraient s'appliquer dans tous les cas de figure. On ne fera de la bonne écologie qu'avec une étude rigoureuse de chaque rivière en son bassin versant, ce qui prend certes du temps (et coûte de l'argent) mais qui évite d'engager des programmes inadaptés aux enjeux locaux et peu susceptibles d'obtenir des résultats significatifs.

Le constat de l'influence des alevinages et empoissonnements comme cause anthropique la plus claire de certains changements génétiques locaux ne vient pas commune une surprise : cela fait plusieurs siècles que les populations pisciaires sont changées par des activités halieutiques, sans considération particulière pour les souches concernées dans le cas des alevinages et déversements (sauf à date assez récente, et surtout pour les salmonidés focalisant l'attention pour leur intérêt de pêche). On peut en tirer certaines conclusions institutionnelles. D'une part, il est regrettable que la pêche de loisir en France soit quasiment le seul usage de l'eau à ne pas faire l'objet d'un programme systématique d'évaluation de son impact biologique et écologique. D'autre part, il est anormal que cet usage de l'eau jouisse encore d'une préséance particulière en gestion écologique des milieux aquatiques. Cet héritage du XXe siècle n'a plus lieu d'être aujourd'hui car les approches et méthodes sectorielles développées par les pêcheurs ne sont plus tellement en phase avec l'évolution globale des connaissances sur l'écologie des milieux aquatiques.

Référence : Prunier JG et al (2018), The relative contribution of river network structure and anthropogenic stressors to spatial patterns of genetic diversity in two freshwater fishes: A multiple-stressors approach, Freshwater Biology, 1, 6-21

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27/12/2017

Les résultats inconsistants des restaurations de continuité écologique imposent des suivis et analyses coûts-bénéfices (Mahlum et al 2017)

La restauration de "petite continuité" des cours d'eau consiste à traiter des buses, des gués et autres passages formant des obstacles à la migration des poissons, généralement sur des rivières et torrents de têtes de bassin. Une équipe de chercheurs canadiens, soulignant le coût cumulé important de ces travaux de restauration écologique, a voulu vérifier si les chantiers ont une efficacité réellement démontrée. Leur analyse avant-après impact conclut que les résultats sont mitigés, avec des cas d'amélioration et d'autres de dégradation. Les retours d'expérience sérieusement faits au plan scientifique aboutissent souvent à de telles conclusions équivoques. Au lieu de dépenser chaque année des centaines de millions € d'argent public en restauration physique (le coût public total du seul classement de continuité dépassera les 2 milliards €), il est urgent de rehausser le niveau qualitatif du programme français, déjà de mener des campagnes rigoureuses de suivi avant-après et d'analyse coût-bénéfice des chantiers. Arrêtons de mettre la charrue avant les boeufs : intervenir partout sans évaluer les avantages et inconvénients ni définir les bonnes pratiques ne peut être le programme des politiques publiques de restauration de rivières. 

Shad Mahlum et ses collègues ouvrent leur article par un constat désormais partagé par la communauté scientifique en écologie de la restauration et de la conservation : "La restauration écologique et environnementale peut être coûteuse, et une certaine certitude de succès est donc désirable".

La restauration des continuités (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) fait partie des mesures ayant émergé ces dernières décennies en aménagement des milieux aquatiques. Contrairement à des choix environnementaux de prévention traitant des impacts à la source, par exemple en interdisant des substances ou en contrôlant leur émission, la restauration physique est une tâche complexe et coûteuse, à la fois par le très grand nombre de milieux concernés et par la lourdeur des interventions sur le bâti existant, en lit ou en berge.

Hélas, si les effacements de grands barrages s'accompagnent parfois de suivis scientifiques ambitieux, les travaux plus modestes mais bien plus nombreux de continuité en rivière sont souvent négligés sur ce point : "Dans les petites structures telles que les buses, les ressources sont rarement mobilisées pour évaluer le résultat biologique de ces interventions, soulignent les scientifiques. C'est dommage vu que ces structures sont ubiquitaires et que les études d'impact des activités de restauration sont indispensables pour établir les bonnes pratiques, préciser les espérances de succès de la restauration et comprendre l'analyse coût-bénéfice des différentes approches de la restauration".

L'étude canadienne a concerné 4 sites de tête de bassin, des petits cours d'eau fragmentés par une buse assurant un passage routier (ponceaux). A chaque fois, le site restauré a été comparé à un tronçon naturel présentant les mêmes caractéristiques. Les restaurations avaient consisté à ajouter des déflecteurs pour limiter la vitesse et varier l'écoulement, ou à construire un second passage.

Les chercheurs souhaitaient initialement étudier l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), l'anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) et la saumon atlantique (Salmo salar). Mais seuls des ombles ont pu être échantillonnés en quantité suffisante : 462 poissons ont ainsi été prélevés et taggés. Trois types de réponse ont été suivies : le pourcentage de montaison à succès (passage success, PS), l'échelle des débits franchissables (range of passable flows, RPF) et les périodes de débits franchissables (availability of passable flows, APF).

Effets significatif (+) ou négatif (-) sur les 4 sites étudiés et pour les 3 critères retenus, les résultats entre parenthèses sont significatifs à p<0.05. B-A : contrôle avant vs après. C-I : contrôle site restauré vs site référence (source : article cité, droit de courte citation).

Voici le résultat tel que le commentent les chercheurs : "Notre analyse de 4 buses (…) suggère que les résultats de la restauration ne sont pas garantis. Alors que la restauration des buses est supposée améliorer le passage des poissons, nous n'avons pas observé d'amélioration consistante dans toutes les buses. En terme de succès de franchissement, tous les passages sauf Spracklins ont montré une amélioration, mais un seul (Arnolds) était statistiquement significatif. Les résultats étaient plus équivoques en considérant les propriétés du débit dans les buses – seul un passage (Arnolds) a montré un changement positif (….) Ces résultats mitigés sont en accord avec les rares études ayant vérifié le succès des restaurations de franchissement de poissons (Pretty et al 2003; Noonan et al 2012; Evans et al 2015; Myers & Nieraeth 2016; Tummers et al 2016)".

Shad Mahlum et ses collègues énumèrent les causes possibles de problème :

  • manque de population source pour recoloniser le tronçon,
  • persistance de dégradation de l'habitat, en particulier lié aux usages des sols du bassin versant,
  • faible puissance statistique des tests,
  • variabilité interindividuelle des comportements de montaison chez les poissons d'une même espèce.

Ils observent notamment : "Les efforts pour restaurer la connectivité à un point spécifique de l'espace peuvent ne pas amener des résultats remarquables pour des barrières partielles car les résultats écologiques ne sont pas susceptibles d'augmenter de manière linéaire avec la franchissabilité. Par exemple, le franchissement occasionnel d'un animal à travers une barrière partielle peut être suffisant pour garantir la persistance de la population et le flux génétique (Neville et al 2016; Soanes et al 2017), et permettre la recolonisation après un épisode d'extinction".

Les scientifiques concluent enfin : "Nos résultats démontrent que sans un contrôle approprié, les chances de tirer des conclusions fausses regardant les restaurations des systèmes spatialement et temporellement dynamiques sont substantielles".

Discussion
Les observations de Shad Mahlum et de ses collègues ne sont pas isolées, mais forment au contraire un topique bien connu en écologie de la restauration (voir à titre d'exemple quelques références de recherches parues entre 2015 et 2017 en bas de cet article, et lire cette synthèse).

De surcroît, la difficulté à prédire les résultats écologiques d'un chantier de restauration n'est qu'une des dimensions à envisager quand on se pose le problème de l'évaluation coût-bénéfice ou avantage-inconvénient d'une opération (et, comme on aime à la dire en France, de sa conformité à un "intérêt général"). Si les buses et ponceaux ne sont généralement pas un enjeu social fort, il n'en va pas de même pour les seuils, digues et barrages faisant également l'objet de mesures de restauration de continuité longitudinale. Intervenir sur argent public demande de définir et de vérifier l'objectif biologique du chantier (les espèces cibles de la restauration, l'effet sur les autres espèces du site, le bilan global de biodiversité), mais aussi d'envisager toutes les dimensions impactées (patrimoine, énergie, paysage, épuration chimique, préservation d'eau à l'étiage, recharge et niveau de nappe, etc.).

On est très loin de ces bonnes pratiques en France, essentiellement en raison de la gouvernance défaillante de la continuité écologique. Au lieu de poser une méthodologie rigoureuse d'évaluation de chantiers pilotes sur quelques centaines de sites représentatifs de la diversité des rivières, des hydro-éco-régions et des positions dans le réseau hydrographique, on a financé d'emblée et de manière indistincte des milliers de chantiers avec des suivis soit inexistants, soit bâclés (limité à quelques poissons, sans analyse antérieure de plusieurs années, sans évaluation du gain total sur le tronçon, sans bilan sur d'autres espèces, sans analyse socio-économique, sans tests élémentaires de significativité des variations observées, etc.). Vu que le coût public à venir de la réforme de continuité des rivières risque de dépasser les 2 milliards €, il n'est pas trop tard pour arrêter les frais et mener une politique publique beaucoup plus rigoureuse en écologie des milieux aquatiques.

Référence : Mahlum S et al (2017), Does restoration work? It depends on how we measure success, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12649

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25/12/2017

La députée Untermaier demande à Nicolas Hulot que son administration respecte la volonté du législateur sur les moulins et ouvrages hydrauliques

La députée de Saône-et-Loire s'inquiète dans une question écrite au ministre de l'absence de mise en oeuvre efficace des mesures de protection des ouvrages hydrauliques souhaitées et votées par le législateur. Et pour cause : l'administration en charge de l'eau, qui poursuit depuis 10 ans un programme systématique de harcèlement et destruction des ouvrages en rivière à l'encontre du texte et de l'esprit des lois, continue sur ses mauvaises habitudes. Il est indispensable que le ministre de la Transition écologique et solidaire promulgue une circulaire de recadrage de ses services afin que l'action de l'Etat soit le reflet de la loi et de l'intérêt général, et non plus l'expression des stratégies internes et hors contrôle démocratique de son administration. 


La députée Cécile Untermaier a adressé à Nicolas Hulot une question sur les problèmes de mise en oeuvre des mesures de protection du patrimoine hydraulique, vis-à-vis desquelles l'administration de l'eau se montre réticente.

Mme Cécile Untermaier attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les modalités d'application de l'article L. 214-8-1 du code de l'environnement. 
Cet article issu de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables, vise à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. La volonté exprimée par le législateur était de permettre la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, sans toutefois méconnaître la nécessaire protection du patrimoine, en particulier les moulins à eaux. 
Des associations de protection de ce patrimoine lui ont font part des difficultés récurrentes qu'ils rencontrent sur le terrain et s'interrogent sur l'application par l'administration des dispositions législatives ainsi prises. Les modalités réglementaires qui auraient été adoptées dans la suite de cette loi ne seraient pas de nature à respecter cet équilibre. Aussi, elle lui demande de bien vouloir lui préciser les difficultés rencontrées, le cas échéant, dans la mise en œuvre de la restauration de la continuité écologique des cours d'eau au regard du bâti existant que constituent les moulins, quelles mesures il entend prendre pour y remédier et si les modalités réglementaires adoptées satisfont à cette double exigence.

A quelles difficultés la députée fait-elle référence?
La direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie est en conflit depuis 10 ans avec les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est que les fonctionnaires travaillant sous la tutelle de la DEB (DDT-M, AFB, Agences de l'eau) ont reçu pour consigne de mettre en oeuvre une vision maximaliste de la continuité écologique, visant à détruire purement et simplement les ouvrages en rivière (voir la mise en place de cette dérive ; quelques exemples de falsifications dont l'administration est coutumière sur le sujet).

Les parlementaires et certains ministres, alertés de cette dérive, se sont émus à de nombreuses reprises de cette déformation manifeste du texte et de l'esprit des lois par les fonctionnaires en charge de l'environnement. Entre autres mesures récentes, ils ont voté en 2017 un amendement exemptant certains moulins de continuité, exprimant à cette occasion de manière unanime leur opposition à la casse des ouvrages hydrauliques.

Mais l'administration française continue dans ses très mauvaises habitudes : poursuivre son programme en parfaite indifférence aux critiques des élus. Ainsi, un projet de circulaire (non publié au JORF) a été envoyé au services instructeurs leur expliquant comment contourner la nouvelle disposition législative. Les mêmes maux persistent, certains fonctionnaires du ministère de l'écologie, de l'Agence française pour la biodiversité ou de l'Agence de l'eau s'estiment apparemment au-dessus des lois et ne veulent pas démordre de leur programme insensé d'effacement du maximum d'ouvrages ou d'imposition de mesures totalement exorbitantes, sans rapport à l'impact écologique.

Nicolas Hulot doit comprendre ce qu'avait déjà compris Ségolène Royal avant lui, et ce que le CGEDD a déjà établi de manière indépendante dans son rapport de 2012 comme dans son rapport de 2016 : les pratiques de la direction de l'eau et de la biodiversité dans le domaine de la continuité écologique sont conflictuelles et biaisées. Les parlementaires ont déjà demandé à de multiples reprises leur recadrage et le gouvernement doit maintenant s'y atteler sérieusement.

En attendant, les propriétaires d'ouvrages hydrauliques, les riverains de leurs biefs et retenues, les associations doivent converger vers la même attitude  : s'opposer méthodiquement à tous les abus de pouvoir constatés sur le terrain, informer systématiquement leurs députés et sénateurs en leur demandant expressément de saisir le ministre de l'écologie pour faire cesser les troubles. La rubrique vade-mecum de ce site comporte des outils à cette fin. Hydrauxois peut vous aider à exiger les bonnes pratiques et à formaliser des contentieux quand elles ne sont pas respectées.

Illustration : la destruction de l'ouvrage Saint-Nicolas de Tonnerre en 2016 illustre les dérives graves de l'administration en France. L'enquête publique avait donné un avis négatif sur ce projet (pas d'intérêt écologique, pas d'intérêt général), mais la préfecture et le syndicat de rivière n'en ont tenu aucun compte. Le préfet a ordonné la casse alors même qu'un contentieux avait été ouvert contre son arrêté par notre association, donc sans attendre l'avis de la justice. L'arrêté était bel et bien défaillant au plan procédural, et l'administration l'a finalement retiré, sollicitant un non-lieu au tribunal administratif afin d'éviter de répondre de ses méfaits devant la justice. Des manifestants installés sur une propriété privée pour défendre l'ouvrage ont été délogés de force lors de ce chantier, sans que la plainte pour voie de fait alors déposée soit à ce jour suivie d'effet. De telles pratiques décrédibilisent l'Etat et sont indignes d'une démocratie. Les poursuivre, c'est aller tout droit vers une conflictualité ouverte sur les chantiers contestés.

A lire en complément
Protection des moulins: les parlementaires ont été très clairs... l'administration devra l'être aussi!

22/12/2017

Appel à soutenir le moulin du Boeuf en lutte contre l'arbitraire administratif

Défendre la production d'une hydroélectricité bas-carbone et non polluante, préserver les droits d'une exploitation raisonnée des cours d'eau, valoriser le patrimoine, les moulins et ouvrages hydrauliques multicentenaires, résister à la destruction programmée des anciens moulins au mépris de la loi : autant de causes menacées à défendre maintenant, ici. Avec le moulin de Boeuf, en lutte depuis 6 ans contre l'administration de Côte d'Or lui refusant le droit d'exister comme moulin, en butte à l'indifférence d'un syndicat de rivière (Sicec-SMS) dont le seul objectif manifeste paraît de casser le maximum d'ouvrages sur la Seine et ses affluents. Gilles et Marie-Anne doivent aujourd'hui défendre leur cause devant le Conseil d'Etat. Hydrauxois est à leur côté et nous demandons à tous nos lecteurs de les aider concrètement à assumer les frais de justice. C'est en se battant systématiquement sur le terrain et devant les tribunaux que nous ferons avancer notre cause commune. Merci d'aider Gilles et Marie-Anne. Merci de diffuser cet appel. Merci de vous engager pour que vive notre patrimoine hydraulique, que cesse la folie de son démantèlement et de son harcèlement.



En 2011, Gilles et Marie-Anne achètent le moulin du Bœuf, à Bellenod-sur-Seine, avec son droit d’eau, mais sans raccordement au réseau électrique.

Leur rêve ? Restaurer ce moulin ancien, le rendre énergétiquement autonome par la pose d’une nouvelle roue hydraulique et de panneaux solaires, pouvoir s’y « mettre au vert ».

De l’argent investi dans les énergies renouvelables et dans la restauration du patrimoine rural : qui y verrait un problème aujourd’hui, à l’heure de la transition écologique et énergétique?

Mais ce rêve tourne au cauchemar.

L’administration de l’eau, dûment avertie du projet, déclare qu’il est interdit de remettre une roue sur le site ancien et d’exploiter la force motrice de l’eau : le droit d’eau transmis lors de l’achat est retiré.

Cette administration se montre intraitable. Le coût de raccordement du moulin au réseau électrique approcherait les 100 000 euros ? Peu importe. Les roues hydrauliques ne provoquent aucune mortalité des poissons ? Peu importe. Tout le village et plusieurs associations soutiennent le couple ? Peu importe.

Gilles et Marie-Anne ont décidé de porter l’affaire en justice. Car au-delà de leur cas, des milliers de moulins font aujourd’hui en France l’objet des mêmes menaces : on leur interdit de produire une énergie propre ou on renchérit le coût de manière exorbitante, sous des prétextes fallacieux ; on détruit parfois leurs chutes, retenues et biefs à la pelleteuse.

Après un jugement défavorable en appel, ils ont décidé de se porter en cassation au Conseil d’État, afin que les plus hauts magistrats se prononcent sur leur cas.

Si Gilles et Marie-Anne gagnent cette procédure, ce seront des milliers de roues de moulin qui pourraient de nouveau tourner sur les rivières françaises. Pour produire une énergie locale et propre. Pour relancer l’activité dans nos campagnes. Pour retrouver des rivières vivantes, surveillées et entretenues.

Nous vous demandons aujourd’hui d’aider Gilles et à Marie-Anne à payer les frais de procédure, afin que l’injustice économique ne s’ajoute pas à l’injustice administrative dont ils sont déjà victimes.

Lien vers la campagne de don

21/12/2017

Le Conseil d'Etat rappelle que l'on peut augmenter la puissance d'équipement d'un ouvrage hydraulique autorisé

Dans un contentieux opposant l'association syndicale autorisée du canal de Gap, exploitant d'une centrale hydro-électrique, à des communes, le Conseil d'Etat vient de donner raison à la première. Dans cet arrêt, les conseillers rappellent que l'augmentation de puissance hydraulique (ici par l'ajout d'une turbine), même assez conséquente, n'implique pas l'obligation de solliciter une nouvelle autorisation spécifique si l'ouvrage concerné est déjà autorisé et constitue l'accessoire d'un usage principal (L 511-3 code de l'énergie), ici l'irrigation. Dans ce cas d'espèce, l'administration avait agi correctement (la région Rhône-Alpes est connue pour sa tradition hydro-électrique et la bienveillance de représentants de l'Etat à son endroit). Mais ailleurs, on observe souvent des conflits de même nature, où l'administration refuse de reconnaître des droits fondés en titre ou sur titre d'une puissance supérieure à l'équipement ancien de sites. On voit aussi parfois des acteurs de la rivière, comme les fédérations de pêche ou les associations écologistes, refuser des augmentations de puissance équipée. Cet arrêt rappelle le droit à ce sujet. 



Voici le rappel des faits :

  • par un décret impérial du 11 avril 1863, l’autorisation de prélever une part des eaux du Drac a été donnée au concessionnaire du canal du Drac, au droit duquel est venue l’association syndicale autorisée du canal de Gap, avec un débit maximal de 4 mètres cubes par seconde en temps d’étiage, en vue notamment, outre la satisfaction des besoins liés à l’irrigation, de «la mise en jeu des usines qui seront établies sur son cours»; 
  • par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 2 septembre 1976, l’exploitation, par la société d’équipement hydraulique des Alpes, de la micro-centrale hydroélectrique de Pont-Sarrazin, établie sur le long de ce canal, a été autorisée pour une durée de trente ans pour une puissance maximale brute de 500 kW représentant un débit de 0,16 mètre cube par seconde ; 
  • sans que cette autorisation ait fait l’objet d’une modification, sa puissance maximale brute est passée à 1 647 kW à la suite de l’installation d’une seconde turbine par l’exploitant, représentant un débit de 0,46 mètre cube par seconde; 
  • la micro-centrale a été cédée par l’exploitant à l’association syndicale autorisée du canal de Gap, à laquelle l’autorisation a été transférée par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 10 juillet 2006; 
  • l’autorisation initiale venant à expiration, l’association syndicale autorisée du canal de Gap a sollicité du préfet des Hautes- Alpes une nouvelle autorisation, qui lui a été délivrée, par un arrêté en date du 1er décembre 2006 fixant à 1 647 kilowatts la puissance maximale brute hydraulique autorisée; 
  • à la demande de la communauté locale de l’eau du Drac amont, la communauté de communes du Haut-Champsaur et la commune de Saint-Jean-Saint-Nicolas, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté; 
  • l’association syndicale autorisée du canal de Gap et le ministre de l’environnement se pourvoient en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative de Marseille a rejeté leurs appels contre ce jugement et a confirmé l’annulation de l’arrêté préfectoral au motif qu’il aurait dû être précédé d’une étude d’impact ou d’une enquête publique

Le Conseil d'Etat pose d'abord :
"lorsqu’un ouvrage a été autorisé en application d’une législation ou d’une réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992, il est dispensé des régimes de concession ou d’autorisation du livre V du code de l’énergie dès lors que la production d’énergie qui lui est adjointe constitue un accessoire à son usage principal, et sous réserve que, en cas de modifications regardées comme nécessaires, celles-ci ne soient pas de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau, impliquant alors une nouvelle autorisation au titre de la législation et de la règlementation sur l’eau"
Ce point rappelle qu'il n'y a pas lieu de solliciter une nouvelle autorisation pour un ouvrage déjà autorisé, les seules modifications éventuelles de l'ouvrage devant être évaluées au regard du droit, et appeler si besoin une nouvelle autorisation.

Les conseillers ajoutent :
"ainsi que l’a relevé la cour, le canal de Gap, ouvrage autorisé en vertu du décret impérial du 11 avril 1863, est réputé autorisé au titre de la police de l’eau en application de l’article L. 214-6 du code de l’environnement ; (…) en se fondant, pour juger que la micro-centrale de Pont-Sarrazin n’entrait pas dans le cadre de la dispense d’autorisation rappelée au point précédent, sur la circonstance que sa puissance de 1647 kW résultait de l’ajout d’une seconde turbine qui n’avait pas été précédemment autorisée et ne pouvait être regardée comme une «petite turbine», sans rechercher si cette micro-centrale présentait un caractère accessoire par rapport à l’usage pour lequel le canal de Gap était autorisé ni si sa mise en place était de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, la cour a commis une erreur de droit"
Ce considérant spécifie que le fait de mettre sur un ouvrage autorisé une turbine de plus grande puissance n'est pas de nature en lui-même à justifier la nécessité d'une nouvelle autorisation (et de l'enquête publique afférente).

On retiendra donc que ni les services instructeurs de l'Etat (ici dans leur bon droit) ni des tiers ne sont fondés à demander un changement du régime d'autorisation d'un ouvrage hydraulique au motif que la puissance exploitée en est changée sans modification de l'ouvrage lui-même et de ses impacts tels qu'ils sont précisés dans le code de l'environnement, en particulier pour "les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau".

Texte complet (pdf) de l'arrêt du Conseil d'Etat, lecture du 18 décembre 2017, arrêt n°387577 et n°387639.

19/12/2017

Le député Cubertafon rappelle à Nicolas Hulot que l'Etat doit financer les passes à poissons

Un député de Dordogne vient de saisir Nicolas Hulot à propos du refus par certaines agences de l'eau de financer les passes à poissons. La loi sur l'eau de 2006 a été claire : l'Etat doit indemniser les études et travaux représentant des charges exorbitantes pour les particuliers et petits exploitants. Cette indemnisation avait été décidée suite à l'échec de la loi de 1984, qui n'avait pas abouti à la construction de passes sur les rivières classées en raison des coûts inaccessibles de chantier. Il vous revient de saisir vous aussi vos parlementaires pour qu'ils interpellent le ministre de la Transition écologique et solidaire sur tous les problèmes liés à la mise en oeuvre de la continuité écologique. Députés et sénateurs représentent la volonté générale et ont pour mission de contrôler la bonne exécution des lois par l'administration. Pour la continuité écologique on est encore très loin...



Le député Jean-Pierre Cubertafon (Dordogne) vient de saisir Nicolas Hulot qu'une question sur le financement des mises aux normes de continuité écologique.
M. Jean-Pierre Cubertafon attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire sur la situation des propriétaires de moulins qui se voient dans l'obligation de financer des aménagements coûteux afin de restaurer la continuité écologique des cours d'eau. 
Pour rétablir la continuité écologique qui tend à faire défaut dans les cours d'eau, l'État impose désormais aux propriétaires de moulins d'araser ou d'aménager les seuils des moulins au plus tard fin 2018. Dans le premier cas, la destruction des ouvrages, forcément coûteuse, est prise en charge par la collectivité. Dans le second, c'est aux particuliers de payer en partie les aménagements. Sur plusieurs cours d'eau français, des propriétaires de moulins ont donc pour obligation de se mettre aux normes. 
Si la solution la plus simple et la moins coûteuse serait d'autoriser la démolition des moulins, les propriétaires, et il les comprend, ne peuvent se résoudre à une décision aussi lourde. La destruction des moulins aurait de graves conséquences : la baisse du niveau des eaux qui fragiliserait des édifices tels que les ponts ; les zones humides qui seraient menacées par un drain plus rapide, remettant en cause la biodiversité et le tourisme et les loisirs (canoë-kayak, baignade, pêche) qui seraient indirectement impactés... De plus, ces destructions constitueraient une entrave à notre patrimoine en freinant le développement de l'hydroélectricité, énergie renouvelable et propre. Aujourd'hui, la meilleure solution serait la construction de passes à poissons afin de permettre le franchissement des moulins par les poissons migrateurs. Mais selon les estimations, le montant pour chaque moulin atteindrait un chiffre moyen de 200 000 euros. Si l'État prenait en charge 90 % des travaux, les coûts restants pour les propriétaires seraient encore importants. 
Aussi, il souhaiterait connaître sa position sur ce sujet. Afin de restaurer la continuité écologique des cours tout en protégeant leur patrimoine bâti, il lui demande s'il est possible que l'État prenne en charge à 100 % les travaux de construction des passes à poissons.

Sur ce sujet, nous rappelons que la loi est claire (voir cet article) : contrairement aux précédentes réformes (1865, 1984), qui avait justement échoué faute de solvabilité, l'Etat s'est engagé à indemniser les travaux (études, chantiers) représentant une "charge spéciale et exorbitante". Aucun moulin ne doit donc accepter de solution qui ne soit pas financée par l'Etat, ni accepter le chantage à la destruction qui ne figure pas dans la législation.

Cette disposition légale est indépendante des choix de subvention des agences de l'eau, c'est-à-dire que si une agence de l'eau refuse de financer à 100% une passe à poissons, cela n'exonère pas l'Etat de garantir l'indemnisation. Et comme un peu partout sur le territoire des propriétaires d'ouvrages hydrauliques ont déjà vu leurs études et chantiers payés intégralement sur argent public, il revient désormais de garantir l'égalité de tous devant la loi. Nous n'avons pas à subir un arbitraire d'interprétation des protections des citoyens prévues par la loi, avec des règles changeant d'un bassin versant à l'autre, voire d'un barrage à l'autre sur une même rivière.

Les propriétaires d'ouvrage n'ont pas à se laisser impressionner par des diversions ou menaces verbales des services instructeurs de l'Etat. Chacun peut contacter une association, un syndicat ou un avocat s'il constate des abus de pouvoir.

Appel à nos lecteurs : associations ou propriétaires, vous devez saisir le député et le sénateur de votre circonscription afin qu'ils interpellent le ministre de la Transition écologique et solidaire sur tous les problèmes rencontrés dans l'exécution de la loi de continuité écologique par une administration ayant largement outrepassé son rôle en prenant la liberté de favoriser partout la casse des ouvrages. Vous pouvez écrire à vos élus sur des cas de portée nationale, comme la scandaleuse destruction des barrages de la Sélune, ou bien encore pour interroger le ministre sur la poursuite des mauvaises pratiques au bord des rivières (chantage à l'effacement, destruction de plans d'eau sans étude de biodiversité, refus de suivre l'avis des commissaires enquêteurs, oubli de la transition énergétique définie comme priorité par le président Macron, etc.). Saisie des dizaines de fois par les parlementaires, Ségolène Royal avait dû admettre les dérives de son administration et recadrer les préfets en 2015. Nicolas Hulot et son équipe ne connaissent pas encore ce sujet problématique : il vous revient de les sensibiliser au plus vite par la voie de vos élus, représentants de la volonté générale et garants du contrôle de l'action administrative.

17/12/2017

Premières mobilisations sur la Sélune contre le choix scandaleux de détruire les barrages de la vallée

Riverains et élus locaux de la Sélune ont organisé une première manifestation, pour exprimer leur opposition à la destruction des barrages annoncée de manière brutale et précipitée par Nicolas Hulot. La résistance à la défiguration de la vallée et à la casse des outils de production hydro-électrique s'organise. Elle va monter en puissance ces prochains mois. Hydrauxois y participe et appelle toutes ses associations partenaires à faire de la Sélune le symbole de la résistance populaire aux dérives dogmatiques et dépassées de la politique française des rivières. 

Ils étaient 400 selon la police, 1200 selon les organisateurs pour une première manifestation des riverains s'opposant à la destruction des barrages de la Sélune.

"Nous manifestons pour que l'arrêté préfectoral du 3 mars 2016 soit respecté et contre la décision arbitraire, précipitée du nouveau ministre de l'environnement", a expliqué John Kaniowsky, président de l'association des Amis des barrages (en photo, © Ouest-France). Les élus locaux ont rappelé que cette décision de Nicolas Hulot avait été prise sans aucune consultation des collectivités. Il faut y ajouter que le projet industriel du repreneur potentiel (Valorem) n'a pas été étudié sérieusement par la nouvelle équipe entourant N. Hulot au ministère de la Transition écologique et solidaire.

L'association les Amis du barrage prépare une grande fête de printemps, qui exprimera la mobilisation populaire, locale et nationale pour défendre une vallée menacée par des choix parisiens et opaques, où l'écologie est manifestement un prétexte. Hydrauxois s'y associera. Les associations travaillent également sur le volet juridique, visant d'abord à faire respecter l'arrêté en vigueur de vidange et inspection du site, ensuite et si besoin à requérir l'annulation d'un arrêté de destruction.

Le choix de Chantal Jouanno de détruire les ouvrages de la Sélune en 2009 avait déjà été arbitraire et brutal. La décision de Nicolas Hulot de reprendre ce chantier, annoncée par simple communiqué en pleine COP 23, le fut tout autant.

Rappelons que le projet de Nicolas Hulot sur la Sélune
  • détruit en pleine transition des barrages hydro-électriques capables de produire une énergie bas carbone et locale,
  • anéantit le cadre de vie et d'activités de 30 000 riverains,
  • aggrave le risque de pollution de la baie du Mont-Michel,
  • fait disparaître deux lacs, leurs annexes,leur biodiversité,
  • apporte un gain dérisoire de saumons adultes remontants (1300), gain qui pourrait être obtenu autrement,
  • représente une gabegie d'argent public (minimum 50 millions €) quand le gouvernement exige la rigueur partout et que la transition écologique manque de moyens,
  • a été essentiellement défendu par le lobby de la pêche de loisir du saumon, dont on peut douter qu'il représente l'intérêt général de la vallée comme du pays,
  • a été mené avec un mépris constant de la concertation et de la participation des citoyens, ce qu'ont souligné des travaux de sciences humaines et sociales y voyant un contre-modèle de démocratie environnementale. 

Cette décision de détruire les barrages de la Sélune est une erreur, comme le sont les centaines d'effacements d'ouvrages hydrauliques en France au nom d'une vision dogmatique et dépassée de la continuité écologique. Nous appelons à la mobilisation de tous pour faire cesser cette folie dans les meilleurs délais.

A lire également
Barrages et lacs de la Sélune : pourquoi nous refusons la destruction

14/12/2017

Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau

Les étangs, plans d'eau et petits lacs sont aujourd'hui reconnus comme des zones à fort intérêt écologique, en raison de leur biodiversité comme de certaines fonctionnalités (épuration). Menacés par la recherche de terres agricoles, l'expansion urbaine et de manière générale l'artificialisation des sols, ces masses d'eau le sont parfois par les politiques de continuité écologique visant à supprimer les ouvrages hydrauliques, leurs retenues, leurs zones humides associées.  Nous avons étudié les cas d'effacement de plans d'eau rassemblés dans le recueil d'expérience en hydromorphologie de l'Onema-AFB. Ils montrent les mauvaises pratiques répandues en France : inventaire de biodiversité généralement négligé, analyse chimique inexistante, suivi rare et limité le plus souvent à certaines espèces de poissons. Encore ces exemples sont-ils supposés être une sélection des meilleurs cas à l'intention des gestionnaires... De telles pratiques ne peuvent plus durer car elles sont déconnectées d'enjeux écologiques reconnus. Il est ici proposé d'associer systématiquement des inventaires de biodiversité et fonctionnalité à tout chantier pouvant impliquer la perturbation des hydrosystèmes d'intérêt dans le cadre de restaurations morphologiques de cours d'eau. 



Quoique souvent d'origine artificielle, les étangs, plans d'eau et petits lacs sont des habitats d'intérêt pour de nombreuses espèces inféodées aux systèmes lentiques et à leurs annexes humides, des contributeurs à la biodiversité gamma régionale ainsi que des réservoirs de biodiversité pour certaines espèces rares (Davies 2008, Biggs 2017). Ces hydrosystèmes jouent également un rôle bénéfique dans l'épuration des masses d'eau (Passy 2012, Gaillard 2016, Cisowska et Hutchins 2016).

Compte-tenu de la valeur écologique de ces habitats et de leurs services écosystémiques, la décision de détruire un étang ou un plan d'eau à fin de continuité écologique ou de restauration morphologique doit donc faire l'objet de précaution particulière. En particulier, il faut s'assurer que le bénéfice attendu sur la station pour certaines espèces représente un gain significatif par rapport à l'état de ces espèces sur le reste du tronçon ou de la masse d'eau. Il faut également diagnostiquer les milieux et les autres espèces que l'on s'apprête à perturber, afin de vérifier si l'opération représente un bilan positif pour la biodiversité.

Ces pratiques sont-elles respectées? Pour le savoir, nous nous sommes référés au Recueil d’expériences sur l’hydromorphologie qui avait été lancé par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (aujourd'hui intégré dans l'Agence française pour la biodiversité), en lien avec les agences de l'eau et le ministère de l'écologie.

Le recueil comporte un chapitre intitulé "La suppression ou dérivation d’étangs sur cours d’eau". Ce chapitre comporte 7 exemples avec des mentions de "suppression" ou "effacement".

Le tableau ci-dessous résume les pratiques rapportées dans le Recueil et les espèces signalées comme d'intérêt.


On observe :
  • dans 1 cas sur 7 seulement un diagnostic élargi (mais non complet) de biodiversité est réalisé,
  • dans aucun cas le bilan chimique amont-aval de l'étang n'est réalisé,
  • dans 3 cas sur 7 aucun diagnostic n'est réalisé avant,
  • dans 3 cas sur 7 aucun suivi n'est réalisé, dans 2 cas sur 7 seuls les poissons sont suivis,
  • les poissons représentent la majorité des espèces signalées comme d'intérêt.
Nous en concluons que :
  • la qualité des opérations décrites est dans l'ensemble médiocre,
  • la biodiversité faune-flore n'est presque jamais prise en compte,
  • le suivi et les centres d'intérêt donnent un poids disproportionné aux poissons (ne représentant que 2% de la biodiversité aquatique),
  • le fait d'avancer ces opérations imprécises et peu ambitieuses comme des "exemples" est problématique de la part d'administrations en charge de l'eau, de la biodiversité et de l'environnement.
L'administration a récemment proposé une grille d'évaluation paysagère et patrimoniale des ouvrages hydrauliques, l'Etat souhaitant que les maîtres d'ouvrage public et bureaux d'études remplissent désormais cette grille avant de prendre une décision sur l'avenir d'un ouvrage. Nous proposons que, sur le même principe, l'administration développe une grille d'évaluation de la biodiversité et fonctionnalité des hydrosystèmes, afin d'éviter que des choix d'aménagement s'opèrent sans le diagnostic indispensable du vivant sur site. Une méthodologie simplifiée et normalisée pourrait être conçue, en lien avec les techniques déjà développées pour l'inventaire du patrimoine naturel (ZNIEFF notamment) et les outils de la directive-cadre-européenne sur l'eau.

Cette grille devrait objectiver l'état initial du système étudié dans ses différentes stations et compartiments (amont, retenue, aval, annexes hydrauliques, berges, connexions à la plaine alluviale) ainsi que ses biocénoses. A partir de là, les hypothèses d'aménagement mettraient en correspondance des gains et des pertes attendus, afin de contribuer à la décision.



Cette étape ajoute bien sûr de la complexité et du délai aux projets. Mais dans le cadre de politiques publiques se donnant pour objectif la qualité de l'eau et la préservation de la biodiversité, il serait incompréhensible de continuer à sacrifier la qualité des interventions sur les bassins versants à une "urgence" en réalité absente des questions morphologiques. Il faut par ailleurs s'habituer à ce que l'écologie correctement prise en compte représente un coût public non négligeable dans le diagnostic des bassins versants et les analyses préparatoires des sites de chantier, ce qui impose du discernement dans la définition des programmes et la solvabilisation de leur financement.

Une note de réflexion sur la nécessité de cette évolution dans les opérations de conservation et restauration des hydrosystèmes est en cours de préparation à l'intention du Conseil national de l'eau. Une note technique et juridique sera par ailleurs formalisée pour les associations, administrations et gestionnaires, afin que, sans attendre, des meilleures pratiques soient demandées sur ces chantiers.

Illustration : en haut, étang du Griottier-Blanc dans le Morvan. Ce plan d'eau d'origine artificielle et ancienne est gérée par la fédération de pêche 89, avec des déversements de truites pour des parcours de pêche à la mouche fouettée. Il court-circuite un petit rû typique des têtes de bassin morvandelles (rû des Paluds). Malgré ces impacts, la zone présente de nombreuses espèces d'intérêt et est classée en ZNIEFF de type 1. Cet exemple rappelle que les discontinuités ne sont pas toujours négatives pour le vivant et que les opérations de restauration les concernant doivent être menées avec discernement (voir le contre exemple de l'étang de Bussières, lui aussi dans une ZNIEFF, que la même fédération de pêche a entrepris de détruire sans précaution.) En bas, les odonates font classiquement partie des espèces appréciant les plans d'eau et leurs annexes.

11/12/2017

Christian Lévêque bouscule les idées reçues sur la biodiversité, sa conservation et sa restauration

Ecologue, hydrobiologiste, directeur de recherches émérite de l’IRD, Christian Lévêque a passé toute sa vie professionnelle de chercheur à étudier le vivant, et d'abord les milieux aquatiques. Il vient de publier un essai détonnant sur la biodiversité et ses politiques de protection en France. La thèse centrale de son livre : le biodiversité est un mot-valise mal défini pour donner un autre nom à ce que nous appelions simplement la nature avant les années 1980, et cette nature a été transformée pendant des millénaires par l'homme. Parfois pour la dégrader, parfois pour l'enrichir, sans qu'il soit possible d'observer et de penser aujourd'hui la biodiversité hors de cette influence humaine présente dans toutes les dynamiques des milieux et des espèces. Une partie de l'écologie de la conservation (ses associations, ses technocrates, et parfois ses chercheurs) refuse cette réalité, ou du moins véhicule un idéal implicite ou explicite de "nature sans l'homme" : conserver serait exclure la présence de l'humain, restaurer serait supprimer l'héritage de l'humain. De telles attitudes conduisent sans grande surprise à une forte conflictualité de certains projets écologiques sur nos territoires. Et, n'en déplaise à ceux qui le cachent au public, leurs résultats sont loin d'être toujours à la hauteur des investissements, car les trajectoires imprévisibles de la nature continuent de s'écrire en réponse aux actions humaines passées ou présentes. Un livre à lire et à offrir pour les fêtes! Quelques extraits de sa conclusion.

Il pourrait exister un consensus assez général sur le fait de vouloir vivre dans un environnement idéalisé : pas de pollutions, une bonne gestion des ressources naturelles, une nature bien protégée et accueillante, etc. La nature est pour beaucoup une valeur refuge (le sain, le beau, le sublime) en regard des dégradations dont elle fait l’objet et du stress de la vie urbaine. Qui n’a jamais été tenté par ce mythe d’une humanité harmonieuse, entretenant de bonnes relations avec une nature paradisiaque, dans laquelle on occulterait toutes les espèces qui dérangent et tous les ennuis du quotidien ? Mais la réalité est tout autre, et la nature, dans notre société moderne, est devenue un lieu d’affrontements économiques, sociaux et idéologiques. Le diable réside dans les différentes représentations que chacun se fait de la nature et des objectifs à atteindre en matière de protection. Il est difficile, en effet, de trouver des terrains d’entente entre des groupes sociaux qui cherchent des compromis entre les dynamiques naturelles et les usages de la biodiversité par les sociétés humaines, et d’autres groupes sociaux, bien ancrés dans leurs croyances et leurs idées reçues, pour qui la nature doit être préservée des exactions de l’homme.

Sans compter que la question de la conservation de la nature et de la biodiversité est le plus souvent abordée par des mouvements militants, ou des intellectuels et des technocrates qui dissertent de manière redondante sur la nature et développent des visions hors-sol, théoriques ou idéologiques, sur ce qu’elle devrait être. Ce faisant, on marginalise l’opinion et l’attente des citoyens qui en vivent ou pour qui elle est un cadre de vie (la nature vécue). Il en résulte des politiques de conservation basées parfois sur des idées reçues, voire sur des concepts erronés, en décalage avec la société. Il est de bon ton de pratiquer l’homo-bashing, dans une société qui refuse par ailleurs le moindre risque. Et pourtant... si l’impact de l’homme sur la nature peut faire l’objet de bien des critiques, la nature que nous aimons, en France métropolitaine, est bien le système agropastoral que plusieurs générations de paysans ont créé et entretenu pendant des siècles. 

La thèse que je défends dans cet ouvrage est simple : la diversité biologique en France métropolitaine doit tout autant aux hommes qu’aux processus spontanés. Notre nature de référence, c’est le milieu rural d’avant la dernière guerre, avec ses bocages et sa polyculture. Nos sites emblématiques de nature sont eux aussi des systèmes anthropisés, à l’exemple de la Camargue, du lac du Der, ou de la forêt de Tronçais. Ce que nous appelons « nature » est donc une nature patrimoniale, hybride, qui s’est construite au fil du temps depuis la  fin de la dernière période glaciaire, en fonction des opportunités de recolonisation des terres devenues plus accueillantes, et de l’usage des systèmes écologiques par nos sociétés. Les hommes ont ainsi transformé les habitats et introduit certaines espèces, et d’autres espèces sont arrivées spontanément, car l’Europe est aussi une terre de reconquête pour la diversité biologique.

Sur un autre plan, la nature n’est ni bonne ni mauvaise, mais on la perçoit comme telle. Certaines ONG nous vendent l’image d’une nature bucolique, victime innocente des activités humaines. Mais les citoyens savent bien que la nature est aussi une source importante de désagréments et de nuisance. Nous avons depuis longtemps lutté contre les « humeurs » de la nature, et pratiquer l’omerta dans ce domaine est un déni de réalité. On ne peut pas continuer à aborder la question de la conservation de la biodiversité sans prendre en compte ce volet que les citoyens n’ignorent pas et qui explique souvent leurs comportements.

Partant de ce constat, on ne peut plus parler de nature vierge ou sauvage en Europe, mais de nature co-construite (Blandin, 2009). Nous n’avons plus affaire à des écosystèmes au sens écologique du terme, mais à des antroposystèmes (Lévêque et Van der Leuuw, 2003), dans lesquels les dynamiques sociales interfèrent avec les processus spontanés. On ne peut plus parler non plus de systèmes à l’équilibre, puisque la dynamique de ces anthroposystèmes s’inscrit sur des trajectoires temporelles, sans retour possible. La question lancinante est de savoir comment gérer cet héritage patrimonial, dans un environnement naturel et social qui bouge en permanence.

La tendance forte en matière de protection est de vouloir conserver l’existant, de figer le présent par des mesures de protection qui, pour certaines, excluent l’homme. Pourquoi pas, mais on sait que, pour protéger l’existant, il ne suffit pas d’exclure l’homme. Bien au contraire, il faut maintenir l’ensemble des conditions climatiques et sociales nécessaires à la sauvegarde de la biodiversité patrimoniale. C’est d’ailleurs une pratique assez courante. Or le climat change et il est dificile d’y remédier, même si on peut regretter que l’homme en soit, au moins en partie, responsable. Les usages et pratiques en matière d’utilisation des ressources naturelles changent également, ainsi que les attentes des citoyens vis-à-vis de la nature. La protection de la nature sensu stricto, par mise en réserve et qui peut se justifier à court terme, est donc un exercice délicat, sinon impossible sur le long terme, car il se heurte à la réalité du changement global. L’alternative serait d’accepter le changement et de l’accompagner en essayant de piloter, dans les limites du possible, les trajectoires de nos systèmes anthropisés. Mais cela suppose tout d’abord que l’on accepte l’idée de changement et des incertitudes qu’il entraîne. Or ce changement est difficilement prévisible, car les systèmes écologiques et sociaux ne sont pas entièrement déterministes, n’en déplaise à ceux qui trouvent intérêt à nous faire croire le contraire. Ce sont des systèmes où l’aléatoire, le hasard, la conjoncture, jouent un rôle éminent. Ce qui veut dire qu’accompagner le changement dans ces systèmes dynamiques nécessite des suivis réguliers et des réajustements permanents. Cela veut dire également qu’on ne peut  figer et corseter la protection de la biodiversité par des lois qui reposent, elles aussi, sur un supposé état normatif. Si nous sommes amenés à légiférer sur le vivant, nous devons rester modestes, car les trajectoires des systèmes écologiques sont difficilement prédictibles. Il faut donc accepter une part d’incertitudes et la possibilité de se tromper dans le pilotage ! (…)

En définitive, l’écologue que je suis ne peut rester indifférent aux arguments utilisés par les mouvements conservationnistes qui s’appuient, en partie tout au moins, sur des concepts flous, sur des idées reçues et sur l’utilisation sélective des informations. Parfois même sur la désinformation. La science n’a pas pour vocation de dire ce qu’il faut faire, ni de décider à la place des citoyens. Mais elle a le devoir de bien l’informer en fonction des connaissances du moment, et de lui fournir des éléments de réflexion les plus factuels possibles. Elle a aussi le devoir de dire aux citoyens, quand c’est nécessaire, qu’on les trompe. C’est ce que j’ai essayé de faire dans cet ouvrage, où j’ai essentiellement parlé de la situation en métropole car l’approche de la biodiversité est conjoncturelle, et ce qui se passe en Amazonie n’a pas nécessairement de pertinence chez nous. La globalisation et l’amalgame, pourtant allègrement pratiqués, masquent les réalités locales qu’il est indispensable de connaître quand on veut agir avec pertinence.

Quant au citoyen que je suis, il ne peut manquer de s’interroger sur ce grand capharnaüm qu’est la protection de la nature et la gabegie qu’elle suscite (Morandi et al., 2014). Sur la multiplication de projets dits de restauration, inconsistants dans leur définition et leurs objectifs, qui ne se préoccupent pas de savoir s’ils donnent les résultats escomptés, en l’absence de suivi, l’important étant de donner l’impression d’agir. Sur la contestation systématique de tout projet d’aménagement. Sur la privatisation, de fait, de la nature par des groupes militants, au nom d’une certaine idée de la nature. Sur l’absence de concertation avec les citoyens de manière générale et la mainmise d’une administration technocratique et jacobine sur ces questions qui, pour beaucoup, doivent se traiter par la concertation dans le contexte local. Tout devrait être dans la nuance, avec comme guide principal le bon sens qui reste, en fin de compte, le meilleur juge de paix. Mais, de toute évidence, on n’en est pas là !

Référence : Christian Lévêque (2017), La biodiversité : avec ou sans l’homme ? Réflexions d’un écologue sur la protection de la nature en France, Quae, 128 p.

A propos de Christian Lévêque sur notre site
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Christian Lévêque sur la continuité écologique: "un peu de bon sens et moins de dogmatisme"
Quatre scientifiques s'expriment sur la continuité écologique 

Sur le problème de la nature comme référence sans l'homme
La conservation de la biodiversité est-elle une démarche fixiste? (Alexandre et al 2017)
200 millénaires de nature modifiée par l'homme (Boivin et al 2016)
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017)
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015)
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015) 

09/12/2017

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)

Des zones amont de seuils effacés où les arbres déclinent et témoignent de dysfonctionnements de la plaine alluviale, des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… une équipe de chercheurs montre à travers quelques cas concrets que la politique française d'effacement de barrages et seuils est justifiée depuis 10 ans par le discours de certains acteurs techniques ou scientifiques au profit de certains objectifs, mais que cette politique ne saurait prétendre refléter tout ce que les sciences sociales et naturelles ont à dire des rivières, de leur milieux et de leurs ouvrages. En s'inspirant de la géographie physique critique, ces chercheurs appellent à prendre davantage d'acteurs humains ou non-humains en considération quand nous opérons des choix d'aménagement sur les bassins versants. Au passage, ils forment l'hypothèse de biais halieutiques dans la politique française de continuité, dont la provenance pourrait être le rôle institutionnel des pêcheurs et de l'Onema-CSP (aujourd'hui AFB). Une analyse convergente avec nos observations depuis 5 ans. L'approfondissement de ces questions paraît urgent à l'heure où les mêmes biais produisent les mêmes travers, et où les destructions d'ouvrages hydrauliques s'opèrent partout avec une insoutenable légèreté dans le diagnostic des sites et des bassins versants. Quand les bureaucraties en charge de l'eau et de la biodiversité vont-elles s'affranchir de certains dogmes rudimentaires de la continuité, et choisir une approche plus ouverte à la complexité des hydrosystèmes comme des sociosystèmes? 

"Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière" : tel le constat initial qui motive le travail des chercheurs.

Simon Dufour et ses collègues (Université de Rennes 2, Université de Côte d'Azur, CNRS) analysent la politique française de destruction des barrages sous l'angle de la géographie physique critique.

Cette approche consiste à partir des éléments biophysiques du bassin versant (d'où la géographie) et à problématiser l'action des scientifiques, des gestionnaires et autres intervenants à partir des données et des discours observés (d'où la dimension critique). Il s'agit notamment de comprendre comment le "non-humain" est évalué dans les choix que nous faisons. Trois ensembles d'actions sur quatre rivières sont d'abord examinés.

Exemple des variations de croissance des arbres en lit majeur, à l'amont de seuils effacés sur des rivière de l'Ouest de la France (Vire, Orne).  Certains de ces arbres et leurs habitats font aussi l'objet de protection européenne, comme les poissons au nom desquels on altère les écoulements en place. Ce qui pose la question des critères d'évaluation de nos actions, comme des jeux de pouvoirs institutionnels imposant certains critères et omettant d'autres. 


Vire et Orne, un effacement qui impacte la plaine alluviale - Un premier cas étudie la réponse de la végétation à la suppression de seuils sur les rivières Vire et Orne dans l'Ouest de la France. Quatre espèces d'arbres sont suivies : aulne glutineux (Alnus glutinosa), frêne (Fraxinus excelsior), tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et érable sycomore (Acer pseudoplatanus). L'analyse montre que 74% des arbres connaissent un impact notable sur le cycle de vie, 14% avant l'effacement mais 60% après l'effacement. Il apparaît notamment que le fonctionnement de la plaine alluviale est modifié à l'amont des seuils détruits.

Gapeau, un barrage transparent aux sédiments - Un deuxième cas étudie au plan géomorphologique le bassin du Gapeau, un petit côtier méditerranéen qui se jette dans la baie d'Hyères. Cette baie subit un déficit sédimentaire estimé à 2200-2700 m3 de matériaux par an, et cela pour plusieurs causes (montée du niveau de la mer, protection du littoral, transport sédimentaire depuis les terres). Une analyse bathymétrique est menée sur la retenue du barrage Sainte-Eulalie (3 m de haut), principal obstacle au transit des sédiments sur le bassin. Cette analyse sur 9 mois de période de transport révèle que l'ouvrage est transparent au sédiment, ayant perdu 80 m3 de matériaux de sa retenue. Donc, il ne représente pas un obstacle à la mobilité sédimentaire, dont le déficit tient plutôt au changement d'usage des sols sur les versants du bassin.

Durance, un transfert sédimentaire qui demanderait d'éroder les berges - Un troisième cas étudie la rivière alpine Durance, très aménagée à partir des années 1950, dont le débit a été réduit en 40 ans (de 180 m3/s à 40 m3/s) et où les gravières ont extrait du lit plus de 60 millions de m3 de matériaux. Une analyse litho-morphologique a été menée pour savoir si les sédiments des affluents de la Durance seraient susceptibles de recharger la partie aval de la rivière. Le résultat suggère que ces sédiments ont une taille trop petite pour remplir leur rôle sur l'aval de la Durance. La suppression de barrage ne suffirait pas à recharger en sédiments grossiers, il faudrait aussi garantir la reprise de l'érosion des berges (continuité latérale), ce qui pose des problèmes plus complexes de gestion des propriétés riveraines.

"La science est politique : effacer pour quoi? Qui parle?"
Les chercheurs sont donc amenés à constater que l'effacement de barrages est loin d'avoir uniquement des conséquences positives pour l'ensemble des milieux, ni de répondre aux objectifs que pose le gestionnaire. Dans le cas de la Vire et de l'Orne, certaines espèces d'arbres sont protégées au même titre que les poissons cibles de la restauration écologique. Et le dysfonctionnement hydrologique du lit majeur dont témoigne le problème de croissance de ces arbres  suite à l'effacement relève lui aussi de la question des "services rendus par le écosystèmes" que nos actions sont censées accroître.

Cela amène les chercheurs à s'interroger : "comment les différents acteurs non-humains sont représentés (ou pas) dans le débat et pondérés dans la décision".

A ce sujet, Simon Dufour et ses collègues émettent comme hypothèse de travail le rôle joué par les pêcheurs, puis par le CSP-Onema dans l'inspiration des politiques écologiques de rivières centrées sur les poissons, avec les biais qui en découlent : "Concernant l'implémentation de la politique des suppressions de barrage en France, nous n'avons pas directement traité l'existence et les causes potentielles de tels biais mais, en perspective, nous pouvons au moins mentionner que les pêcheurs ont exercé une grande influence sur les politique de l'eau dans les années 1960 (Bouleau 2009), et que l'institution nationale responsable de l'eau et des écosystèmes aquatiques (ie ONEMA, aujourd'hui appelé AFB pour Agence française pour la biodiversité) a été créée en 2006 à partir de l'institution nationale en charge des poissons (le Conseil supérieur de la pêche). Déterminer dans quelle mesure ceci est relié à l'apparente préférence donnée à ces certains habitats du chenal en pratique de restauration, et si il y a des communautés épistémiques qui influencent ces préférences, reste un sujet d'étude".

Au final, les chercheurs appellent à un double effort des sciences naturelles et sociales pour mieux appréhender les enjeux de la rivière et, ici, la question des ouvrages hydrauliques : "Pour les sciences sociales, il est nécessaire de prendre conscience que certains problèmes sociopolitiques liés à la suppression des barrages et des seuils sont liés à la nature de processus et schémas biophysiques, et nécessitent une plus grande attention à la diversité des contextes biophysiques, en particulier en les interactions amont-aval et chenal-plaine (…) cette compréhension nécessite l'inclusion de multiples parties prenantes (ayant potentiellement diverses relations de pouvoir) et implique donc un processus de prise de décision complexe (plus complexe que celui consistant à retirer un barrage sur un site unique). Pour les sciences naturelles, il est nécessaire de se concentrer davantage sur les questions sociologiques, politiques et culturelles et d'être plus conscient de la façon dont la production, la diffusion et l'utilisation des connaissances influencent les processus sociopolitiques".

Référence  : Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

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